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polar

  • L'inspecteur Harry (1971)

    Un film de Don Siegel

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    Clint Eastwood et son mentor Siegel inventent ici un personnage emblématique d'une certaine Amérique ; c'est une période de changement (droits civiques, émancipation, contre-culture), de violence et de rage, où l'inspecteur Harry Calahan ne se retrouve plus, lui qui semble issu de l'ancien monde : un pistolero égaré entre la bureaucratie, les moeurs libérées et les serial-killers.

    Tous ces décalages explosent lorsque Harry décide de prendre en main un braquage de banque situé en face de son fast-food préféré. Il en sort flingue à la main (le fameux Colt .44 Magnum, "le plus puissant soufflant qu'il y ait au monde"), au beau milieu d'un paysage de fin du monde : bagnoles couchées sur le côté, bouche à incendie éventrée, alarme qui ne cesse de retentir... C'est un solitaire, un asocial qui se trimballe toutes les sales affaires (origine probable parmi d'autre du surnom Dirty Harry), qui découvre que son supérieur, pensant le cadrer après quelques abus passés, lui adjoint un nouveau co-équipier, qui va en voir de toutes les couleurs.

    Avec Harry, la justice est rétablie par l'auto-défense, qui envoie bouler tous les règlements devant la cruauté et la violence des criminels. Les méthodes musclées de l'inspecteur le rapproche dangereusement des criminels qu'il poursuit, comme on pourra le voir plus tard dans un autre film, La corde raide (Richard Tuggle, 1984) ; elles posent également la question du statut mental et psychologique du policier, ce héros qui protège la population des criminels. Ici, Harry est un homme avec ses bons et ses mauvais côtés ; il pourrait être parfaitement antipathique s'il n'avait pas les meilleures lignes de dialogues du cinéma américain des années 70 : la première demi-heure du film est remplie d'un humour très noir et de répliques plus cinglantes les unes que les autres. Son look casual le différencie également des autres flics avec lesquels il partage le même badge : chemise, veste de costard et coiffure un peu longue, Harry se fait rembarrer pour motifs esthétiques à tout bout de champ. Mais Harry n'est pas tant un anti-système qu'un gars aux manières d'une autre époque, moins tolérante, moins ouverte, plus dure. Cette dureté vient d'ailleurs principalement du scénariste original du film, John Milius (plus tard réalisateur de Conan le barbare ou scénariste de la série Rome).

    Le film réussit le grand écart de présenter Harry comme le mal nécessaire, puis en héros bien malgré lui. Il suffit de voir la séquence de sauvetage d'une tentative de suicide pour vérifier qu'il préféreraittuer tout de suite les criminels plutôt que de passer par les rouages sans fin de l'appareil judiciaire. C'est toute la signification d'une réplique qui fera date dans Le retour de l'inspecteur Harry (Clint Eastwood, 1983) : Go Ahead, make my day ! (vas-y, fais-moi plaisir). Un enragé au pays des assassins, le serial-killer Scorpio étant calqué sur le Zodiaque, le tueur qui terrorisait la côte est des Etats-Unis depuis la fin des années 60. Pour tout cela, L'inspecteur Harry reste aujourd'hui un monument de rage et de désespoir typique de la déliquescence des années 70.

    Lecture conseillée : Tolérance zéro, la justice expéditive au cinéma / Fathi Beddiar - éditeur : Bazaar &Co

    Disponibilité vidéo : Blu-ray/DVD - éditeur : Warner Home Video

  • Prisoners (2013)

    Un film de Denis Villeneuve

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    Le réalisateur canadien, qui s'était fait remarquer en 2009 avec Incendies, réalise avec Prisoners les espoirs que les amateurs avaient fondé en lui.

    Dans cette terrible histoire qui voit deux familles se détériorer autour de la disparition de leurs deux filles, on aime voir les limites de la séparation bons/méchants, chacun étant les prisonniers (prisoners) de leurs propres émotions, objectifs, douleurs. Ainsi, si Keller Dover est dans son droit en cherchant à tout prix à retrouver au plus vite sa fille, ses méthodes questionnent. Choisissant de ne pas se fier au policier (Jake Gyllenhall, excellent), il amène évidemment ses a priori sur le suspect potentiel, Alex Jones, un jeune homme attardé. Aveuglé par sa douleur et le temps qui passe, qui amoindri d'autant les chances de retrouver sa fille en vie, il dépasse la limite, en entrainant avec lui son ami Franklin Birch (Terence Howard). Leur vie à tous bascule terriblement, et ce qui aurait pu être totalement bateau et, disons-le, casse-gueule cinématographiquement (quelle empathie espérer pour un personnage -relativement- bon qui bascule ?) est gérée de façon très forte par Denis Villeneuve, en restant scotché à ses personnages.De même, le film, qui repose sur des grandes questions qui appellent une réponse claire (qui a enlevé les filles, et pourquoi), nous livrera sa réponse sans en faire des caisses, ni dans la façon d'annoncer ou dans le contenu de l'annonce.

    La caméra, élégante, ne les quitte pas d'une semelle et oublie les effets grandiloquents. Résultat ? On est accroché au siège, de bout en bout. Guidé par plusieurs pistes et plusieurs fils d'enquête différents, on est happés par ce fait divers anxiogène, que l'on a souvent comparé à Se7en, qui en a presque l'étoffe. Les acteurs, très impliqués, nous font croire par leur seul visage à la vérité de ce qui se produit à l'écran. Ainsi, lorsque le policier, blessé, doit conduire le plus vite possible jusqu'à l'hôpital le plus proche en n'y voyant quasiment rien, la séquence est d'une force implacable. Malgré l'impact certain de l'histoire pour elle-même, le film ne serait rien sans ses acteurs ; et si Gyllenhall est excellent, Paul Dano, dans le rôle d'Alex Jones, est tout bonnement ahurissant, dans une des plus grandes performances de sa jeune carrière. Un thriller qui tient ses promesses, ça ne court pas les rues : allez-y, vous en reviendrez chamboulé mais vous ne serez pas déçus !

  • Classics Confidential : The Outfit - échec à l'organisation (1973)

    Cliquez sur l'image pour consulter la chronique du film de John Flynn :

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  • Crying Freeman (1995)

    Un film de Christophe Gans

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    Premier long de Christophe Gans, Crying Freeman est l'adaptation du manga éponyme, créé par Kazuo Koike, l'auteur de Lady Snowblood et du célèbre Lone Wolf and Cub (chacun de ces titres ayant également connu une adaptation cinéma dans les années 70).

    Passionné de tous les cinémas, mais peut-être par-dessus tout du cinéma asiatique, notamment du cinéma Hong-kongais qu'il a participé à faire connaître via HK Vidéo, Christophe Gans signe évidemment avec Crying Freeman un film référentiel. A travers l'aventure de son héros solitaire et mutique, Yo (Mark Dacascos), pris au piège par une secte d'assassins, les Fils du Dragon, c'est tout un pan du cinéma HK des années 80 et 90 qu'on revisite sur les 100 minutes bien remplies de Crying Freeman.

    En allant chercher David Wu, le montaeur de John Woo, Gans donne à son métrage une couleur résolument typée, à base de ralentis extrêmement travaillés, de clichés visuels typiquement HK (les colombes qui s'envolent au ralenti, des hommes de mains qui jouent simmultanément du pistolet tout en avançant), faisant même cohabiter plusieurs univers dans son film. En effet, aux triades qui se bagarrent la domination d'un territoire, tout droit sorti des polars made in HK, s'adjoint une sorcière échevelée aux ongles crochus qu'on croirait échappée du monde fantastique de Zu, les guerriers de la montagne magique (Tsui Hark, 1984). Au milieu de ce duel formidablement filmé, se trouvent deux personnages qui échappent un peu à ces règles : le Freeman, un homme sans identité à l'origine géographique sans importance : le Freeman peut insuffler sa vie dans n'importe quelle enveloppe corporelle, et l'inspecteur Netah (Tchéky Karyo), dont l'apparence et le caractère semblé hérité des policiers à la française de Jean-Pierre Melville (voir la séquence de l'enterrement du chef yakuza, à laquelle il se rend en imper et chapeau mou comme Alain Delon dans Le samouraï).

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    Les influences sont multiples mais très bien digérées, au service d'un scénario musclé. Les temps morts sont très rares (Nita et sa coéquipière qui bavassent à l'hôpital, un interrogatoire un peu mou), car à part ces quelques réserves, Gans s'est démené pour consteller son film de scènes d'anthologie. C'est simple, en le prenant de bout en bout, on savoure chaque séquence jusqu'à ce que le générique de fin apparaîsse : rien qu'une scène relativement anodine comme le assage de Yo par les douanes de l'aéroport est un grand moment de mise en scène, tout en travelling latéral, illuminé par le style racé de Mark Dacascos. La relation amour/haine entre Netah et Lady Hanada, somptueusement masochiste, atteint un sommet lors de la scène d'amour moite dans un placard à persiennes.  Crying Freeman est un film qui passe très vite, et qui a la bonne idée de garder son meilleur pour la fin. Le combat mené par Yo contre une horde de yakuzas, maniant consécutivement un arc, des katanas et des fusils d'assaut (oui, oui ! concession faite au producteur Samuel Hadida) est un enchaînement ininterrompu d'images immédiatement cultes. L'on se rappelera avoir bien usé la VHS à cet endroit précis, à causes de multiples visionnages. Il faut ici dire que la prestation martiale de Mark Dacascos est brillante, inondant de son charisme la scène forestière de cet affrontement final. Sa participation à Crying Freeman, même s'il s'agit là d'un de ses premiers films, reste aujourd'hui le point culminant d'une carrière ensuite enterrée par une foule de Direct to Video. Le couple qu'il forme avec sa protégée dans le film (le belle Julie Condra) est tout à fait crédible, d'autant plus que les deux acteurs seront dès lors inséparables à la ville.

    Habité par une caméra virtuose et un casting impeccable, Crying Freeman, dans toute son exubérance et sa violence froide, dépasse le simple hommage et ravit pour lui-même ; Gans signera plus tard un Pacte des loups bien plus contestable et Silent Hill, une réussite certaine dans le sous-genre très casse-gueule des adaptations de jeux vidéos.

    Source images : photos promotionnelles du film © Metropolitant Filmexport

    Disponibilité vidéo : en DVD zone 2 - éditeur : Metropolitan Filmexport

  • Classics Confidential : L'invraisemblable vérité (1956)

    Un film de Fritz Lang

    8548510502_6ec5d17530_m.jpgFilm jumeau de La cinquième victime, L'invraisemblable vérité sort la même année, et garde un petit rôle pour les médias, grand thème du précédent film. Ceux-ci vont relater avec moult détails le périple judiciaire que vit Tom Garrettt, ancien journaliste qui, pour faire "un bon papier" sur les dysfonctionnement de l'appareil judiciaire, crée les preuves de son implication dans le meurtre d'une jeune femme. ce point de départ, assez invraisemblable, fait du film non pas un polar, comme cela pourrait être le cas, mais démonte bien le mécanisme de falsification de preuves, comme un modèle inversé du film policier, où l'accent est généralement donné sur la recherche de preuve par une figure de l'autorité judiciaire : flic, détective, inspecteur d'assurances, etc. La cinquième victime partage donc aussi cet aspect faussement policier pour parler d'autre chose. Ici, les longs temps qui voient le complice de Garrett prendre les photos des preuves falsifiées, pour composer son dossier de demande de grâce une fois que Garrett sera inculpé puis condamné, fait montre du mécanisme machiavélique apparemment bien huilé qu'utilisent les deux compères. Ainsi, ils démontreront peut-être que le système d'inculpation de la justice américaine, se satisfaisant de preuves indirectes et que, "beyond a reasonable doubt" - titre original du film, "au-delà de tout doute raisonnable", un accusé peut être condamné injustement.

    Les ponts entre les deux films ne s'arrêtent pas là : on se souvient que le couple amoureux laissait sonner le téléphone dans le dernier plan de La cinquième victime. Dans une de leur première scène commune, Tom Garrett (Dana Andrews) et Susan Spencer (Joan Fontaine) sont face à un téléphone qui sonne, pour cette fois y répondre. Et leur couple va, durant les 1h20 du film, être mis à mal par l'aventure supposée de Garrett avec une jeune femme.

    La volonté de Garrett durant le film est difficilement compréhensible, comme il a l'air de s'embourber lui-même dans une affaire dont, très clairement il ne peut pas sortir indemne ; on sent ici poindre l'ombre du film noir, bien plus que dans La cinquième victime. Même avec ce que le spectateur recueille en matière d'informations, sa volonté ne peut être comprise que comme une pulsion sacrificatrice, et/ou masochiste. De plus, son mariage proche avec Susan devrait en faire un heureux homme : comme on le voit se lancer à corps perdu dans cette aventure, et dans la rédaction d'un livre (fil narratif qui sera cependant rapidement abandonné) qui met une barrière à leurs projets communs, sa passion pour elle a l'air peu aboutie. Mais le film est également sur le jeu des apparences, et comme on le sait, elles sont souvent trompeuses. Alors, même si l'on devine rapidement un des événements majeurs du film (le seul détenteur de la vérité de la falsification des preuves meurt accidentellement en emportant les preuves avec lui), les méandres de l'intrigue -qui, dans le dernier quart, prend la forme d'un film de plaidoirie- nous révèle quelques surprises. 

    Comme le relève justement Bernard Eisenschitz dans le fabuleux livre proposé en complément, toute la valeur du film se situe dans l'écart entre ce qui est dit et montré au spectateur, et ce qu'il ne sait pas. Ainsi, certains révélations faites par l'accusation lors du procès viendront soit conforter le savoir du spectateur, ou alors il se satisfera intégralement des réponses apportées par Garrett. Le cheminement pour arriver à la vérité est tout de même tortueux, pour au final justifier une institution que Lang semble tout de même accuser, étant lui-même totalement opposé à la peine de mort, comme le personnage de l'éditorialiste complice de Garrett.

    Si je ne révélerai pas la fin du film, tout au moins puis-je avancer qu'elle préfigure les films à twist qui étaient fort peu répandus au milieu des années 50 ; dans le même temps, le procédé peut sembler malhonnête, allant à l'encontre de tout ce qui a précédé. Ce serait manquer pas mal d'indices qui sont semés tout au long du film. Mais Lang, en grand maître de la rhétorique cinématographique, démontre aussi, si besoin l'était, de l'immense force de persuasion de l'objet film. Et, rien que pour cela, cette Invraisemblable vérité vaut le coup d'être vue !