Un film de Roy William Neill
Capitalisant sur la réussite totale de La griffe sanglante, Roy William Neill continue, pour cette dixième aventure du duo Holmes / Watson, dans la peinture d’un univers gothique, l’intrigue se déroulant uniquement dans un manoir et sa lande proche. Le Canada de La griffe sanglante devient ici l’Écosse, accents compris. On y retrouve le brouillard, la pluie qui tempête sur les carreaux, les bourrasques de vent qui tourmentent les lourds rideaux, les coins, recoins et autres passages secrets qui animent les plus belles réussites du cycle, du Chien des Baskerville jusqu’à La perle des Borgia.
Neill adapte cette fois la nouvelle Les cinq pépins d’orange (The Adventure of The Five Orange Pips), dans laquelle la mort des personnages leur est annoncée par un courrier contenant les pépins d’orange. Comme souvent, le scénario ne conserve du récit de Sir Arthur Conan Doyle que son objet mystérieux, pour bâtir autour de celui-ci un fil rouge s’inspirant des Dix petits nègres, et de toute l’œuvre d’Agatha Christie ; les membres d’une fraternité décèdent en effet peu à peu dans d’étranges circonstances, chacun ayant reçu l’enveloppe mortelle. On observe régulièrement dans le cycle cette façon de procéder, qui consiste à faire connaître à la future victime son sort funeste par avance ; le pied-bot de La voix de la terreur, ou encore l’horloge de Échec à la mort ont auparavant occupé les mêmes fonctions que l’enveloppe et ses pépins d’orange. Comme Échec à la mort, le film s’inscrit dans la tradition d’un Cluedo assez jouissif ; l’intérêt trouve sa source, comme à l’accoutumée, plus par l’ambiance délétère, entêtante et fascinante, que par le strict contenu de l’intrigue policière. Le film, tout entier en huis clos, fait la part belle au vieux manoir de Deercliff, les personnages semblant y être prisonniers de ce qu’ils considèrent comme une malédiction.
Pas de déguisement cette fois-ci, mais une panoplie de personnages que l’on suspecte, à la manière de Sherlock Holmes, tout autant les uns que les autres. La bonne, grave et l’œil théâtralement mauvais, attire particulièrement l’attention, elle qui apporte, tel un malsain rituel, l’enveloppe aux hôtes attablés, faisant de chaque découverte des pépins un spectacle morbide. Chacun regarde l’autre aller au devant d’une mort certaine, priant pour ne pas être le destinataire prochainement décédé de la mortelle missive.
La parenté avec les films de monstres de la Universal, si elle est moins évidente que dans La griffe sanglante, est néanmoins bien là : le film fut à l’époque proposé en double programme avec La malédiction de la momie (1944), une des nombreuses suites de La momie avec Boris Karloff ; notons également que l’on peut apercevoir lors d’une scène la canne qui a servi dans Le loup-garou (1941), autre fleuron Universal qui sera revu et corrigé par la Hammer dans les années 60.
Si le film s’oriente rapidement vers une intrigue typique du whodunnit, comme on l’a souligné, le récit original préfèrera creuser la signification des pépins d’orange, pour une découverte vraiment différente de celle du film. Encore une fois, et pour un résultat bien plus probant que les épisodes contemporains du cycle, le huis clos permet d’éviter de faire montre de situations et d’objets trop réels et actuels, pouvant rappeler la guerre à peine terminée lors de la sortie de The House of Fear ; on se souvient de Sherlock Holmes et l’arme secrète, où l’on découvrait l’appartement du 221 B Baker Street de Londres, menacé par des montagnes de gravas de toutes parts. Partir de Londres (comme dans Sherlock Holmes à Washington ou La griffe sanglante) est une alternative intéressante permettant de renouveler la série (c’est dans cette deuxième moitié d’épisodes que l’on trouve les plus beaux films de la saga), pour un suspense toujours efficace. Rappelons que les films ne font qu’une 1h05-1h10, témoignant d’une économie de moyens ne sacrifiant rien à l'impact visuel, et d’un brillant sens de la narration. Une nouvelle réussite à mettre au crédit de Roy William Neill !
Précédents films chroniqués :
Le Chien des Baskerville partie 1 et 2
Les aventures de Sherlock Holmes
Sherlock Holmes et la voix de la terreur
Sherlock Holmes et l'arme secrète
Sherlock Holmes à Washington
Échec à la mort
La femme aux araignées
La perle des Borgia
La griffe sanglante
Le film était presque parfait - Page 64
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Sherlock Holmes : La maison de la peur (1945)
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Iron Man 2 (2010)
Un film de Jon Favreau
A la vision de la suite d’Iron Man, une évidence s’impose : Jon Favreau, nous t’avons démasqué ! Tu es le frère jumeau caché de Michael Bay ! Devant la succession de gags pas drôles, de séquences inutiles juste bonnes à satisfaire la fan base, nous ne voyons pas d’autres explications. Qui est Jon Favreau ? Acteur (dans la série Friends), scénariste, réalisateur, on n’a jamais réussi à situer ce drôle de gars. Son Zathura n’a pas une réputation terrible, et personne n’attendait le premier Iron Man, qui a bénéficié d’un effet de surprise favorable ; la participation à l’écriture de Downey Jr. avait également su changer la donne dans le style maintenant bien établi des films de super-héros.
Iron Man 2 fleure le film torché à la va-vite, même si un budget beaucoup plus confortable lui permet d’en mettre artificiellement plein la vue (la Stark Expo, la course F1 de Monaco, le combat des robots guerriers de la fin). Le scénario est totalement décousu, incapable de nous intéresser à l’histoire qu’il semble vouloir raconter (quelle histoire ?), certes pas aidé par des personnages caricaturaux au possible. Sam Rockwell, dans la peau d’un industriel ridicule, Scarlett Johansson dans son traditionnel emploi de fantasme vivant mais un peu vain, et pour finir Robert Downey Jr. dont le narcissisme assumé perd d'emblée lempathie du public. C’est là, à n’en point douter, que le film se plante dans les grandes largeurs. Perdant un point d’ancrage primordial, Tony Stark n’étant plus qu’une marionnette détestable (bourré lors de sa fête, où marquant des point comme au basket en jetant des éléments dans sa poubelle virtuelle). Justin Theroux, scénariste (et acteur), avait auparavant commis le tout aussi bancal Tonnerre sous les tropiques -mais quand même marrant par moments, ce qui n'est jamais, jamais le cas ici-, ce qui donne une idée du fourre-tout de séquences pas drôles, de scènes semblant interrompues et jamais terminées, qui minent Iron Man 2. Le seul personnage qui s’en sort, car sa démesure fait partie de son rôle de bad guy, est certainement Ivan Vanko / Mickey Rourke ; son entrée au grand prix de Monaco reste le meilleur moment du film, même si le personnage ne peut éviter d’être plombé par les mêmes dialogues indigents.
Le ridicule assumé des répliques, encore une fois, ne laisse aucune chance quant à la destinée du film, devenant un des pires comic book movies de ces dernières années. Franchement, Nick Fury, le borgne magnifique, qui sort "Descend de ton donut", ou encore "Je t’ai à l’œil", c’est juste des plaisanteries à deux sous dans la bouche d'un des grandes figures du Marvelverse. Débarrassé de toute prétention scénaristique, le film aligne les discussions semblant improvisées directement devant la caméra, ponctuées de private jokes hors-sujet, où la cool attitude naturelle de Downey Jr. n’est aucunement freinée par un nombrilisme assumé, qui rend la tambouille finale indigeste au possible.
Voulant relier en filigrane le film aux autres productions Marvel à venir (Les Vengeurs, Captain America et Thor), Iron Man 2 se paye le luxe de les évoquer à travers des séquences abscondes pour quiconque ne connaît pas un temps soit peu le monde des comics. Soit une soupe servie toute chaude aux geeks, ceux-là mêmes qui trouveront dans le même temps toute cette mise en scène à côté de la plaque. Et ce n’est pas en goupillant une dernière scène où des robots se battent contre des gars en armure (qui ont tout l’air de robots aussi, super) dans un feux d’artifice pyrotechnique, amené dans un timing foireux, que Jon Favreau se rachètera de cette faute de goût monumentale nommée Iron Man 2. Dommage... -
Sherlock Holmes : La griffe sanglante (1944)
Un film de Roy William Neill
Avec ce neuvième épisode de la série, le réalisateur Roy William Neill place son film sous le double feu d’influences impeccablement digérées et, se faisant, d’une hausse qualitative déjà entamée avec le très beau La perle des Borgia. N’en déplaise à Conan Doyle, c’est sur un scénario original que voit le jour cette Griffe sanglante aux bien beaux atours. Le réalisateur apparaît maintenant comme le véritable auteur de la série, lui qui, en plus de réaliser et produire l’épisode, participe désormais à l’écriture du scénario.
Le film débute sur un plan très graphique, rempli de branches noueuses, d’une brume flottante derrière lesquelles on distingue l’architecture classique d’une église. Dès lors, se déroulera à l’écran une variation sur les classiques Universal des années 30, du temps où loups-garous, hommes invisibles, vampires et goules occupaient l’écran noir et blanc des salles obscures.
On rencontre Sherlock Holmes lors d’une convention sur l’occulte au Canada, où il fait preuve de son célèbre scepticisme rationnel face à des croyances en des forces surnaturelles. Dans cet univers tout entier vouer à la croyance en l’invisible, les méthodes de Holmes sont sévèrement critiquées ; il en était tout autrement dans les premiers films de la série, où le gouvernement anglais chantait les louanges de Holmes pour faire échec au nazisme. On retrouvera par contre beaucoup de similarité avec Le chien des Baskerville, modèle avoué de ce scénario, dans lequel est utilisé le truc de la peinture phosphorescente, la même dont le fameux chien est enduit pour faire croire à une puissance surnaturelle. De même, la déambulation de Holmes dans de brumeux marais rappelle immanquablement la lande de Dartmoor.
Au sein de cette séquence sont même citées les affaires du Chien des Baskerville ou encore du Vampire du Sussex, deux enquêtes du détective où se délite une ambiance fantastique. Le simple fait que d’autres enquêtes soient citées dans le film -une première dans la série cinématographique- rapproche le récit des nouvelles de Sir Arthur Conan Doyle, dans lesquelles il n’est pas rare de croiser des allusions à des affaires passées, qu’elles fassent ou non référence à des récits écrits par Doyle. L’originalité morbide du film consiste aussi à confier l’affaire à Holmes par l’intermédiaire d’une morte, en l’occurrence celle qui ouvre le film. Le vocabulaire utilisé tout au long du film se fera également un plaisir de traiter du fantastique à travers vampires, goules, monstres et fantômes, insistant d’autant plus sur la posture contradictoire et rationnelle de Holmes.
Watson et Holmes citeront également le loup-garou et l’homme invisible, comme par hasard deux fleurons fantastiques de la Universal dans les années 30, pour confronter réalité et fiction. Les passages dans l’auberge, bondée de poivrots et autres piliers de l’établissement, font clairement référence à ce cinéma-là. De plus, l’humour n’est cette fois plus le seul fait de Holmes, mais également du personnage original du postier, très burlesque, qui rappellera bien évidemment la tenancière hystérique de l’auberge dans L’homme invisible (James Whale, 1933).
Comme un fait exprès, on remarque au générique la présence de John P. Fulton, directeur photo sur le film, ayant précédemment œuvré sur rien moins que Frankenstein, La momie, L’homme invisible ou encore le sommet de James Whale, La fiancée de Frankenstein. Les cadres et la lumière sont extraordinaires. Minimisant les sources de lumières au possible, Fulton découpe ses personnages à la serpe, les cloisonnant dans un noir de jais, ténébreux et effrayant. Jamais auparavant aucun Sherlock Holmes n’avait fait preuve d’une telle tenue visuelle, Alton étant également très habile dans l’exécution de plans composites, faisant se combiner plusieurs éléments disparates (brumes, caches, décors peints) et de véritables effets visuels. La suite de sa carrière montera crescendo en puissance, travaillant pour Hitchcock (et notamment son chef-d’œuvre plastique, Vertigo) ou sur la superproduction des Dix commandements par DeMille (le passage de la Mer Rouge, c’était lui !).
Renouant avec une tradition fantastique et éludant judicieusement la contemporanéité de l’intrigue, La griffe sanglante est le sommet des aventures de Sherlock Holmes jusque là.
Précédents films chroniqués :
Le Chien des Baskerville partie 1 et 2
Les aventures de Sherlock Holmes
Sherlock Holmes et la voix de la terreur
Sherlock Holmes et l'arme secrète
Sherlock Holmes à Washington
Échec à la mort
La femme aux araignées
La perle des Borgia -
Un film, une séquence : Batman, le défi (1992)
L’éveil de Catwoman
Nous avions déjà, par le passé, étudié le cas de Batman, le défi. Sauf que ce n’est pas tout à fait cela qui nous préoccupe aujourd’hui. Le personnage le plus fascinant du film de Tim Burton est sans conteste Catwoman, qui passe de la timide et peu dégourdie secrétaire Selina Kyle -hem... assistante de direction- à la maîtresse SM bardée de noir et de griffes qui sait jouer du fouet pour se faire entendre. Cela valait bien qu’on s’y attarde, d’autant plus que les séquences de naissance des bad guys se sont toujours révélées comme des grands moments, même dans des films mineurs : voir à ce propos la magnifique naissance de l’homme-sable dans Spider-Man 3.
La séquence qui nous intéresse dure environ dix minutes, et se positionne dans le premier quart du film. Elle offre une très nette construction en tryptique ; composée par trois scènes, trois temps. Une scène centrale entourée de deux scènes se répondant en miroir inversé. Les trois temps d’une transformation ; de la jeune femme infantilisée à la femme ; de la femme à l’animal.Selina Kyle rentre dans son appartement, éreintée par sa journée de travail et l’agression d’un des membres de la bande du pingouin ; la rencontre avec Batman l’a aussi bouleversée. Arrivée dans la douce monotonie de son chez-elle, elle semble perpétrer un rituel immuable, qui se trouvera néanmoins chamboulée lors du troisième temps de la séquence. Allumant la lumière sur un intérieur rose pâle (on retrouve les teintes du quartier de Edward aux mains d’argent, le précédent film du cinéaste), comme légèrement passé, déteint., et décrépi. Un "Honey, I’m home" retentit, typique de la femme des années 50, (rappelez-vous de William H. Macy, qui reprend l’expression à l’identique, à maintes reprises, dans le très beau Pleasantville), suivi d’un désespéré "Oh, I forgot, I’m not married" ("Ah, j’oubliais, je ne suis pas mariée"). Durant cette scène, elle parlera toute seule, avec son chat, son répondeur, ou à elle-même comme ici ; le dialogue qu’elle a avec elle-même la dévalue systématiquement, se traitant à plusieurs reprises de corn dog (saucisse à hot-dog). Son manteau lourdement jeté sur le dossier de son fauteuil, elle orientera son regard et son attention sur sa chatte, unique compagnon de jeu qui semble avoir une vie beaucoup plus intéressante que celle de sa maîtresse, remplies d’escapades érotiques sur lesquelles la questionne Selina. Machinalement, elle allume la lumière, donne du lait à sa chatte, consulte les messages de son répondeur, (la symétrie avec la troisième scène de la séquence, dans laquelle Selina, née à nouveau, pénètre transformée dans son appartement, allant jusqu’à dupliquer quasi-exactement l’origine des messages : sa mère, puis les cosmétiques Schrek) et déplie son lit, dissimulé dans une armoire, indiquant la petitesse d’un appartement très "maison de poupée". La langueur et l’éternelle répétition de sa vie de tous les jours sautent aux yeux, accentués par un aspect un peu misérable (le bruit du métro qui passe, loin du confort rêvé de Selina).
Son appartement, rempli à craquer d’objets aussi rassurants qu’infantiles (des montagnes de peluches ornent ses fauteuils) semble être le dernier rempart contre la folie du dehors, tout en la contenant aussi, traçant à grands traits une personnalité immature et mal dans sa peau. L’appartement la contient, la retient en fait, à la façon toujours d’une maison de poupées (Selina dénaturera son exemplaire à la bombe, faisant jaillir le chaos là où tout, avant, régnait sous le joug du "mignon"). Cette maison de poupée qui est tout à fait une réplique de son propre appartement rêvé, plus grand, mais toujours aussi... rose. L’ensemble, s’il se veut effectivement rassurant, n’est est pas moins extrêmement effrayant, à la façon de ces magasins de poupées vieillissants que l’on peut croiser dans certains centres-villes. En mettant côte à côte les représentations de l’éternelle jeunesse et de la dégradation due au temps, le cinéaste crée une atmosphère étrange, cette illusion de la vie dite normale qui lui a toujours parue artificielle et bizarre. Ainsi, Selina Kyle est habitée par deux pulsions : une appelant à une normalité inatteignable (une relation amoureuse stable, qui restera impossible même une fois transformée) et l’autre grondant, couvant sous le vernis de la civilisation, l’envie folle de tout envoyer paître. Selina ne rayonne pas, c’est le moins que l’on puisse dire. Les cheveux tirés en arrière, le regard gommé par d’énormes lunettes qui lui donnent son air triste, vêtue d’un strict tailleur brun, digne d’une grand-mère, elle ne s’est pas trouvée son look de femme.
Introvertie et vraiment idiote, Selina doit à son ultime oubli sa transformation qui, comme tous les grandes figures de Batman, est subie. Se rendant de nuit dans les locaux de Max Schreck (le film est quasi uniquement nocturne), elle se fait surprendre par le chef qui découvre une employée beaucoup trop zélée pour lui...Dans cette seconde phase de la séquence, Selina vit alors dans un monde en total décalage avec ce qu’elle pense comme étant en droit de donner et de recevoir. Ainsi, lorsque Max Schrek la traitera de secrétaire zélée (elle a pu accéder à des fichiers cachés en décodant le mot de passe de son chef), elle en sourira d’abord de fierté lors d’un bref contre-champ, qui laissera rapidement la place à sa mine déconfite, comprenant trop tard que ce qu’elle prenait comme un compliment est, en réalité, un défaut. Schrek lui lancera alors ce magnifique "You know what curiosity do the cat ?" auquel répondra dans une symétrie troublante le docteur Finklestein dans L’étrange noël de monsieur Jack : "Curiosity kills the cat, you know ?", à l’encontre de Jack cherchant à percer le secret de Noël. Et, effectivement, l’objectif de Schreck sera de la tuer, ce qu’il réussit à cacher temporairement en feignant l’étonnement avec panache. Et déjà, dans cette scène, l’éclairage sur les lunettes de Selina Kyle dessine le futur masque de Catwoman...
La chute de Selina, d’une extrême violence -amplifiée par le montage et la bande son-, doit l’achever. Et pourtant, la caméra, haut placée dans une perspective plongeante, se rapproche peu à peu d’elle, comme si son âme la rattrapait pour une nouvelle chance, une nouvelle vie. Les chats, dont elle était proche en tant qu’humaine, se rassemblent pour lui raviver les sangs sur une musique crescendo, percussions cinglantes et envolées de violons stridents se disputant le devant de la scène sonore. Là, au milieu des ordures et sur un tapis de neige, Selina revit dans un clignement d’œil. Mais est-ce la même ? La suite nous prouvera que non.De retour dans son appartement, elle agit comme une marionnette sans marionnettiste, essayant de reproduire ses mouvements habituels, sans en avoir jamais la maîtrise complète. Dans une sorte de veille éveillée, comme somnambule, elle offre un décalque mécanique mais malade de la première scène. Faisant tomber la lampe, elle verse du lait sur son vieux plancher, puis en boit à pleine gorgée. Sa demi-conscience va s’éveiller dans un torrent de violence avec l’ultime message de son répondeur, laissé encore une fois par les cosmétiques Schreck. Déchaînée par son nom, qu’elle associe de plus à la figure masculine qu’elle a sûrement cessé de chercher, elle explose.
Tous les aspects de sa vie passée à la moulinette, littéralement. Une explosion de violence, soutenue par une orgie de violons -merci Danny Elfman, pour la plus belle de vos partitions- qui réduit au néant son petit intérieur de la Selina Kyle d’avant. Elle rentre dans un état de transe créatrice : de sens, (le néon Hello There, "Bonjour, toi", qui devient Hell here, "ici l’enfer"), traduisant avec une acuité inédite son état mental), d’objets physiques (la tenue en simili-plastique et griffes), prenant soin de signer son passage et son œuvre (la bombe de graffitis noirs, dont elle appose la marque sur ses objets roses : murs, tenues, meubles) ; Tim Burton tisse là un parallèle entre Selina Kyle / Catwoman et Jack Napier / Joker, qui dans le premier opus passait un musée du centre de Gotham à la bombe verte et rouge, transfigurant plutôt que défigurant les œuvres d’art droitement installées. Mettant à sac son appartement, remplaçant le rose flétri par un noir électrique, elle se découvre en chatte, comme un animal qui a soif d’action, de violence et de sexe. A ce sujet, l’accoutrement qu’elle se crée, recyclant une veste qu’elle ne mettait sûrement jamais, moulante et dévoilant ses charmes de bien belle façon, est équivoque.
Un personnage complexe, révélée à elle-même par une séquence cataclysmique, que Burton tourne en plan-séquence, laissant libre cours au délire de Michelle Pfeiffer, qui signe là une des meilleures scènes de toute sa carrière d’actrice.
Sources images : captures DVD Warner Bros. Entertainment
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Sherlock Holmes : La perle des Borgia (1944)
Un film de Roy William Neill
Opus 8 des aventures de Sherlock Holmes, La perle des Borgia, toujours réalisé et produit par le réalisateur américain dont c’est le cinquième film consécutif, n’accuse aucune fatigue ou lassitude : c’est même l’un des plus beaux de la série jusqu’ici, en plus d'être une véritable adaptation, contrairement à la grande majorité du cycle.
Remarquons tout d’abord une constante dans la série ; titrer le film d’après le réel motif de l’affaire, qui dans les recueils reste dissimulé par un objet sinon banal, au mieux sans rapport avec l’objectif réel du crime. Ici, alors que le titre prend pour objet la perle des Borgia, un trésor inestimable très tentant pour un gang de voleurs, la nouvelle préfère nous intéresser aux Six Napoléons, des bustes représentant l’empereur qui joueront un rôle certain dans l’affaire. Le cas s’était présenté pour La femme aux araignées ou Sherlock Holmes et l’arme secrète. Si cette logique induisait auparavant un suspense éventé, on est conquis par l’astucieux jeu qui se déroule dans La perle des Borgia.
Holmes suit, dans une première scène bien filmée (le premier plan séquence sur le bateau, avec une alternance premier plan / arrière-plan), une jeune intrigante, Naomi Drake -Evelyn Ankers, déjà croisée dans Sherlock Holmes et la voix de la terreur-, qui a pour mission de voler l’objet de toutes les convoitises. Il revêt pour l’occasion ce que l’on est tenu d’appeler le traditionnel déguisement d’un vieil homme d’église qui lui reprend la perle. Mais, une fois n’est pas coutume, c’est Sherlock Holmes lui-même qui va provoquer le deuxième vol du trésor, mettant au jour le dispositif de protection qui permettra à Conover, une sorte de simili-Moriarty, de remettre la main dessus. Il se prend au jeu, encore une fois, d’une surenchère de déguisement et parvient à tromper Watson (ce qui n’est pas bien difficile, avouons-le) dans une tentative de meurtre.
Là où l’adaptation est réussie, c’est quand d’une part elle utilise des personnages existants dans le roman (Harker, l’enseigne Gelder), mais pour un usage différent. Si Harker est le journaliste qui couvre l’affaire dans la nouvelle, il est dans le film le premier cadavre qui gît sur la route semée d’embûches de la perle des Borgia ; le titre original stigmatise cette sorte de malédiction par un très approprié The Pearl of Death. Encore plus fort, elle semble déjouer les attentes de ceux qui ont lu la nouvelle avant de voir le film : Sherlock Holmes clôt l’énigme au commissariat dans la nouvelle, et c’est ce que l’on croit un temps dans le film ; or il n’en sera rien, la ruse touchant à la fois le spectateur avisé et le grand méchant de l’histoire, Conover.
Comme dans les meilleurs opus de la saga, la troupe habituelle s’adjoint d’un freak, un monstre insensible à la douleur, le Creeper. Il se charge des meurtres, et aime en secret la jeune fille que l’on a croisé au début du film. La révélation de son apparence torturée dans les dernières minutes fait preuve d’une belle sensibilité. La difformité bien réelle de l’acteur Rondo Hatton, qui joue ici son rôle le plus consistant, ajoute à la mélancolie du personnage ; il ne jouera par la suite que des variations de ce personnage, Universal tirant sur la corde pour le promouvoir visage de l’horreur.
Esthétiquement stimulant, le film trouve ses meilleurs moments dans son sombre final, puis dans ses tas de vaisselle cassée que laisse le Creeper, qui donnent des airs d’apocalypse au décorum des intérieurs londoniens. Cette désolation, bien que très graphique, fait également écho au chaos qui régnait alors sur le monde. Entre tristesse et espoir (comme Sherlock Holmes tient à le rappeler à chaque fin de film, garant de la droiture de l’être humain), ce huitième film est sans l’ombre d’un doute l’un des plus -si ce n’est le plus- beaux de la saga.
Précédents films chroniqués :
Le Chien des Baskerville partie 1 et 2
Les aventures de Sherlock Holmes
Sherlock Holmes et la voix de la terreur
Sherlock Holmes et l'arme secrète
Sherlock Holmes à Washington
Échec à la mort
La femme aux araignées