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Dossiers - Page 15

  • Le Chien des Baskerville (2/2) : du livre... au(x) film(s)

    4494337552_457314d50f_m.jpgSuite de la première partie consacré à l'adaptation du roman de Conan Doyle.

    Le Holmes de Basil Rathbone est très fidèle, dans ses lignes de dialogues comme dans son attitude générale, au génial détective des récits de Conan Doyle. Précis, affûté, il n’en oublie pas moins d’agir en être humain. Cette caractéristique est prise en défaut chez Terence Fisher, où l’inusable Peter Cushing offre son visage à Holmes. Plus dur, plus sec, il met une distance constante entre lui et les personnes qui l’entoure. De même, la relation qu’il entretient avec Watson est bien moins chaleureuse, moins maître/élève et plus maître/domestique.

    Ainsi, la séquence initiale dans laquelle Holmes se sert de la canne pour faire passer un test de déduction à Watson est tout à la gloire de Holmes, qui devine tout en un clin d’œil, alors que la version de 1939 retranscrit ce passage quasiment mot à mot dans le texte. Les retrouvailles de Watson et Holmes, en mileu de film, seront là aussi empreinte d’une certaine dureté (Holmes reprochant tout de suite à son compagnon de ne pas être auprès de Sir Henry pour veiller sur lui), alors que dans la version de 1939, Holmes montre sa joie de retrouver son ami, par un échange de questions / réponses drôle et raccord avec le personnage, même si le dialogue ne pré-existe pas au film. Holmes n’apparaît pas déguisé dans cette séquence, alors que c’est bien le cas dans le livre et donne lieu à une méprise de plus. Fisher  apporte sa contribution à l’histoire, en multipliant les quiproquos, les méprises entre personnages, dont le roman fait déjà état à trois reprises ; mais son scénariste va se permettre d’en rajouter. D’abord la fille Stapleton qui interpelle Watson sur la lande en croyant parler à Sir Baskerville, puis la découverte d’un corps sans vie, identifié une première fois sur la foi de ses vêtements, puis une seconde : ce n’est pas celui qu’on croyait ! De même, la figure longiligne qui arpente les flancs de la lande ne sera pas une tête inconnue... Ensuite, de façon inédite, c’est Sir Henry Baskerville qui va prendre Holmes et Watson pour les responsables de l’hôtel où il est descendu, puis plus tard Frankland qui croit que Holmes est là pour réparer son télescope ; un jeu de dupes où tout le monde n’est pas celui que l’on croit... Grâce à ces changements, le scénariste accentue les faux-semblants et le trouble qui règne quant la résolution de l’affaire.

    Si l’on ne s’étonne pas de voir certaines péripéties supprimées par des contraintes budgétaires et de temps de projection (dans les deux films, Laura Lyons, fille du vieux Frankland et maîtresse de Stapleton, disparaît totalement, ainsi que le commissaire Lestrade, qui vient en aide au duo dans la dernière partie du livre), l’ajout d’aspects tout à fait étrangers au livre sont déconcertants : dans le premier film, on note l’apparition d’un nouveau personnage, la femme du docteur Mortimer, médium aux yeux écarquillés et menaçants, qui va nous offrir une séance de spiritisme. Le film montre quand même par ce biais l’ambiance fantastique du récit, et confronte l’idéologie scientifique à celle des croyances occultes de façon encore plus physique que dans le livre. Cependant, ce personnage s’ajoute à la liste déjà longue des mines patibulaires du film (le couple Barrymore, ici renommé Barryman, tout en œillades théâtrales, le professeur Mortimer). Les Stapleton sont ceux qui ont le droit au plus de changement : frère et demi-sœur ou père et fille, alors que le livre nous les peint en frère et sœur ; de même, Frankland, le vieil homme un peu fou (il poursuit n’importe qui en justice pour des aberrations) qui surveille tout sur la lande avec sa longue-vue, devient dans le film de Terence Fisher un pasteur qui se passionne pour les insectes et autres petits animaux. Il prend ici les caractéristiques échues à Stapleton dans le roman. Des contractions (plusieurs personnages deviennent un) à l’éclatement (des répliques dites par une personnes sont redistribuées pour d’autres), en passant par la substitution -l’épisode du fiacre est remplacé par "le coup de l’araignée" dans le film de Fisher-, le travail d’adaptation est visible et parfois étonnant. Il est nécessaire, ne serait-ce que pour distribuer un peu plus largement les cartes pour que Holmes et Watson ne restent pas seuls dans l’action, ce qui est tout de même le cas dans le livre. Le simple fait que Watson soit le narrateur suffit à prendre conscience du caractère très concentré du livre, en terme de personnages, même si la galerie complète est plus étoffée que dans les films. Et si, par ailleurs, des péripéties seront supprimées (contraction de temps, deux nuits devenant une seule), et d’autres ajoutées (Holmes prisonnier dans l’antre de la bête, la séance de spiritisme), cette version réalisée par Sidney Lanfield est bien plus fidèle que celle de Fisher.

    Fisher pose clairement sa marque dans sa version de 1959 : le récit de la légende, montrant Si Hugo de Baskerville poursuivre dans la lande une jeune fille qu’il avait préalablement enlevée, commence par des violences commises sur un vieil homme pauvre, entourés par des nobles s’esclaffant et buvant du vin. Si la troupe existe dans le roman, cette persécution en est absente, et préfigure le début de La nuit du Loup-Garou, réalisé deux ans plus tard par le même Fisher : un clochard y est le jouet d’une bande nobles. On retrouve ainsi la connotation sociale chère au réalisateur.
    Du côté de l’image, ceux qui connaisse le travail de Terence Fisher chez la Hammer ne seront pas dépaysés : costumes flamboyants, cheveux tirés à quatre épingles, décor de studio et effets spéciaux voyants, donnant à voir un vrai monde de cinéma. Gros plans de personnages enfiévrés s’accompagnent de plans larges sur la lande, moins mystérieuse ceci dit que dans le noir et blanc brumeux du premier film. Là, les techniques de tournage sont certes différentes -on préfère alors des plans américains, voire prenant le personnage de pied en cap, s’adaptant plus facilement au format 1.33-, mais l’aspect quasi mythologique de la lande, avec ces vestiges du néolithique et ses frontières qui s’effacent dans le lointain, sont absolument superbes et indépassables.

    Livre royal, films tous aussi intéressants, Le Chien des Baskerville est le récit de Doyle le plus souvent porté à l'écran : on en est aujourd'hui à 24 adaptations. Souvenez-vous en : lorsque les ténèbres tombent sur la lande, ne vous aventurez pas sous peine de rencontrer le monstre de l'enfer !

    Pour tous ceux qui s'intéressent au personnage de Holmes, visitez l'excellent site de la Société Sherlock Holmes de France

  • Le Chien des Baskerville (1/2) : du livre... au(x) film(s)

    4493663235_0cacb54fe2_m.jpgInaugurons aujourd’hui une nouvelle rubrique, consacrée à l'analyse comparée d’un livre et de son adaptation cinématographique. Et, comme on ne fait pas les choses à moitié, autant confronter deux adaptations du Chien des Baskerville de Conan Doyle : la première aventure cinématographique jouée par le duo Basil Rathbone / Nigel Bruce en 1939, et celle réalisée au sein de la Hammer Film par Terence Fisher quelque vingt ans plus tard. Démarre donc du même la chronique de l’intégrale Sherlock Holmes incarnée par Basil Rathbone, soit 14 films de 1939 à 1946.

    Survient au 221 b Baker Street une affaire tout à fait fantastique : la perpétuation d’une ancienne légende sur la famille des Baskerville, qui s’est allégée de beaucoup de membres de façon bien étrange. Le dernier en date, Sir Charles Baskerville, porteur d’une grande fortune, meurt littéralement de peur, le visage figé dans une grimace inhumaine. Au cœur de cette malédiction, une bête monstrueuse qui terrorise le territoire de Dartmoor, dans le Devonshire, au sud-ouest de l’Angleterre.

    Opposition entre légende, superstition, croyance populaire pour l’aspect fantastique du chien et science du détail, rigueur de l’observation pratique en la personne de Sherlock Holmes. La confrontation des deux idéologies prend corps, dans le livre, entre les deux personnages de Holmes et Mortimer. Mortimer est, tout comme Watson, médecin, donc enclin à la rationalité. Cependant, à l’intérieur du seul Mortimer, se battent les deux conceptions, lui qui croit pourtant à la légende. Les films exploiteront d’ailleurs cette dualité, la version de 1939 lui inventant un intérêt particulier dans le spiritisme. Le livre organise aussi cette confrontation entre deux mondes, en opposant l’univers citadin de Londres et la lande ténébreuse de Dartmoor, à laquelle sera attribuée plusieurs qualificatifs ayant trait à l’étrange, la faisant constamment vibrer d’un souffle presque humain. La lande est un vrai personnage, ô combien important, qui façonne à lui seul l’ambiance du récit.

    Le chien des Baskerville est le troisième roman sur Sherlock Holmes écrite par Conan Doyle. Il est, pour grande partie, mené par Watson qui, sur l’injonction de Holmes, accompagne Henry Baskerville, le dernier descendant de la lignée, au manoir familial. Véritable disciple de Holmes, il applique les infaillibles méthodes de déduction de son ami pour démêler le vrai du faux, la superstition des faits. Le livre fait d’ailleurs partie des récits que Watson retranscrit pour le public : c’est donc lui le "je" du livre. Or, dans la version de 1939, qui marque aussi le premier épisode de la série interprété par Basil Rathbone et Nigel Bruce, ce dernier apporte uniquement la dimension comique du film. Watson ne joue, là encore, que son équipier, gouailleur et l’air constamment ahuri ; il n’est d’ailleurs cité qu’en quatrième rang au générique, et Rathbone au second, alors que le duo occupera par la suite le haut de l’affiche. L’acteur restera principalement fameux pour cette interprétation, en décalage total avec le personnage littéraire, et incarnera plus tard le même type de sensibilité, expansif et enfantin, dans Soupçons d’Alfred Hitchcock.

    C’est en fait  Henry Baskerville (Richard Greene) le véritable premier rôle du film, qui s’approprie plusieurs des actions de Watson dans le livre. Le scénario déplace quelques enjeux, saucissonnant Watson dans son rôle de pitre, faisant la part belle au séducteur qu’est Henry Baskerville. La 20th Century Fox ne comptait pas, au départ, faire une série de films sur Sherlock Holmes ; après deux films, c’est d’ailleurs Universal qui reprendra le flambeau pour douze épisodes, réalisés entre 1942 et 1946.

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  • Dossier (2/2) : Entretien avec un vampire (1994)

    Voici la suite de la première note consacrée aux vampires du film de Neil Jordan.

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    Un humour couleur rouge sang

    Scène charnière, la transformation de Louis par Lestat, vampire plusieurs fois centenaire, est positionnée en début de métrage, l'histoire ne perdant pas de temps à enchaîner les séquences signifiantes. Elle laisse cependant la place à une scène magnifique, retranscrivant bien, comme dan le livre, le réveil du nouveau vampire, ses yeux ne voyant pas la même réalité ; en témoigne, une statue qui le suit des yeux... Brad Pitt campe ce vampire à l'élégance glacée, un vampire trop humain. Sa transformation n'a pas été un choix, contrairement à ce que semble lui proposer d'abord ce fourbe et séducteur Lestat ; irrité par sa nature même, le fait de devoir tuer des être vivants pour subsister n'étant pas de son goût. Il s'évertuera à tuer toutes sortes de petits animaux -rats, pigeons, chiens- alors que Lestat se délecte de sang humain -la plupart du temps de jeunes femmes sans défense. Renforçant la caractérisation de son personnage, ce refus d'en attenter à l'humain, pour conserver un semblant d'humanité, offre finalement des moments de comédie très noire (la vieille enfarinée criant de tous ses poumons la perte de ses précieux caniches, exsangues, ou le paradoxe d'un vampire, cette créature invincible pouvant mettre à genoux toute vie, cantonnée à se rabattre sur ce que Lestat appellerait de la viande de second choix), de même la séquence, plus éloignée dans le film, d'éducation de Claudia, petite fille faite vampire par Lestat. Elle tue son professeur de piano -il s'effondre sur le clavier, comme pris d'un soudain endormissement- ou la couturière venue spécialement pour prendre ses mesures. Ces meurtres horribles, perpétrés qui plus est, par un enfant, berceau de l'innocence, sont à la fois d'une perversité absolue (l'usage, par Claudia, de sa nature enfantine, pour attirer les innocents) et décalés, de façon humoristique, par la façon dont le filme et le monte Jordan, épousant en cela le sentiment qu'éprouve la fillette. Elle, qui prend cette mascarade comme un jeu, dont elle serait, à chaque fois, la grande gagnante. Le sourire de la jeune Kirsten Dunst est, à ce titre, extrêmement ambigu.

    L'homo parentalité

    Évoquée dans le film (encore plus dans le livre), présente de façon sous-jacente, la relation incestueuse qu'entretiennent Louis et Claudia, constitue un autre angle d'attaque, donnant une bizarrerie sans nom aux déambulations fantomatiques du trio. La pulsion de meurtre, incarnant le désir, tout autant sexuel que mortifère, participe à cette ambiguïté jamais résolue. A ce premier duo, s'oppose la paire Louis / Lestat, traitée de façon clairement homosexuelle (l'air précieux et maniéré d'un Lestat aux longs cheveux blonds, Louis l'entretenant sans mot dire, les deux éduquant Claudia comme leur fille), apporte une couche signifiante supplémentaire, qui ajoutée à toutes les autres, font bien de Entretien avec un vampire beaucoup plus qu'un simple film fantastique utilisant le motif du vampirisme. Claudia, au fil des années femme prisonnière dans un corps d'enfant, aime réellement Louis, ce qui "justifie" la pulsion incestueuse, mais reste constamment dérangeante. Elle n'aura de cesse de chercher un modèle de féminité dont elle est dépourvue. Pour cela, elle figera cette beauté inatteignable, dans la mort -la servante- ou par le vampirisme -une belle femme au hasard, ici plus pour avoir un référent matriarcal.

    Entretien avec un vampire, le film, exploite bien, sans le dénaturer, les pistes foisonnates du roman, qui offre un fantastique comme on aimerait en voir plus souvent : construction au cordeau, facettes multiples, interprétation incroyable (mention spéciale à Tom Cruise et Kirsten Dunst). Les sombres abysses vers lesquelles nous plongent les vampires sont sans fins...

  • Dossier (1/2) : Entretien avec un vampire (1994)

    Un film de Neil Jordan

    4221832432_879d40940f_m.jpgLe réalisateur a eu le nez fin, au milieu de cette décennie 90, d'accepter de porter à l'écran le roman éponyme d'Anne Rice, qui adapte ici son propre récit ; Entretien avec un vampire reste aujourd'hui dans le cercle fermé des très belles fictions vampiriques du cinéma. Partisan d'une image léchée, Neil Jordan a notamment réalisé la marquante Compagnie des Loups (1984), conte macabre et gothique qui offre certains points d'achoppement avec cet Entretien ; malgré l'évidente réussite d'autres éléments de sa filmographie, on peut avancer sans peine que ce film de vampires reste aujourd'hui le sommet de sa carrière.

    Un fantastique littéraire

    Ainsi, alors que Dracula (F.F. Coppola, 1992) a remporté un franc succès, et que, dans le même temps, Kenneth Brannagh réalise sa version d'un autre grand mythe fantastique, Frankenstein (1994), Jordan se lance, tout autant que Anne Rice, dans l'adaptation du roman culte de l'américaine, qu'elle écrivit en 1976. On remarquera que, de la même manière que les deux films fantastiques pré-cités, Entretien avec un vampire entérine une fidélité à l'oeuvre littéraire jusque dans son titre ; si Coppola met en avant Bram Stoker et Brannagh Mary Shelley -les deux titres originaux se lisant bien Bram Stoker's Dracula et Mary Shelley's Frankenstein, les réalisateurs s'effaçant devant la paternité originelle de chaque récit, Jordan appose un plus discret mais très clair sous-titre à son Interview with a vampire : The vampire chronicles. Cet ajout, reprenant le titre intégral de l'oeuvre d'Anne Rice, induit le récit comme étant la première pierre à l’édifice d'une oeuvre plus grande, appelée à accueillir une suite, ce qui n’est toujours pas le cas jusqu’à présent.

    Mises en abîmes

    Armé de la plume érudite et assurée de la romancière, le film franchit un cap qualitatif et devient par là une adaptation très fidèle au texte d'origine. Utilisant le même procédé de mise en abîme, Louis le vampire narrant, à notre époque, ses aventures au micro d'un journaliste, le film y revient cependant moins que dans le livre. La relation journaliste (Christian Slater) / vampire (Brad Pitt) est cependant extrêmement intéressante en nous amenant sur les terres de la confrontation réalité / fiction, et de son impossible différenciation. A ce titre, une des séquences les plus réussies du film est consacrée à cette dichotomie, à savoir le théâtre grand-guignolesque des vampires parisiens, présidé par Armand (Antonio Banderas).

    Des amateurs assistent à un spectacle très macabre dont tous les acteurs sont des vampires qui jouent ... des vampires -les différentes strates de la mise en abîme deviennent vertigineuses ! Le clou du show est le sacrifice d'une jeune femme, bien réel, appelée à être dévorée par la horde de vampires. La fiction se confond ici avec la réalité, les spectateurs, dégoûtés, hésitant eux aussi quant à la teneur réelle des événements dont ils sont témoins. Les vampires jouent également au magicien, leurs pouvoirs leur permettant d’incarner cette magie (par la lévitation notamment), là où la frontière entre le fantastique et le réel indiscernable. Cette séquence, hautement traumatisante par sa mise en scène macabre, les vampires se jetant littéralement sur la victime innocente en une nuée noire d'insectes assoiffés, illustre le côté sombre et malsain que se permet le film, la fidélité à l’œuvre, là encore, primant sur le véhicule à stars. On y comprend toute l'emprise, la transe, ici plus démoniaque que réellement séductrice, dans laquelle les vampires tiennent leurs victimes. On découvre aussi les vampires en tant que groupe social constitué (le monde des vampires, dans le livre comme dans le film jusque-là, étant réduit aux personnages de Louis -Brad Pitt, Lestat -Tom Cruise et Claudia -Kirsten Dunst), une confrérie hiérarchisée, organisée pour survivre -la tenue même du spectacle garantissant chaque soir leur ration aux suceurs de sang.

    la suite ici

  • Ciné d'Asie : Intimate confessions of a Chinese courtesan (1972)

    Un film de Chu Yuan

    3909096010_5087024dd1_m.jpgChu Yuan choque les sensibilités quand il sort son Ai Nu (titre original de l’oeuvre, prénom de l’héroïne signifiant esclave de l’amour), histoire qui prend pour cadre une maison close à la patronne lesbienne ; cette dernière tombe amoureuse de sa dernière recrue (enrôlée de force), la bien nommée Ai Nu.

    S’en suit un récit de mensonges, de vengeance, de sabres mais aussi d’amour, dont s’est inspiré Tarantino pour son Kill Bill (2004). Les combats, bien que peu nombreux, peuvent faire pencher la balance vers le wu-xia pian, mais le film est définitivement plus tourné vers le récit de vengeance, tant le viol initial hante Ai Nu. Dès lors, croit-on une seconde à l'histoire d'amour sensuelle qui se noue entre les deux femmes ? Aussi étrange que cela puisse paraître, à certains moments, elle fait illusion, notamment grâce au jeu très naturel des deux actrices, lors d’un apprentissage au maniement du sabre. L’amour, aveugle, fait que Chun Yi, la (très) belle matronne, prend sous son aile la révoltée Ai Nu, couvrant cette dernière dans sa quête de vengeance envers ceux qui l’ont violé, lui apprenant, en même temps que l’art de l’amour, la façon de se battre. Elle ne peut pas voir qu’Ai Nu veut également sa mort, obnubilée par son attachement. Cette dimension, on ne peut plus classique, est rendue avec toute la tendresse et la folie qu’on peut imaginer. Ainsi, le film alterne dans un mouvement de balancier moments de douceur et de brutalité, voire de cruauté, épousant par là la personnalité de Chun Yi. Il faut voir cette dernière, transie d’amour, lécher les plaies de Ai Nu, laissées par les coups de fouets... Nous sommes en 1972 et Chu Yuan bouleverse les codes établis.

    L’extrême raffinement des cadres et de l’image (costumes de soie colorés, maquillage, coiffure, bâtiments, ruelles, ponts) nous fait entrer de plain pied dans un monde où l’artifice est constamment désigné comme tel (le sang fait faux, le tournage en studio est très visible), et crée cet inimitable cachet Shaw Brothers : c’est le cœur du système de représentation du monde cher à la firme. On aime ou pas, personnellement je marche à 200%. Ponctué de nombreux plans qui marquent la rétine, Intimate Confessions... est une succession de belles images, auxquelles Chu Yuan Confère une élégance toute particulière : lents travellings latéraux, jeu entre l’avant-plan et l’arrière-plan, ralentis gracieux, filtre de couleur verte pour la première séquence, neige qui tombe en pluie, ... De la belle ouvrage made in Hong-Kong. La symbolique des couleurs, notamment sur les robes de l’héroïne, sont très maîtrisées : tour à tour vêtue de vert, de jaune, de blanc, elles sont à chaque apparition signifiante d’un état, comme le souligne bien François et Max Armanet dans leur ouvrage fondateur, Ciné Kung Fu.

    Au rayon film de sabre, les combats sont bien réalisés, les mouvements chorégraphiés étant bien captés par l’œil de Chu Yuan, même si l'on n'est pas chez Liu Chia-Liang en ce qui concerne la maîtrise totale des techniques martiales. On peut dire que devant l’harmonie de toutes les dimensions du film (narration, cadres, jeu d’acteurs), il s’agit peut-être aujourd’hui d’un des Shaw Brothers les plus appréciables par un public non-initié au monde tout de même bien spécial et parfois bis de la Shaw Brothers. Une date dans le cinéma de Hong-Kong !

    Source image : affiche originale © Shaw Brothers