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Le film était presque parfait - Page 42

  • Shame (2011)

    Un film de Steve McQueen

    6536832597_29fca85d97_m.jpgConfirmant tout le bien que l'on pense de l'acteur Michael Fassbender, Shame consacre encore un peu plus son charisme en titane. Il retrouve ici le cinéaste de sa "naissance au grand jour" avec Hunger (2008), et par là même un rôle torturé auquel il donne une consistance unique, comme à sa fantastique habitude. Il est de tous les plans ; et, l'on peut dire que si le rôle avait échu à quelqu'un d'autre, le film en aurait clairement pâti.

    Le réalisateur britannique livre avec Shame une oeuvre atmosphérique : ce sont les images et la musique qui racontent, plus que les dialogues, rares. Ces images, celles d'un New-York clinique, classe et nocturne, défilent harmonieusement, se répétant parfois, pour intimer au spectateur la solitude de Brandon (Michael Fassbender) et l'infinie répétition qui semble constituer sa vie. Boulot (cadre dans une société de cols blancs), sexe (avec prostituées ou en "solo"), essais avortés ou ratés de lien social plus profond avec les femmes... L'anomalie de ce système bien rôdé vient avec l'apparition de Sissy (Carey Mulligan), la soeur de Brandon. Sans le sou, avec une vie beaucoup moins bien réglée que celle de son frère, elle met le bazar dans l'appartement et dans la tête de Brandon. Voilà peu ou prou ce qui se passe dans ce film, qui gagne énormément à ne pas verbaliser son contenu, qui s'il peut paraît polémique (un sex-addict trompe mal sa solitude dans une ville où chacun erre, anonyme), repose sur des ressorts assez classiques. 

    Impudique et beau gars, Brandon vit pour le sexe. Violence extériorisée. Jouissance de l'immédiateté qui remplace un avenir sans but. Pour autant, Steve McQueen ne charge pas trop son personnage. Les scènes de sexe sont sensuelles, pas glauques. Lors d'une scène de nuit, Brandon, à l'extérieur, observe des couples faire l'amour, dans les mêmes tours transparentes que lui, tout aussi impudiques qu'il peut l'être. Le spectateur est avec lui, extérieur au cours de la vie du reste du monde, déconnecté. C'est sur ce feeling, cette sensation, que le film fonctionne. Comme une balade lounge nocturne qui rappelle le Collateral (2004) de Michael Mann.

    Le tempo lent du film pourra en surprendre certains. Si Shame ne dure sur le papier qu'une heure quarante, son temps subjectif est bien plus long, à l'image d'un autre grand film atmosphérique, In the mood for love (Wong Kar-Wai, 2000). A ce titre, l'interprétation langoureuse de New-York, New-York par Sissy est révélateur, étirant le temps et les mots à l'infini. Les nappes synthétiques du compositeur Harry Escott dessinent aussi les contours mouvants, la vie qui glisse, lentement, d'un instant à l'autre, sans autre conséquence que le passage du temps. 

    Pour se laisser emporter, Shame, outre son thème rare, est un invitation sans pareille. Une déambulation hantée, symphonie des corps, le contenant révélant le contenu. Une oeuvre d'esthète, à l'évidence.

  • Les oiseaux (1963)

    Cliquez sur l'image pour accéder à la chronique :

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  • Network - main basse sur la télévision (1976)

    Un film de Sidney Lumet

    6446020035_251ce217a2_m.jpg"Qu'est-ce que la télévision ?" semble être la question à laquelle veut répondre le réalisateur Sidney Lumet, d'une façon à la fois subversive et théâtralisée. Le titre original, par son sobre nom commun ("Network", le réseau), donne au monde de la télévision des allures de corporation opaque, secrète et toute-puissante. En cela, le film s'insère parfaitement dans une série d’œuvres magistrales tournées dans les années 70, exploitant les thématiques du complot, de la défiance envers les autorités légitimes, et enfin de la manipulation du public. Dans le même temps, il décrit aussi une société qui se délite, se transforme, sous l'effet conjugué d'un état de crise et des nouvelles opportunités qui se dessinent. Voyons s'il réussit sa démonstration aussi bien que Les hommes du président (Alan J. Pakula, 1976), Conversation secrète (Francis Ford Coppola, 1974), ou encore Les trois jours du condor (Sydney Pollack, 1975).

    Howard Beale (Peter Finch, extatique), présentateur télé de son état, transforme un soir son journal en pamphlet révolté, foutraque et vengeur contre la société du mensonge et de la manipulation qui s'est bâti aux États-Unis, notamment par le biais de son médium, la télévision. Sa diatribe est perçue comme un pétage de plomb manifeste par la direction, qui le renvoie. Mais contre toute attente, l'audience de la chaîne grimpe lors de ses apparitions. Cet homme, qui dit tout haut ce que la population silencieuse mais affectée pense tout bas, est sur le fil. Sa chronique plaît à la chaîne non pas pour son contenu, mais pour les chiffres qu'elle engendre. "Bienheureux les ignorants..." Lui n'est pas dupe, et ça le tue. Alors, il met en scène chaque soir un show aux accents éminemment religieux (la séquence où il exhorte les gens de lever de leur fauteuil et de crier à la fenêtre "J'en ai ma claque de tout ça !" fait passer une énergie religieuse, quasi-mystique, par l’intermédiaire du poste cathodique : intéressant) théâtralisé au possible, pour donner à voir la télévision comme un spectacle manifeste, non comme une réalité possible sur laquelle les spectateurs calquerait leurs fantasmes. On y aperçoit l’envers du décor, ses déplacements ne se limitant pas aux bordures du plateau. Les cadrages montrent les opérateurs,  les caméras, les câbles... Tout un monde pour créer l'illusion. Ses vociférations discontinues font écho au flux tout aussi ininterrompu qui s'échappe de Diana Christensen (Faye Dunaway, décidément une muse pour ce type de films dans les années 70), productrice prédatrice à l’affût du nouveau programme qui fera grimper son audimat.

    Vivant pour son travail, elle aime que tout aille vite et progresse encore plus vite. Prenant comme amant Max Shumacher (William Holden), responsable de département du Network, elle parvient à récupérer un concept d'émission unique : des films de braquages ou d'actes criminels tournés par les malfaiteurs eux-mêmes. La réalité rejoint la fiction, dans un élan de suspense et de crime : jackpot ! On retrouvera plus tard une situation similaire avec le Max Renn de l'immense Videodrome (David Cronenberg, 1983) : la quête d'une nouvelle sorte de télé-réalité, inspirée des reportages live sur la guerre du Viêt-Nam et des meurtres télévisés de Lee Harvey Oswald, de Robert Kennedy, et bien sûr du choc fondateur, le film d'Abraham Zapruder montrant l'assassinat du président JFK. 

    Les thèmes sont là, puissants ; la critique de la télévision, objet du mal vendu aux ultra-libéraux de tous poil, est acerbe. En ce 21ème siècle, les téléspectateurs en sont tout à fait informés, et l'on peut dire que les dialogues ultra-référentiels (la plupart sont en effet construits sur des métaphores autour de la télévision : la vie ne serait qu'une pâle copie d'un programme télé très calibré) nous paraissent ampoulés. On a compris le message ! Le film veut montrer un monde fabriqué et régit par la soif de pouvoir (ici, l'audimat). Soit. Mais il devient du même coup, lui aussi, un spectacle théâtral et excessif, un peu épuisant à la longue. Des séquences surnagent et l'on ne s'ennuie pas, cependant : le tête-à-tête entre Beale et le directeur de la chaîne qui l'oblige à transformer son discours pour dire désormais le contraire sonne comme un rêve : les décors sont réduits à une rampe de lumière, donnant la part belle à un clair-obscur très scénographié. La ferveur quasi-religieuse, la encore, donne l'impression que le présentateur dépressif se paye un tour en enfer !

    À l'époque, Network a du détonner, avançant avec sa thèse cheville au corps. Aujourd'hui, ce sont surtout ses défauts que l'on remarque, au milieu certes de performances ahurissantes (Faye Dunaway, Peter Finch et Beatrice Straight, qui incarne la femme de William Holden, repartant chacun avec un oscar sous le bras). Le thème est évidemment toujours autant d'actualité, mais la forme est usée.

  • Danger, planète inconnue (1969)

    Un film de Robert Parrish

    6410775827_62bdc68cb5_m.jpgQuelques mois après les premiers pas de l'homme sur la Lune, les spectateurs découvrent sur leurs écrans  ce film de science-fiction au postulat original : des scientifiques (américains) découvrent, de l'autre côté du soleil, une planète jumelle à la Terre, qui suit un orbite inversé. Une expédition est mise sur pied pour découvrir ce monde inexploré qui a l'air si semblable à notre planète.

    La proximité entre les premiers pas de l'homme sur un astre du système solaire et une démarche similaire dans le film est intéressante à étudier, tant pour ses points d'achoppement que ses différences. On y retrouve la notion de course à l'espace, où il s'agit de faire tout plus vite de le "voisin", dans la crainte de fuites. La séquence inaugurale, qui voit le personnage de Herbert Lom -Comissaire Dreyfus dans les Panthères Roses de Blake Edwards-, espionner les recherches des scientifiques à l'aide d'un oeil-appareil-photo, en est la preuve. Sa mise à mort, aussi implacable que secrète, reflète bien la grande valeur de ses informations et le danger qu'elles recèlent. Deuxième rapprochement avec l'actualité d'alors, la technicité et la longue préparation nécessaire à cette aventure spatiale. Parrish ne lésine pas sur les plans répétitifs sur les tableaux de commandes, les nombreux opérateurs et les étapes visiblement complexes pour mener à bien cette mission. La conquête spatiale est bien montrée comme étant le fruit d'une technologie très avancée. Les tests de résistance à la vitesse sont d'ailleurs vraisemblablement des stock-shot de la NASA, comme pour attester de la rigueur scientifique de l'entreprise, pour donner une matière un tant soit peu tangible à cette aventure spatiale.

    Dans le même temps, le spectacle décrit relève bien de la science-fiction, et ne se prive pas de montrer des artefacts au look futuriste tel qu'on l'imaginait à l'époque (voiture à la coupe profilée prônant fièrement les tons métalliques, grandes pièces art-déco dans le plus pur style 60's. Le rôle principal est tenu par Roy Thinnes, célèbre pour la série Les envahisseurs (The Invaders, Larry Cohen, 1967), qui apporte avec lui un peu de ce show qui aura passionné les foules. 

    Le concept, original, n'est malheureusement pas transcendé par le traitement qu'en fait Parrish et les scénaristes Gerry et Sylvai Anderson (Cosmos 1999, les Thunderbirds). Tout paraît ampoulé et d'une extrême lenteur, avant que l'on arrive sur la planète. Une fois sur place, après un intermède psychédélique en diable où le vaisseau avance dans des nappes d'éther multicolores, les éléments choisis pour nous montrer le miroir inversé que produit l'environnement sur le personnage de Roy Thinnes sont peu inspirés (on y roule à droite - c'est un film britannique-, les écritures sont inversées et visibles correctement dans un miroir, les droitiers sont gauchers, ainsi de suite). Cependant, les tempéraments ne changent pas, tant et si bien que les personnes se reconnaissent : elles ont chacun un double sur l'autre planète. Le seul motif vraiement intéressant (mais qu'un format de 20 minutes comme celui de La quatrième dimension aurait suffit à exploiter) est celui du miroir, dans lequel les personnages ne se voient pas eux-même tels qu'il sont, mais leur image inversée, comme si un autre existait par-delà le miroir. On retrouve ici l'idée exploitée de façon plus fantaisiste et surréaliste dans De l'autre côté du miroir de Lewis Carroll, la suite d'Alice au pays des Merveilles, par ailleurs bien illustré dans un cartoon de Mickey Mouse. Plus axé sur l'aspect strictement philosophique du double inversé (doppleganger, son titre original en Grande-Bretagne) que sur l'action, il n'en reste pas moins décevant.

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    Pas inintéressant mais maladroit à bien des égards, ce Danger, planète inconnue bénéficie encore d'un vision bienveillante. Et, au-delà du charme désuet inhérent à cette production qui a l'air de dater de la fin des années 50 ou du début 60's, (un an a passé depuis la sortie de 2001, l'odyssée de l'espace !), on se demande bien pourquoi.

  • Le giallo, une horreur érotique (2011)

    Un film documentaire de Yannick Delhaye

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    Lundi 21 novembre, La chaîne Paris Première a eu la bonne idée de programmer un documentaire récent sur un genre qui nous tient à cœur, le giallo, diffusé au mois de mars dernier sur CinéCinémas ; lui-même précédé d'un de ses chefs-d’œuvres emblématiques, Suspiria (Dario Argento, 1977).  

    Sur une durée plutôt confortable compte-tenu du thème, une multitude d'invités prestigieux prennent la parole pour cerner le genre par ses archétype : les meurtres à l'arme blanche, le tueur fétichiste, les belles jeunes femmes victimes, … Sont ainsi passés en revue les traits principaux d'un genre qui navigue entre plusieurs eaux, comme en témoigne le titre du documentaire. Comme les films d'horreur ou érotique, le giallo est un genre "bis", éloigné des genres principaux dits "légitimes" que sont le drame ou la comédie, mais qui les a contaminés, la périphérie s'invitant ici au centre. 

    Excroissance tout à la fois monstrueuse et magnifique du polar, le giallo va ainsi se positionner à l'extrême, insistant notamment sur les meurtres, les consacrant en véritables morceaux de bravoure cinématographiques, ou encore sur les courbes d'actrices plantureuses, offertes tant au rasoir tranchant du tueur qu'aux yeux du spectateur. Les traumas familiaux, les perversions, et autres comportements déviants sont le lot quotidien de l'amateur de giallo ; Jean-Baptiste Thoret, intarissable sur le cinéma des années 70, restitue habilement ces éléments dans le contexte historique délicat de l'Italie d'alors, en prise à une flambée de violence et de défiance envers les autorités. J'aime particulièrement sa saillie finale sur La baie sanglante (Mario Bava, 1971), qui est, il est vrai, assez unique dans son jusqu'au-boutisme. Luigi Cozzi, réalisateur et collaborateur de longue date de Dario Argento, rappelle l'origine historique du giallo, avec ces fameux livres à couverture jaune (giallo en italien) de l'éditeur Mondadori, qui y publiait des histoires de mystères et de meurtres comme celles de Edgar Wallace.

    De leur côté, Fausto Fasulo (rédac' chef à Mad Movies), ainsi qu'Hélène Cattet et Bruno Forzani,  réalisateurs de Amer (2010), film-hommage au giallo, s'attachent à la stylisation visuelle, et aux implications émotionnelles, et à l'aspect symbolique des clichés du genre. Un style extrêmement codifié, fait d'inserts rapides, d'intérieurs saturés de couleurs, de magnifiques jeunes femmes à la nudité facile, et où l'effroi, la douleur et la jouissance s'entremêlent dans une ambiguïté savamment entretenue. 

    Tel le calme avant la tempête, le giallo pique au thriller des respirations rapidement interrompues par des pics de violence à l'ampleur grand-guignolesque, dont la mise en scène souvent inspirée donne des airs de happening artistique.

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    Nous remémorant les œuvres les plus connues du genre, des films de Mario Bava à ceux de Sergio Martino, en passant par l'inévitable Dario Argento, le doc réussit à dessiner les contours significatifs de ce pur genre de film d'exploitation, cocktail explosif de polar, d'horreur et d'érotisme, saupoudré de sado-masochisme. On peut tout de même tempérer cette impression en donnant au giallo une autre inspiration majeure, qui elle aussi à "infecté" tous les genres principaux : le film noir. En effet, devant la scène de crime, ce n'est pas un policier qui mène son enquête, mais plutôt un homme qui n'est pas une figure de l'autorité assermentée : tantôt journaliste, détective, vendeur d'assurances ou de voitures dans le film noir, il sera musicien, écrivain,  professeur, dans le giallo. Comme le film noir, le giallo est caractérisé par sa dimension urbaine, la froideur des architectures bétonnées rencontrant une folie meurtrière paroxystique à la nuit tombée. Les femmes fatales sont bien là dans le giallo, car sous une apparente fragilité, ce sont souvent elles qui mènent le jeu.

    Dans la dernière partie du documentaire, on nous présente un échantillon du cinéma contemporain qui s'est nourri du giallo, genre désormais exangue ; Blue Velvet (David Lynch, 1986) et Basic Instinct (Paul Verhoeven, 1992) sont bien ceux qu'on appelle aujourd'hui les représentants du néo-noir, peintures d'un univers perclus des machinations les plus tordues, aux meurtres graphiques et au pessimisme rentré. Quoi qu'il en soit, de bien belles références pour un genre qui se joue aux extrémités.