Un film de Fritz Lang
Film jumeau de La cinquième victime, L'invraisemblable vérité sort la même année, et garde un petit rôle pour les médias, grand thème du précédent film. Ceux-ci vont relater avec moult détails le périple judiciaire que vit Tom Garrettt, ancien journaliste qui, pour faire "un bon papier" sur les dysfonctionnement de l'appareil judiciaire, crée les preuves de son implication dans le meurtre d'une jeune femme. ce point de départ, assez invraisemblable, fait du film non pas un polar, comme cela pourrait être le cas, mais démonte bien le mécanisme de falsification de preuves, comme un modèle inversé du film policier, où l'accent est généralement donné sur la recherche de preuve par une figure de l'autorité judiciaire : flic, détective, inspecteur d'assurances, etc. La cinquième victime partage donc aussi cet aspect faussement policier pour parler d'autre chose. Ici, les longs temps qui voient le complice de Garrett prendre les photos des preuves falsifiées, pour composer son dossier de demande de grâce une fois que Garrett sera inculpé puis condamné, fait montre du mécanisme machiavélique apparemment bien huilé qu'utilisent les deux compères. Ainsi, ils démontreront peut-être que le système d'inculpation de la justice américaine, se satisfaisant de preuves indirectes et que, "beyond a reasonable doubt" - titre original du film, "au-delà de tout doute raisonnable", un accusé peut être condamné injustement.
Les ponts entre les deux films ne s'arrêtent pas là : on se souvient que le couple amoureux laissait sonner le téléphone dans le dernier plan de La cinquième victime. Dans une de leur première scène commune, Tom Garrett (Dana Andrews) et Susan Spencer (Joan Fontaine) sont face à un téléphone qui sonne, pour cette fois y répondre. Et leur couple va, durant les 1h20 du film, être mis à mal par l'aventure supposée de Garrett avec une jeune femme.
La volonté de Garrett durant le film est difficilement compréhensible, comme il a l'air de s'embourber lui-même dans une affaire dont, très clairement il ne peut pas sortir indemne ; on sent ici poindre l'ombre du film noir, bien plus que dans La cinquième victime. Même avec ce que le spectateur recueille en matière d'informations, sa volonté ne peut être comprise que comme une pulsion sacrificatrice, et/ou masochiste. De plus, son mariage proche avec Susan devrait en faire un heureux homme : comme on le voit se lancer à corps perdu dans cette aventure, et dans la rédaction d'un livre (fil narratif qui sera cependant rapidement abandonné) qui met une barrière à leurs projets communs, sa passion pour elle a l'air peu aboutie. Mais le film est également sur le jeu des apparences, et comme on le sait, elles sont souvent trompeuses. Alors, même si l'on devine rapidement un des événements majeurs du film (le seul détenteur de la vérité de la falsification des preuves meurt accidentellement en emportant les preuves avec lui), les méandres de l'intrigue -qui, dans le dernier quart, prend la forme d'un film de plaidoirie- nous révèle quelques surprises.
Comme le relève justement Bernard Eisenschitz dans le fabuleux livre proposé en complément, toute la valeur du film se situe dans l'écart entre ce qui est dit et montré au spectateur, et ce qu'il ne sait pas. Ainsi, certains révélations faites par l'accusation lors du procès viendront soit conforter le savoir du spectateur, ou alors il se satisfera intégralement des réponses apportées par Garrett. Le cheminement pour arriver à la vérité est tout de même tortueux, pour au final justifier une institution que Lang semble tout de même accuser, étant lui-même totalement opposé à la peine de mort, comme le personnage de l'éditorialiste complice de Garrett.
Si je ne révélerai pas la fin du film, tout au moins puis-je avancer qu'elle préfigure les films à twist qui étaient fort peu répandus au milieu des années 50 ; dans le même temps, le procédé peut sembler malhonnête, allant à l'encontre de tout ce qui a précédé. Ce serait manquer pas mal d'indices qui sont semés tout au long du film. Mais Lang, en grand maître de la rhétorique cinématographique, démontre aussi, si besoin l'était, de l'immense force de persuasion de l'objet film. Et, rien que pour cela, cette Invraisemblable vérité vaut le coup d'être vue !