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Dossiers - Page 11

  • Dark City Director's Cut (2009)

    Un film de Alex Proyas

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    En 1998, date de sortie du film d'Alex Proyas, personne n'était prêt pour assister à un tel spectacle : on a pu dire aussi pudiquement que "le film n'a pas trouvé son public" ; on se rappelle pourtant bien la grosse impression que le film nous avait laissé en salles, pourtant vu en version française (indigne quand on connaît la version originale), et en pleine fête du cinéma, entre fille d'attente interminable et coincé dans un planning chargé entre Les visiteurs 2 et Vampires de John Carpenter. Bref, rien n'indiquait que Dark City devienne avec les années l'objet cinématographique sur lequel la majorité des cinéphiles aujourd'hui tiennent pour un authentique chef d'œuvre. 

    Préfigurant un courant de films dépeignant des mondes impersonnels, préfabriqués vécus comme des prisons (Truman Show, Matrix), Dark City nous plonge dans une odyssée ténébreuse assez fascinante, que son réalisateur n'a malgré tout pas façonné à son envie lors de la sortie en salles. 

    Démonté par des projections-tests pourtant pas si désastreuses, le studio New Line a imposé à Proyas l'ajout d'éclaircissements et de déplacements de séquences entières dont le cinéaste se serait bien passé. Déjà pas très à l'aise face un dépassement de planning conséquent (le tournage, des 65 jours initialement prévu, dura finalement presque trois mois), il prit sur lui de rajouter une voix-off dès la séquence pré-générique, montrant le personnage du docteur Shreber déambuler dans Dark City. Elle détaille alors le monde de l'obscurité laissé au mains des Etrangers, conduisant des expériences sur leurs habitants.
    Juste après cette narration éliminant les zones d'ombres du début, on est témoin d'une première scène, durant laquelle tous les habitants tombent comme endormis, le temps lui-même se figeant à minuit, comme en témoigne de nombreuses horloges. Comprise comme une démonstration logique des fameuses expériences dont nous a averti la fameuse voix-off, le spectateur, s'il reste fasciné par la facture visuelle du passage, n'est pas vraiment décontenancé. Il en sera tout autre dans la version Director's Cut qui arrive ces jours ci dans les bacs : oubliée, la voix-off explicative et la première séquence, déplacée jusque dans le second acte du film. Bienvenue à une ambiance bien plus mystérieuse, où le regard du spectateur épouse totalement celui de Murdoch (Rufus Sewell), en quête de son identité, comme il se demande aussi dans quel monde il est tombé.
    Murdoch évolue comme dans une sorte de jeu vidéo d'exploration, dans lequel chaque lieu est visuellement identifié par une signalétique et des artefacts singuliers (l'Automat, l'hôtel, la piscine, et le lieu qui cristallise la réponse à toutes les questions, Shell Beach). Sur fond de cette quête d'identité, et celle, sous-jacente, de savoir si les souvenirs font de l'homme ce qu'il est, on assiste à une intrigue mêlant adroitement polar, science-fiction et fantastique. Comme avec Truman Show ou d'autres films de SF claustrophobiques, la mer représente une porte de sortie universelle (parfois illusoire), un espace des possibles là où l'horizon, comme l'avenir, peuvent exister sans limites (voir aussi La planète des singes, Les fils de l'homme, Passé virtuel, etc.).

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    Dark City se caractérise dès son titre comme un film noir, selon l'appellation canonique des critiques français des années 40 et 50. La ville est un véritable personnage, vivant, remodelée à l'envi, remplie de rues d'un noir d'encre, rehaussée d'une lumière jaune industrielle, dans laquelle errent des personnages archétypaux : Anna, la chanteuse de cabaret (Jennifer Connelly, qui retrouve pour le Director's Cut sa voix originale lors des chansons), Bumstead le flic (William Hurt), la prostituée, et les méchants en longs manteaux et chapeaux mous, échappés d'un cauchemar de Proyas. L'esthétique générale doit beaucoup aux films des années 40, entre les voitures, les vêtements, l'allure des magasins... La confrontation de cette esthétique avec la présence des Etrangers compose l'ambiance rétro-futuriste propre aux récits de science-fiction.

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    Dark City superpose une ambiance très film noir à quelques personnages et objets issus de la science-fiction, et c'est dans ce mélange réussi que Dark City prouve son importance, grâce à des décors gigantesques superbement éclairés par Darius Wolsky (directeur de la photo des derniers films de Tim Burton). Entre les seringues d'implants, très présentes dans le récit, l'espèce de savant fou (Shreber) joué par Kiefer Sutherland et la véritable apparence des Etrangers, la dimension science-fictionnelle n'est présente que par petites touches durant le récit, pour mieux exploser dans le final. Tout le film durant, c'est plutôt un feeling fantastique qui étreint le spectateur. Sherber et Murdoch sont d'ailleurs des personnages qui se répondent l'un l'autre, étant les seuls humains à ne pas subir le gel du temps ; est-ce également un hasard si leur oeil droit est à moitié fermé ? Malgré leur potentiel avantage sur le reste de la population, ils demeurent aveugles sur leur passé. Comme les autres certes, sauf qu'ils ont conscience de l'avoir perdu.

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    Le fantastique vient de la rupture entre un univers plausible, ressemblant à celui que l'on expérimente chaque jour, et des événements extraordinaires qui mettent à mal les lois fondamentales du monde : ici, l'arrêt du temps, et l'endormissement instantané de toute la population joue ce rôle de rupture qui provoque l'étrangeté du récit et donc la curiosité du spectateur à en savoir plus. En déplaçant la séquence d'endormissement dans le second acte, Dark City sembla apporter une partie de réponse au spectateur tout en lui en intimant d'autres, plus prégnantes encore : la raison d'être de tout ce cirque. 

    Ce qui dessert le film est certainement son aspect trop construit, trop cérébral, échappant trop à la réalité justement, la majorité des spectateurs manquant de points d'accroches pour apprécier l'intrigue. Effectivement, les personnages agissent comme des sortes de clichés, principalement par le rythme précipité de la version cinéma. Le Director's Cut, ajoutant quelques brefs passages supplémentaires, notamment lors de simples conversations (entre Shreber et Anna dans son bureau, entre Bumstead et Anna), humanise grandement les personnages. Des intrigues secondaires (la fixation sur les empreintes en spirales, la fillette de la prostituée) contribuent également à la plus grande richesse du film, œuvrant dans le même temps pour une meilleure cohérence. Pour un film déjà bon, encore meilleur dans cette version initiale visible des années après.

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    Film de genres, Dark City est aussi, au final, un grand film romantique, dont les accompagnements musicaux ne trompent pas lors de séquences entre Murdoch et Anna. Aux sonorités métalliques, industrielles et violentes (mais néanmoins mélodiques), s'opposent des tonalités plus douces qui font la véritable fin de Dark City, dans une toute dernière séquence offrant un contrepoint sensible et espéré, pas évident cependant ; mais bien intégré dans la continuité. Les êtres, changeant, se retrouvent tout de même comme si, malgré la mémoire, une forme d'attrait universel unissait les âmes à travers le temps. Après tout un film dans le noir, il fallait oser, et ça aurait très bien pu ne pas passer : ici c'est juste magnifique, grâce aux dialogues à l'économie et au couple d'acteurs. 

    Le blu-ray sorti chez Metropolitan nous sert une copie perfectible, pour cause d'abus de Digital Noise Reduction (les contours des personnages sont surmontés d'un surcontour blanc, les détails des textures sont amoindris). Outre ce défaut certes rédhibitoire, c'est la première fois qu'un support français nous propose le Director's Cut, qui plus est accompagné de la version salles.

    Les bonus sont éclairants, à commencer par une très intelligente fonction de notes tout au long du film détaillant les différences entre les deux versions, décodant aussi certains symboles semés au gré des décors. Deux documentaires, l'un très sincère sur les difficultés du processus de création du film, l'autre analytique, complètent le programme de façon très a propos. C'est tout simplement un indispensable.

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    Source images : capture dvd Metropolitan - version cinéma

  • Commando (1985) vs. Predator (1987)

    Deux films de Mark Lester et John McTiernan

    4962612905_99ee83a26e_m.jpgDeux ans après le sympathique Commando, les fans de gros muscles retrouvaient Monsieur Univers 1977 dans un film bien différent, bien qu'entretenant tout de même des similitudes avec le premier film ; indifféremment de leur fortune artistique et commerciale.

    Les deux objets se définissent, par leur casting, comme des "films de muscles" : la carrure surréaliste de Schwarzenegger impressionne toujours autant au visionnage. Mais, alors qu'il est seul représentant de cette culture du corps dans Commando, toute son équipe joue d'égal à égal avec lui dans Predator. Et c'est déjà là une différence fondamentale.

    Matrix (Schwarzenegger), dans Commando, incarne un ancien membre des commandos d'élite, qui, une fois que sa fille a été enlevée, devient une véritable machine à tuer invincible, étanchant une soif de violence et de vengeance jamais rassasiée. Personne ne peut lutter. Le film le présente en véritable demi-dieu de puissance, tel Hercule sorti de ses douze travaux : soulever une cabine téléphonique (occupée), une voiture, ne perdant pas une occasion d'exhiber ses attributs monstrueux, Arnold Schwarzenegger est seul contre tous ; mais ils sont si faibles... on a presque pitié de tous ces volontaires au massacre.

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    Dutch, dans Predator, est le chef d'une équipe de gros durs appelés par la CIA pour récupérer deux agents dont ils ont perdu la trace au beau milieu de la jungle. Son équipe joue d'égal à égal avec lui, que ce soit Dillon (Carl Weathers, Apollo Creed dans la saga Rocky), Cooper (Jesse Ventura), chiquant à tout va, ou Billy (Sonny Landham, monumental bonhomme qui a une fin de héros, une vraie). La réussite de Predator vient en partie de cette confrontation entre des hommes surentraînés présentés comme les meilleurs, et l'entité du Predator, supérieure malgré tout. De fait, Arnold n'est pas un dieu ici, il n'est qu'un homme qui, malgré ses qualités physiques, est dominé. La confrontation est donc plus équilibré, là où Commando prend des airs de jeu de massacre (qui a aussi ses qualités). De cet équilibre des forces en présence découle également une force dramatique plus établie : leur mort sera douloureuse, sanglante et marquante pour le spectateur. Là où Commando, alignant comme au jeu de tir dans une fête foraine les victimes, ne cherche pas la même puissance. Il lui préfère un esprit très jeu vidéo, où le héros décanille à tour de bras -146 morts selon Wikipédia- et lance des punchlines définitives (ce dont Predator fait globalement l'économie). Là où Commando est une BD excessive comme c'était la mode dans les années 80, Predator s'oriente vers un cinéma d'aventures à l'ancienne, avec des protagonistes 80's dont les muscles ne sont pas la principale attraction. Commando s'évertue à reprendre la recette du Terminator, l'acteur y continuant son jeu de tête (balayant l'espace de gauche à droite les sourcils froncés) et sa détermination robotique -le passage dans la première base, où il tue un garde et le balance aussi sec, sans réfléchir, dans un placard, avant de récupérer son otage / complice (Rae Dawn-Chong, vue plus tard dans Crying Freeman, 1995).

    Les deux films débutent cependant presque de la même façon, c'est à dire sans situation initiale. Predator s'offre un unique plan (dans l'espace, un vaisseau s'approche de la Terre pour y balancer une capsule spatiale), puis on entre dans le feu de l'action, avec ces hélicoptères qui survolent la jungle -figure esthétique marquante pour McTiernan, qu'il reprendra jusque dans Basic (2003) : réminiscence de la guerre du Vietnam. Commando, lui aussi, n'a pas de début : la première séquence, voyant Matrix et sa fille (Alyssa Milano) rigolant dans leur chalet, est déjà drôle. Deux minutes plus tard, débarque le commando qui va le forcer à reprendre du service. Dans cette accélération du mouvement, les deux films se réclament d'une narration économique, allant directement à l'essentiel, comme toute bonne série B qui se respecte.

    4962612837_2c7b95d60e_m.jpgPredator a pour lui de jouer avec le spectateur et ses attentes ; film de guerre-jungle dans la première partie, il dérive vers la science-fiction dans la deuxième, divisant également le temps entre les deux. Le plan du début nous avait pourtant prévenu de la même manière, alternant directement avec les plans de jungle. Le surnaturel intervient de façon crédible via les réactions des personnages, affolés par une présence qu'on ne voit pas (le camouflage thermo-optique du Predator). La jungle, admirablement filmée par McTiernan, recèle déjà de cette qualité surnaturelle, avec son avalanche de vert, dévoilée lors de travellings gracieux, enfermant les hommes qui vont revenir à l'état d'animaux traqués. Car, plus que l'aspect fantastique du récit où une créature extra-terrestre vint sur Terre pour en finir avec les humains, c'est la chasse qui est importante. Le predator est un chasseur, respectueux de ces proies (il les prend une par une, en faisant des trophées, là où les membres du commando tuent par centaine et gaspillent des milliers de balles en quelques secondes, atomisant la forêt). Le predator appelle à une dimension primitive vers laquelle va revenir Dutch (son cri primaire pour attirer la créature vers la confrontation finale, qui se jouera uniquement aux armes de bois). Sous ses airs de production typique 80's (ce qu'il est, assurément), se terre une dimension plus profonde qu'à l'ordinaire, tout en ne reniant pas une seconde sa qualité de film d'action musclé.

    Commando, lui, file tout droit depuis le début jusqu'à la fin dans une accumulation de morts virevoltantes (les sauts au trampoline) et comiques (les cris, le tir du bazooka à l'envers), en direction d'une séquence de fin de niveau de jeu, le héros partant à la fin avec la fille. La fin de Predator est plus... apocalyptique.

    Malgré leur retentissement tout à fait opposé, les films ont été tous deux parodiés dans Hot Shots 2 (1993), l'un pour ses morts à répétitions, l'autre pour sa séquence de débarquement dans le camp des tortionnaires au début du film, lorsque Dutch et son équipe font une véritable boucherie en ne laissant aucun survivant. Ayant à la fois beaucoup et peu en commun, les deux films jouissent depuis lors d'une réputation tout aussi disparate : Predator est, avec les années, devenu un modèle difficilement surpassable du film d'aventures, tandis que Commando a fait son bout de chemin en tant que film culte, avec ses répliques improbables et son accumulation de situation surréaliste. Le chemin du héros rappelle d'ailleurs celui de Lei Li (David Chiang) dans La rage du Tigre (1971), qui doit valoir la scène finale de Commando, au moins pour le nombre de morts...

  • Ciné d'Asie : L'île de la bête (1978)

    Un film de Chu Yuan

    4925278619_e2b1bcbb7e_m.jpgPour qui connaît la sensibilité hors normes de Chu Yuan au sein de la Shaw Brothers, L’île de la bête recèle des mêmes qualités, et d’autres peu vues chez le cinéaste. Depuis La guerre des clans (1976), premier film du cycle Gu Long -romancier à succès oeuvrant dans le genre aventures / fantasy / arts martiaux-, on a découvert le style inimitable de Chu Yuan : esthétisme poussé à son paroxysme, intrigues à tiroirs, bref une sorte de rêve éveillé qui frappe à chaque fois par son empreinte visuelle.

    Et c’est tout cela que l’on retrouve dans L’île de la bête, agrémenté d’un agréable parfum de surnaturel. En effet, une petite troupe se dirige vers la mystérieuse île, tous ayant de très bonnes raisons de faire le périple annoncé : retrouver un père disparu, oublier un passé de violences, ou accepter une mission pour sauver une jeune fille : c’est le choix qu’a fait Chu Liu-hsiang (Ti Lung), héros proclamé du film mais qui, finalement, se retrouve intégré dans une dynamique de groupe assez inhabituelle ; les films de la Shaw mettant souvent en scène des guerriers solitaires dont les alliances ne dépassent pas une ou deux personnes. Maître des arts martiaux, il aura fort à faire avec les différentes épreuves qui l’attende sur l’île.

    Le film est conçu comme une succession de pièges, de trahisons, de découvertes, bref lorgne vers le pur film d’aventures en mettant de côté l’aspect purement martial (une constante chez Chu Yuan, de toute façon plus intéressé par une dimension plus universelle donnée à ses intrigues). Voir le voyage en bateau qui permet d’accéder à l’île, permettant de faire connaissance avec les personnages et définir les rapports de force entre eux. Le groupe, composé de personnalités bien distinctes, est bien caractérisé et l’attachement aux personnages est réel ; malgré les différentes couches d’intrigues, elles sont ici quelque peu simplifiées dans un souci de clarté narrative qui donne un ton étonnant au film, le rapprochant d’un film américain d’aventures de groupe. Les passages dans la grotte de glace notamment, avec la notion de progressions obligatoire et de sacrifices, sont très réussis d’un point de vue narratifs et dotés d’un cachet visuel typique. Eclairages presque fluo, sources de lumière irréelles, on nage en plein délire (contrôlé), pour une très bonne surprise à l’arrivée.

    Unique par son côté fantasy, le film offre un moment soigné, dépaysant et un peu fou, dévoilant aussi son tribut au cinéma américain. S’il n’est pas le meilleur de son auteur (on ira chercher pour cela vers Intimate Confessions of a Chinese Courtesan, Le sabre infernal ou Le poignard volant, qui offrent d’ailleurs des formes plus classiques du cinéma de cape et d’épées chinois, le wu-xia pian.

  • Ciné d'Asie : Succession par l'épée (1992)

    Un film de Eric Tsang

    4798642120_dd810e9ef7_m.jpgProduction Tsui Hark lorgnant vers les racées Histoires de fantômes chinois, Handsome Siblings est l’occasion de revoir la belle Brigitte Lin Chin Hsia (Zu, les guerriers de la montagne magique, Tsui Hark, 1984, Les cendres du Temps, Wong Kar Wai, 1994), Même si l’on convient qu’elle est moins bien mise en valeur que pour Swordsman 2, réalisé la même année par Ching Siu-Tung. Suivant un sillon identique, héroïque et fantaisiste, peuplé de démons et de dieux à forme humaine qui veillent sur les humains, le film est d’une beauté typique de cette Fantasy chinoise. Vols en apesanteurs, boules d’énergies, rubans colorés flottant au vent lorsque apparaissent les dieux et démons sur Terre (magnifique première séquence dans un forêt ténébreuse, qui pompe cependant terriblement sur les Histoires de fantômes chinois, toujours elles).

    Un grand guerrier meurt au combat pour protéger une bande de voleurs, des vrais bras cassés, qui recueillent un enfant. Ce dernier deviendra un combattant hors pair et va participer à un grand tournoi qui a lieu tous les 18 ans. En chemin, il fait la connaissance d’une femme travestie en homme (grand classique HK, remember le conte des amants papillons, maintes fois adapté) ; une romance compliquée commence… Le clan des voleurs offre plusieurs moments de comédie très typée difficilement supportable, humour débile à la clé. C’est le jeune Andy Lau (l’un des deux infiltrés de Infernal Affairs) qui se lie avec Brigitte Lin. La magie imprégnant tout le métrage, elle se loge aux quatre coins du cadre ; personnages pliés en quatre, apparitions fantomatiques, une débauche d’effets qui distrait un temps, mais déçoit rapidement après la première scène d’anthologie dans la forêt. Les twists sont éculés, et l’humour totalement lourd nuit à la gravité et au romantisme échevelé de l’amour naissant entre les deux jeunes gens. C’est pourtant dans ce mélange qui nous est si peu familier que se forme les films HK, s’efforçant de concilier différentes sensibilités dans le résultat final. Un petit film bancal, qui bénéficie tout de même du soin des production de la Film Workshop de Tsui Hark.

    Source image : jaquette DVD © Metropolitan Video

  • Ciné d'Asie : Le sabreur solitaire (1969)

    Un film de Chang Cheh

    4747694939_1db9c96eb0_m.jpgHave sword, will travel (Bao Biao dans son idiome d’origine) marque la première collaboration de Ti Lung et David Chiang chez Chang Cheh. Ils incarnent deux épéistes émérites qui, au fil de leur rencontres, s’évertuent à se tester pour connaître leur limites respectives, et pour savoir qui de l’un ou de l’autre a l’ascendant. Il apparaît très rapidement que David Chiang, le sabreur solitaire du titre, est très supérieur à Ti Lung dans le maniement des armes ; dans la réalité, ce serait plutôt l’inverse, les deux combattants ayant chacun de réelles aptitudes au combat. La rivalité martiale cache en fait un affrontement sur le terrain sentimental, Li Ching, la promise de Ti Lung, trouvant très à son goût le vagabond qu’est David Chiang ; ce qui semble réciproque. Semble, car ce dernier, chevalier errant mutique (le titre anglais traduit les intentions de Chiang : un professionnel itinérant transportant ces propres outils et offrant ses services) est guidé par sa seule honnêteté qui s’adjoint mal d’être aidé par qui que se soit. Refusant systématiquement toute assistance, il n’a pour lui que sa pauvreté (à part son cheval, qu’il vendra pour se nourrir, et son épée, son "outil de travail"). Le triangle amoureux ainsi formé se reconstituera quelques années plus tard pour le baroque La rage du tigre (The New One-Armed Swordsman, Chang Cheh, 1971), avance lentement mais sûrement, les deux hommes étant en posture antagoniste. Si la femme est au centre du triangle, ce ne sera plus le cas dans La rage du tigre, où David Chiang occupe cette place.

    Déambulant dans la campagne chinoise, approchant par nécessité deux camps opposés, la démarche du sabreur solitaire épouse celle de l’homme sans nom dans Pour une poignée de dollars (Sergio Leone, 1964), même s’il n’est pas guidé par l’appât du gain. Cette attitude, ainsi que la nature même du personnage est directement influencé par les westerns italiens de Leone, Le sabreur solitaire en proposant sa propre lecture. Sa réserve et son talent martial, jaillissant en un éclair, ne peut que mettre tout le monde d’accord (les personnages comme le spectateur). Doté d’une gestuelle fine, coulée, mais sans arabesques inutiles, David Chiang esquisse un personnage fort, bluffant mais pas flamboyant : rentré, tout en intériorité, le visage souvent crispé voire neutre, il serait presque désincarné sans la tendresse qu’il prodigue à son cheval, un excellent animal qui dénote avec son rang social tout en révélant son véritable potentiel, une position sociale fantôme qui transparaît lorsqu’il combat. Ainsi, le chef du clan des bad guys (l’éternel Ku Feng) lui fera remarquer qu’il ne comprend pas sa situation de pauvre hère, lui qui est si doué et pourrait en tirer autrement plus de profit. Son honnêteté, qui justifie cet écart, en fait un personnage incorruptible, mais désigne bien dans le sous-texte que seuls les voleurs et les brutes font du profit et deviennent importants. Facile, mais bien amené par l’interprétation de David Chiang, excellente.

    Les affrontements, nombreux, sont filmés énergiquement, flots d’hémoglobine généreux compris. On retiendra surtout la bataille finale, dans une tour à sept étages, chaque niveau dissimulant une horde de guerriers aux armes variées ; le principe sera repris dans l’inachevé Le jeu de la mort (Robert Clouse, 1978), le dernier film de Bruce Lee.

    Film séminal de Chang Cheh, Le sabreur solitaire contient en germes tout un pan de la carrière prolifique du réalisateur (allant jusqu’à tourner 9 films par an !). Une découverte qui s’imposait.