Un film de Liu Chia-Liang
Martial Club est la deuxième participation de Liu Chia-Liang à l’édifice cinématographique créé pour le médecin expert en arts martiaux Wong Fei Hung, figure historique chinoise du 19e siècle. Il est incarné dans le film par le frère adoptif du réalisateur, Liu Chia-Hui, alias Gordon Liu déjà au même poste sur Le combat des maîtres (1976).
Ce que j’adore chez Liu Chia-Liang, et qui me le fera toujours préférer à un Chang Cheh, c’est la totale beauté de ses images et la recherche souvent payante du meilleur angle, du meilleur cadre, pour filmer les arts martiaux. Auparavant chorégraphe des combats, on sent à chaque instant une recherche graphique de l’enchaînement le plus fluide possible, tout en étant visuellement très stimulant. De plus, les qualités martiales de Liu Chia-Hui ainsi qu’un charisme à toute épreuve ne sont plus à démontrer.
Martial Club n’est malheureusement pas le meilleur film de Liu Chia-Liang, et semble d’abord se mélanger les pinceaux ; débutant par un mode d’emploi de la danse du Lion par Liu Chia-Liang himself, on assiste ensuite à une démonstration brillante de l’exercice (mais qui traîne en longueur). S’en suit des passages comiques qui rappellent le penchant du réalisateur pour la kung-fu comedy, mais ces passages sont loin de l’efficacité d’un Lady Kung-fu, réalisé la même année. Bruitages de dessins animés, expressions forcées du visage... Tout ceci se calme heureusement très rapidement.
Force est de constater ensuite que le scénario ne brille pas par sa complexité : deux écoles de kung-fu s’affrontent pour imposer leur suprématie, pendant que deux jeunes élèves (dont le jeune Wong Fei Hung) pensent ne plus rien avoir à apprendre. A l’image de la séquence d’introduction du film par le réalisateur, on sent bien que ce dernier s’attache plus à la pédagogie et à la restitution de la morale des arts martiaux qu’à un scénario correct. La leçon de savoir vivre et la maîtrise technique de l’art martial dominent le récit. Les affrontements s’enchaînent alors de façon ininterrompue, chaque action étant prétexte à un combat. On voit là la notion d’art martial comme intégrant la vie tout entière, une philosophie qui guide le chemin de vie. Ceci étant dit, on se rapproche ici plus de la comédie musicale où les chorégraphies et passages chantés sont remplacés par des combats soignés. Deux moments sont particulièrement marquants : la danse du Lion du début, très dense, alternant des plans aux cadrages souvent différents et exploitant l’énergie des personnages ; la caméra suit, accompagne le mouvement, l’anticipe parfois. La dernière séquence lui répond comme un écho inversé, là où deux personnages seulement (contre des dizaines lors de la première scène) s’affrontent dans un long couloir qui rétrécit au fur et à mesure ; chaque coup porté est minutieusement préparé, exécuté : c’est du grand art.
Entre ces deux grands moments, nous n’assistons pas à un Liu Chia-Liang majeur, qui a néanmoins toutes les qualités formelles des meilleures réalisations du bonhomme (La 36ème chambre de Shaolin, Shaolin contre ninja).
-
-
Tim Burton au Pays des merveilles
Ces derniers jours, on a vu apparaître sur la toile la première bande annonce d'Alice au pays des merveilles revue et corrigée par Tim Burton. Outre la présence de Johnny Depp, devenue presque obligatoire dans un film du cinéaste californien, on notera le mimétisme parfait qui semble s'opérer entre ces premières images et le film d'animation réalisé par le pool Disney en 1951.
Le look d'Alice, La chute dans le trou, le voyage à la verticale dans un tourbillon d'ojets hétéroclites, la salle en damier, la potion qui fait rapetisser, tous ces moments sont ancrés dans la mémoire cinématographiqe d'un bon nombre de spectateurs. Ceci dit, pendant que ces images familières défilent à l'écran, une différence notable se fait entendre : la partition musicale tourmentée qui semble créer un suspense, une attente, en apparente contradiction avec des images connues. Musique signée Danny Elfman, comme à l'accoutumée ; elle fait partie intégrante de la patte Burton, qui imprime à la bande annonce sa marque évidente, et indique une première réappropriation du récit. Après cette introduction posant bien les choses (situer un univers connu et indiquer la particularité du style Burton), on a droit des images plus inhabituelles qui viennent prouver qu'il ne s'agit pas là d'un simple remake, ou de régurgiter une forme universellement connue.
On aperçoit certains personnages absents de la précédente version de Disney (le premier logo nous dévoile, si l'on ne le savait pas déjà, qu'il s'agit toujours d'une production de la firme aux grandes oreiles), telle la reine blanche, et le look de certains personnages (la reine de coeur) est tout à fait nouveau. Autre nouveauté, et non des moindres, le personnage central, narrateur de la bande annonce, comme certainement du film à venir, n'est autre que le chapelier fou alias Johnny Depp. Il est d'ailleurs le premier au générique et le seul dont le nom est présenté dans les images de la bande annonce, le reste du casting restant isolé dans les crédits finaux. Ainsi, alors que Johnny Depp squatte l'espace et le son de son drôle d'air, Alice n'a pas même une ligne de dialogue. Version Burton oblige, l'acent sera indubitablement mis sur la folie de Johnny (et de son costume). Les autres éléments restent plus communs mais attestent du sens hybride du film, mélangeant vrais acteurs et personnages en images de synthèse dans le même cadre, pourrait-on ajouter, avec une réelle réussite. Le lapin blanc, Twiddle Dee et Twiddle Dum, ainsi que la chat de Chester sont ainsi virtuels. Ce dernier ne fait-il pas un peu penser au chat Potté de Shrek dans une version -un peu- démoniaque ? On a hâte, en tous les cas, que l'univers d'Alice atterrisse dans nos salles. Ceci dit, mars 2010 est encore loin ! Patience... Et ceux qui ont la chance d'avoir une salle projetant en 3D près de chez eux risquent d'en avoir pour leur argent (malgré qu'il leur faudra débourser quelques euros supplémentaires...)
-
Dossier : la cinéphilie et le DVD, partie 4
Voici l'avant-dernière partie de notre dossier consacré au dvd et la cinéphilie, consacrée ici au caractère profondément obsessionnel de la cinéphilie, et que le dvd, par sa structure et sa conception, reprend à son compte.
F. L’étude d’un DVD : Invasion Los Angeles (They live, John Carpenter, 1988)
1. John Carpenter, un auteur à la française
John Carpenter réalise Invasion Los Angeles en 1988. Il s’agit d’un film fantastique. Le réalisateur s’est illustré dans le genre depuis son premier long, Dark Star, en 1974. Dès ses débuts, il est soutenu par une partie de la presse spécialisée française, au sein notamment des Cahiers du Cinéma, et plus largement à travers toute l’Europe. Il est omniprésent dans la confection de ses films : production, scénario, réalisation, musique, montage, on voit aussi très souvent son nom faire partie intégrante du titre du film, comme pour John Carpenter’s Vampires ou John Carpenter’s The Fog. Aux Etats-Unis, à l’examen du genre qu’il illustre, son rayonnement est bien moins important, au point que l’intéressé déclare : « En France, je suis considéré comme un auteur, en Allemagne, comme un metteur en scène, en Angleterre, comme un réalisateur de films d’horreur, et aux États-Unis, comme un fainéant ». Cela résume bien sa posture. Il a utilisé bien souvent le genre fantastique sous lequel se terre une critique politique acerbe, comme c’est le cas avec Invasion Los Angeles.
2. Le scénario
Pour bien comprendre le DVD, il faut se replonger quelques instants dans la trame du film. Invasion Los Angeles prend pour personnage principal un ouvrier au chômage du nom de John Nada (« rien » en espagnol), qui arrive à Los Angeles. Il y découvre un trafic de lunettes bien particulières. Une fois portées, elles dévoilent un monde très différent de celui que nous connaissons. En noir et blanc, dans lequel certaines personnes se révèlent être des extra-terrestres, qui dominent notre monde de l’intérieur depuis bien longtemps. Les panneaux publicitaires, journaux, télévision, projettent en réalité des messages subliminaux qui hypnotisent les Terriens : Dormez, Obéissez, Reproduisez-vous, Consommez, etc. On sent bien sous le prétexte fantastique poindre une dénonciation de l’époque Reaganienne, conspuée par le réalisateur.Retrouvez la quatrième partie en texte intégral (pdf, 8 p., 36 ko)
-
La folle journée de Ferris Bueller (1986)
Un film de John Hughes
Après des vacances bien méritées dans les paysages enchanteurs des côtes croates, il paraît opportun d’écrire quelques mots sur cette Folle journée d’école buissonnière vécue par Ferris Bueller ; au même titre que les îles dalmates aux couleurs pratiquement irréelles, qui incarnent une sorte d’idéal rêvé, le film déroule une trame qui relève d’un fantasme ancré à l’identique dans l’imaginaire collectif ; les idéaux défendus -ici liberté, jouissance de l’instant, résistance contre l’autorité parentale, et donc la toute puissance de la jeunesse- sont bien différents.
Labellisé 80’s en diable, le film montre le côté frondeur et irrévérencieux du jeune Ferris (le jeune Mathew Broderick, investi d’une puissance quasi-cosmique pour enchaîner les péripéties les plus énormes) dans une entreprise du day off idéal. Débutant directement sur la scène classique du mensonge envers les parents, rite de passage obligatoire, le voyage de Ferris a tout du parfait petit manuel. S’adressant de temps en temps à la caméra, il explique au spectateur quelques trucs -comment faire semblant d’avoir de la fièvre- qui, malgré un aplomb imparable, ne cache cependant pas son caractère enfantin ; Voir la scène où Bueller, comme son ami, est persuadé qu’en faisant rouler une voiture en marche arrière, il fera ainsi diminuer les chiffres du compteur kilométrique. C’est ainsi qu’à la fois Ferris exécute un vrai tour de force ; rouler au volant d’une Ferrari, chanter telle une rock star à une parade, amène à un fantasme paroxistique, presque surhumain. Dans le même temps, il reste un enfant, doté d’une imagination géniale pour mettre sur pieds les tours pendables qu’il joue à son entourage. Là aussi, dans la dimension de ses actions, on trouve quelque chose qui dépasse les capacités humaines chez Ferris, où sa blague de potache va finalement atteindre un cercle de personnes beaucoup plus étendu. En témoigne la chaîne de solidarité qui se forme dans la région pour sauver Ferris d’une maladie grave -l’écriteau gigantesque Save Ferris, inscrit sur une tour ; le déploiement de moyens devient fantastique. Devant tant d’exploits, de péripéties, le spectateur se demande si tout cela était bien improvisé, comme est supposément l’école buissonnière ; la petite amie de Ferris n’oubliera pas mettre en doute cet aspect. En effet, rien que le mannequin qui est censé représenter Ferris malade dans son lit, ainsi que la bande sur laquelle le garçon a enregistré des ronflements, a nécessité du travail, rentabilisé ceci dit par les multiples "maladies" précédentes du gamin. Mais ce travail est invisible dans un film où tout est centré sur le loisir, où rien n’est difficile. Carpe Diem est bien la devise de notre héros.
Il est amusant de constater que la folle journée de Ferris Bueller passe la plupart du temps par une célébration du matérialisme et du monde de consommation à l’américaine ; rappelons-nous, l’année précédente, que Marty McFly ferait tout pour avoir ce joli 4x4 noir qu’il admire dans Retour vers le futur ; ici, de longs travellings nous montre le clinquant des hauts gratte-ciels, les signes extérieurs de richesse ; le plaisir est indissociable de l’argent, voire le moyen le plus certain d’accéder au saint Graal du bonheur.
Ferris Bueller, déballant sa science, tellement sûr de lui, empêche malheureusement toute identification pour le spectateur ; Son sans gêne électrise par sa réussite incontestable, autant qu’il irrite, testant à chaque minute notre propre sens des limites. Et, rien que pour cela, le film vaut largement d’être vu aujourd’hui encore, témoin d’une époque pas si lointaine et bien différente de nos préoccupations actuelles, entre sauvegarde planétaire et crise financière, ainsi que, espérons-le, une aspiration à un bonheur plus intérieur. Pour un peu de vacances... -
La chute de la maison Usher (1960)