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Le film était presque parfait - Page 58

  • Shutter Island (2010)

    Un film de Martin Scorsese

    4953615798_8a76e632ea_m.jpgATTENTION ! L'ARTICLE REVELE DES CLES DE L'INTRIGUE

    Cette phrase, nous la croisons désormais régulièrement au fil des sites internet, et de la presse spécialisée. Elle est l'apanage de films qui tirent leur sens d'une révélation finale qui transforme toute la vision du film en son entier. Ainsi, pour décrypter le film, l'on se doit de parler de ces éléments qui ne sont pourtant connus qu'une fois le film découvert dans son entier, impliquant que les lecteurs de cette analyse auront déjà vu le film, les autres ne voulant pas gâcher le plaisir de visionnage ; plaisir qui passe avant tout par un effet de surprise, éventé ici.

    Shutter Island fait donc partie des films à twist, à l'instar du séminal Wicker Man (Robin Hardy, 1974, auquel le film fait irrémédiablement penser), de Usual Suspects (Bryan Singer, 1995), de Fight Club (David Fincher, 1999), et tant d'autres. Mais celui-ci (adapté du roman de Dennis Lehane, l'auteur de Mystic River) pousse le procédé, à notre avis, encore plus loin.

    En effet, la définition même de tous les personnages du film (et non pas uniquement du personnage principal, comme c'est souvent le cas) se trouve bouleversé par cette fameuse fin, qui nous joue de plus le coup de l'ambiguïté. L'édifice entier repose sur le retournement de situation, si bien qu'une deuxième vision (celle qui motive cette chronique) laisse découvrir un deuxième film caché (au grand jour) sous le premier, pour peu de ne pas avoir découvert le pot aux roses trop tôt. C'est, à notre avis, la réussite de Scorsese d'avoir réalisé deux films en un : les réactions des personnages, ainsi que les rapports de force qui les régissent, contiennent deux explications potentiellement crédibles ; pour autant, le film n'est pas vraisemblable, comme l'auront remarqué nombre de blogueurs et critiques, ce qui à leurs yeux sonne comme un lourd défaut ; mais ce monde d'Ashcliffe, cet asile d'aliénés que tente de rééduquer le docteur Cawley (Ben Kingley, magnétique) œuvre en tant que symbole, et monde intégralement mental. Ce n'est pas pour rien si le décorateur Dante Ferretti (collaborateur de Fellini, ayant aussi travaillé sur Le nom de la rose, 1986, ou Aviator, 2004) a pensé l'architecture de la forteresse comme un cerveau humain. Les méandres et dédales, et peut-être encore plus les espaces de plein air, sont menaçants, massifs, surplombant, englobant, avalant les protagonistes ; le phare symbolisant la possibilité d'échappatoire en même temps que la résolution des intrigues. Le décor est donc investi d'une puissance capitale , Scorsese essayant de marcher sur les platebandes de Shining (dont il emprunte, dès l'introduction, un passage de la douloureuse musique de Ligeti). Espace mental, dont toutes les apparitions ne sont pas à prendre au pied de la lettre.

    Au centre de cette confusion, Teddy Daniels (DiCaprio), Marshall chargé d'enquêter sur une disparition au sein de cet asile, situé sur une île. Le début du film est très étrange, débutant au milieu d'une scène, durant laquelle Daniels s'asperge le visage d'eau pour éviter de rendre son repas sur le ferry qui les mène à l'île. DiCaprio a la carrure d'un très grand, et ce n'est pas un hasard si Scorsese travaille avec lui depuis quatre films. Sa composition continuellement hantée, dont Inceptionnous donnera une suite, est terrible d'implication émotionnelle, et d'une grande justesse.

    Premier film de Scorsese empruntant à un genre périphérique (l'épouvante), il est peut-être le moins ambitieux, mais le plus réussi de ces dernières années pour le cinéaste. Ne se perdant pas dans une reconstitution fastueuse, le récit reste à hauteur d'homme et avance sûrement jusqu'à sa résolution inattendue. Libéré de thèmes qui lui sont trop proche, Scorsese fait de l'efficace, et sa descnete dans les ténèbres d'Ashcliffe est mémorable. D'épouvante, le film devient alors davantage étude psychologique, la fusion des deux opérant à merveille lors d'une nouvelle vision. C'est peut-être dans les scènes ouvertement cauchemardesques -les visions de Daniels- que la réussite est moins flagrante, trop posée, trop glacée et théâtrale. Shutter Island abat sa force brute sur le spectateur de la même façon, sûrement, que le roman de Lehane, dont la qualité de page-turner avait tant galvanisé Scorsese. Pour nous, tout simplement, une des tous meilleurs films de 2010.

  • Charlie et la chocolaterie (2005)

    Un film de Tim Burton

    4947101291_16666e6af7_m.jpgLe conte grinçant du réalisateur de Edward aux mains d'argent se situe dans son deuxième élan créatif ; après les cauchemars gothiques et les fables sociales enlevées, est apparu une accalmie, un certain conformisme, tant de surface (esthétique non pas formatée mais faisant partit intégrante d'une sorte de licence Tim Burton) que de fond -personnages plus politiquement correct, donc positifs au final). C'est en tous les cas ce que l'on pourrait voir.

    Charlie et la chocolaterie est l'adaptation du célèbre conte pour enfants de Roald Dahl, une histoire très drôle et très morale sur un petit garçon comme les autres, Charlie Bucket. Burton bifurque déjà de ce postulat, faisant de Willy Wonka, le chocolatier excentrique, son personnage principal, en même temps que Johnny Depp, véritable alter-ego de pellicule. Puis, la folie du personnage saute aux yeux dès les premiers instants de son apparition, où il assiste lui-même au spectacle mis au point pour annoncer son arrivée. Schizophrénie, pourrait-on diagnostiquer d'abord. Et, quand les poupées de chocolat brûlent sous le coup d'un court-jus, on se prend à penser que les enfants, pourtant invités par Wonka pour visiter sa gigantesque usine, ne sont pas forcément les bienvenus... La suite nous donnera raison, les différentes salles se succédant comme autant de disparitions d'enfants ; ces dernières ont l'air de réjouir Wonka, comme si l'objectif final était de faire un exemple en châtiant ses invités, totalement caricaturaux il est vrai. Le dingue de technologie, le goinfre, la droguée de la réussite, la petite pourrie gâtée par son père. Une illustration des péchés capitaux selon Roald Dahl, qui, malgré l'exagération, contient un fond de vérité, stigmatisant les travers de nos sociétés ; travers valorisés, qui plus est, pour certains.

    Le monde est fou, semble nous dire Wonka, et moi aussi, donc faisons la fête avant que tout cela finisse ; le personnage incarné par Johnny Depp (il s'est inspiré de Michael Jackson pour sa gestuelle et ses attitudes) est sûrement un malade mental, encore plus que le Chapelier (pourtant fou, c'est son titre) dans Alice au pays des merveilles. Le dérèglement des plus élémentaires règles de nos sociétés est une évidence, lorsque Wonka ne trouve plus la clé qui permettrait à l'un des parents d'aller chercher sa fille dans l'arène des écureuils, proie d'un sort peu enviable ; ou lorsque l'on aperçoit une vache, vivement fouettée, pour qu'elle donne directement de la crème fouettée ; et cette ligne de dialogue, assez géniale qui souligne le fil rouge du film, les dérives de la société de consommation : "tout est comestible ici ; même moi. Cela s'appelle du cannibalisme, mais ce n'est pas bien vu dans nos sociétés". Les passages musicaux, assez difficiles à imaginer dans ce cadre, passent aussi comme manifestation de la folie du personnage.

    Le film marque tout de même sa différence par rapport aux précédentes œuvres du cinéaste californien, en cela qu'il se réfère précisément à certains films connus de l'histoire du cinéma. Lui qui fonctionnait en univers fermé, son imaginaire étant clairement suffisant, a senti ici nécessaire d'insérer l'œuvre dans un continuité, assez bizarre ma foi. La balade au sein de l'usine foisonnante s'adjoint donc de références explicites à Psychose d'Hitchcock aux musicals de Busby Berkeley, et au 2001, l'odyssée de l'espace de Kubrick. Car selon Burton, les tablettes de chocolat Wonka lui ont tout de suite fait penser au monolithe noir du film spatial de Kubrick... Willy Wonka est clairement une émulation de Burton lui-même : la même folie les habite. Burton n'est donc pas mort, même si l'enfoncement de portes ouverts pendant tout le film, ainsi qu'un certain enfermement pas très agréable du au tour dans l'usine n'est pas fantastique. Comme Alice, sa version n'est pas déshonorante, mais ne comble définitivement pas toutes les attentes. Une sensation bizarre, comme un trop plein de méchanceté accompagné dans le fond par un sentimentalisme exacerbé (la maison des Buckett et l'ambiance dans la famille). Un peu entre deux chaises, Charlie... manque de cohésion ; le final cependant, montrant que la folie de Wonka a réussi (SPOILERS ! il enferme tout de même toute la famille au fin fond de son usine !FIN SPOILERS), remet les pendules à l'heure tout en acceptant la folie de l'un et l'attachement familial de l'autre.

  • Hommage à Satoshi Kon (1963-2010)

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    C’est quand même un monde. Depuis la création de ce blog en novembre 2008, j’avais défini certaines choses que je désirais y faire partager : des critiques de films, mais aussi des dossiers sur le cinéma, histoire de théoriser un peu, d’organiser des ponts entre les films, entre les gens, entre les thèmes, pour dessiner l’histoire du cinéma que j’aime. Puis, j’avais en tête des thèmes plus précis : un dossier sur Stanley Kubrick, délaissé il y a bien longtemps après la première partie : je m’y remettrais peut-être, bien que beaucoup de choses ont déjà été dites sur le plus grands parmi les grands…

    Et puis, j’avais en préparation en dossier sur Satoshi Kon, le réalisateur japonais à l’origine de Perfect Blue. J’en parlais dans cette note récapitulative, il y a quelques mois. J’attendais le bon moment, désireux de me replonger dans une filmographie exemplaire, toute entière centrée sur le flou entre rêve et réalité, où les personnages semblent constamment perdus entre un monde onirique et une réalité brutale. J'étais en train de découvrir sa série d'animation Paranoïa Agent, dont les premiers épisodes sont tout bonnement hallucinant... Et puis vlan, patatras : j’apprend avec grande tristesse que non, il n’y aura plus de nouveau film de Satoshi Kon. Comme beaucoup, c’est un cancer qui l’emporte à l’âge de 46 ans… Il avait d’autres visions à proposer, c’est une évidence. Il s’était visiblement attaché, pour son dernier projet non-abouti, à parler à une génération plus jeune que ces précédents travaux : pourquoi pas, j’attendais son nouveau travail avec impatience, plus que celui d’un Mamoru Oshii.

    Perfect Blue (1997) m’avait épaté, Paprika (2006) m’a littéralement cloué au siège ; Tokyo Godfathers (2003) est d’une beauté sentimentale et sociale à tomber, de même que Millenium Actress (2002), pourtant inédit en salles ; tout comme l’omnibus Memories (1995), dont il a scénarisé le meilleur segment : La rose magnétique, hommage au 2001 de Kubrick… Voilà, c’est ainsi. On pourra toujours revoir ces quelques films (et relire ses mangas qui sortiront peut-être en France ?) qui, je pense, prendront beaucoup de valeur avec le temps. Un temps qui ne semblait pas presser Satoshi Kon, lui qui peaufinait encore et encore ses storyboards, causant l’ire de ses producteurs. Ce temps qui a finit par le rattraper, bien plus tôt que d’autres ; faîtes de beaux rêves, M. Satoshi Kon… Il est temps de proposer ce travail sur son oeuvre : à suivre en septembre.

  • Ciné d'Asie : L'île de la bête (1978)

    Un film de Chu Yuan

    4925278619_e2b1bcbb7e_m.jpgPour qui connaît la sensibilité hors normes de Chu Yuan au sein de la Shaw Brothers, L’île de la bête recèle des mêmes qualités, et d’autres peu vues chez le cinéaste. Depuis La guerre des clans (1976), premier film du cycle Gu Long -romancier à succès oeuvrant dans le genre aventures / fantasy / arts martiaux-, on a découvert le style inimitable de Chu Yuan : esthétisme poussé à son paroxysme, intrigues à tiroirs, bref une sorte de rêve éveillé qui frappe à chaque fois par son empreinte visuelle.

    Et c’est tout cela que l’on retrouve dans L’île de la bête, agrémenté d’un agréable parfum de surnaturel. En effet, une petite troupe se dirige vers la mystérieuse île, tous ayant de très bonnes raisons de faire le périple annoncé : retrouver un père disparu, oublier un passé de violences, ou accepter une mission pour sauver une jeune fille : c’est le choix qu’a fait Chu Liu-hsiang (Ti Lung), héros proclamé du film mais qui, finalement, se retrouve intégré dans une dynamique de groupe assez inhabituelle ; les films de la Shaw mettant souvent en scène des guerriers solitaires dont les alliances ne dépassent pas une ou deux personnes. Maître des arts martiaux, il aura fort à faire avec les différentes épreuves qui l’attende sur l’île.

    Le film est conçu comme une succession de pièges, de trahisons, de découvertes, bref lorgne vers le pur film d’aventures en mettant de côté l’aspect purement martial (une constante chez Chu Yuan, de toute façon plus intéressé par une dimension plus universelle donnée à ses intrigues). Voir le voyage en bateau qui permet d’accéder à l’île, permettant de faire connaissance avec les personnages et définir les rapports de force entre eux. Le groupe, composé de personnalités bien distinctes, est bien caractérisé et l’attachement aux personnages est réel ; malgré les différentes couches d’intrigues, elles sont ici quelque peu simplifiées dans un souci de clarté narrative qui donne un ton étonnant au film, le rapprochant d’un film américain d’aventures de groupe. Les passages dans la grotte de glace notamment, avec la notion de progressions obligatoire et de sacrifices, sont très réussis d’un point de vue narratifs et dotés d’un cachet visuel typique. Eclairages presque fluo, sources de lumière irréelles, on nage en plein délire (contrôlé), pour une très bonne surprise à l’arrivée.

    Unique par son côté fantasy, le film offre un moment soigné, dépaysant et un peu fou, dévoilant aussi son tribut au cinéma américain. S’il n’est pas le meilleur de son auteur (on ira chercher pour cela vers Intimate Confessions of a Chinese Courtesan, Le sabre infernal ou Le poignard volant, qui offrent d’ailleurs des formes plus classiques du cinéma de cape et d’épées chinois, le wu-xia pian.

  • Adieu ma jolie (1975)

    Un film de Dick Richards

    4901366123_dc038c1c34_m.jpgLa décennie 70’s est celle d’un renouveau du film noir souvent inspiré (Chinatown, Le privé). Au modernisme du film d’Altman, Adieu ma jolie version Richards oppose un classicisme affirmé : retour au film d’époque dépeignant avec force détails le Los Angeles des années 40 ; l’inusable détective Philip Marlowe, interprété par la dégaine un brin fatiguée de Robert Mitchum, semblant sortir lui aussi d’un passé lointain, l’acteur étant symbole d’une certain cinéma de l’âge d’or d’Hollywood, celui-là même du film noir. La même année que le bon Yakuza, lui aussi relecture du genre croisé avec celui des mafias japonaises, il traîne ses guêtres vieillissantes d’affaires en affaires n’ayant de prime abord aucun rapport évident entre elles. Un ancien bandit vient lui demander son aide pour retrouver sa blonde ; (trop) rapidement expédiée, l’affaire l’éclaboussera quelques temps plus tard. Cet enchevêtrement d’intrigues, entraînant le personnage dans un parcours labyrinthique où il doit se perdre lui-même, pour espérer résoudre l’énigme, s’inspire de la structure même des romans noirs de Hammett et consorts (Raymond Chandler, pour le coup), assemblages finement bricolé de trames narratives précédemment utilisées sous forme de nouvelles, publiées dans les pulp magazines.

    Malgré la prestance toujours intacte de Mitchum, parfait dans le rôle (il réitérera son interprétation du détective Philip Marlowe dans une version du Grand Sommeil en 1978), le film peine à intéresser, faute de personnages bien exploités. L’image, comme le moral du privé, est terne ; cauchemar fiévreux d’où émerge cependant une poignée d’images lumineuse, comme l’entrée en scène de Charlotte Rampling, hommage à Assurance sur la mort (Billy Wilder, 1944). Mais rien n’empêchera la narration de l’amener mollement vers un twist final que le spectateur aura deviné depuis longtemps. Peu de sentiments sorte le film de l’apathie générale qui le guette rapidement, même si l’ensemble n’est pas uniformément plat : voir la séquence où l’on voit Marlowe se faire littéralement tabasser par une matronne de bordel, puis répliquer par une beigne aux effets sanguinolents et comiques à souhaits.

    Si le film se détache donc ouvertement des préoccupations du moment, ses choix scénaristiques le ramène à une époque sombre de l’histoire, semblable sur certains points à l’atmosphère pesante des années 70 dont nous vivons le revival dans les années 2010. La mention de la seconde guerre mondiale laisse planer une ombre persistante sur les personnages, d’ailleurs dans la pénombre tout du long. On remarque aussi le McGuffin des victoires de Joe DiMaggio qui, après un espoir, se soldera par un échec : un film dépressif, comme enfermé dans son monde artificiellement recréé.