Un film de Roy William Neill
Avec ce neuvième épisode de la série, le réalisateur Roy William Neill place son film sous le double feu d’influences impeccablement digérées et, se faisant, d’une hausse qualitative déjà entamée avec le très beau La perle des Borgia. N’en déplaise à Conan Doyle, c’est sur un scénario original que voit le jour cette Griffe sanglante aux bien beaux atours. Le réalisateur apparaît maintenant comme le véritable auteur de la série, lui qui, en plus de réaliser et produire l’épisode, participe désormais à l’écriture du scénario.
Le film débute sur un plan très graphique, rempli de branches noueuses, d’une brume flottante derrière lesquelles on distingue l’architecture classique d’une église. Dès lors, se déroulera à l’écran une variation sur les classiques Universal des années 30, du temps où loups-garous, hommes invisibles, vampires et goules occupaient l’écran noir et blanc des salles obscures.
On rencontre Sherlock Holmes lors d’une convention sur l’occulte au Canada, où il fait preuve de son célèbre scepticisme rationnel face à des croyances en des forces surnaturelles. Dans cet univers tout entier vouer à la croyance en l’invisible, les méthodes de Holmes sont sévèrement critiquées ; il en était tout autrement dans les premiers films de la série, où le gouvernement anglais chantait les louanges de Holmes pour faire échec au nazisme. On retrouvera par contre beaucoup de similarité avec Le chien des Baskerville, modèle avoué de ce scénario, dans lequel est utilisé le truc de la peinture phosphorescente, la même dont le fameux chien est enduit pour faire croire à une puissance surnaturelle. De même, la déambulation de Holmes dans de brumeux marais rappelle immanquablement la lande de Dartmoor.
Au sein de cette séquence sont même citées les affaires du Chien des Baskerville ou encore du Vampire du Sussex, deux enquêtes du détective où se délite une ambiance fantastique. Le simple fait que d’autres enquêtes soient citées dans le film -une première dans la série cinématographique- rapproche le récit des nouvelles de Sir Arthur Conan Doyle, dans lesquelles il n’est pas rare de croiser des allusions à des affaires passées, qu’elles fassent ou non référence à des récits écrits par Doyle. L’originalité morbide du film consiste aussi à confier l’affaire à Holmes par l’intermédiaire d’une morte, en l’occurrence celle qui ouvre le film. Le vocabulaire utilisé tout au long du film se fera également un plaisir de traiter du fantastique à travers vampires, goules, monstres et fantômes, insistant d’autant plus sur la posture contradictoire et rationnelle de Holmes.
Watson et Holmes citeront également le loup-garou et l’homme invisible, comme par hasard deux fleurons fantastiques de la Universal dans les années 30, pour confronter réalité et fiction. Les passages dans l’auberge, bondée de poivrots et autres piliers de l’établissement, font clairement référence à ce cinéma-là. De plus, l’humour n’est cette fois plus le seul fait de Holmes, mais également du personnage original du postier, très burlesque, qui rappellera bien évidemment la tenancière hystérique de l’auberge dans L’homme invisible (James Whale, 1933).
Comme un fait exprès, on remarque au générique la présence de John P. Fulton, directeur photo sur le film, ayant précédemment œuvré sur rien moins que Frankenstein, La momie, L’homme invisible ou encore le sommet de James Whale, La fiancée de Frankenstein. Les cadres et la lumière sont extraordinaires. Minimisant les sources de lumières au possible, Fulton découpe ses personnages à la serpe, les cloisonnant dans un noir de jais, ténébreux et effrayant. Jamais auparavant aucun Sherlock Holmes n’avait fait preuve d’une telle tenue visuelle, Alton étant également très habile dans l’exécution de plans composites, faisant se combiner plusieurs éléments disparates (brumes, caches, décors peints) et de véritables effets visuels. La suite de sa carrière montera crescendo en puissance, travaillant pour Hitchcock (et notamment son chef-d’œuvre plastique, Vertigo) ou sur la superproduction des Dix commandements par DeMille (le passage de la Mer Rouge, c’était lui !).
Renouant avec une tradition fantastique et éludant judicieusement la contemporanéité de l’intrigue, La griffe sanglante est le sommet des aventures de Sherlock Holmes jusque là.
Précédents films chroniqués :
Le Chien des Baskerville partie 1 et 2
Les aventures de Sherlock Holmes
Sherlock Holmes et la voix de la terreur
Sherlock Holmes et l'arme secrète
Sherlock Holmes à Washington
Échec à la mort
La femme aux araignées
La perle des Borgia