Un film d'animation de Ron Clements & John Musker
Plusieurs années avant la renaissance du studio par les mêmes artisans (Ron Clements et John Musker réalisèrent à partir de la fin des années 80 deux des Disney les plus réussis : La petite sirène (1989) et Aladdin en 1992), sortait sur les écrans Basil, détective privé, adaptation d'une série de livre pour enfants, Basil of Baker Street, de Eve Titus et Paul Galdone. Il avait la lourde têche de succéder à un cinglant échec commercial, Taram et le Chaudron magique (Ted Berman, Richard Rich, 1985). C'est l'époque des remises en questions chez Disney, et clairement Taram tentait de viser un nouveau public, en proposant une histoire bien plus sombre qu'à l'ordinaire -fable initiatique inspirée du Seigneur des anneaux, où se succèdent ambiances délétères, têtes de mort et infâmes maléfices.
Revenant à un sens du spectacle Disney plus classique, Basil... est aujourd'hui un film d'animation méconnu (pas d'édition spéciale en DVD si ce n'est une version dépouillée de tout supplément en 2004), qui mérite bien plus. Basil combine d'ores et déjà deux aspects qui fonctionnent très bien chez Disney : d'abord, la réinvention d'un personnage littéraire classique, Sherlock Holmes (l'intérêt connu de Disney pour les oeuvres d'Agatha Christie montre aussi la volonté d'adapter un suspense policier). Ensuite, les personnages sont des animaux parlants, et qui plus est des souris, -l'origine de Disney avec Mickey-, qui avaient fait leurs preuves dans le très beau Les aventures de Bernard et Bianca (Wolfgang Reitherman, Art Stevens, John Lounbery, 1977). Coïncidence, à quelques mois d'écart sortait sur les écrans le très sympa Fievel et le nouveau monde (Don Bluth, 1986), faisant également la part belle à une souris.
Débutant dans un foggy London où les souris habitent des maisons minuscules au pied des demeures des humains, Basil a en effet tout pour plaire : des personnages bien trempés souvent excentriques (en cela, Basil et le professeur Ratigan, rejouant l'éternel combat des chefs entre Sherlock Holmes et Moriarty, sont à armes égales : la première apparition de Basil le montre affublé d'un déguisement de pacotille, roulant des yeux globuleux dans un pose démoniaque ; tandis que Ratigan, ébouriffé et fou de haine, est impérial dans l'excellent passage musical "Le grand génie du Mal". Vincent Price, invité d'honneur du film pour interpréter ce vilain, confiera que ce fût son rôle favori.
La relecture de la mythologie holmésienne fonctionne à plein, entre un Dawson - Watson revenu d'Afghanistan, Basil héritant du prénom de son interprète le plus célèbre (Basil Rathbone dans la série Fox / Universal des années 40), ce dernier se permettant même un caméo sonore extrait de sa lecture de La ligue des rouquins, fameuse aventure du détective privé, enregistrée quelques temps avant sa disparition. Le traditionnel attrait d'Holmes pour le déguisement est bien présent, à l'occasion d'une scène dans un bar malfamé (le rat trap, ou "piège à rats") où Basil et Dawson prennent les traits de vieux loups de mer, empruntée à un des films de la série Universal, Sherlock Holmes et l'arme secrète (Roy William Neill, 1942). Le jeu des hommages ne s'arrête pas là, car Dawson se laisse embarquer dans une farandole avec les danseuses du bar, exactement comme Watson dans le film de Billy Wilder, La vie privée de Sherlock Holmes (1970). Le dernier affrontement Holmes / Moriarty , tiré du Dernier problème (The final problem, 1891) de Arthur Conan Doyle est aussi revisité lors d'une époustouflante séquence dans les rouages de Big Ben. Cette poursuite magistrale, en plus de constituer un défi technique réussi (il s'agit de la première utilisation d'images de synthèse dans un long métrage d'animation), aurait pu trouver sa place dans la filmographie d'un Miyazaki, passionné qu'il est des mécanismes d'horlogerie. Plus largement, l'importante place donnée à la mécanique (la salle de travail de l'inventeur, la petite ballerine, la salle des jouets) donne vraiment une couleur unique à ce long-métrage, qui se rapproche par moments de façon troublante de .. la série d'animation Sherlock Holmes, initiée quelques années auparavant par Hayao Miyazaki lui-même ! A ce titre, la séquence de poursuite en machine volante entre le Professeur Ratigan et Basil, semble en être directement tirée.
La tenue visuelle est celle des Disney de la belle époque, aux décors soignés et remplis de détails (on peut apercevoir l'éléphant Dumbo lors de la déambulation de nos enquêteurs dans une salle des jouets), aux frimousses attachantes et très expressives des personnages, dans la joie, la tendresse, le drame, mais aussi dans l'horreur et la folie.
La tonalité de Basil..., si elle peut être par moments légère - notamment grâce à la partition magnifique composée par le grand Henry Mancini, qui retrouve son affinité avec l'animation 20 ans après La panthère rose- , n'en est pas moins constellée de moments de cruauté, suggérés certes, mais bien présents. L'on apprend donc que les méchants sont vraiment méchants, et n'hésite pas à (faire) tuer... souvent pour une broutille - "l'exécution" d'un rat par une chatte goulue et féroce, rendue terrifiante par le rituel de "la clochette"...
On dit souvent que "plus le méchant est réussi, meilleur est le film". C'est on ne peut plus vrai ici, et si Basil a vraiment toutes les qualités d'un excellent divertissement animé, c'est en grande partie grâce à son méchant d'anthologie. Ce film mésestime du studio aux grandes oreilles est à (re)découvrir de toute urgence !