Un film de James Gray
Ce qu’on remarque tout de suite aux premiers instants de visionnage du premier film de James Gray, c’est bien qu’il y raconte toujours la même histoire ; que ce soit The Yards (2000), La nuit nous appartient (2007) ou Two lovers (2008), il s’agit de drames familiaux, utilisant en couverture le polar ou l’histoire d’amour (ou les deux). Devant tant de constances, mais aussi d’absence de surprises, on peut parler de films déceptifs, à la longue. En allant plus loin, on peut avancer l’idée que tous les films de James Gray se déroulent dans un monde identique ; les murs de briques rouges, ainsi que ces appartements légèrement glauques indiquant un quartier à l’écart, aperçus à maintes reprises dans Little Odessa se retrouvent dans Two Lovers (dont la qualité est d’ailleurs largement surestimée). Tous les personnages des films de James Gray sont ainsi issus d’une minorité ethnique, presque abandonnée à elle-même dans des environnements pauvres. Little Odessa instaure cette continuité en prenant pour personnages des immigrés Russes, vivant près de Brooklyn. Tim Roth y incarne l’âme à sauver, une machine à tuer qui exécute des contrats pour la mafia locale. Il reverra une fille, ancienne connaissance, qui va contribuer à l’humaniser, ainsi que son petit frère (Edward Furlong). La musique, aux accents religieux très marqués, donne un caractère éminemment sacré à l’histoire. La soudaine réapparition du personnage dans le cercle familial va engendrer un cercle infernal où la mort est la seule issue. On y voit définitivement l’empreinte du film noir, où la mort plane tel un charognard. La mère est mourante, Tim Roth distribue la mort à tout bout de champs, et la vie devient cette fenêtre éphémère sur le monde.
La mise en scène est gracieuse, en cela qu’elle est signifiante sans être ouvertement démonstrative (dans le style "je vous montre que je fais de la mise en scène et qu’elle est classe", à la Wong Kar-Wai par exemple). Le contraste donné notamment entre l’intérieur, où les personnages sont compressés par les lignes de forces du cadre, et l’extérieur, ouvert et potentiellement espace de liberté, est admirablement rendu. Le Scope est bien utilisé, alternant lents travelling, voire plans fixes, lors de passages calmes où la violence peut néanmoins surgir à tout moment, à des plans caméra à l’épaule qui retranscrivent bien le danger des situations. On sent un besoin d’ultra-réalisme à tous les niveaux, dans les rapports entre les personnages, les décors, les couleurs, qui donnent une belle vérité à l’ensemble. Si tout n’est cependant pas palpitant, toutes les morts ressortent magnifiées de ce traitement, à la fois tragiques et touchantes -même lorsqu’il s’agit de personnages secondaires. Bien que pâtissant des moments en creux, quand le drame survient, il est implacable et extrêmement poignant. C’est tout le mérite du cinéma de James qui, même s’il peut paraître trop classique, semblant nous parvenir directement des années 70, accède à une sorte de vérité dans son fatalisme. Le personnage joué par Edward Furlong est tout à fait symptomatique de cette dimension, tout en fragilité et volonté de bien faire. Il enfreint les règles, mais finalement qui ne l’a pas fait avant lui (surtout dans sa famille) ? Entouré par la violence, subissant celle-ci, la puissance évocatrice qui émane de son personnage en fait l’un des plus beaux de la galaxie Gray. Little Odessa ne peut donc que toucher, même si ce cinéma peut lasser, par répétition.
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Little Odessa (1994)
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Macadam à deux voies (1971)
Un film de Monte Hellman
Monte Hellman incarne une voix à part dans le cinéma américain des années 70, montant des films s’insérant dans de purs genres américains (western, road-movie) tout en y appliquant une sensibilité plus "européenne" ; refusant volontairement toute dimension spectaculaire ou même dramatique, ses films parlent de personnages-figures, sans passé ni futur, n’existant que dans le présent pour effectuer ce qu’ils ont l’habitude de faire.
Dans Macadam à deux voies (Two-lane blacktop), the driver, the mechanic et the girl parcourent les Etats-Unis pour participer à des courses de voitures, jusqu’à rencontrer un autre fou de vitesse, GTO ; une des volontés les plus fortes de Hellman est de court-circuiter le potentiel dramatique des courses, en n’en traitant qu’une partie -souvent le début-, sans qu’on sache au final si elle a été remportée ou non par les personnages centraux. De même, l’enjeu servant de fil rouge au film (le plus rapide qui arrive à Washington D.C. remporte la voiture de l’autre) sera aussi mis à mal.
Le rythme du film est assez lent, comme à l’habitude chez Hellman, et centré sur des moments "en creux" dont la teneur en actions n’est jamais significative. Les interactions verbales des personnages sont minimes et l’un des actes fondateurs du film -la rencontre entre the girl et les deux garçons- n’est pas traitée. Les personnages sont des êtres perdus, semblant par ailleurs relativement isolés, voire seuls au monde (on ne voit quasiment personne d’autres qu’eux dans le film), dont le but, au premier abord, semble de faire des courses, mais plus largement, de faire de la route. S’éloigner, fuir, rester en mouvement. Leur parcours n’est agrémenté d’aucune référence à l’histoire contemporaine du pays, pourtant riche et raccord avec nos personnages (l’avènement de la contre-culture, la débâcle de la guerre du Viêt-Nam). Ou plutôt si, une seule référence : celle au tueur du Zodiac, qui sévissait alors dans la région de San Francisco ; la peur invisible de la brutalité, la violence, le meurtre. Aucun de ces maux ne sera d’ailleurs montré dans le film. C’est d’ailleurs ce qui fait à mon sens la valeur du travail de Monte Hellman, c’est-à-dire aller constamment au-delà de ce qui est montré. En restant scotché à la route, la caméra du cinéaste capte un espace morne qui reflète le désenchantement des personnages. Le refus de toute dramatisation provoque inévitablement des longueurs, mais on se rend compte que l’on est dans un cinéma intérieur, une sorte de projection mentale hypnotique ; on ne s’y ennuie pas. On suit les gestes anodins de nos personnages, les aléas de leur voyage. Opposé aux deux garçons par bien des côtés, GTO (Warren Oates) offre un pendant friand de paroles, d’histoires inventées (à chaque auto-stoppeur correspond une nouvelle version de l’histoire de sa vie) et coloré -ses multiples pulls, sa GTO d’un jaune éclatant. Warren Oates incarnera quelques années plus tard un rôle qui répond à GTO en miroir, dans Cockfighter (Monte Hellman, 1974), celui d’un dresseur de coqs de combat qui restera silencieux pendant la majeure partie du film.
Questionnant l’espace, questionnant le temps, Monte Hellman réalise un road-movie existentialiste qui surprend, interroge, bref, qui nous promène pendant ces 1h38 dans un monde étrange, décalé. L’image finale est peut-être la plus belle idée du film, en tout cas son passage le plus connu, avec raison. Le cinéma de Monte Hellman, singulier, atteindra ici un point de non-retour ; la sortie du film, sacrifiée par Universal, sera un échec, et ses films suivants seront rares. Sacrifié à sa sortie par Universal, Macadam à deux voies accède au fil des années au rang de film culte, son invisibilité y étant probablement pour beaucoup. En tous les cas, un témoignage personnel qui allait participer à un renouvellement des formes dans le cinéma américain. -
Twilight - chapitre 1 : Fascination (2008)
Un film de catherine Hardwicke
Avec ce nouveau film, Catherine Hardwicke continue, après Thirteen (2003) et Les seigneurs de Dogtown (2005), son exploration de la psyché ado. Son optique pose quand même un certain nombre de problèmes dans le cadre de l’adaptation de Fascinaton, le livre à succès de Stephenie Meyer.
Primo, un axe entier du film est constitué par la supposée progressive découverte de Bella concernant les vampires : axe foiré dans les grandes largeurs car ces vampires nous sont présentés comme tels dès le début, avec force maquillage blafard et style incroyable, ce qui comme chacun sait, est caractéristique de l’imagerie vampirique. Comme on a deux wagons d’avance sur le scénario, sa révélation est complètement éventée et on peut commencer à trouver le temps long.
Secundo, se pose la question de l’imagerie, car Hardwicke se met en tête de faire un film de vampires sans visuel. On se rend bien compte que les vampires, Hardwicke s’en fout, si bien que son film n’est même pas à ranger dans la catégorie fantastique. Le mythe vampirique n’est exploité qu’uniquement au niveau allégorique : le vampire, c’est la différence, l’étranger qui exerce une "fascination" irrésistible sur le sexe opposé, et l’attraction à devenir soi-même un vampire peut être simplement remplacé, dans le contexte, par le fait de vouloir faire l’amour. Les vampires, en l’état, ne sont pas très intéressants, uni-dimensionnels et, il est vrai, pas aidés par des dialogues confondant de naïveté romantique et de pauvreté linguistique. Ce n’est pas le fait de shooter les personnages comme des stars de pub pour parfum, à base de poses tourmentées favorisant les froncements de sourcils, qui peut rattraper le coup. Avec les sourcils épilés et les coupes de cheveux au gel, j’ai aussi beaucoup pensé à la tecktonik, et aux séries télé qui se passent dans les collèges. La lumière est parfois jolie, quand même ; mais tout ça n’est pas très passionnant et un peu long.
Pour que le tableau soit complet, on ne sent pas Hardwicke très à l’aise dans les scènes à effets spéciaux, la plupart du temps ratées (les sauts dans les airs avec câbles et compagnie). Le faible budget du film ($ 40 millions) a certainement pesé dans la balance. Trêve de bastonnade, le film est simplement plus destiné à un public ado qui va faire son succès, et les invraisemblances croisées ici ou là (comment personne ne se rend compte que les Cullen sont des vampires ?!) ne semblent pas refroidir l’enthousiasme des foules.
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Le secret de la planète des singes (1970)
Un film de Ted Post
La saga Planète des singes se pose quand même là dans l’histoire de la science-fiction au cinéma. Partant du bouquin de Pierre Boulle, le premier volet est mythique, tellement populaire que le coup de théâtre final est dévoilé dès la jaquette du dvd ! Cas assez rare pour le signaler...Au vu du grand succès remporté par le premier film, le producteur Arthur P. Jacobs met vite en route une suite. Plusieurs problèmes se posent : Charlton Heston est réticent et va minimiser autant qu’il peut sa participation au Secret... ; autre problème, Jacobs ne réussit pas à avoir Franklin J. Schaffner à la réalisation, ni Pierre Boulle et l’immense Rod Serling au scénario, qui n’arrivent pas (s’opposent ?) à aboutir à un scénario valable. Soit toutes ses composantes qui ont fait la réussite incontestable du premier film, tant artistique que financière. Même l’acteur qui deviendra la pierre angulaire de la saga, Roddy McDowall, dans le rôle de Cornelius, est remplacé par l’acteur David Watson pour cause d’indisponibilité. Qu’à cela ne tienne, Ted Post, réalisateur TV, va avoir en charge la mise en scène. Un exercice sans grande surprise, loin derrière les audaces formelles et la vision indéniable de celle de Schaffner, pas désagréable pour autant, même si il manque clairement de génie. La découverte du New-York en ruines est vraiment sympathique, et le dernier acte est tellement énorme (à tous points de vues) qu’on ne peut parler de ratage. On devra plus tard à Ted Post Magnum Force, 2ème épisode de la non moins célèbre saga Inspecteur Harry, où il s’en tire avec tous les honneurs (décidément, un spécialiste des n°2).
J’aime tout particulièrement ce Secret..., qui voit James Franciscus (choisi pour sa ressemblance avec Heston), arrivé sur la planète en suivant les traces de Taylor, partir à sa recherche en compagnie de la mimi Nova. Le soin laissé encore une fois à l’imagerie, très cinégénique, de ces primates parlants dûment cuirassés, ne me lasse jamais. De plus, on a dans cet opus un usage plus poussé des trois races de singes en présence (gorilles guerriers ou gardiens, orangs-outangs sages, en haut de la pyramide du pouvoir et de la religion, et chimpanzés qui représentent le peuple), ce qui apporte un approfondissement bienvenu sur les rapports de force dans la société de la planète des singes. Une séquence de tabassage des gorilles sur des chimpanzés amène même un parallèle évident avec les débordements policiers de 68, année révolutionnaire. On n’échappe cependant pas à une certaine redite, surtout au début du métrage : les 5 premières minutes sont reprises du premier film, et les premières impressions de Brent (James Franciscus) ne sont qu’un résumé de celles éprouvées par Taylor précédemment. La musique composée pour l’occasion par Leonard Rosenman est également à cent lieues du bijou aux sonorités tribales de Jerry Goldsmith, mais sait néanmoins faire preuve d’une sobriété efficace (certaines scènes ne sont que très peu sonorisées, ce qui donne un côté plus brusque aux événements).
Beneath the planet of the apes peut donc aujourd’hui garder la tête haute, illustrant bien la peur du conflit atomique comme nombre de péloches sci-fi de la décennie précédente. Sa secte d’adorateurs d’une sorte de phallus doré est constamment sur le fil du ridicule -notamment grâce à des costumes pyjama-style et un Jacques Villeret américain qui préfigurent le nanardesque La soupe aux choux, sans jamais cependant y sombrer vraiment. Et si la guerre primates-humains qui se prépare est confuse -comment les singes connaissent-ils l’emplacement de la base des hommes radioactifs ?-, elle laisse place à un spectacle crépusculaire qui fait plaisir à voir, bien qu'un peu mou. La suite de la saga sera plus maladroite, malgré un troisième épisode délibérément orienté comédie assez plaisant, et devra se débrouiller à chaque fois avec moins de budget que son prédécesseur. Elle n’en perdurera pas moins, et c’est plutôt l’infâme remake de Tim Burton qui donna à l'orée des années 2000 un coup fatal à la reprise de cette histoire ô combien porteuse. -
L'étrange créature du lac noir (1954)
Un film de Jack Arnold
Profitons du revival du cinéma en 3D qui va sévir en 2009 (on aura notament droit à Destination finale 4 et Meurtres à la saint Valentin, donc a priori des chef-d’œuvres en puissance) pour renouer avec cette folle épopée qui vit son apogée dans les années 50, et dont le but était de contrer une télévision terriblement populaire. L’homme au masque de cire, Le crime était presque parfait, et L’étrange créature du lac noir sont parmi les plus connus aujourd’hui. Exploité en DVD, ce dernier se retrouve en deux dimensions et ne perd pas de son charme, bien au contraire. Le film avait d’ailleurs fait les beaux jours de la Dernière séance où il fut diffusé en 3D, le journal télé de l’époque (en 1982 si je ne m’abuse) proposant les lunettes adéquates. L’exercice ne fut pas, ou peu reconduit pour d’autres films.
L’étrange créature du lac noir est avant tout une série B, produite dans la continuité des films d’horreur made in Universal des années 30 : Le Dracula de Browning, le Frankenstein de Whale et leurs suites, le Loup-garou de George Waggner ou La momie (Karl Freund, 1932). A l’image ses illustres aînés, le film accède au rang des chef d’œuvres du cinéma fantastique / épouvante de l’époque ; le look de la créature, très en avance sur son temps et façonné des pieds à la tête, inaugure d’une certaine façon les maquillages d’Alien. Le lagon possède une force évocatrice rare, à la fois dangereuse (les forts contrastes rendent l’eau vraiment noire et des arbres morts parsèment son bord) et exotique, témoin d’un lointain passé qui attire l’homme, que ce soit à des fins scientifiques (une expédition part à la recherche de traces fossilisées d’une espèce inconnue) ou de loisirs (la baignade de Kay, empreinte d’une grâce divine). Les séquences sous-marines, remarquables, que l’on doit à James C. Havens, captent bien la poésie visuelle de cet univers angoissant et onirique.
La musique occupe une place importante dans le récit, soulignant l’horreur (les apparition du monstre, toutes ponctuées du même ta-ta-ta-TA envahissant) ou la découverte et le parfum d’aventure. Henry Mancini, compositeur génial plus tard souvent associé à Blake Edwards, écrit ici des mélodies enlevées très réussies (non créditées au générique).
Le récit, mettant en face-à-face des scientifiques et un chaînon manquant de l’évolution, est classique, et illustré la plupart du temps assez banalement, mais donne à voir des thèmes purement fantastiques (le monstre désirant l’humaine, rappelant King Kong) et terriblement révélateurs de la nature humaine -le monstre a beaucoup plus de raisons valables de se défendre que les humains qui viennent troubler son écosystème préhistorique. La fameuse séquence de baignade sus-citée, véritable danse de séduction malgré elle, est révélatrice de la poésie que peut déployer certains moments du film. Les mouvements de Kay, guidés par l’apesanteur étrange du milieu marin, sont peut-être les meilleurs moments du métrage.
Les hommes sont vénaux et agrippés à un rêve de gloire complètement déplacé devant le spectacle qui s’ouvre devant leurs yeux. Comme dans Tarantula, comme dans L’homme qui rétrécit, la dimension fantastique s’associe d’une critique sociale plus ou moins déguisée : même si l’imagerie déployée suffit à rendre le film pérenne, cette valeur ajoutée est certainement pour quelque chose dans la réputation toujours d’actualité de Creature from the black lagoon. Deux suites furent tournées, preuve du succès populaire de l’original, dont une réalisée par Jack Arnold, qui ne sont pas restées dans les annales (je ne les ai pas vues). L’étrange créature du lac noir, quoi qu’il en soit, diffuse encore aujourd’hui un délicieux parfum de nostalgie et de mystère. N’hésitez pas à y (re)plonger si le cœur vous en dit !