Un film de Neil Jordan
Le réalisateur a eu le nez fin, au milieu de cette décennie 90, d'accepter de porter à l'écran le roman éponyme d'Anne Rice, qui adapte ici son propre récit ; Entretien avec un vampire reste aujourd'hui dans le cercle fermé des très belles fictions vampiriques du cinéma. Partisan d'une image léchée, Neil Jordan a notamment réalisé la marquante Compagnie des Loups (1984), conte macabre et gothique qui offre certains points d'achoppement avec cet Entretien ; malgré l'évidente réussite d'autres éléments de sa filmographie, on peut avancer sans peine que ce film de vampires reste aujourd'hui le sommet de sa carrière.
Un fantastique littéraire
Ainsi, alors que Dracula (F.F. Coppola, 1992) a remporté un franc succès, et que, dans le même temps, Kenneth Brannagh réalise sa version d'un autre grand mythe fantastique, Frankenstein (1994), Jordan se lance, tout autant que Anne Rice, dans l'adaptation du roman culte de l'américaine, qu'elle écrivit en 1976. On remarquera que, de la même manière que les deux films fantastiques pré-cités, Entretien avec un vampire entérine une fidélité à l'oeuvre littéraire jusque dans son titre ; si Coppola met en avant Bram Stoker et Brannagh Mary Shelley -les deux titres originaux se lisant bien Bram Stoker's Dracula et Mary Shelley's Frankenstein, les réalisateurs s'effaçant devant la paternité originelle de chaque récit, Jordan appose un plus discret mais très clair sous-titre à son Interview with a vampire : The vampire chronicles. Cet ajout, reprenant le titre intégral de l'oeuvre d'Anne Rice, induit le récit comme étant la première pierre à l’édifice d'une oeuvre plus grande, appelée à accueillir une suite, ce qui n’est toujours pas le cas jusqu’à présent.
Mises en abîmes
Armé de la plume érudite et assurée de la romancière, le film franchit un cap qualitatif et devient par là une adaptation très fidèle au texte d'origine. Utilisant le même procédé de mise en abîme, Louis le vampire narrant, à notre époque, ses aventures au micro d'un journaliste, le film y revient cependant moins que dans le livre. La relation journaliste (Christian Slater) / vampire (Brad Pitt) est cependant extrêmement intéressante en nous amenant sur les terres de la confrontation réalité / fiction, et de son impossible différenciation. A ce titre, une des séquences les plus réussies du film est consacrée à cette dichotomie, à savoir le théâtre grand-guignolesque des vampires parisiens, présidé par Armand (Antonio Banderas).
Des amateurs assistent à un spectacle très macabre dont tous les acteurs sont des vampires qui jouent ... des vampires -les différentes strates de la mise en abîme deviennent vertigineuses ! Le clou du show est le sacrifice d'une jeune femme, bien réel, appelée à être dévorée par la horde de vampires. La fiction se confond ici avec la réalité, les spectateurs, dégoûtés, hésitant eux aussi quant à la teneur réelle des événements dont ils sont témoins. Les vampires jouent également au magicien, leurs pouvoirs leur permettant d’incarner cette magie (par la lévitation notamment), là où la frontière entre le fantastique et le réel indiscernable. Cette séquence, hautement traumatisante par sa mise en scène macabre, les vampires se jetant littéralement sur la victime innocente en une nuée noire d'insectes assoiffés, illustre le côté sombre et malsain que se permet le film, la fidélité à l’œuvre, là encore, primant sur le véhicule à stars. On y comprend toute l'emprise, la transe, ici plus démoniaque que réellement séductrice, dans laquelle les vampires tiennent leurs victimes. On découvre aussi les vampires en tant que groupe social constitué (le monde des vampires, dans le livre comme dans le film jusque-là, étant réduit aux personnages de Louis -Brad Pitt, Lestat -Tom Cruise et Claudia -Kirsten Dunst), une confrérie hiérarchisée, organisée pour survivre -la tenue même du spectacle garantissant chaque soir leur ration aux suceurs de sang.
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