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polar - Page 8

  • L'année du dragon (1985)

    Un film de Michael Cimino

    3335018268_1790f30e50.jpg?v=0Ouf ! Après une longue semaine de silence critique (dûe entre autres à l’arrivée dans mon modeste lieu de vie d’un écran plat, à l’effet très hypnotisant...), nous découvrons aujourd’hui ce magnifique polar - film noir d’un Michael Cimino qui, décidément, est un grand metteur en scène. Après un Voyage au bout de l’enfer (1979) récemment visionné pour la première fois, ses films me font l’impression d’un grand choc tant esthétique que dramatique et lyrique, portés par des comédiens en état de grâce. C’est vraiment le cas ici avec la performance que livre Mickey Rourke, chien fou qui fonce tête baissée dans une croisade impossible contre le crime organisé dans Chinatown. Stanley White, son personnage, est hanté par l’échec (la guerre du Viêt-Nam, fantôme de l’œuvre de Cimino) et semble mener cette mission tant pour réussir enfin quelque chose, que pour fuir le monde qui l’entoure : son action peut être clairement interprétée comme une tentative de suicide, une fuite en avant. Entre sa femme qu’il délaisse et une journaliste chinoise qui l’attire, presque malgré lui, -représentant quand même tout ce qu’il cherche à oublier-, il semble définitivement ailleurs. Toujours flanqué d’un chapeau mou, réminiscence du film noir des années 40, son statut est flou : flic, il n’arbore pourtant jamais l’uniforme. Il semble se battre contre son propre camp, car c’est finalement un solitaire tant professionnellement que personnellement. Ces deux dimensions n’en font qu’une chez Stanley White, et de cet amalgame naîtront ses démons. En cela, il est l’architecte de sa propre déchéance.

    Plusieurs thèmes reviennent dans l’œuvre de Cimino ; parmi ceux-ci, la guerre du Viêt-Nam, mais aussi la dimension du sacré (la longue séquence du mariage dans Voyage au bout de l’enfer, ici les enterrements, les croix à tous les coins du cadre) et un pessimisme prégnant. Les flics s’arrangent avec la mafia, du coup ni vu ni connu, ils sont complices des pires atrocités. Les valeurs de bien ou de mal n’ont plus cours dans le monde de L’année du dragon. On y montre bien que chaque personnage abuse de la liberté qui lui est accordée, de la journaliste aux interpellations télévisées intrusives, au policier justicier qui doit bouleverser certains codes établis pour faire entendre sa voix, en passant par les mafieux, dont la fonction fondamentale est d’entraver les règles.

    Le film de Cimino montre une communauté multi-ethnique (chinois, américains, polonais) qui résiste à l’image du melting-pot (celui-ci correspondant à un mélange harmonieux des hommes) et dessine plus un paysage compartimenté, où les différentes pièces communiquent mal. C’est dans cette partie que j’ai trouvé le film le plus juste et terrifiant. La mise en scène très opératique de Cimino (ah, La porte du paradis) accompagne à merveille cette sorte de danse d’amour et de mort. Utilisant bien les possibilités du Cinémascope, la ville en ressort comme un monstre tentaculaire qui semble porter en lui (ambiance poisseuse, ruelles sordides) les signes de la déliquescence qui est en marche. Un excellent moment de cinéma, d’ores et déjà mon film du mois (difficilement détrônable !).

  • La dernière cible (1988)

    Un film de Buddy Van Horn

    3202596511_c387446478_m.jpgAlors, mon bon Buddy, raconte-nous comment tu est arrivé à faire un Inspecteur Harry qui ressemble à un Derrick (R.I.P.) sous perfusions d’éclairages fluo et de déviances grand guignolesques ? Comme je n’ai pas l’ami Buddy sous la main, je vais me charger de critiquer ce dernier Dirty Harry de sinistre mémoire, auquel j’avais su échapper jusqu’à la nuit dernière.

    Pour Eastwood comme pour Callahan, cette cible, même si c’était belle et bien la dernière, était le coup de trop ; il oscille péniblement entre paresse et grand-guignol, avec quand même deux perles, deux moments over the top que même le bus blindé du final de L'épreuve de force (dont on avait parlé il y a quelques semaines) n’arrive pas à devancer : une course-poursuite rendant "hommage" à Bullitt (Peter Yates, 1969) entre la voiture de Harry et une ... voiture télécommandée (au passage, faudrait que Buddy m’explique comment ce jouet peut rivaliser avec la conduite sportive de l’inspecteur) et un harponnage en règle du méchant tueur de l’histoire. Deux grands moments de rigolade si on est très bon public et si l’on oublie qu’on regarde Clint Eastwood, alias le dernier des grands acteurs et réalisateurs de sa génération.

    Le centre nerveux de l’histoire se la joue mise en abîme, avec Peter Swan, un réalisateur de film d’horreur et autres clips de hard-rock (interprété par Liam Neeson, qui décidément a touché à tout dans les années 80, entre le grand film d’aventure avec Mission (Roland Joffé, 1986), la fantasy avec Excalibur (John Boorman, 1981), le pionnier des films de super-héros actuels avec Darkman (Sam Raimi, 1990), le film de pirates avec Le Bounty). Van Horn pousse le vice à faire de La dernière cible un film de Peter Swan, plongeant ainsi dans le n’importe quoi le plus permissif ; oser reprendre le générique de Sudden Impact, alias Le retour de l'inspecteur Harry, c’est déjà un signe, mais calquer toute une scène (dialogues compris) sur un autre épisode de la série, c’est le summum : Harry a un nouvel équipier et il lui ressort la même rengaine : "mes équipier finissent soit blessés, soit morts, alors est-ce que ça te va ?" (phénomène qui va effectivement se vérifier). De plus, ce nouvel équipier est un expert en arts martiaux, ce qui nous donne droit à de graciles jeux de pieds qu’on pourrait croire sorti d’un Karaté Kid.

    Croiser au détour d’une scène un Jim Carrey fou furieux hurlant dans des éclairages fluo rappelant un clip de Cure (ou des Inconnus, je ne sais plus) résume bien ce qu’on peut penser du résultat : une catastrophe ou une bonne bidonnade. Ce bon vieux Callahan a perdu de sa superbe et c’est peu de le dire, balançant comme un automate ses expressions favorites, Swell (Magnifique !) en première ligne, ou sortant son colt à tout bout de champs : tout cela est un brin répétitif. Ajoutez à cela une charge contre l’invasion des médias dans la vie quotidienne aussi fine qu’un combat de catch entre deux beuglants décérébrés,  et le tableau est à peu près complet. On me dira, attaquer La dernière cible sur son échec artistique, c’est enfoncer des portes ouvertes : c’est vrai, mais ça défoule et c’est proportionnel à la déception d’un dernier épisode qui aurait dû être un chant du cygne en bon et due forme ! Alors, so long Harry !

  • Un justicier dans la ville (1974)

    Un film de Michael Winner

    3112932322_9ff76bbb11.jpg?v=0Un justicier dans la ville est symptomatique du thème d'autodéfense illustré par un certain nombre de films américains dans les années 70. Ici, un architecte heureux en mariage voit sa vie basculer lorsque sa femme et sa fille sont violentées par des voyous. Peu à peu, il franchit les étapes qui le conduiront à incarner le Vigilante, traquant la racaille pour l’exterminer.

    On parle ici d'un film très réussi bien qu'ambigu ; cependant il n'est jamais manichéen et ne glorifie en aucune façon les agissements de son personnage principal, Paul Kersey. Charles Bronson incarne cet homme brisé, représentant les doutes et le malaise de l’Amérique au cœur des années 70. Le film montre bien ces bandes  de voyous zoner dans un New York crépusculaire (qui rappelle un peu les Warriors de Walter Hill), en totale inadéquation avec le monde moderne et civilisé ; des électrons libres déresponsabilisés qui à la fois façonnent et illustrent un monde de peurs. Ce sont ces peurs que Kersey veut exorciser en passant à l’acte ; leur justification est tout à fait insuffisante, ce qui met finalement les bandits et Kersey du même côté ; ils sont hors-la-loi. Il règne sur le film une atmosphère de western moderne, où les valeurs qui y sont défendues paraissent d'un autre âge, quand les menaces semblent, elles aussi, héritées d'un temps plus ancien.

    Ambigu, le film force donc le spectateur à prendre position par rapport à ce qui est montré, preuve d’un cinéma intelligent. On  ne peut, par rapport au dernier plan du film montrant un Charles Bronson souriant en regardant ses prochaines victimes, que penser qu’on a affaire à un fou furieux ; mais la folie du personnage renvoie au chaos du monde qui l'entoure, que ce soient les bandits, mais aussi les politiques qui l’ont sciemment laissé en liberté. Initiateur de nombreuses polémiques (et paradoxalement de nombreuses suites), tout comme les Dirty Harry, Un justicier dans la ville reste aujourd’hui un témoin de son époque troublée, symbole d’un clash entre la fin d’une époque et le début d’une autre, à l'image de l’Hollywood de l’âge d’or qui laisse sa place aux jeunes loups du Nouvel Hollywood.

  • Pour toi j'ai tué (1948)

    Un film de Robert Siodmak

    3077248094_5368fb47d1_m.jpgA l’occasion d'un travail sur le film noir, nous découvrons aujourd’hui Criss Cross (Pour toi j'ai tué), réalisé par Robert Siodmak en 1948, deux ans après ses Tueurs, déjà avec Burt Lancaster dans le rôle principal. Après la femme fatale détestable de Detour (Edgar G. Ulmer), la violence sèche de La brigade du suicide et Marché de brutes (Anthony Mann) ou encore la folie apocalyptique de En quatrième vitesse (Robert Aldrich), nous pouvons affilier sans problème aucun Criss Cross dans la veine la plus pure du film noir. Ici, à l'image de certains personnages qui dès le début du film ont déjà perdu et sont marqués par le sceau du fatum en marche, tout est déjà joué dès les premières minutes. La vue aérienne qui débute le film est d’ailleurs très à-propos, s'approchant peu à peu du lieu où tout bascule, un bar interlope du centre-ville ; les activités humaines ont l’air d'un monde miniature où le contrôle de la destinée semble impossible, déterminée par quelque chose de plus grand. La tentative de hold-up d'un camion blindé se soldera, ce n'est jamais une surprise, par un échec sanglant.

    Le couple qui ouvre le film est un couple clandestin, qui doit se rencontrer la nuit tombée sur le bitume glacé d’un parking. Dès les premiers mots échangés, on entend la résonance d'un passé qui refait surface, d'un passé qui fait mal mais les relie envers et contre tous. Le film est essentiellement construit autour d'un long flash-back de 45 minutes, d'ailleurs quasiment raccord avec le temps réel du métrage.  Ce flash-back n'est cependant pas celui du passé originel, celui de la rencontre, du mariage et du divorce de Steve et d'Anna ; celui-là, on ne le verra jamais, mais on peut aisément le deviner. Non, le flash-back intervient lors des retrouvailles accidentelles des deux amants, un long moment étant déjà écoulé depuis leur séparation. Mais est-ce qu'un accident existe dans le film noir ? Comme l’égrène la voix-off de Burt Lancaster, "It was in the cards", c'était la destinée. Cette voix-off insiste longuement sur sa résistance de Steve envers cette force invisible, qu'il n'était pas revenu dans sa ville natale pour revoir celle qui fut sa femme. Malgré tout, sa première action est de revenir au lieu de leurs rendez-vous d'autrefois, le bar Round-up. On note un vrai décalage entre les actions du personnage principal et ce qu'annonce sa voix-off, elle qui a la possibilité de mettre les événements en perspective. Malgré tout, une fois que le cours du récit revient au temps présent, c’est exactement ces mêmes erreurs que Steve reproduit : même en étant relativement conscient de la mauvaise route qu'il prend, il ne peut pas s'en empêcher. Les choses se passent malgré lui, comme s'il était téléguidé par une force avec laquelle il est en perpétuelle lutte sans avoir aucune chance de gagner. L'enchaînement des actions nous fait comprendre les faiblesses du personnage principal : il se croit maître de ses actions, assez intelligent pour passer entre les gouttes alors que toutes ses décisions ne font que précipiter un peu plus sa fin et celle des autres. Siodmak prend ici à revers les caractéristiques de Swede, le personnage de Burt Lancaster des Tueurs, qui attend sa mort car croit la mériter alors qu'il a tout faux. Ici, Steve pense qu'il va toujours s’en sortir, et il a également tout faux. Les deux films sont ainsi des miroirs chacun l'un pour l’autre : c’est dire la place importante de Criss Cross dans la lignée du film noir. Et si, à la source du tourbillon funèbre, ce n'était ni la poisse, ni le destin, mais seulement une passion dévorante qui marquerait au fer rouge la vie de tous ces personnages ?

  • Le facteur sonne toujours deux fois (1946)

    Un film de Tay Garnett

    3060986982_d3c6a7a251_m.jpgDans ce film noir typique adapté du roman de James M. Cain, deux amants criminels prévoient le meurtre du vieux mari de la jeune femme, dans un enchaînement d'actions qui fait penser au chef d'œuvre de Billy Wilder, Double Indemnity (Assurance sur la mort). La rencontre des futurs meurtriers est construite de façon assez similaire : alors que dans Double Indemnity, la caméra filait les jambes de Barbara Stanwick accompagnée des paroles de Fred MacMurray en off, ici c’est un bruit, un rouge à lèvres qui tombe sur le sol, qui scelle la rencontre. La caméra s'immobilise d’abord sur l’objet, puis remonte vers son origine et s'arrête à nouveau sur deux jambes parfaites. En contre-champ, le jeune homme n'en croit pas ces yeux. Le plan suivant nous dévoile Cora (Lana Turner), au teint hâlé dans une tenue d’une blancheur immaculée, comme sortie de l’Olympe céleste. Frank (John Garfield), en contre-champ, en a eu le souffle coupé (son jeu est juste incroyable). Dans cette introduction réside la plus belle scène du film. John Garfield, acteur maudit, d’abord sous-employé par les Studios et harcelés par la chasse des sorcières, finira sa vie épuisé, à l'âge de 39 ans. Il excelle dans ce film à jouer cet homme perdu dans la société contemporaine, souffrant de la maladie des "pieds qui démangent", prenant toujours la fuite. Allez, pour les nostalgiques (et tous les autres), la perle du film.

    La thématique de l’ensemble me semble bien être l'imprévisibilité, tout ce qui sort du cadre ; car, bien que minutieusement préparé, le plan va dès le début se vriller complètement. Comme à l'habitude, me direz-vous : un chat qui ne devait pas être là, ainsi qu’un policier, font tout capoter la première fois, alors qu'on pouvait penser que le plan allait fonctionner mais que les amants allaient être inquiétés. Première surprise, le mari ne meurt pas et le couple échappe à l’inculpation. Ils décident alors d'abandonner leurs sombres idées et de s'éloigner l'un de l'autre. Cela ne dure qu’un temps, et lorsque John Garfield reparaît, il réanime l'envie de meurtre. La suite est aussi surprenante dans sa capacité à jouer de l’imprévu. Une assurance-vie de 10 000 $ a été souscrite au nom du mari (comme dans Double Indemnity) mais ni la jeune femme ni son amant n’étaient au courant ! Autre surprise. Le film joue sans cesse avec le spectateur, ne partant généralement pas dans la direction où on  l'attendait. C'est déjà une grande réussite. Ce qui fascine encore plus, c’est l'alchimie entre les deux amants et la puissance érotique que dégage Lana Turner, alors que la censure du code Hays battait son plein. Tout comme Phyllis, Cora entraîne un jeune homme hors du droit chemin, presque malgré elle, mais le fatum est à l’œuvre : la noirceur chère au film noir rattrapera tout ce petit monde pour un message final cette fois plus raccord avec le code de production cinématographique, sacrant la justice universelle, contre l'impunité. Mais l'on est pas dupe : le désespoir nimbant l'oeuvre détourne la censure et les contraintes, ces dernières constituant bien à l'époque un challenge constant et ici, très réussi.