fantastique - Page 21
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Ne vous retournez pas (1973)
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Ciné d'Asie : Histoires de fantômes chinois (1987)
Un film de Ching Siu-Tung
Grand succès à sa sortie, localement, puis internationalement, A Chinese Ghost Story a attiré l’attention du monde entier sur le fascinant cinéma de Hong-Kong, alors en plein boum.
Produit par Tsui Hark, désireux de poursuivre ce qui avait fait le succès de son Zu, les guerriers de la montagne magique (1984), il s’adjoint du chorégraphe de ce dernier film, Ching Siu-Tung, également réalisateur -son premier film, Duel to the Death, est un wu xia-pian, film de sabres assez reconnu. Ching Siu-Tung fait ainsi partie de ces réalisateurs-chorégraphes tels qu’est aujourd’hui un Yuen Woo-Ping (réalisateur moins talentueux que les combats magistraux qu’il chorégraphie dans Tigres et Dragons ou Matrix) ou Liu Chia-Liang, assistant de Chang Cheh à la Shaw Brothers puis réalisateur dans cette même compagnie de certains des meilleurs films d’arts martiaux jamais tournés (La 36e chambre de Shaolin, 1978, Shaolin contre ninja, 1983).
On retrouve dans la réalisation de HFC un soin constant donné aux couleurs et aux compositions de plans, tantôt classiques dans leur symétrie, tantôt furieux dans leurs mouvements incessants, accompagné d’un montage très rapide qui constitue la marque du cinéma de Tsui Hark, dont la quintessence est visible dans The Blade, 1990 et Time and Tide, réalisé en 1999. HFC est un film d’esthètes, dont tous les plans recèlent une beauté picturale qui s’accorde avec le fond du propos. Dès la première séquence, qui nous montre une jeune fille attirant dans ces filets un simple voyageur, on nous montre l’endroit, un vieux temple, ainsi que la personne responsable du mal qui terrorise le village. Pourtant, il s’en dégage un réel parfum onirique, romantique et érotique (tant de -iques qui ne sont pas néfastes, bien au contraire).
Après cette introduction où sont déjà intimement mêlés fantastique, érotique et horreur, arrive le personnage principal, un jeune collecteur des impôts naïf qui fait tirer le film vers la comédie. C’est ce qui est fascinant avec le cinéma hong-kongais, où l’on n’hésite pas à mélanger des genres qui paraissent incompatibles. Ici, on ne segmente pas. On retrouvera même des affrontements à l’épée typiques du wu xia-pian, que Ching Sui-Ynug a du bien s’amuser à chorégraphier. Le cinéma est donc une grande marmite où l’on trouve de tout, et avec un bonheur certain, quand la partition est exécutée de main de maître, comme c’est bien le cas ici. La love-story impossible qui va suivre, entre un mortel et un fantôme, est lyrique, touchante, et rappelle le mythe d’Orphée et Eurydice. Le patrimoine chinois recèle lui-même d’autres histoires aux connexions similaires, telle celle des amants papillons, exploitée dans le très beau The Lovers, que Tsui Hark réalisera en 1994, et un autre métrage fantastique dans la même veine qu’Histoires de fantômes chinois, Green Snake, toujours réalisé par Tsui Hark en 1993. On ne sait d’ailleurs pas où s’arrête véritablement la participation de Tsui Hark à Histoires de fantômes chinois, certains allant jusqu’à dire qu’il réalisa lui-même de nombreuses scènes du film. Le mélange prend en tous les cas une très bonne tournure, tant les scènes entre le jeune collecteur, Ning, et le fantôme (jouée par la belle Joey Wong) sont touchantes.
Les compositions de couleurs, atteignant des sommets, donne au film un cachet impressionniste évident, et l’articulation entre les différentes séquences forme un scénario assez limpide, comme ce n’est le cas qu’assez rarement dans ce type de narration. Quand la force des couleurs vient s’accompagner d’un choc psychologique, on ne peut que saluer la réussite incontestable de ces exotiques Histoires de fantômes. -
Vinyan (2008)
Un film de Fabrice Du Weltz
Après un premier film, Calvaire, qu’on peut qualifier sans mal de dérangeant, le belge fou revient avec un film-trip, véritable déambulation hallucinée dans les cités bariolées de Thaïlande, puis dans la forêt Birmane, où nous suivons donc les pas d’un couple, interprété par Emmanuelle Béart et Rufus Sewell (Dark City, Chevalier), mis à mal par la perte d’un enfant. La possibilité de le retrouver va faire basculer leur vie une nouvelle fois.
Que dire de ce film, si ce n’est qu’il convoque visuellement les imaginaires du cinéma de genre italien, à commencer par le Suspiria de Dario Argento : la séquence du début du film, dans laquelle le couple se retrouve dans un taxi à Phuket, est calquée sur la séquence elle aussi quasi inaugurale du film italien qui voit Jessica Harper, peu rassurée à l’arrière d’un taxi, évoluer dans les lumières flashy des feux de circulation, donnant des airs de cauchemar sous acide à cette ballade nocturne. La référence continue lorsque Jeanne (Béart) décide de poursuivre sa quête sans son mari, et quitte brusquement le taxi, le film nous offrant d’ailleurs à ce moment précis un plan séquence anthologique (comme il va en enfiler un certain nombre sur toute la durée du métrage), suivant en caméra portée les errements maladifs de la femme. Les couleurs criardes, fusant dans cette nuit moite, désoriente le spectateur au même titre que l’héroïne, qui est allée très loin dans l’interprétation de son personnage.
De l’influence d’un certain cinéma de genre italien, on peut même parler de bis, la seconde partie du film pouvant rappeler La montagne du dieu cannibale de Sergio Martino, péloche mi-aventures mi-horreur, où le rôle tenu par Ursula Andress offre certaines similitudes avec celui de Jeanne, on ne vous en dira pas plus si vous décidez de tenter l’aventure de ce film-trip. De même, le voyage en bateau entre les forêts touffues de Birmanie font entrevoir un isolement, un danger, voire même une folie q'on a pu croiser dans Aguirre (autre film-trip dont la réussite est sans commune mesure avec ce qui nous intéresse aujourd'hui). Enfin, on pourra voir une certaine inspiration vers Sa majesté des mouches, car les enfants que vont rencontrer le couple sont pour le moins inquiétants.
Baignant dans une folie qui va crescendo, le film est extrêmement soigné, dans son visuel (couleurs chaudes magnifiques, plan-séquences de folie signés par un très grand chef op’, Benoît Debie) mais également dans ces ambiances sonores. On retiendra le premier plan du film, visiblement sous-marin nous montrant des bulles provoquées par le remous du au tsunami. Ce plan a une efficacité figurative (on sait de quoi il s’agit) tout en ayant un cachet abstrait, avec les bulles qui composent aléatoirement des formes étranges.
Au niveau de la forme, tout est donc très beau et très pro. Mais là où ça se gâte, c’est au niveau de l’histoire, qui prend vvvrrraiiiiment son temps pour nous raconter... quoi d’ailleurs ? le traumatisme d’une mère suite à cette perte irréparable ? un récit psychologique où tout n’est que rêverie embrumée ? Une histoire d’esprit maléfique qui emporte votre raison si vous vous en approchez trop ? Coincé dans un trip qui est avant tout très personnel au réalisateur, le film ne passionne pas, c’est le moins que l’on puisse dire. Manquant terriblement de crédibilité, l’intrigue bascule finalement très vite (dès les premiers instants, on peut se douter que Jeanne va péter une durite) dans le n’importe quoi scénaristique. Le mari se laisse embourber dans les errements psychotiques de sa femme, ne réalisant rien de l’impasse dans lesquels chacun de ses pas l’en rapproche.
Dépourvu de réelle matière, on ne saura que trop déconseiller cette vision d’un auteur tout à fait nombriliste et hautain (le générique de début en est une belle preuve, avec un FABRICE DU WELTZ’S VINYAN qui fait rire, honnêtement). Bénéficiant tout de même d’un cachet visuel et sonore sans pareil, on peut avancer que Vinyan constitue un bien beau ratage cinématographique (mais alors, très beau !). -
L'orphelinat (2008)
Un film de Juan Antonio Bayona
L’Espagne est la terre promise du cinéma fantastique actuel. Ce premier film en est la nouvelle preuve, alignant sur un canevas classique de maison hantée un drame familial et personnel assez réussi.
Film de fantômes sans fantômes, L’orphelinat utilise nombre de concepts déjà vu : le pouvoir hautement anxiogène des poupées, marquant car figeant dans une immobilité mortuaire les figures de très jeunes enfants ; une maison de bois aux multiples recoins dont l’imposante façade rappelle Psychose (Alfred Hitchcock, 1960) ; l’usage de la parapsychologie afin de mettre au jour les esprits vadrouilleurs, entouré d’un dispositif technique élaboré (évoquant L’emprise de Sidney J. Furie ou L’exorciste II de John Boorman). Les caméras installées dans toutes la maison, déjà vu dans le bon La chambre du fils -non, pas celui de Moretti, mais bien le segment de l’anthologie Historias para no dormir, réalisé par Alex de la Iglesia), instaure la volonté de multitude de points de vues, voir plus, voir mieux, et aussi de déceler l’invisible dans le visible. Les caméras, avec leur vision infra-rouge, rendent l’environnement habituel fantastique et cauchemardesque, un moment dans l’espace où l’immatérialité du rêve peut prendre une forme tangible. On a récemment vu le même procédé -avec les mêmes résultats- dans la dernière partie de [REC], du duo Balaguero-Plaza. Ceci dit, L'orphelinat ne propose pas, à l'image de [Rec], une idéologie du visible, tout montrer (et tout démontrer) pour faire naître la peur ; il préfère laisser le soin au design sonore (les cris d’enfants, les tocs-tocs dans les cloisons, les grincements métalliques) de provoquer l’imaginaire du spectateur, qui crée de lui-même les manifestations physiques qui découlent de l’ambiance environnante. Délaissant une approche démonstrative du fantastique (à base de maquillages horrifiques et de grand-guignolesques apparitions fantômatiques), le film surfe sur un malaise psychologique, celui de Laura, hantée par la perte de son fils. Thématique clé du genre, qu’on avait suivi avec terreur dans le tétanisant La secte sans nom (Jaume Balaguero, 1999). En minimisant les plans d’horreur graphique, le film a su également s’attirer un public différent, beaucoup plus large que son genre ne lui laissait présager (il est aujourd’hui le film le plus vu au cinéma en Espagne).
On assiste dans le film à une véritable régression : la volonté de Laura, de retourner dans cet orphelinat qui a bercé son enfance et dont elle garde un excellent souvenir, opère comme un retour en arrière, un retour aux sources pour solutionner un problème existentiel. On remarque ainsi que le film, ainsi que d’autres exemples du cinéma fantastique espagnol (Ouvre les yeux, Les autres, A louer, Fragile), sont ancrés dans le passé, avec aucun espoir pour le futur, pour une résolution qui amènerait les personnages à mieux vivre leur existence après les événements survenus. Laura est tout de même très combative dans sa quête, dont l’extrémisme peut passer pour de la folie pure. Elle ressemble à ces héroïnes très fortes dont la Ripley d’Alien reste le parent commun. Son parcours, laissant peu à peu de côté son mari, rappelle celui de La chambre du fils - encore lui-, mais dans son opposé parfait : le film de Alex de La Iglesia voyait le mari délaisser sa femme, l’homme se faisant contaminer par une paranoïa sur la caractère maléfique de leur nouvelle demeure.
Hormis ces caractéristiques somme toute classiques du genre, on trouve que l’ensemble marche plutôt bien, et l’idée du jeu de piste d’indices à la Amélie Poulain version flippant est vraiment efficace : là encore, la "preuve" du fantastique n’est pas amenée par des apparitions éthérées, ou des manifestations clairement dues à un élément surnaturel, mais jaillit de la matérialité la plus entière. L’orphelinat est donc une réussite, cependant peut-être trop héritière de certains lieux communs du genre. -
Watchmen - les gardiens (2009)
Un film de Zack Snyder
Watchmen. LE comics définitif pour tous ceux qui l’ont lu. Aucun manichéisme, scénario touffu et hallucinant de subversion, alternance BD/écriture en prose qui propose une immersion totale, visuel hommage aux anciens maîtres BD vraiment réussi, bref : l’idée de voir tout ça sur grand écran a de quoi faire saliver. En n’omettant pas grand-chose du récit originel -si ce n’est le mise en abîme du gosse noir qui lit un comics, la mort d’Hollis Mason, dont on sait pouvoir bénéficier dans la prochaine version longue, l’histoire du psychiatre qui tente d’analyser Rorschach, et deux trois autres détails, tout est là. Toutes les audaces scénaristiques, les scènes traumatisantes comme les pensées métaphysiques du Dr Manhattan, nous sont proposées dans un respect total, dans une littéralité jamais vu auparavant, sinon dans le décalque Sin City (que je trouve par ailleurs très efficace). Donc c’est une réussite. Mais, c’aurait pu être un chef d’œuvre, ce que Watchmen - le film manque d’être, de peu.
Ce qui fâche, dans cette adaptation sinon extrêmement réussie, c’est la propension du réalisateur à vouloir en faire trop, à rajouter dans l’excès alors que la matière brute présente déjà tout le nécessaire. Rajouter du sexe, pourquoi pas, mais la scène en question (Dan et Miss Jupiter II dans le vaisseau) ressemble à une pose nullement excitante et bien trop artificielle pour convaincre, exactement dans la même configuration que celle de 300, le précédent essai (vraiment raté) de Snyder : même filtres bleutés, même sensation de regarder une publicité pour parfum ou le passage coquin d’un anonyme téléfilm érotique. Trop de violence aussi, alors que la brutalité du contexte et des échanges déjà présents dans le comics suffisait. Le découpage de l’armoire à glace, dans la prison, constitue à mes yeux le summum : c’est un peu trop.
A part ces menus défauts -qui, dans l’ampleur narrative et visuelle de l’entreprise, n’est quand même qu’un grain de sable-, le défi est relevé avec panache. La musique qui accompagne l'aventure est efficace et référentielle, à défaut d'être originale : on y croise Bob Dylan et Simon & Garfunkel, au milieu d'autres joyeusetés typique des eighties (l'histoire se passe en 1985). Les personnages sortent directement des pages de la bd, les couleurs flashy respectent la tonalité donnée par le dessinateur Dave Gibbons et le coloriste John Higgins, la dimension désespérée est rendue avec bonheur par le personnage de Rorschach, magnifique, le plus beau du film. La fureur du Comédien, la distance totalement gay de Veidt - Ozymandias, l’impuissance du Hibou II, tout est très, très bon ; à tel point que la relecture du pavé d’Alan Moore donne encore plus envie de refaire le voyage du film, après la première vision. Si ce n’est pas signe d’une qualité qui touche le plus profond du matériau de base...Après réflexion toutefois, on peut penser que les non-initiés à Watchmen ne comprennent pas tout ; notamment dans la scène ou le Hibou II trouve le code d’accès aux dossiers secrets d’Adrian Veidt - Ozymandias : ce nom énigmatique étant le pendant grec de Ramsès II, Ramsès II se révélant être le mot de passe recherché, mais sans explication. Une goutte d’eau dans l’océan, peut-être, mais ajouté à d’autres petites choses qui font qu’au final, le film ne sera pas le succès public tant attendu. Alors que... ce Watchmen version ciné est énorme, un des plus grands comic-book movie.