Un film de Nicolas Winding Refn
Il n'y a pas si longtemps, on s'émerveillait devant la classe sans pareille de Shame, balade nocturne un rien dépressive dans l'esprit d'un accroc au sexe, superbement interprété par Michael Fassbender. On retrouve dans Drive cette mélancolie atmosphérique, une ode musicale à la singularité d'un parcours, d'une puissance sensorielle qui scotche le spectateur dès les premières secondes.
Remarqué il y a déjà 15 ans (!!!) avec Pusher, film qui deviendra trilogie, coup de poing tétanisant asséné avec une rage de filmer palpable, Nicolas Winding Refn s'est forgé, en quelques films, une personnalité forte, une identité d'auteur à part entière. Il construit ses films autour de personnages solitaires, souvent mutiques, auxquels il réserve un traitement iconique en diable, en occultant aucunement leurs pulsions de mort (Pusher, Vallalah Rising).
Avec Drive, le réalisateur continue à dépeindre ses traits fétiches, tout en grimpant une marche supplémentaire dans la maîtrise de la technique cinématographique, comme de la puissance émotionnelle de son récit. En effet, si Pusher (et dans une bien moindre mesure Vallalah Rising) sont de très bons moments de cinéma, ils sont loin d'avoir toutes les qualités de Drive.
Le réalisateur est un malin, il prend le spectateur par surprise. Ce dernier s'attend à voir un film rempli de testostérone, de chrome et bitume. Refn nous le promet à un moment, le Driver devant conduire en championnats un bolide concocté par son patron. Mais, si l'on aperçoit le fameux bolide à l'arrêt, cette intrigue ne se réalisera jamais. L'affiche du film s'y met aussi, montrant un Ryan Gosling (le personnage principal, jamais nommé autrement que The Driver) au volant de son bolide, avec ses gants en cuir vachette dans une pause très fast and furious. Alors que la véritable affaire criminelle du film, sujet principal, arrivera par petites touches, puis véritablement dans la deuxième partie du film, toute la première partie ressemble plus au début d'une romance compliquée entre le Driver et Irene (Carey Mulligan, aussi vu dans Shame, décidément), sa voisine de palier qui élève seule son enfant en attendant que son mari sorte de prison. Le générique, avec sa police de caractère rose bonbon, en était-il un signe ?
La séquence d'introduction est hypnotique au possible. Dans un décor urbain ténébreux surgissent, tels des phares dans tempête, les buildings nimbés d'une lumière qui ne s'éteint jamais. Là, dans l'immensité, un conducteur, pressé mais serein, concentré, attend, avec la musique pour seule compagne. composée de nappes de synthés, pulsations sourdes, mélodie entêtante célébrant les eighties, elle est un personnage à part entière, formant avec la ville nocturne un couple fusionnel. On reconnaît, une fois, l'alchimie qui faisait tout le sel du grand Collateral (Michael Mann, 2004). En quelques minutes, Refn nous a eu, embarqué dans cette histoire qu'on veut découvrir plus que tout.
Après cette séquence sportive, le driver faisant montre de son talent pour semer la police, s'étale une histoire avare en dialogues, pour mieux faire parler l'image et la musique de concert. Le lien qui unit le Driver à Irene est touchant, encore plus comme on perçoit bien qu'il est ténu et risque de casser à tout instant. C'est cette sensation, celle qui nous fait anticiper le fait que tout peut mal tourner d'un moment à l'autre, que Refn arrive à imprimer dans l'esprit du spectateur, et qui fait qu'on reste accroché au siège, cramponné aux personnages, du début à la fin.
Puis, quelle classe visuelle ! Retenons avant tout le travail sur les lumières, aussi cinégénique de nuit comme de jour (la teinte orangée d'une fin de soirée d'été, par exemple), et ses reflets, dessinant la nuit sur les personnages tel un artiste enfiévré.
Comme dans Pusher, la dimension criminelle de l'intrigue apporte dans la troisième partie son lot de violence, qui impressionne d'autant plus qu'elle est mise en regard avec l'histoire d'amour sensible des personnages. Celle à qui on fait couler le sang en premier, dans un violent jet rouge filmé au ralenti, marque l'idée qui soutend le film : la violence arrive sans prévenir, jaillissant au sein du cadre sans avoir été annoncée par moult introduction, sonore, visuelle ou par le biais du montage. D'où cette sensation qui arrive finalement peu au cinéma aujourd'hui, de voir l'action se passer pour la première fois devant nos yeux. Nous sommes témoin de la vérité du film, qui dépasse les artifices de la construction cinématographique : la preuve ultime de la réussite incontestable de ce film.