Deux films de Sam Raimi
Sam Raimi aura fait de très beaux morceaux de cinéma, au milieu d’autres beaucoup plus oubliables ; profitons de la sortie de son dernier film, Jusqu’en enfer, retour aux sources horrifique, pour brosser un tableau inégal de la suite que forme Spider-Man 2 et 3 ; le 2 incarnant la réussite la plus évidente autant que le 3 reste une grosse tâche sur l'édifice de sa trilogie. Depuis la sortie de son Evil Dead (1983), il a signé une œuvre fun, gore, follement inventive, parcourue de travellings monstrueux, d’effets grand-guignolesques (les Evil Dead justement, ainsi que son premier et génial film de super-héros, Darkman, réalisé en 1990), de purs moments de terreur, mais aussi de moments plus calmes étonnamment réussis (Un plan simple, 1998), pour le prix de films plus quelconques (Mort ou vif, 1995, Pour l’amour du jeu, 1999, Intuitions, 2000). Tout cela pour arriver à Spider-Man (2002), son rêve de fan-boy (et celui de millions de jeunes à travers le monde), premier épisode tout bonnement enthousiasmant, tant il donne corps à une vision définitive du personnage -et ce, malgré des problèmes réels, tel le costume peu réussi du Bouffon Vert, et à son interprétation sympathique mais, au demeurant, assez unilatérale.
Conçu comme un grand ride de montagnes russes, à l’image des multiples ballades aériennes de son héros, relayé dans les moments dépourvus d’action par un humour ravageur, Spider-Man 2 a tout de la suite parfaite. D’une façon amusante, il constitue souvent un remake du premier (comme l’était Evil Dead 2 pour son modèle), le tout en mieux. Les deux bad guys (Harry Osborn et Otto Octavius) sont tous deux des scientifiques qui pensaient œuvrer pour le bien de la communauté (activant comme toujours, il est vrai, ce bon vieux ressort du savant fou, nemesis tout trouvé des super-héros), on remplace la découverte de ses pouvoirs par Peter Parker par leur perte, ainsi que l’on retrouve le sauvetage dans l’immeuble en feu, etc. Mais le deuxième épisode adjoint à cette reproduction un supplément d’âme notable. Otto Octavius est ainsi un personnage traité plus en finesse, moins "méchant monobloc" que ne l’était Harry Osborn / le Bouffon Vert. Plein de bonté, mais aussi d’une réelle ambition, il sera pris en défaut par sa trop grande confiance en lui. La relation qu’il entretient avec Parker, pleine de respect, voire quasi-filiale, sous-tendait également le récit du premier opus.
Alors que le deuxième épisode propose une confrontation simple mais entière entre deux personnages forts, avec quelques sous-intrigues aidant à faire rebondir les péripéties -pensons notamment au propriétaire de l'appartement de Parker et à sa fille, terriblement attachants. De même, toutes les tentatives humoristiques sont réussies, même celles qui pouvaient être casse-gueule, à la limite ; représentative de cet état, la séquence musicale sur "Raindrops Keep Falling on My Head", de Burt Bacharach et Hal David, qui passe car le spectateur est cramponné au personnage, impliqué dans son envie de changement. Là, Spider-man 2 opère une mini-révolution, et est allé là où le premier film ne se serait jamais risqué, pour gagner le jackpot. Refaire cela dans l’énorme machine incontrôlable qu’est Spider-Man 3, c’était aller... trop loin. En effet, on retrouve une séquence analogue, qui arrive au même moment, lors d’une remise en question de la position de notre héros ; sauf que là, au milieu d’une musique aussi hors sujet que les déhanchements très "dancefloor-friendly" d’un Tobey Maguire en roue libre, on est obligé de lâcher totalement notre adhésion au personnage. La scission est consommée entre le spectateur et celui qui symbolisait sa prolongation fantasmée, faite d’un mélange subtil de force morale, de faiblesse surtout, ainsi que d’une certaine naïveté. Le 3 est d’ailleurs loin d’être fun, et c’est à mon sens ce qui plombe le film. A l’image de la lente voire quasi-impossible reconnexion entre Peter et Mary-Jane, tout, dans Spider-Man 3 est laborieux.
Laborieux, la construction d’un scénario qui doit présenter autant de personnages importants (Sandman, Venom, New Goblin) qu’elle en oublie d’embarquer les spectateurs avec elle. Il est tout de même terrible de voir que Sam Raimi ne voulait absolument pas de Venom dans son film -il aura été obligé par le producteur Avi Arad-, et que ce dernier parasite littéralement tout le récit. Mais tout n’est pas la faute de Venom...
Des éléments présents dans les autres films de la trilogie, sont renforcés ici et ce, pour un résultat n’appelant aucune réserve : navrant. La religion, chantre de la différence entre le bien et le mal (dans le premier film, la toute première réplique d’oncle Ben est bien "Dieu a dit que la lumière soit, et la lumière fut", cela ne passe pas inaperçu ; Tante May, plus tard, terrorisé par le Bouffon Vert, récitera un bon petit Notre Père de derrière les fagots, sans compter les multiples visites au cimetière accompagnées à chaque occurrence par un sermon sans équivoque), est bien plus présent dans le troisième opus, notamment à travers la séquence dite "de l’église", où le pauvre Eddie Brock vient se repentir de ces péchés (une photo retouchée sur Photoshop pour gagner une place de salarié dans le Daily Bugle... non mais ! ), et où il sera contaminé par le symbiote.
De même, le patriotisme se fera plus exacerbé dans le 3, à coup de drapeaux américains plantés un peu partout, et de cette foi indéfectible en la puissance de celui qui vient sauver tout le monde (qui a dit interventionnisme ?). Ne surnage finalement dans cette bouillie bien-pensante que la naissance du Sandman, en plan-séquence entièrement numérique mais tout à fait touchant. Le passage semble le seul à avoir survécu à la tornade de Venom, qui semble bien avoir été le déclencheur d’un film-monstre, loin de la réussite éclatante du deuxième épisode. Alors, vive les suites ! (enfin, ça dépend lesquelles).