Voici la suite de la première note consacrée aux vampires du film de Neil Jordan.
Un humour couleur rouge sang
Scène charnière, la transformation de Louis par Lestat, vampire plusieurs fois centenaire, est positionnée en début de métrage, l'histoire ne perdant pas de temps à enchaîner les séquences signifiantes. Elle laisse cependant la place à une scène magnifique, retranscrivant bien, comme dan le livre, le réveil du nouveau vampire, ses yeux ne voyant pas la même réalité ; en témoigne, une statue qui le suit des yeux... Brad Pitt campe ce vampire à l'élégance glacée, un vampire trop humain. Sa transformation n'a pas été un choix, contrairement à ce que semble lui proposer d'abord ce fourbe et séducteur Lestat ; irrité par sa nature même, le fait de devoir tuer des être vivants pour subsister n'étant pas de son goût. Il s'évertuera à tuer toutes sortes de petits animaux -rats, pigeons, chiens- alors que Lestat se délecte de sang humain -la plupart du temps de jeunes femmes sans défense. Renforçant la caractérisation de son personnage, ce refus d'en attenter à l'humain, pour conserver un semblant d'humanité, offre finalement des moments de comédie très noire (la vieille enfarinée criant de tous ses poumons la perte de ses précieux caniches, exsangues, ou le paradoxe d'un vampire, cette créature invincible pouvant mettre à genoux toute vie, cantonnée à se rabattre sur ce que Lestat appellerait de la viande de second choix), de même la séquence, plus éloignée dans le film, d'éducation de Claudia, petite fille faite vampire par Lestat. Elle tue son professeur de piano -il s'effondre sur le clavier, comme pris d'un soudain endormissement- ou la couturière venue spécialement pour prendre ses mesures. Ces meurtres horribles, perpétrés qui plus est, par un enfant, berceau de l'innocence, sont à la fois d'une perversité absolue (l'usage, par Claudia, de sa nature enfantine, pour attirer les innocents) et décalés, de façon humoristique, par la façon dont le filme et le monte Jordan, épousant en cela le sentiment qu'éprouve la fillette. Elle, qui prend cette mascarade comme un jeu, dont elle serait, à chaque fois, la grande gagnante. Le sourire de la jeune Kirsten Dunst est, à ce titre, extrêmement ambigu.
L'homo parentalité
Évoquée dans le film (encore plus dans le livre), présente de façon sous-jacente, la relation incestueuse qu'entretiennent Louis et Claudia, constitue un autre angle d'attaque, donnant une bizarrerie sans nom aux déambulations fantomatiques du trio. La pulsion de meurtre, incarnant le désir, tout autant sexuel que mortifère, participe à cette ambiguïté jamais résolue. A ce premier duo, s'oppose la paire Louis / Lestat, traitée de façon clairement homosexuelle (l'air précieux et maniéré d'un Lestat aux longs cheveux blonds, Louis l'entretenant sans mot dire, les deux éduquant Claudia comme leur fille), apporte une couche signifiante supplémentaire, qui ajoutée à toutes les autres, font bien de Entretien avec un vampire beaucoup plus qu'un simple film fantastique utilisant le motif du vampirisme. Claudia, au fil des années femme prisonnière dans un corps d'enfant, aime réellement Louis, ce qui "justifie" la pulsion incestueuse, mais reste constamment dérangeante. Elle n'aura de cesse de chercher un modèle de féminité dont elle est dépourvue. Pour cela, elle figera cette beauté inatteignable, dans la mort -la servante- ou par le vampirisme -une belle femme au hasard, ici plus pour avoir un référent matriarcal.
Entretien avec un vampire, le film, exploite bien, sans le dénaturer, les pistes foisonnates du roman, qui offre un fantastique comme on aimerait en voir plus souvent : construction au cordeau, facettes multiples, interprétation incroyable (mention spéciale à Tom Cruise et Kirsten Dunst). Les sombres abysses vers lesquelles nous plongent les vampires sont sans fins...
Commentaires
Malgré ses grandes qualités, ce qui m'a toujours étonné avec ce film c'est que, malgré la présence au générique d'un trio de sex symbols hollywoodien, le film lui-même soit si "sexless".
J'ai le souvenir d'une réapparition de Louis dans le roman qui est un sommet d'érotisme subtil et qui ici passe complètement à côté. Neil Jordan n'a pas été capable (ou n'a pas voulu ?) exploiter cette fibre pourtant si importante dans l'oeuvre originale. Mais après tout, comme toute adaptation, le réalisateur a bien le droit d'y voir ce qu'il veut. D'autant que bien d'autres éléments sont eux, parfaitement réussis.
On pourrait opposer Dracula (Coppola, 1992), très sexuel et brûant de passion, à la froideur de Entretien avec un vampire. La tonalité globale du livre est d'ailleurs, de mon point de vue, bien retranscrite par cette dimension. Comme la scénariste et l'auteur du roman ne font qu'une, on peut penser qu'elle est d'accord avec elle-même... C'est le côté morbide et malsain qui saute aux yeux aujourd'hui encore, comme si le casting glamour était volontairement en contrepoint avec la tonalité du film.