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espagne

  • La chair et le sang (1985)

    Un film de Paul Verhoeven

    7995817987_f80d423772_m.jpgL'éditeur Filmédia réédite le 19 septembre 2012 La chair et le sang (Flesh + Blood) en DVD et en blu-ray (exclusivité française!), un des tous meilleurs  films du réalisateur Néerlandais Paul Verhoeven ; malgré cela, il reste encore assez méconnu, encore aujourd'hui.

    La chair et le sang nous offre un tableau du Moyen-âge barbare, violent et sensuel, concrétisant la promesse de son titre. On y retrouve Martin, interprété par Rutger Hauer, le Roy Batty de Blade Runner en 1982, entouré d'une bande de mercenaires complètement allumés. Leur ancien frère d'armes, Hawkwood, les a trahi au profit du seigneur Arnolfini. Qu'à cela ne tienne, Martin et sa bande retrouvent les deux hommes et enlèvent la  belle-fille d'Arnolfini -interprétée par la toute jeune Jennifer Jason Leigh-, puis envahissent son château. Steven, un jeune homme érudit et passionné de science, à qui Agnès était promise, va tout faire pour la récupérer. L'esquisse du scénario ne dépareillerait pas dans la longue liste de films d'aventures moyen-âgeux qu'a pu produire hollywood durant son âge d'or : un preux chevalier vient arracher une princesse en détresse des griffes d'un bandit sans foi ni loi. Et pourtant, le film va à l'encontre de tous les poncifs du genre. Fini, les ciels radieux en Technicolor, les vilains grimaçants, les impeccables salles de banquets, les combattants virevoltant moulés dans leurs collants multicolores ! Au lieu de ça, le film table sur la peinture sans concession d'une époque sombre et cruelle, bâtie sur une succession d'ambiguïtés.

    Tous les personnages sont montrés sous leurs mauvais jours, les nobles et les religieux complotant, les mercenaires sont incultes et violents ; Steven, le jeune érudit, est le seul à n'être que l'incarnation de l'amour romantique par excellence... que le réalisateur tente à tout prix de désamorcer : le serment d'amour de Steven et Agnès se déroule au pied d'un arbre où deux pendus bien amochés sont en train de pourrir ! D'autre part, ce sont les méchants qui sont les héros de la chair et le sang, prenant la encore le contre-pied du film de chevalerie.

    De même, deux mondes s'opposent, symbolisés chacun par un des personnages : La chair et le sang, c'est le moyen-âge contre la renaissance, la croyance contre la science et la connaissance, Martin contre Steven. Au centre de toutes les attentions, le personnage d'Agnès est double, tout à la fois amoureuse de l'esprit de Steven et du corps de Martin : d'abord inexpérimentée, elle sera violée par la bande, puis ensuite, avec Martin, elle découvrira contre toute attente un plaisir inégalé. Leur scène d'amour dans un bain vaporeux, capte une puissance érotique incomparable, ce qui rappellera aux amateurs  que Verhoeven a plus tard réalisé Basic Instinct, avec là encore, une blonde incendiaire, Sharon Stone. On est bien loin de l'image vierge et diaphane de la princesse « classique ». Lors d'une tentative de sauvetage, une invention de Steven suscite même le rire, sûrement non intentionnel, tellement la grosse machine en bois qui s'avance devant la portez du château ressemble à celle qu'on a pu apercevoir dans Monty Python sacré Graal !

    On a sûrement là une des preuves des difficultés rencontrées sur le film, tant Verhoeven a perdu la bataille du contrôle sur La chair et le sang ; il s'est en effet vu imposer l'histoire d'amour entre Agnès et Steven par Orion films, alors que lui aurait aimé axé tout la dynamique sur la lutte entre les deux anciens frères d'armes désormais ennemis. D'un autre côté, Rutger Haurer, comédien fétiche du cinéaste, veut le beau rôle : il un beau début de carrière aux états-unis -Blade Runner en 82 avec Ridley Scott, Ladyhawke de Richard Donner en 1985, film dans lequel il a une rôle chevaleresque aux côtés de Michelle Pfeiffer- ; mais cela n'y change rien : son personnage est un bandit violent, Verhoeven et Hauer se brouillent et à ce jour La chair et le sang constitue leur dernière collaboration.

    Le film n'est pas non plus avare en violence de toute sorte ; la bataille qui inaugure le métrage, qui permettra à Arnolfini de retrouver sa cité, en est un bon exemple : membres arrachés, têtes scalpées, rien n'est vraiment épargné au spectateur. Plus tard, la peste jouera un rôle prépondérant dans le film, se propageant dangereusement dans la région. C'est un peu la marque de fabrique de Verhoeven, qu'on surnomme le Hollandais violent ; il réalisera deux ans plus tard son premier film américain, RoboCop, qui laisse là aussi quelques traces ensanglantées dans l'imaginaire des cinéphiles. C'est la violence et les excès en tous genres (sexe, amoralité) qui sont la cause de son départ des Pays-Bas, où il a pu tout de même réaliser de véritable perles ; on pense à Katie Tippel, l'odyssée d'une jeune femme qui, d'une pauvreté sans nom, arrivera à s'insérer petit à petit dans l'aristocratie ; ou encore à Soldier of Orange, un film de guerre très romanesque avec déjà Rutger Hauer dans le rôle principal. La chair et le sang est son premier tourné hors de son pays, en langue anglaise. C'est une véritable charnière dans la carrière de Verhoeven, qui œuvrera par la suite principalement aux Etats-Unis (il ne reviendra tourner dans son pays qu'au milieu des années 2000, pour le très beau Black Book). 

    La très belle musique de Basil Poledouris, dans la mouvance de son travail sur le magnifique Conan le barbare, est puissante et entraînante, participant à donner au fil sa réalité historique.

    Mélange détonnant, excessif et jouissif, La chair et le sang saura faire oublier ses quelques anachronismes, restant aujourd'hui un des plus grands films sur le Moyen-Âge : à (re)découvrir de toute urgence !

  • Chico et Rita (2011)

    Un film de Fernando Trueba & Javier Mariscal

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    Flashback. Le 11 juin dernier se clôturait le 51ème Festival International du Film d'Animation d'Annecy. Et, si le Cristal du long-métrage officiel a été remporté par Joann Sfar et Antoine Delesvaux pour Le chat du rabbin, une poignée de cinéphiles (dont votre serviteur) ont honoré Chico et Rita comme le premier Prix Fnac pour un long-métrage. C'est que, comme nous allons le dessiner, le film a de très belles qualités...

    Novice en animation, Trueba est néanmoins un véritable routard du cinéma, lauréat de plusieurs Goyas (El sueño del mono loco, 1990, Belle Époque, 1993, et La niña de tus ojos, 1999) et même auteur d'un dictionnaire du cinéma. Il s'est associé à Javier Mariscal, graphiste et auteur de bande dessinées, pour conter une histoire d'amour passionnée sur fond de musique cubaine.

    La musique est la composante essentielle de ce film ; elle est composée par Bebo Valdès, qui avait déjà accompagné Trueba sur un de ses précédents long-métrage documentaires, Calle 54 (2000), son Buena Vista Social Club à lui (Club auquel il adressera un joli clin d'oeil dans la dernière partie du film). Et sa musique habite littéralement Chico et Rita. C'est elle qui nous emmène dans cette histoire d'amour au long cours, nous fair ressentir la chaleur, la sensualité des comportements, nous fait passer d'une époque à une autre, ... nous transporte.

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    Ce qui frappe dans Chico et Rita, hormis sa fabuleuse sensibilité musicale, c'est sa construction et ses personnages, tous droits issus d'une grammaire (parfois trop ?) classique de film de prises de vues réelles. On ne se refait pas, Trueba entend user des mêmes cordes -efficaces- pour nous immerger dans son récit. Histoire en flach-backs, où un Chico vieillard se remémore ses jeunes années de pianiste émérite au son grésillant d'une radio qui rediffuse ses vieux titres. Dès les premières minutes, l'on revit sa rencontre enfiévrée avec la chanteuse Rita, tout en affrontements. Ceux-là même qui deviendront plus tendres, le temps d'une séquence charnelle très réussie. La sensualité des corps, les lignes s'entremêlant, les tons chauds et la musique cool, transpirent du dessin, forcément animé. 

    Commence alors une véritable odyssée, peuplée de stars de cinéma (Rita croise la route de Bogart et Brando), de musiciens (Charlie Parker), de dealers, de règlements de compte, d'atermoiements amoureux, de déceptions, de succès. l'histoire fait constamment s'éloigner les deux personnages principaux, pourtant évidemment liés. Là où Trueba réussit son film, c'est lorsqu'il n'hésite pas faire de Chico et Rita des personnages prisonniers de leurs obsessions (la célébrité pour Rita, le contact charnel pour Chico), en même temps qu'il dessine des trajectoires totalement romantiques qui peuvent souffrir une certaine naïveté (prenons comme exemple le final, le seul moment vraiment mal amené, même si logique dans le progression narrative).

    Combinant les forces de l'animation et de la prise de vues réelles, le résultat pourra décevoir les partisans de l'animation, pour lesquels le film est certainement trop classique. Mais, vous savez quoi ? Ce qu'il y a de bien avec le classique, c'est que ça ne se démode pas. Et je vous fiche mon billet que celui-là, avec ces décors fins et colorés, et ses incrustations réussies de quelques images de synthèse, va bien supporter le poids des ans. Et l'on peut être satisfait, toute notre petite troupe, d'avoir donné à ce film le prix qu'il méritait.

  • La secte sans nom (1999)

    Un film de Jaume Balaguero

    5343145663_e692662630_m.jpgUne mère traumatisée à vie (à mort) par le meurtre de sa petite fille reçoit cinq ans après ce terrible fait divers un coup de fil. Sa fille  l’appelle…

    La veine fantastique, lorgnant vers des terminaisons occultes est depuis la fin des années 90 une de leur grandes préoccupations du cinéma espagnol, comme l'ont prouvé chaque film de Jaume Balaguero (Darkness, 2002), ou l'anthologie Historias para no dormir, très efficace dans le genre. 

    Pour son premier long-métrage de cinéma, Balaguero n'y va pas par quatre chemins : il nous assomme littérallement avec une intrigue labyrinthique et sordide. Images et environnement sonore oppressants au possible, cette histoire relatant la folie de fanatiques de la pureté est à couper le souffle. Dès la vision de cet électrochoc, on ne peut s'empêcher de penser aux scénarios retors de Anthony Shaffer, l’artisan à l'origine de chefs-d’œuvre tels The Wicker Man (Robin Hardy, 1973), Frenzy (Alfred Hitchcock, 1972) ou Le limier (Joseph Leo Mankiewicz, 1972). Celui qu’on croit être le héros -qui est en tous les cas le personnage central de l’intrigue, celui qui suscite la plus grande empathie- se retrouve piégé comme un débutant, tout comme le spectateur, qui éprouve une sensation de malaise quand il se rend compte qu’il s’est fait berner. Le film n’en acquiert que plus de force. Le côté un peu malin-m'a-tu vu pourra rebrousser le poil de spectateurs récalcitrants, mais c'est le jeu proposé par le film.

    Ces scénarios, pour peu qu’ils soient troussés correctement, marchent à tous les coups car le spectateur ne peut, en aucun cas, voir le coup de théâtre arriver avant que la victime ne s’en rende compte. Ici, la seule victime, c’est nous. Le résidu fictionnel, tricotté uniquement dans le but de nous mener en bateau, n’existe pas réellement. Nous sommes ainsi les seules victimes (consentantes!) de l’ingéniosité du metteur en scène. 

    L’astuce de ce genre de film réside dans le fait de déplacer le suspense véritable vers celui que le réalisateur veut nous faire éprouver. Cette conception est exactement celle du grand Hitchcock, avec un film comme Psychose par exemple, où il fait croire à un début d’intrigue policière (le vol d’argent et la course-poursuite qui s’en suit), pour mieux faire surgir l’horreur là où l’on ne l’attendait pas. 

    En dehors de ce scénario qui fait tout le film, reste quelques trouvailles visuelles pour mieux nous faire frissonner. La présence de cassettes vidéos, qui font avancer la trame du film, est assez angoissante. Cette astuce est utilisée afin de démultiplier les points de vue. Quand on se rend compte que ce qu’on a vu l’a aussi été par quelqu’un d’autre, on se retrouve avec un double du spectateur, un témoin de la scène sous un autre angle. Le recours à la vidéo témoigne bien de l'ère télévisuelle, infestée par les enregistrements et les caméras de surveillance. Depuis le début des années 80, elle représente le côté un peu angoissant d’un enregistrement sur lequel on se pose tout un tas de questions légitimes : où, quand, comment ? Certains réalisateurs ont su en capter tout le potentiel : Nataka avec son Ring, ou Carpenter avec Prince des Ténèbres, même s'il est aujourd'hui trop systématiquement utilisé. Efficace, terrifiant : du grand cinéma de terreur.

  • Les Révoltés de l'an 2000 (1976)

    Un film de Narciso Ibanez Serrador

    4598525179_fc15f75989_m.jpgUn traumatisme. Un malaise dérangeant et durable. Le cinéma mondial n’avait alors que peu de représentants du genre des enfants tueurs, si bien qu’on a du mal trouver un précédent valable. Le très bon Le village des damnés (1960), de Wolf Rilla, dont John Carpenter signa un honorable remake, semble le seul film à pouvoir rivaliser et devancer temporellement le sujet pourtant encore avant-gardiste de l’espagnol Serrador. Ce dernier, ayant tourné son film dans les années 60, ne le verra sortir en salles qu’à l’orée de 1976, qui plus est interdit aux moins de 18 ans dans de nombreux pays. Devant le nihilisme crépusculaire du résultat final, on ne peut que se rendre à l’évidence : Les révoltés de l’an 2000 avait une véritable longueur d’avance sur son temps. Le film a ainsi plus clairement à voir, formellement, et thématiquement, avec le cinéma des années 70, comme avec des perles de l’horreur comme le très perturbant Le monstre est vivant (Larry Cohen, 1974), L’Exorciste (William Friekin, 1973) La malédiction (Richard Donner, 1976), ou plus indirectement Rosemary’s Baby (Roman Polanski, 1968) ou encore Chromosome 3 (1979) de David Cronenberg. Ces enfants, réceptacles d’un esprit démoniaque, seront une forme privilégiée du Mal dans le cinéma dépressif des années 70.

    De cette vague terrifiante, Les Révoltés de l’an 2000 constitue l’atomisant point de départ ; ou comment proposer une vision impensable, issue d’un des pires cauchemars de l’homme, mis à mort par son propre futur.

    Le titre original (¿Quien puede matar a un niño ?) pose l’interrogation légitime qui sous-tend le film, sans rapport aucun avec son très bis équivalent français. Le malaise ne vient d’ailleurs pas du simple fait que des enfants perpétuent des meurtres. Non, ici, c’est bien plus l’expression de nature enfantine dans l’espace du massacre, faite de rires, des visages éclairés par une espièglerie joyeuse, qui est particulièrement dérangeante. La cohabitation contradictoire de ces deux états installe durablement le malaise, la naïveté naturelle de la jeunesse ne s’accordant jamais, dans nos structures de pensées, avec la détermination meurtrière froide et sadique dont ils font preuve.

    Dès le début du film, et ce malgré les indices évidents qui sont soumis au spectateur (défiance de la population espagnole, cadavres rejetés par la mer, générique fait d’images d’archives atroces montrant des enfants défigurés ou morts au nom de la guerre), on continue d’ailleurs à douter de ce que l’on va découvrir sur l’île, avec le couple de touristes anglais qui veut y séjourner, fuyant le monde agglutiné sur la côte. D’abord face à un univers dénué de toute vie (aucun commerçant, vendeur, ou même un quelconque adulte sur l’île), ils se retrouvent confrontés à une population entièrement composée d’enfants, dont ils ne voient que peu de représentants. La situation, bien qu’étrange, en reste là durant un moment, d’autant que le temps est au beau fixe, et que la musique d’ambiance traduit en passages très La Croisière s’amuse. Le malaise a cependant débuté dès l’arrivée sur la côte, avec l’incompréhension de la jeune femme (enceinte) face à des locaux ne parlant que l’espagnol.

    Peu à peu, la présence de quelques enfants se fait menaçante (via une séquence angoissante au possible où une petite fille caresse le ventre de la femme enceinte), puis explose lors d’une scène choc, qui sera suivie par bien d’autres, jouant malicieusement avec un hors-champ totalement anxiogène. La science du montage qui arrive à faire monter progressivement l’angoisse ne décevrait en rien un Hitchcock. D’un film un peu étrange, Les Révoltés de l’an 2000 devient un pur film d’horreur. Les effets sonores, également, traduisent le changement d’optique, notamment via une scène de contamination d’enfants sains par d’autres déjà atteints. Les notes synthétiques poussent parfois le film vers un fantastique kitsch un peu indigne de la teneur générale de l’œuvre. Les dernières séquences sont d'un niveau tel qu'elles finissent de nous achever, nous laissant comme vidés.

    Véritable uppercut amer et désespéré, Les Révoltés de l’an 2000 continue d’être aujourd’hui à la limite du soutenable dans le fond comme dans la forme, illustrant la tendance d’auto-anéantissement à laquelle se livre continuellement l’humanité. Une image qui reste en mémoire longtemps, (bien ?) trop longtemps après la fin de visionnage. Beaucoup de réalisateurs hispaniques contemporain prennet ce film en exemple ; c'est une évidence à la vision des premiers films de Jaume Balaguero, par exemple. De son côté, le belge Fabrice DuWeltz aura voulu rendre hommage au film dans une boursouflure sans nom, sans signification, sans rien d’intéressant : stay original, regardez Quien puede matar a un niño, un de choc cinématographique aujourd’hui bien rare, avouons-le. En guise de dessert, vous pouvez avoir un avant-goût du film avec sa bande-annonce :

  • Darkness (2002)

    Un film de Jaume Balaguero

    4332475657_12a71ed87c_m.jpgShining reloaded

    Un couple et ses deux enfants, Paul et Regina, s’installent dans une vieille maison à la campagne. Le mari commence à avoir un comportement colérique, et c’est le début d’une longue descente aux enfers...

    Darkness a un scénario bien dégraissé ; son objet est, de même, aussi simple qu’insondable, la peur du noir. On se retrouve donc en quasi huis-clos dans cette maison à l’allure bien étrange, où les apparitions ne vont pas tarder à surgir. Car, à la différence de Shining (Stanley Kubrick, 1980), dont c’est le grand modèle, le film ne lésine pas sur la réalité du malaise procuré par la maison ; il se manifeste par des entités physiques dès le début du film. Le film joue donc sur l’explicite, mais avec un savoir-faire évident. De même, il investit le terrain ô combien classique des films de maison hantée, mais y apporte un tel soin que c'en est intimement flippant. Au rayon des ressemblances, autant hommage que pillage, voire remake, le mari a les mêmes expressions de folie que Jack Nicholson / Torrance, le petit garçon a une voix tout à fait similaire au Danny Lloyd de l’hôtel. La maison est évidemment une déclinaison de cet Overlook Hotel, partageant avec lui les mêmes teintes cendrées et les apparitions de sœurs jumelles en souffrance. Rien que le resserrement narratif à base de cartons indiquant les jours passant (Tuesday, premier choc temporel, dans Darkness comme dans Shining) en fait un véritable relecture contemporaine, avec en sus les tics de mise en scène de Balaguero. Un montage sensitif, la caméra bougeant au même rythme -infernal- que le cœur des personnages principaux, associé à des bruitages stridents dérangeants (comme des ongles qui grattent un tableau d’ardoise, ou bien encore des dents qui grincent, ça doit parler à tout le monde), une mise en scène qui se voit, à base de symétrie, de travellings proprets, de nombreux inserts, ... Puis, deuxième marque de fabrique de Balaguero, le caractère désespéré de ses scénarios, érigés en principe narratif. Aucune échappatoire n’est laissée, à personne. Que ce soit dans son premier La secte sans nom (1999), terrifiant, ce Darkness, à la fin tout aussi glaçante, bien que moins dérangeante, jusqu’à [Rec.] (2008), en passant par le téléfilm A louer (2006), le message est clair. Lorsque les portes du film se referment, elles retiennent en otage tous le monde, y compris les spectateurs, pris aux tripes par ces aventures qui voyagent jusqu’aux extrêmes de la peur. Il n’y a guère que dans Fragile, qui, malgré une fin triste, nous en laisse moins sur le cœur.

    L’autre versant vers lequel penche le film est l’horreur transalpine, tant l’intérieur de la maison, ainsi que l’appartement du grand-père, convoque le cinéma d’Argento et de Mario Bava. Des vitres aux couleurs franches et lumineuses, avec beaucoup de vert (couleur souvent associée à la peur et à la mort) et de rouge, mais aussi des jaunes et des bleus. On pourrait se croire dans le pensionnat de Suspiria (Dario Argento, 1977), ou dans Les trois visages de la peur (Mario Bava, 1966). Tous ces films ont aussi en commun la manipulation perverse du spectateur, qui s’embarque dans une histoire, prend quelques personnages pour repères, souvent ceux-là mêmes qui sont l’origine du mal. Là encore, on peut penser à Anthony Shaffer, un des premiers scénaristes à avoir essayer cela au cinéma, avec grande réussite (Le limier, de Mankiewicz, The Wicker Man de Robin Hardy ou Frenzy d’Alfred Hitchcock).

    Pour Balaguero, l’exploration de la peur sous toutes ses coutures, et l’obsession de remonter à la source de la peur, semble être la même fascination morbide qui animait Hitchcock et son éternel crime parfait. Et le cinéaste espagnol de répondre que c’est au sein du cercle où l’on est sensé être le plus en sécurité que peut jaillir le plus terrible des cauchemar. La peinture de ce cauchemar, dans le dernier quart du film, aura inspiré Christophe Gans pour son Silent Hill (2005), avec ses murs sanguinolents, représentation assez classique des feux éternels de l’enfer. Ceci dit, ici l’enfer est plus représenté par l’obscurité que par la chaleur rougeoyante des flammes. Sur ces impressions qui resteront encore longtemps après projection, je vous souhaite une bonne nuit ! (m’en vais me regarder un Tex Avery, moi... Brrrr !)