Un film de Peter Hyams
La première originalité du film de Peter Hyams, réalisateur semblant fait avant tout pour filmer l’action (Timecop, Mort subite), est son incroyable idée de départ, un vaste complot politique qui aboutit à la falsification d’un voyage sur Mars. Alors que les médias de toute la planète sont focalisés sur le voyage et l’atterrissage des spationautes américains sur la planète rouge, ces derniers sont retenus dans un grand hangar, devenu pour l’occasion véritable plateau de cinéma, afin de simuler le bon déroulement de leur voyage.
Cette idée s’inscrit dans la grande thématique du complot gouvernemental, comme on a pu le voir dans la vague de thrillers paranoïaques des années 70. D’ailleurs, on décèlera dans les dialogues du film une énième référence à l’affaire du Watergate, illustrée par une des plus grandes réussites du genre, Les hommes du président. Ce concept sera repris avec jubilation dans un fameux documenteur, Opération Lune, de William Karel, qui part du principe que le gouvernement américain aurait demandé l’appui de Stanley Kubrick pour réaliser le faux alunissage de la mission Apollo 11 (un faux documentaire extraordinaire).
Si la première partie est bien de cette trempe, la seconde voit le journaliste Robert Caulfield (Elliott Gould, acteur rare) se focaliser sur les éléments inhabituels de cette mission, on retrouve alors la dimension journalisme d’investigation menacée par des instances et des intérêts qui dépassent tous les protagonistes. La troisième, plus spectaculaire dans l’action, voit une course-poursuite s’engager entre les spationautes et les agents du gouvernements. Le lien entre ces trois parties, relevant chacune d’un type de cinéma particulier, donne au film une richesse et une force indéniable. La poursuite est notamment très réussie, avec en point d’orgue un grand huit en avion qui décoiffe sévère, plus de 30 ans après sa réalisation.
Lorsque nos trois spationautes se retrouvent dans le désert, il se dégage comme un parfum de fantastique, nous ramenant au premier Planète des singes, dans lequel l’arrivée des hommes sur ladite planète recèle de moments, de décors et de costumes identiques.
Épaulé par un casting astucieux (mis à part O.J. Simpson, spécialiste du regard vide), il montre notamment un James Brolin charismatique dont la ressemblance avec Christian Bale peut parfois être troublante. La participation de Telly Savalas, monsieur Kojak (mais aussi temporaire Blofeld chez James Bond) est assez savoureuse.
Haletant, soutenu par une caméra mobile, dont une grande valeur se dégage de son scénario incroyable, on découvre ici un film assez méconnu qui constitue en l’état un moment de cinéma à l’ancienne tout à fait honnête.
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Capricorn One (1978)
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Watchmen - Tales of the Black Freighter (2009)
Un film de Daniel DelPurgatorio & Mike Smith
Bizarre, cette vision de ce qui devait être, à l’origine, inclus dans la version ciné du Watchmen de Zack Snyder. Rappelons que ledit-film, adaptation du comics de Alan Moore et Dave Gibbons, devait faire état d’un passage assez magistral dans la BD, à savoir un jeune noir lisant un bande d’aventures plutôt gore, celle-ci ayant des correspondances avec l’histoire principale du film ; d’où une mise en abîme originale et particulièrement réussie.
La vision indépendante de ce récit est troublante car on sent clairement qu’il manque quelque chose, sur le strict plan narratif. En l’état, le film prend le format d’un épisode de série animée de 20 minutes, d’habitude utilisé pour de nombreuses séries pour enfants. Ici, point de tout cela ; on est dans le gore et l’horrible, la trame pouvant ressembler à un Conte de la Crypte sous acide (quel épisode de cette série ne l’est pas, d’ailleurs ?). Un marin est le seul survivant d’une attaque de pirates sanguinaires ; il se retrouve seul sur un petit bout d’île, avec comme seuls compagnons les corps sans vie de ses camarades d’infortune, une nuée de charognards aux aguets. La suite ne sera que plongée dans une folie dure, hallucinations comprises. Le bougre arrivera à s’extirper de l’île dans le seul moment d’anthologie gore assez peu vu ailleurs, en animation comme en prises de vues réelles.
L’argument est un peu mince, mais de plus il n’est pas aidé par une animation approximative (mis à part les éléments en numérique, tels les sombres flots d’une mer déchaînée), les personnages n’ayant tous qu’une seule et même expression. Si cela ne suffisait pas, le design général marque par sa grande laideur esthétique (Mon dieu, ça, c’était des requins ?!, ne pourra-t-on s’empêcher de se demander à l'occasion).
On en retiendra tout juste un enchaînement non-stop de morts en décomposition et de meurtres, ce qui n’est pas donné à tout film d’animation qui se respecte. Mais cette oeuvre, qui n’en est pas vraiment une, faisant partie d’un tout beaucoup plus grand qu’elle, peut-elle être considérée comme telle ? La question mérite d’être posée, et nous répondrons non, tant la sensation d’avoir assisté à un fragment d’histoire reste ancré après le visionnage. -
Batman, le défi (1992)
Un film de Tim Burton
Définitivement à ranger dans la catégorie "suites meilleures que l’original", à l’instar d’un Parrain 2, L’empire contre-attaque ou... Terminator 2, le film de Burton incarne à mon sens la maturité de son style, déjà acquise avec son précédent Edward aux mains d’argent.
Tellement peu emballé par l’idée de donner une suite à son propre Batman, qui l’avait d’ailleurs épuisé et posé problème (moult remaniements de scénario, difficultés d’imposer Michael Keaton en Batman), il a finalement dû faire d’une demande du studio son propre délire, et l’on peut dire que, malgré l’environnement peu propice (originellement film-pop-corn, grosse machine destinée à engranger du dollar), ce film fait partie de ces plus personnels. C’est tout un univers, arrivant à maturité, auquel Burton va donner une cohérence, et une force toute particulière. Au jeu des ressemblances avec l’œuvre passée ou à venir du cinéaste californien, on peut dégoter un sarcophage dont l’intérieur est serti de pointes, qu’utilise Bruce Wayne pour accéder à sa cave-château, et que l’on retrouvera plus tard dans Sleepy Hollow ; Le masque du démon, chef d’œuvre italien de l’horreur gothique, utilisait déjà en 1960 cet accessoire terrifiant ; Tim Burton porte ce film dans son panthéon personnel, et il le suit en filigrane dans sa filmographie. Plus tard, on voit Oswald Cobbelpott / Pingouin déchirer ses vêtements d’homme civilisé, son déguisement à lui, de la même façon qu’un Edward lors du dernier quart d'Edward aux mains d'argent. Il est intéressant de voir que tous les inadaptés sociaux, dont Burton est un des fervents défenseurs cinématographiques, peuvent réagir exactement de la même manière, peu importe le lieu ou l’époque. Et au niveau marginaux mis au ban de la société, on en a une belle brochette avec le groupe de forains échappé d'un cirque ambulant que se trimballe Pingouin, clin d’œil -léger- au séminal Freaks de Tod Browning, qui inspirera l’inestimable série animée de Bruce Timm tirée des aventures du dark knight.
Terrain tout trouvé pour évoquer la double personnalité, le film magnifie les instants entre Bruce Wayne / Batman et Selina Kyle / Catwoman, exceptionnels, que ce soit au niveau du jeu -les deux acteurs sont d’une gravité déconcertante-, des ambiances -musique toute en finesse, mais profondément évocatrice des tourments intérieurs- et des dialogues, précis, constamment sur le fil. Ainsi, à l’occasion d’un bal costumé, Bruce et Selina se retrouvent tous les deux... les seuls à ne pas s’être déguisés ! On peut supposer qu’ils identifient leurs propre costume de Batman / Catwoman à leur véritable identité, et ceux de leur alter-ego plus sociable leurs déguisements. Et, lors d’un échange de répliques qui reprend un précédent entre leurs côté obscur, ils comprennent soudain la face cachée de l’autre. Selina lance alors un fameux "alors, faut-il qu’on se batte" terrassant, au milieu de la légèreté de la fête qui les entoure.
Film sur la dualité, Batman le défi surprend encore aujourd’hui par le second degré omniprésent qu’il dégage. Ainsi, les allusions érotiques et sexuelles pullulent comme jamais, à ma connaissance, dans un exercice de ce type. Pingouin qui lance un "Justement le minou que j’attendais" libidineux à une Catwoman langoureusement étendue sur le lit, éructant constamment un immonde liquide noir très mystérieux, ou encore émettant un râle de jouissance non dissimulée au volant de sa propre Batmobile, bref c’est assez incroyable. Quand au costume SM sans équivoque d’une Catwoman castratrice, là c’est le summum. Seul Schreck ne semble pas être de la partie (à trois), complétant avec Pingouin un couple...atypique.
D’ors et déjà fascinant par tous ces aspects, on ne saurait parler de ce film en faisant l’impasse sur la satire politique omniprésente, avec le personnage de Max Schreck, industriel plein de pognon qui corrompt à tout va, et va utiliser Pingouin dans sa course au pouvoir. Lequel est résumé à brasser beaucoup d’argent et baiser sans discontinuer, bref, un programme qui en enthousiasme plus d’un dans le film.
Dans cette foultitude de thèmes, de vilains, Batman est cependant un peu perdu, et reste bien en retrait de la galerie bariolée, hétéroclite et hallucinée d’un bestiaire social à nul autre pareil. Incarnant une justice sans relief, il en ressort comme cannibalisé par ces personnages immoraux. Mais plus le vilain est réussi, plus le film est réussi, donc on tient là le mètre-étalon de l’entière carrière de Burton, à égalité avec Edward aux mains d’argent. Tout simplement énorme. -
Baraka (1992)
Un film de Ron Fricke
Baraka, mot indien passé dans le langage populaire ayant la signification de chance, prend également le sens d'énergie divine, une énergie collective, un flux qui traverse les individus. C'est en référence à cette dernière définition que s'est constitué le titre du film, Baraka.
En effet, on peut voir dans ce documentaire aux parti-pris aussi étranges qu'intéressants (une succession de plans, tournés aux quatre coins du monde, sans paroles, dont l'ensemble fait sens par la grâce du montage et de la musique qui l'accompagne) les paysages magnifiques du mont Everest, en passant par la forêt amazonienne, les chutes d'Iguaçu ou les nombreux temples thaïlandais. Autour de ces plans, on voit certaines constantes, en rapport avec cette énergie collective dont nous parlions : nombre de rituels sont ainsi données à voir, dont la dimension la plus extraordinaire est l'illustration de l'énergie collective, comme si la volonté individuelle n'existait plus, pour former entre plusieurs individus une même force motrice ; on a ainsi droit, de la part des indiens d'Amérique du Sud, à une transe dont chacun n'est qu'un élément constitutif d'un grand tout qui le dépasse. Mais la séquence la plus incroyable est bien les milliers de pélerins faisant le tour de la Ka'ba à la Mecque, telle que le veut la tradition religieuse. On a alors vraiment cette sensation que tout bouge d'un même élan, et possède une force autonome dont les humains ne sont que les porteurs, les utilisateurs occasionnels.
Bien qu'étant (re)connu pour ses images splendides, véritable diaporama idéal, le film véhicule toujours une dimension écologique et dénonciatrice de la façon dont l'homme s'est approprié la terre ; ainsi, il a forgé sa propre prison -c'est en tous les cas le sens précis d'une séquence qui fait mal, montrant des centaines de poussins destinés à l'élevage en batteries, en alternance avec les allers et venues observées dans le métro de Tokyo, en accéléré, et sur la même musique industrielle. Les hommes sont alors clairement assimilés à ces poussins qu'ont amènent par un tapis roulant à leur fin proche, sans avoir eu de réel but qu'autre chose que de nourrir le ventre de la terre. Les individus sont pris, de la même façon, dans une machine à broyer de l'humain. En allant vers des choses encore plus dures (la guerre, les camps de concentration), Baraka entend dresser un portrait sans complaisance de l'humanité, qui fait sens, et est dans le même temps rempli d'espoir.
Baraka fait partie du même corum de films que la trilogie des qatsi, dont le chef-opérateur n'est autre que Ron Fricke ; on rapprochera également un autre film documentaire réalisé ces dernières années, Mana, le pouvoir des choses, réalisé par Peter Friedman et Roger Manley ; on y retrouve le même intérêt pour illustrer l'immatériel, une sorte de force qui viendrait ici des choses elles-mêmes, telle le fameux rocher doré de Kyaiktiyo, qui, selon la tradition, tiendrait en équilibre grâce à un cheveu de Bouddha.
Une expérience sensorielle et intellectuelle, voilà ce que propose et réussit le film de Fricke. Même si les passages les plus durs nous inconfortent, alors que, par ailleurs, les sites spectaculaires nous exaltent, il s'agit à mon humble avis d'un mal nécessaire.
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Police fédérale Los Angeles (1985)
Un film de William Friedkin
To live and die in L.A., titre original bien meilleur que son équivalent passe-partout français, sonne comme une épitaphe, ainsi qu’une note d’intention, basique mais bien servie, dans un film qui est le produit de son époque. Polar léché, montrant des flics en jeans marchant comme des cow-boys (ah, la démarche de William Petersen...) vivant dans des villas ensoleillées au bord de la côte californienne, le film pourrait être démodé aujourd’hui. Accompagnée d’une bande originale alignant des titres eighties en diable, il reste pourtant un grand moment de cinéma.
Il est amusant de voir d’une part, à quel point le film est en phase avec son temps (on le rapproche volontiers d’une Arme fatale, même si plus axé comédie d’action, et d’une ambiance à la Miami Vice - la série, chère au Michael Mann producteur), et d’un autre côté, combien Richard Chance, son personnage principal, est un grand déséquilibré. Sa séquence fondatrice est bien sûr celle du saut à l’élastique inaugural, dont on imagine d’un premier abord qu’il s’agit d’un suicide. Dès lors, les pulsions du personnage, basculant constamment entre la vie et la mort, à la recherche d’adrénaline, de sensations fortes, font de lui à la fois la tête brûlée (intéressant dans un polar, tentant des choses impossibles aux autres) qui a quand même un grain (à ce titre, To live and die in L.A. pourrait être la prequel d’un film tourné l’années suivante par Michael Mann, encore lui, à savoir Le sixième sens - Manhunter, dans lequel excelle encore une fois William Petersen. La tension de son rôle à fleur de peau est bien similaire à celle de Police fédérale Los Angeles).
Opposer un flic, fonçant droit dans le tas, à un artiste oeuvrant du mauvais côté, c’est l’autre bonne idée du film. Eric Masters, joué par Willem Dafoe, dont on perçoit l’ambivalence grâce à sa trogne incroyable, est peintre et crée des autoportraits qu’il fait ensuite brûler. Son allure dépassionnée lorsqu’il effectue son geste ne laisse pas de doute sur la nature rituelle de l’acte ; Masters semble être déçu de lui-même, devant exercer son art dans l'illégalité : les faux billets qu’il fabrique, dont le processus nous est montré avec moult détails, se rapproche d’une forme de création artistique, en tous les cas artisanale, et de qualité. De même, comme tout bon créateur, il contrôle toutes les étapes du processus lui-même, ne laissant à aucun autre le soin d’établir les planches de faux. Solitaire, il répond en double à Chance, mais semble paradoxalement plus équilibré et logique dans sa façon de gérer les événements. Beaucoup moins posé, Richard Chance n’hésite pas à monter un coup totalement foireux et hors des clous pour pouvoir coincer le trafiquant ; il faut dire que ce dernier a tué son chef, grand trauma qu’on retrouve extrêmement souvent dans le polar. Pour arriver à ses fins, Chance manipule tout le monde, et arrive même à ne plus paraître très sympathique au spectateur. La façon dont il use d’une prostituée, négligeant toute notion de sécurité, est exemplaire de son attitude.
N’oublions pas que c’est William Friedkin, monsieur French Connection, qui est aux commandes de ce polar noir. Il en découle une nervosité dans les cadrages, une séquence très réussie de poursuite en voiture (comme il avait tourné celle de Popeye dans FC), et surtout, un grand réalisme dans le traitement. La fin du film, très inhabituelle du genre, sonne finalement juste comparativement au reste du métrage. Un polar que nous aimons particulièrement, et visionné ces derniers temps pour la première fois : c’est le genre de découvertes qu’on aime faire, et qu’on aime partager !