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super-héros - Page 3

  • Batman : Year One (2011)

    Un film de Sam Liu & Lauren Montgomery

    8192088883_7a375a2082_m.jpgLes films animés de DC Comics n'étaient pas, avant le milieu des années 2000, adaptés littéralement de récits pré-existants. Ainsi, les excellents Batman contre le fantôme masqué ou encore Batman beyond : le retour du Joker sont des créations originales piochant dans la mythologie du justicier masqué. Avec la naissance de la collection DC Universe Animated Original Movies en juillet 2006, l'objectif est de transposer, sous formes de films d'animation destinés au marché de la vidéo, les comics qui ont fait l'histoire de la maison d'édition. Il s'agit d'une initiative conjointe de DC, Warner Bros. et Bruce Timm entre autres, à qui l'on doit l'inestimable Batman : la série animée. Sont ainsi portés à l'écran Superman : Doomsday d'après l'arc La mort de Superman, Justice League : New Frontier d'après la BD de Darwyn Cooke, deux titres qui remportent un vif succès. Les films s'enchaînent rapidement, montrant souvent une adaptation fidèle du matériau d'origine, notamment le très bon Batman et Red Hood : sous le masque rouge (Brandon Vietti, 2010). Batman : Year One calque donc sa trame sur le récit de Frank Miller (au scénario) et David Mazzucchelli (au dessin). Un retour aux origines permettant de voir les débuts d'un fringant Bruce Wayne de 25 ans, combattant le crime dans une Gotham City dominée par la mafia et les flics ripoux. Son apprentissage se déroule en parallèle de la trajectoire du lieutenant James Gordon, débarquant aussi fraîchement à Gotham. La BD fut créé après le coup d'éclat de Frank Miller en 1985, The Dark Knight Returns (ressorti ces jours-ci chez Urban Comics avec le film d'animation adaptant la première partir de l'histoire, chronique à venir sur le blog). 

    Le film d'animation réalisé par Lauren Montgomery et Sam Liu (habitués de l'univers DC, ils ont aussi réalisé conjointement Justice League : Crisis on Two Earths) suit très, très fidèlement le cours du comic, au point que l'on peut pratiquement isoler chaque cadrage pour retrouver son équivalent dans la BD. La plupart des répliques sont également reprises à l'identique ; les connaisseurs retrouveront très exactement les scènes qu'ils ont observées dans les pages du comics, que ce soit l'arrivée de Bruce Wayne et Gordon à Gotham, la rencontre entre Gordon et Flass à la gare, la première sortie du justicier, ou encore la très belle scène fondatrice de "la clochette", qui détermine la future apparence du héros. Sur une durée ramassée de 65 minutes (assez standard pou les animés DC), quelques rares scènes sautent, comme celle où Wayne se repose en Suisse ; seule une photo examinée par Gordon dévoile ce détail.

    Rappelons ici que le film, comme la BD, commencent en janvier et se terminent en janvier, décrivant une année entière dans la vie des protagonistes, comme le promet le titre. La ponctuation narrative de la BD, incluant au fil des pages les "cartons" des dates, se retrouvent dans le film ; et, si elles étaient pertinentes dans le comic, offrant une scansion intéressante, impulsant un rythme et une justification aux ellipses, elles bousculent un peu le récit dans le film, apparaissant parfois à des intervalles très rapprochées. Le décalque du comic trouve ici ses limites.

    Mazzucchelli avait pris le jeune Gregory Peck comme modèle pour Bruce Wayne ; on ne le retrouve que peu dans l'apparence du millionnaire justicier du film. Ceci étant dit, la réalisation, si elle est classique, affiche un character design très élégant, dans la lignée de la série de Bruce Timm et Paul Dini. Les quelques éléments créés en images de synthèse -les véhicules la plupart du temps- s'intègrent assez bien à l'ensemble. Si les plans sont la plupart du temps statiques, ils savent se démener lors des quelques séquences d'action (Batman au rez de chaussée d'un immeuble en flammes, aux prises avec un groupe d'intervention armé), épaulée par la musique de Christopher Drake, toujours très inspirée par celle de Hans Zimmer sur la trilogie Nolan. Les similitudes sont de même évidentes avec Batman Begins, qui est inspiré en grande partie de Batman : Year One.

    Bien que les connaisseurs n'auront pas une once de surprise, par rapport à certains films de la collection (on pense à Justice League : Echec), Batman : Year One "fait le job", et s'en acquitte de belle manière, surtout pour sa fabuleuse esthétique ; le film respecte aussi la charge violence, assez intense pour un animé, de la BD. Cependant, pour conserver toute la force du récit, (re)lisez plutôt l'excellent comic.

    Pour plus d'infos, n'hésitez pas à vous rendre sur le bon site La tour des héros !

  • Batman & Robin (1997)

    Un film de Joel Schumacher

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    Le premier Batman, à grand renfort de publicité et de merchandising, avait donné au studio un été 1989 enchanteur ; il fallait que cela continue. Après que le pourtant sublime Batman Returns de Tim Burton a fortement déplu au studio Warner, les producteurs ne veulent ni continuer dans la voie sombre, poétique et ambiguë tracée par le réalisateur californien, ni renoncer à leur juteuse franchise. Joel Schumacher entre alors en scène pour réaliser l'exact opposé de la version burtonnienne du chevalier noir. A l'atmosphère sombre et aux intrigues glauques, issues d'abord du film noir (Batman, 1989) puis du fantastique gothique (Batman, le défi, 1992), Schumacher répond par un cadre constamment éclairé et coloré de la plus outrancière des façons : Gotham n'est que néons, les personnages se font plus caricaturaux et les ressorts comiques reviennent en force, voulant rappeler la série loufoque des 60's. Ce qui commence avec Batman Forever évolue jusqu'à l'extrême dans le quatrième volet, Batman et Robin, qui s'enterre dans une dégénérescence de la punchline.

    La punchline est une phrase utilisée pour son impact immédiat et mémorable. Elle dénote souvent une dose d'humour et synthétise en peu de mots une position bien tranchée. Elle se généralise dans les buddy-movies des années 80 (la décennie de L'Arme fatale), même si on peut noter plus tôt son explosion remarquée dans le Dirty Harry (1971) de Don Siegel, lorsque Harry nous balance un "Go ahead, make my day !", ou encore la tirade qui se conclue par un cinglant "Do you feel lucky, punk ?".

    Avec le Batman de Schumacher, la punchline se généralise, jusqu'à vampiriser la quasi-totalité des dialogues, aux doubles-sens parfois sympathiques. Batman Forever et ses face-à-face Batman / Chase Meridian sont éloquents : "Le Bat-signal n'est pas un beeper", "Essayez un pompier, ça se déshabille plus vite", voilà qui permet d'apprécier le niveau stratosphérique du troisième opus. Mais c'est sans compter la récidive du quatrième, où la systématisation du procédé aboutit à un anéantissement pur et simple de toute dramaturgie. Il ne s'agit plus de dialogues, mais de phrases quasiment dénuées de progression narrative, balancées au gré du vent. Schumacher est dès lors très fort : d'une richesse apparente (exploitation d'un des super-héros les plus cinégéniques, le plus important budget de la franchise jusqu'alors, 125 millions de dollars, plusieurs personnages au potentiel intéressant), le film est finalement d'une rare pauvreté. "Salut Freeze, je suis Batman", "Freezy, je suis en chaleur", bref, on assiste à une enfilade de jeux de mot ridicules (et parfois incompréhensibles) sans aucun impact. Pis, la mise en scène programmatique de Schumacher fait se répéter des séquences déjà pas folichonnes à leur première occurrence : l'habillage des héros (allusions gays appuyées qui ont valu au film sa réputation), les cadrages obliques zoomés option "migraine oblige", moult champs/contre-champs d'une platitude consternante, d'autres plans généraux virevoltant dans un océan fluorescent... Certes, tout cela est voulu ; mais il n'en ressort qu'une bêtise bien plus grande que le pastiche léger que semble vouloir mettre en place Schumacher.

    Le production design (décors et costumes) est totalement délirant, soit ; mais il est aussi d'un rare mauvais goût. Les costumes des héros ont des tétons moulés, Bane n'est qu'une marionnette déguisée en baudruche géante... Du coup, la demeure de Bruce Wayne / Batman, assez classique, ne paraît pas appartenir au même monde (de plus, le manoir est à chaque fois montré de jour, alors que le centre de Gotham est constamment plongé dans la nuit... dont les jeux de lumière font terriblement penser à un boîte de nuit). Les vêtements de Bruce Wayne sont hors-sujet, tellement il a l'air de se promener en peignoir pendant tout le film ; son masque de Batman n'est même pas taillé correctement ! La plus grosse erreur, cependant, est d'avoir confié le rôle-titre à un George Clooney qui s'en balance ostensiblement : tête basse, mains continuellement jointes dans le dos, on dirait un gardien de nuit qui fait sa tournée. La façon théâtrale avec laquelle il débite ses lignes se voudrait sans doute drôle ; les doubleurs français l'ont d'ailleurs compris, donnant au film entier des allures de parodie.

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    Bonjour, je m'appelle Batman, mais de toute évidence 
    ce masque a été fait pour quelqu'un d'autre !

    Pour peu qu'il soit question de scénario dans Batman et Robin, celui qui nous est servi est complètement étranger à la mythologie créée par Bob Kane, Bill Finger et DC Comics au fil des années : ainsi Bruce Wayne et Dick Grayson passent leur temps à se disputer les faveurs d'une Poison Ivy qui les a envoûtés. D'une, Batman, qu'on surnomme parfois le Détective, prend bien trop de temps à s'apercevoir de l'entourloupe ; ensuite, les origines de Bane sont totalement remaniées, anéantissant son danger potentiel ; et que dire de l'introduction de Barbara Wilson / Batgirl (qui n'est plus la nièce du Commissaire Gordon), nursant un Alfred aux portes du trépas ? Le film n'aura finalement servi qu'à Uma Thurman, qui recycle son personnage de Poison Ivy dans les publicités d'une marque de soda bien connue... 

    Atteignant dès son entrée les sommets du n'importe quoi (une sorte de gala Holiday on ice en plastoc), Batman et Robin est tombé au plus bas. Rater un personnage de façon aussi définitive restera, finalement, le grand exploit de Schumacher sur la franchise. C'est simple : personne n'y est arrivé mieux que lui, sur toutes les déclinaisons du super-héros, que ce soit à l'échelle cinématographique, télévisée, animée : une certaine forme d'achèvement, en fait.

    Source images : blu-ray Warner Bros.

  • Avengers (2012)

    Un film de Joss Whedon

    7906241746_d43234fa27_m.jpgLe cinéma américain nous offre depuis une dizaine d'années notre dose de super-héros, devenus désormais incontournables sur le médium. Cependant, la démarche initiée par Marvel depuis Iron Man (Jon Favreau, 2008) est inédite : introduire les personnages marquants de son univers, puis en offrir la synthèse par leur regroupement dans un seul film : ainsi aboutira le projet Avengers. De la même façon, dans la réalité des films, Nick Fury (Samuel L. Jackson) compose "the Avengers Initiative", recrutant à chaque nouveau film le personnage principal. Captain America, Hulk, Thor et Iron Man ont tenu le haut de l'affiche, avec des fortunes diverses : si Iron Man proposait un personnage rock n' roll, cynique, un orgueilleux magnifique, les autres ne sont pas logés à la même enseigne. Si Captain America est à peu près épargné grâce au décalage propre au film d'époque -sans transcender un schéma très routinier-, L'Incroyable Hulk (Louis Leterrier, 2008) est un actioner comme les autres, Thor (Kenneth Branagh, 2011) se noie dans un ridicule assumé, sans parler d'un Iron Man 2 (Jon Favreau, 2010) souffrant quant à lui d'un contre-performance d'anthologie. Bref, le super-héros boit la tasse. Compte tenu de ce passif très moyen, que pouvait-on espérer de ces Avengers enfin réunis ?

    Comprenons-nous bien, j'abordai la vision du film avec bonheur : d'abord assez indifférent au projet malgré mon grand intérêt pour le genre, l'emballement public m'avait convaincu. Or, si Avengers reste dans la norme Marvel, point d'étincelles à l'horizon : il ne détrônera pas Iron Man, premier du nom.

    Empruntant à plusieurs films pré-existant sa matière scénaristique, le début peut ainsi désarçonner pour qui n'a pas suivi les dernières péripéties des héros Marvel : la place prépondérante du Tesseract, le cube cosmique vu dans Thor, puis Captain America, est symptomatique du récit "sériel" que tente de filer Marvel. 

    Avengers subit également la dynamique du "bigger, faster, louder" dont est coutumière l'industrie hollywoodienne. Ainsi, la séquence d'ouverture, se clôturant par un explosion dantesque, pourrait très bien s'insérer comme climax final d'un autre film. Après cette détonante scène d'intro qui nous prend un peu de court, le film continue d'enchaîner les scènes d'action en laissant peu de chance aux personnages d'exister, en particulier Thor (dont l'entrée en scène arrive comme un cheveu sur la soupe), et même le Cap, souvent réduit à une caricature par les piques -très drôles- de Tony Stark. Dommage, car l'interprétation excellente de Mark Rufallo (Bruce Banner / Hulk) méritait d'être plus développée. Petite incompréhension au passage : comment Hulk, dont le comportement incontrôlable est bien démontré lors de sa première transformation, devient policé en ne prenant pour cible que les adversaires des Avengers, sauvant même Iron Man ? Le contrôle de la personnalité montrueuse de Banner, justifié par un "Je suis toujours en colère", n'est pas non plus très clair... Est-t-il toujours lui-même alors qu'il est Hulk ? Les auteurs du comic-book ont depuis toujours tranché pour l'autre option, allant même jusqu'à faire aujourd'hui du docteur Banner et de Hulk deux personnes distinctes ! 

    Un peu comme Thor (et ses références à la pop-culture un peu dépassées, remember Xéna), Avengers essaye de trouver un ton décalé, en insérant dans des séquences relativement sérieuses des appartés totalement farfelues, à l'instar de cet informaticien qui, une fois le grand speech de Fury passé, jette un œil autour de lui et se met à jouer à Space Invaders... Clin d’œil geek tellement décalé qui ne marche pas vraiment, nous sortant de l'univers du film, au contraire des surnoms donnés par Stark, assimilant Thor au Patrick Swayze de Point Break, et surtout Oeil de Faucon (Jeremy Renner) à Legolas du Seigneur des Anneaux, réflexion que le spectateur se fait dès qu'il voit le personnage décocher ses flèches. Au final, le film manque de respirations, et aussi d'une musique à la hauteur. Alan Silvestri, si inspiré par le passé, ne propose ici qu'une partition déjà entendue, mêlant une orchestration à la Danny Elfman pour Spider-Man (par exemple dans Assemble : percussions métalliques, envolées de violons). A part ses bonnes saillies, rien de neuf à l'horizon, donc, pour cet Avengers pas déhonorant, mais bien peu enthousiasmant : la synergie annoncée n'a pas eu lieu.

  • Un film, une séquence (2/2) : Superman, le film (1978)

    Suite de la première partie de l'analyse de séquence consacrée à Superman, le film.

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    Un être hors du commun

    La séquence permet en outre de caractériser le personnage de Superman de façon extrêmement précise : outre ses différents pouvoirs (vision aux rayons X, force et résistance surhumaine, pouvoir de voler), elle nous expose clairement le concept du personnage : "Je combats pour la vérité, la justice et l'idéal américain" ; positionnement qui, s'il est objectivement louable, n'en est pas moins très naïf ; Donner désamorce alors immédiatement cette réaction attendue du public par la réplique de Loïs, qui lui rit au nez en lui assénant "Vous allez devoir combattre tous les élus du pays", parant la naïveté christique du personnage par l'ironie de Loïs. Peu après, Superman énoncera une autre part de sa personnalité : "Je ne mens jamais". Ces idéaux inaltérables, paraissant soit dépassés, soit inabordables pour le commun des mortels, font de Kal-El un être hors du commun s'élevant déjà plus haut qu'un homme ordinaire ; allié aux pouvoirs de l'extra-terrestre, cela fait de lui un dieu, une analogie qui parcourt tout le film.

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    Après ces préliminaires, l'homme d'acier prend les choses en mains : il invite Loïs à (sortir) voler en sa compagnie, en convoquant encore une fois un prétexte : calculer sa vitesse. A l'inverse de Clark Kent, tout en timidité maladive, Superman prend l'initiative et emmène Loïs faire un tour dans le ciel. Après un survol des buildings, ils passent non loin de la statue de la Liberté, érigeant matériellement un des idéaux ardemment défendus par le Kryptonien. Dans un deuxième mouvement de ballade en vol, Loïs pense ; et nous l'entendons. Sa question, c'est Est-ce que Superman l'entend, lui ? A-t-il aussi ce pouvoir ? Si la réponse apparaît négative, les pensées de Loïs n'en sont pas moins évidente quand au désir qui l'étreint. "Sais-tu ce que tu éveilles en moi ? Peux-tu voir les images qui m'assaillent ?". Ce vol planant avec un dieu lui donne des ailes, littéralement : grâce aux pouvoirs de Superman, elle a également la sensation de voler, une métaphore classique mais très poétique (tout comme ses pensées, déclamées en vers, avec la répétition langoureuse "Do you read my mind ?") du sentiment amoureux. 

    Ce vol peut, au final, être interprété comme métaphore d'une folle nuit d'amour, ce que Loïs fera dire à son article en termes tout sauf ambiguës : la titre du Daily Planet du lendemain est "Ma nuit avec Superman" !

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    Une fois revenue les pieds sur Terre -le chronométrage totalement oublié-, elle lui donnera son nom, après s'être exclamé "What a super man!", répondant en écho à la demande de Perry White de trouver un nom à ce nouveau justicier. La séquence, tout en donnant des informations capitales sur le personnage pour le reste du film, est une ballade romantique et coquine extraordinairement écrite. L'épilogue, particulièrement savoureux, voit Clark sonner à la porte de Loïs, puis lui disant : "Vous vous rappelez ? Nous avions rendez-vous", confortant l'idée que c'est bien lui qui a fait la proposition à Loïs. Content de la voir désorientée, il serait prêt à lui révéler son identité secrète, pourtant formellement interdit par son père. 

    La conception du personnage de Clark Kent / Superman est telle dans ce premier film que Clark Kent est le déguisement de Kal-El, et Superman sa véritable personnalité. Pour faire Kent, il se tient voûté, prend une voix hésitante, un ton haut placé et multiplie les tics de stress (le doigt qui remonte constamment ses lunettes) ; en outre, ses cheveux sont tellement gominés qu'on dirait une perruque ; un vrai déguisement. Son air livide est certainement du à un fond de teint blanc, alors que Superman a le teint hâlé.

    Donner montre alors le personnage de Kal-El sous un jour très humain, cédant facilement à ses sentiments. S'il ne désobéit finalement pas dans l'instant  à ce commandement (ce sera pour le deuxième épisode), il va influer sur le cours de l’existence des humains alors que, de la même façon, son père lui avait interdit. Et, à chaque fois, le moteur de ses intervention sera Loïs... Superman, un justicier par amour ?

  • Un film, une séquence (1/2) : Superman, le film (1978)

    Le premier rendez-vous de Superman

    "Do you like pink ?"
    Loïs Lane à Superman 

    7840419906_4e1089471b_m.jpgSuperman, le film, réalisé par Richard Donner (La malédiction, 1976, Les Goonies, 1986) est fondateur de l'imagerie des super-héros au cinéma, tout autant de leur psychologie. C'est ce second aspect qui est privilégié dans la séquence du jour, habilement amené par un subtil dialogue entre l'homme d'acier (Christopher Reeve) et Loïs Lane (Margot Kidder) lors de leur premier rendez-vous. En amorce de la séquence, Lane, au Daily Planet, reçoit un message : "Rendez-vous chez vous, à 8h - un ami". Le spectateur, comme Loïs Lane, pense que cet ami est l'homme de Krypton, qui s'est désigné sous ce nom lors de sa première apparition publique. On verra plus tard que c'est en fait Clark Kent qui lui a adressé ce message, réaffirmant du même coup, que Kent et Kal-El ne sont que les deux faces d'une même pièce. La scène du rendez-vous nocturne de Kal-El et Loïs Lane est d'une importance capitale dans le film, montrant l'attirance réciproque des deux personnages, établissant la thématique de la dualité, présentant les pouvoirs principaux de l'homme d'acier, le tout traité sous la forme parfaite d'une rencontre romantique aux dialogues à double-sens particulièrement savoureux.

    Prétexte et double-sens

    Le mot introductif présente la scène comme un rendez-vous galant, ce que l'attitude de Loïs atteste dès le premier plan : elle attends avec une certaine impatience (il est déjà 8h05!) la venue de celui qui l'a tellement impressionnée la nuit précédente -il l'az sauvée d'une mort certaine-. Empiétant sur l'image de Loïs, retentit une sonnerie (c'est le téléphone du bureau de Perry White, rédacteur en chef du Daily Planet qu'on a vu lors de la précédente séquence), indiquant en filigrane l'attente insoutenable, le stress généré par ce premier rendez-vous avec le surhomme : l'heure a sonné ! Les yeux de Loïs, déjà embrumés avant même l'arrivée du futur Superman, en dit déjà beaucoup ; sa robe de soirée ensuite, presque autant que le cri de surprise à sa venue, sorti de la gorge de Loïs comme un cri de jouissance extatique, donne le ton. Kal-El, arrivant en volant sur son balcon, feint d'abord l'arrivée par à l'improviste, "Vous aviez quelque chose de prévu ? Je peux revenir plus tard...", puis utilise un prétexte pour justifier sa venue : "Désolé de vous déranger, mais on doit se poser beaucoup de questions à mon sujet." Comme tout être humain, il use de ficelles connues pour justifier sa venue, ficelles qu'il aura apprises avec les cristaux transmis par son père, ceux-là même qui contiennent toute la connaissance du monde. Bref, il ne s'agit donc pas officiellement d'un rendez-vous, mais d'une interview ! Et nous allons avoir une démonstration éclatante du professionnalisme de Loïs Lane dans cet exercice. Alors qu'ils s'assoient pour commencer, l'homme d'acier recule galamment la chaise de Loïs pour lui permettre de prendre place plus confortablement. Les deux personnages ne font déjà plus mystère du fait que, sous la version officielle de l'interview, se cache en réalité un rendez-vous tout ce qu'il y a de plus concret.

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    La séquence offre dès lors un jeu jouissif entre l'interview, et le professionnalisme de la retranscription des faits qu'il requiert, et la décontraction ("C'est sympa chez vous", glisse Superman), la légèreté romantique de la découverte mutuelle des deux personnages. Ainsi, Loïs débute l'entretien en remplissant la fiche d'identité de Kal-El ; lui demandant s'il est marié, a une petite amie, des "informations vitales", on en est conscient, pour tout lecteur lambda du Daily Planet ! Les réponses de l'homme d'acier ne sont pas exemptes de sous-entendus : alors que Loïs le questionne sur son âge, il réponds "plus que 21 ans", soit l'âge de la majorité aux Etats-Unis, où un individu est responsable de ses actes et libre de tout faire, y compris entretenir une relations intime avec une autre personne consentante. L'intervieweuse continue dans la voie d'une grivoiserie insoupçonnée en osant un "How big are you" (question pouvant tout à fait se rapporter à la taille du membre viril de son super-homme), qu'elle ravale comme un lapsus en rectifiant par un plus sage "How tall are you", quelle taille faites-vous). Les réponses du surhomme, annonçant des proportions tout bonnement épiques, n'ont de cesse de titiller la curiosité de la dame vers une investigation plus poussée, qui lui fera notamment dire "J'imagine donc que le reste de vos fonctions corporelles sont normales... en termes plus délicats... Est-ce vous... -puis s'arrêtant devant une proposition trop osée- mangez ?". La compatibilité sexuelle des deux tourtereaux semble acquise, et leur désirs concordant, dans une joute verbale qui a des airs de danse pré-nuptiale.

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    Le jeu continue, suivant le fil des questions (impertinentes) de Miss Lane. Ainsi, pour avoir la preuve que notre homme en bleu et rouge voit à travers n'importe quelle élément physique, elle lui demande simplement de décrire la couleur de ses sous-vêtements ! La séquence s'équilibre donc constamment entre la description des pouvoirs du surhomme -ici, on apprend que seul le plomb peut brouiller sa super-vision, Loïs se tenant à cet instant devant un pot de fleurs constitué du fameux métal-, et la romance naissante entre les deux personnages, parfaitement synthétisées par un dialogue digne des meilleures comédie à l'américaine de l'âge d'or. La mise en scène laisse s'exprimer en gros plans les deux acteurs, dont les expressions pleines d'espièglerie enfantine, et de gêne devant la découverte de leurs sentiments ne font aucun mystère de leurs intentions respectives. Les arrières-plans, uniquement composés de transparences ne cachant rien de leur artificialité, confèrent à la scène des allures de rêveries, encore renforcées dans la partie du vol, et par la photo volontairement floutée de Geoffrey Unsworth qui nimbe tout le film. En point d'orgue de cette fabuleuse entrevue pleine de sous-entendus, Lane lancera, au beau milieu d'un épellation du mot Krypton, un simple "Do you like pink ?" - la couleur de ses sous-vêtements, donc-, qui contient  toutes les autres questions importantes qu'on se pose lors d'une rencontre.

    La suite