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Le film était presque parfait - Page 44

  • Mais qu'avez-vous fait à Solange ? (1972)

    Un film de Massimo Dallamano

    6175740164_69e524fc40_m.jpgLes premiers films de Dario Argento (L'oiseau au plumage de cristal, 1970, Le chat à neuf queues et Quatre mouches de velours gris, 1971) donnent au cinéma italien des années 70 un élan passionnel pour ces récits policiers aux crimes pervers, mâtinés d'onirisme ou de fantastique ; Mais qu'avez-vous fait à Solange est la preuve que la copie peut égaler, voire surpasser, l'original. 

    Le film de Dallamano cherche son identité italienne : co-production avec la firme allemande Rialto, tournage en anglais à Londres, le résultat fait montre d'un multiculturalisme du crime tout à fait intéressant. Partagé entre une ambiance londonnienne au décorum typique (bureaux de Scotland Yard, London Bridge, véhicules, etc.) et son ascendance italienne, Mais qu'avez-vous fait à Solange en tire simplement le meilleur des parties. La trame policière, appliquée, s'inspire des krimis allemands de Edgar Wallaces. Elle s'allie à une caméra virtuose qui sait nous offrir des fulgurances visuelles choc lors des meurtres, et à une photographie absolument somptueuse -les tons de peau sont chauds, subtilement rendus, la nature est colorée et s'invite volontiers dans le cadre, offrant un contraste évident avec l'atrocité des faits. Loin des images parfois poisseuses et volontairement ternes de certains giallos bas de gamme, nous avons ici à faire à une oeuvre de premier ordre.

    Un criminel en série assassine des jeunes filles de la plus horrible des façons, les faisant violemment mourir par là où naît la vie ; Un professeur et sa maîtresse, présents lors d'un des meurtres, se retrouvent au coeur de l'affaire. Le mauvais endroit, au mauvais moment. Alors que les soupçons se font plus pressants sur eux, le professeur Rosseni décide d'agir et d'enquêter par lui-même. Fabio Testi est très bon dans le rôle, un peu perdu, cherchant la vérité, offrant un contrepoint idéal au charismatique Joachim Fuchsberger (vu entre autres dans Le masque de Fu Manchu, Don Sharp, 1965)

    Plus que la cruauté des meurtres, c'est le mystère entourant un groupe de jeunes filles proche des victimes qui donne un sentiment de malaise. Quelque chose se passe, hors du cadre, hors de la narration, et ce quelque chose reste flou jusqu'aux toutes dernières minutes du métrage, donnant corps au point d'interrogation du titre, reproduit de nombreuses fois sur les affiches d'époque. Cette sensation, viscérale, infernale, est la grande réussite de Mais qu'avez-vous fait à Solange. Rappelant l'imaginaire collectif des sociétés secrètes, des rites de passage, le film reste, après visionnage, comme nimbé de cette aura de mystère et de tabou. La partition de Ennio Morricone, empreinte de tristesse, est à ranger parmi ses meilleures créations. Elle donne à la sombre histoire qui nous est contée un parfum de romantisme déçu, de drame déchirant. Et c'est le coeur serré que l'on quitte la scène, terrassé par une intrigue tendue comme un rasoir. Mais qu'avez-vous fait à Solange demeure aujourd'hui, presque quarante ans après son tournage, d'une force intacte.

  • The Shadow (1994)

    Un film de Russell Mulcahy

    6158277245_08fc2a850d_m.jpgPerdu dans les pourtant rares adaptations de comics des années 90, The Shadow ne fait pas beaucoup parler de lui, si ce n'est en termes condescendants. Il est certain qu'il ne fait pas le poids face aux Batman (1989, 1992) de Tim Burton, son modèle évident. Lamont Cranston, playboy le jour, n'y est personne d'autre que le redouté The Shadow, revenant après 7 ans de voyages en Asie, chassant le crime sans répit -les plus informés auront flairé une ressemblance de plus avec Batman, le même prétexte scénaristique ayant été utilisé dans la série animée de Bruce Timm, ainsi que dans Batman Begins (Chistopher Nolan, 2005). D'aucun pensent, comme pour Batman, qu'il ne s'agit que d'une légende urbaine de plus. Le film ne manque pourtant pas d'atouts. Le Shadow est tout d'abord apparu comme héros de pièces radiophoniques, avant d'être adapté en bande dessinée. 

    Russell Mulcahy, le réalisateur de Highlander (1986), est à la barre et n'a rien perdu de sa patte si reconnaissable : un montage cut, des plans aériens et des cadrages aux angles extrêmes (contre-plongées exagérées, éléments qui semblent vouloir jaillir du cadre) qui offrent une belle illustration des périples super-héroïques. Entre ces envolées baroques, Mulcahy donne à voir un New-York années 30 inspiré de Batman. Il en a cependant les moyens, ne lésinant pas sur les costumes, riches en détails, les véhicules, les riches intérieurs (le Cobalt Club, L'Hotel Monolith), ... L'ambiance rétro est ce qui est le plus réussi dans The Shadow, ainsi que son parfum de pulp, qui s'il peut passer pour cheap, n'en est pas moins intentionnel. Les personnages sont un peu surrannés, les dialogues dépassent la ligne du ridicule ; c'est une des évidences les plus criantes du film. L'on y ressent aussi un flottement incessant, le spectacle oscillant sans cesse entre rêve et réalité, hallucination et émerveillement. Rien que la séquence du Cobalt Club, où Lamont Cranston (Alec Baldwyn) est subjugué par la beauté et la présence de Margo Lane (Penelope Ann Miller), est révélatrice de cet aspect. Et pour cause : l'hypnose, cet état de demi-conscience, est le pouvoir que possède Cranston / The Shadow. Embrumer les consciences et les persuader d'une réalité, là est l'arme du playboy contre le crime. La révélation de l'Hotel Monolith, caché en plein jour, est un moment poétique épaulé par la belle mélodie de Jerry Goldsmith.

    Là où le Shadow s'avère une plus grande réussite que Le fantôme du Bengale (Martin Wincer, 1996), jouant dans la même cour -il s'agit aussi de l'un des premiers super-héros, évoluant dans le même New-York des années 30), si ce n'est pour ces décors, réside bien dans sa belle bande originale. Pour l'occasion, le compositeur de La Planète des singes, Patton ou Chinatown, ou des meilleurs opus cinéma de Star Trek, se fend d'un score symphonique mêlant le classique à quelques arrangements électroniques, passant allègrement d'un thème fort et positif à une respiration plus sombre, évoquant la nature schizophrène du personnage. On retiendra aussi les chants des trompettes, sonnant telles des sirènes de police sillonnant un New-York infesté par le crime.

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    The Shadow a malheureusement des défauts, au premier lieu desquels on peut citer les prestations des comédiens, toutes décevantes. Alec Baldwyn, même dans sa période de lumière, reste bien fade, si ce n'est sa voix grave seyant bien à son alter-ego des ténèbres. Mais alors que dire de Sir Ian McKellen, cantonné à un second rôle inepte, et John Lone (pourtant très bon dans L'année du dragon), dans le rôle du méchant chinois, qui nous rappelle les temps désuets de Fu Manchu ? On dira que malgré tout, cela fait partie du charme un tantinet dépassé du serial tel que l'a imaginé Mulcahy. Tim Curry, l'éternel Frank N Furter du Rocky Horror Picture Show, nous offre quand à lui un moment totalement fou, atomisant l'air avec sa mitraillette, dans un hall désert. Ses yeux démesurés, bien utiles dans Ça, fichent la frousse, en même temps que les méthodes expéditives du Shadow (quand on vous dit que Batman n'est pas loin). 

    Si The Shadow est aujourd'hui relativement oublié, ce n'est pas sans raison. Son caractère délicieusement daté, sûrement perceptible dès sa sortie, aura eu raison de lui. Pourtant, l'on pense que cet univers dans lequel on nous entraîne est saupoudré d'une désuétude tout voulue et assez savoureuse ; un cocktail divertissant au parfum bis, attirant malgré tout notre plus grande sympathie. 

  • Ciné d'Asie : Détective Dee, le mystère de la flamme fantôme (2011)

    Un film de Tsui Hark

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    Le sieur Tsui Hark se fait plutôt rare ses temps-ci. Son dernier film, Seven Swords, est sorti depuis sept ans déjà, malgré sa participation à Triangle (Hark, Lam & To, 2008). C'est dire si son nouvel objet filmique non-identifié était attendu (au moins par nous). Jadis précurseur et maître d'une fantasy fantasque et survoltée (Zu, les guerriers de la montagne magique et sa suite), en passant par le film de super-héros (Black Mask, 1995) et le film historique, avec la saga Il était une fois en Chine, Il nous joue un bien beau tour avec son Détective Dee, personnage ayant réellement existé s'employant à résoudre les affaires les plus tortueuses. 

    An 690. La veuve du dernier empereur en date va prochainement accéder au trône. Des meurtres inexpliqués -les victimes prennent feu et décèdent dans d'affreuses souffrances- viennent perturber les préparation de la cérémonie, dont la construction d'un gigantesque bouddha. 

    Malgré des effets spéciaux peu convaincants (les décors numériques se révèlent constamment sous leur vrai visage, soit un artifice voyant), Hark s'empare du matériau de base pour l'intégrer intelligemment dans son œuvre. Ainsi, les instants fantaisistes et extravagants peuplant sa filmographie se retrouvent ici par bribes savoureuses (un cerf qui parle, un mystérieux prêtre qui vole et s'évanouit dans les airs), pour ensuite trouver une explication rationnelle, déterrée des décombres de la croyance et des superstitions par le réaliste Dee. Comme on a plaisir à se laisser emporter par ce flot de magie, de complots, de romance échevelée et de cadrages survoltés -la bataille entre Dee et le Grand Prêtre est ahurissante ! Les personnages, interprétés par un casting impeccable (Andy Lau, Tony Leung Ka Fai, Li Bingbing), nous emmène dans un théâtre d'événements aussi invraisemblables que touchants. 

    Les belles scènes de combat, d'une lisibilité de tous les instants grâce aux chorégraphies de l'excellent Samo Hung, participent à la narration et amènent des idée visuellement excitantes. Celui opposant Dee au pseudo-grand maître, dans les grottes utilise le décor à bon escient, dessinant l'incertitude et les difficultés d'un combat dans ces zones sombres. Retrouvant par moment la furie cinématographique de The Blade, Tsui Hark démontre que son énergie, sa soif de filmer est intacte. 

    Entre policier, film de sabre et fantastique, Dee nous offre un cocktail inédit, recelant aussi de touches d'humour -la relation entre Dee et la jeune fille-, certes gâché par quelques effets spéciaux mal gérés. Il n'en est pas moins un bon film, haletant, dépaysant, constituant un retour aux premières amours de Hark pou les personnages historiques et les contes d'épées. Pas encore un chef d’œuvre, mais un moment vraiment plaisant, qui fait plaisir à voir dans une production contemporaine globale peu enthousiasmante.

  • Dossier : La planète des singes (1968) - troisième partie

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    A l'origine, les babouins devaient figurer la quatrième race de singes, qui aurait constitué les singes les plus opprimés ; cette idée fut néanmoins abandonnée, peut-être pour rendre la parabole moins transparente qu'elle ne l'aurait été. Cela paraît plutôt logique, tant cette "quatrième race" peut être entendue comme celle des humains, réduits à l'état... d'animaux.

    La hiérarchie n'est pour autant pas figée, et l'on pressent que les gorilles vont faire parler leur instinct guerrier lorsque la véritable nature de Taylor sera révélée. Pareillement, Zira, à l'aune des résultats de ses travaux, ne peut que contester la croyance en laquelle l'homme n'a aucune intelligence : l'arrivée de Taylor est une aubaine scientifique qu'elle ne laissera pas passer. Il va sans dire que Zira est avant tout fasciné par cet humain, auquel elle trouve de beaux yeux. Cornelius, de son côté, est bien plus prudent, et tend à minorer les faits révolutionnaires induits par l'arrivée de l'étranger (la fabrication de l'avion en papier, son langage instruit). Cette dynamique aura tendance à s'équilibrer lors de la fameuse scène du procès, au cours duquel Cornélius fait part de son expédition dans la Zone Interdite.

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    La scène du procès stigmatise la suppression de la liberté de parole et de mouvement, les tensions entre science et religion, entre croyance et faits, les mensonges officiels cachant la vérité au plus grand nombre (voir le drôle de plan singeant la repésentation des trois singes de la sagesse). Cette scène trouve un écho évident dans la croisade du sénateur McCarthy, dont Michael Wilson, le scénariste, a fait les frais, tout comme l'actrice Kim Hunter. 

    Un travail visuel de premier ordre épaule cette allégorie : la ville des singes est inspirée des cités troglodytiques de Turquie, dessinant un époque moyen-âgeuse, raccord avec les costumes et les armes, les matériaux utilisés. Cette époque, voulue par les producteurs (une ville futuriste comme dans le roman aurait été bien trop coûteuse), ajoute à la puissance du film par son décalage. Décalage d'avec le monde réel, avec celui qu'a quitté Taylor, et enfin brouillage du genre de l'anticipation, qui veut qu'un voyage dans le futur (nous sommes en 3978) soit accompagné d'un monde au décor ad hoc. 

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    Les maquillages prodigieux de John Chambers (ancien prothésiste dans l'armée) participent grandement de l'ancrage du film dans les consciences. Simples et ciné-géniques en diable, elles laissent voir l'identité des acteurs sous le masque (aspect qu'a peaufiner Rick Baker jusqu'à la perfection dans La planète des singes de Tim Burton, la seule chose valable là-dedans d'ailleurs). Chambers, qui gagna un oscar d'honneur pour son travail, aura fait dans le même temps progresser la reconnaissance de ce type d'effet spécial, depuis lors récompensé dans une catégorie à part entière chaque année pour la cérémonie des Oscar. Et ce n'est qu'un des nombreux apport de ce séminal film de SF... 

    La planète des singes - partie 1

    La planète des singes - partie 2

  • Dossier : La planète des singes (1968) - deuxième partie

    6069091604_890ebca909.jpgLe lent cheminement qui accompagne le spectateur dans sa découverte a pour modèle le King Kong de 1933. Le producteur, Jacobs, voudrait accélérer les choses, mais se range finalement à l'avis de Schaffner, pour qui cette première étape fait partie d'un tout indissociable jusqu'à la vision du premier singe : une régression progressive des hommes. Ceux-ci, minuscules êtres face au gigantisme de la nature (roches, étendues désertiques) et à ses pouvoirs (orage tonitruant, chutes de pierres), sont loin de l'image du pionnier que l'on a entrevu dans la scène pré-générique.

    Une caméra mobile suit leur pérégrinations, et permet de montrer ce qu'ils ne voient pas (des êtres ont repérés leur arrivée et les suivent à  la trace). Assoiffés, ils commencent à perdre confiance, et l'on se demande si la folie ne commence pas à frapper à la porte de l'un d'eux, lorsqu'il plante un drapeau miniature dans la terre de la nouvelle planète. Plus loin, le petit groupe peut apprécier un moment de détente au détour d'un lac. Désormais nus, passant d'astronautes à hommes sans étiquette, il se défont d'une part supplémentaire de leur humanité civilisée ; leurs vêtements sont dérobés. Enfin, en suivant les guenilles laissés sur un sentier, tels des cailloux semés par un chaperon bienveillant (mais peu soigneux), il arrivent à la plantation de maïs où il découvrent hommes et femmes habillés de seules peaux de bêtes. L'esprit de conquête, comme un réflexe pavlovien, resurgit et fait dire à Taylor : "s'ils ne sont pas plus agressifs que ça, dans six mois nous sommes les maîtres de cette planète". 

    L'esprit conquérant, indissociable de l'homme (et de la mythologie américaine), est mis à mal de façon fulgurante lors de la première apparition des singes. Ils sont les maîtres de cette terre où les humains fuient au seul bruit - des coups de feu, un cri de ralliement - de leur approche... Cette apparition progressive est très belle, ménageant un suspense alors même que la nature de ces personnages est inscrite dans le titre. Leur capacité à parler sera, plus loin, l'ultime preuve de leur avance, alors que les humains semblent privés de cette possibilité. Même les ex-astronautes se font prendre dans la rafle : la perte de leur nature d'êtres civilisés est alors avérée, et renforcée par la perte de parole de Taylor, atteint à la gorge par un tir de singe.

    Le personnage de Taylor est rendu antipathique, et ce dès la première séquence ; il est blasé et cynique, réduisant à néant les espoirs de ces compagnons d'infortune. L'unique membre féminin de l'équipe, que le voyage interstellaire a tué, n'a pas droit à plus d'égards. Plus tard, lorsque Nova, jolie autochtone, lui tiendra compagnie, il la considère comme un animal sans cervelle et l'envoie bouler à la première occasion. Sa faiblesse par rapport aux singes est encore appuyée lorsqu'il se fait facilement reprendre ; comme si le règne sans partage de l'homme sur la terre était révolu. Ce n'est qu'après avoir souffert les mauvais traitements des singes et pris conscience de la place qu'il prendrait dans cette société, que le héros américain renaîtra. Heston / Taylor redeviendra le défenseur des valeurs humaines, lui qui les méprisait au début du film : Heston retrouve Heston.

    La civilisation que Taylor découvre est magistrale toute aussi organisée que celle qu'il a quittée : les orangs-outans incarne le pouvoir politique et religieux, qui commande aux armées - les gorilles sont les militaires, en accord avec leur impressionnante carrure. Un peu à l'écart, les chimpanzés incarnent la caste des intellectuels, dont Cornelius (Roddy McDowall) et Zira (Kim Hunter) sont les premiers représentants. Scientifiques, ils ont une vue plus tolérante envers les humains, Zira la première, qui les a pris comme sujet d'étude. Cette attitude de recherche l'amène à considérer l'homme presque comme une personne à part entière. 

    Dossier la planète des singes - partie 1

    Dossier La planète des singes - partie 3