Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

robert siodmak

  • La double énigme (1946)

    Un film de Robert Siodmak

    7088489847_7dd09c84a6.jpg

    Du réalisateur, les films noirs sont fameux ; Phantom Lady (alias Deux mains la nuit lors de sa sortie sur les écrans français) et sa mystérieuse jeune femme qui disparaît, Pour toi j'ai tué et ses amants tourmentés, jusqu'à son sommet, Les tueurs et sa structure en flash-back (tournée la même anné que La double énigme), relativement nouvelle pour l'époque. 

    La double énigme commence de but en blanc comme un polar, par sa scène de meurtre dans un noir d'ébène. Les indices convergent extrêmement rapidement vers une jeune femme, aperçue par de nombreux témoins, sans doute possible. Il s'agit d'une femme affable voire très gaie, qui tient un bureau de presse ; mais, aussi vite qu'elle avait progressé, l'enquête marque le pas, lorsque la police rend visite à la jeune femme : les enquêteurs y découvrent sa sœur jumelle. Devant le silence du duo, il apparaît impossible de départager qui de l'une ou de l'autre a commis l'odieux crime. Entretenant une illusoire similarité physique, elles s'habillent dans leurs premières scènes communes de tenues identiques en tout point : étoffes, couleurs, coiffure. L'époque, antérieure aux relevés d'empreintes et aux relevés d'ADN, poussent les enquêteurs dans des retranchements ambigües : car s'ils ne peuvent identifier la coupable avec certitude, une certitude aussi importante s'impose du même coup, l'une des deux étant forcément la meurtrière. On voit bien là les deux limites du film : trop de possibilités induites par deux personnes physiquement interchangeables, et un suspense inexistant car l'on connaît par avance la meurtrière. Deux pièges que Siodmak va réussir à transcender.

    Du film policier, même du film noir pur jus, l'on passe  à une déclinaison très en vogue dans le Hollywood des années 40 : le film de psychanalyse. La même décennie voie Le secret derrière la porte de Fritz Lang et La maison du docteur Edwardes de Hitchcock, qui aimera à utiliser les ressorts psychanalytiques dans plusieurs de ces films (Vertigo, 1958,  Psychose, 1960, Pas de printemps pour Marnie, 1964). Jamais pourtant, autant que dans La double énigme de Siodmak, l'on ne nous aura expliqué de façon plus directe les principes de base utilisés par Freud. Associations d'idées, test de Rorschach ou encore l'importance des traumas vécus dans l'enfance. Un des buts du film semble clairement l'appropriation par les public des concepts de la psychanalyse, ou en tous cas la compréhension des pratiques phares. Le test de Rorschach est notamment décrit et expliqué avec moult détails par le médecin qui va se charger d'analyser les deux sœurs, en collaboration discrète avec la police. Pour achever le tableau, le médecin est amoureux d'une des deux sœurs, l'innocente bien entendu ; son travail n'est donc pas aussi désintéressé qu'on peut le croire, tant il veut avant tout découvrir laquelle est l'élue de son cœur pour pouvoir se déclarer. Au fil du récit, les deux femmes vont se différencier de plus en plus ; on pensera à d'autres film explorant cette dualité, Faux-semblants de David Cronenberg (1988) ou encore Sisters (1973) de Brian De Palma.

    Chaque pièce est en place, et chacun joue son rôle à la perfection ; mais les effets de surprise restent malgré tout très présents, notamment grâce à Olivia de Havilland qui réussit à habiter deux personnages complètement opposés ; l'on se demande même souvent laquelle est devant nos yeux, tant elles peuvent tromper  la fois les personnages du film, et nous-même. Siodmak et son directeur photo Milton R. Grasner (ce dernier avait éclairé l'année précédente La rue rouge, grand film noir de Fritz Lang) utilisent astucieusement les deux profils de l'actrice afin de dessiner des différences d'ombres, de regards, d'expression, comme un double inversé pas tout à fait raccord. Les nombreuses scènes de multi-expositions (où deux Olivia de Havilland sont présentes dans le même plan) sont bluffants. Dans un ensemble somme toute assez balisé, mais extraordinaire de maîtrise formelle, l'acte final est superbe, ménageant tout  la fois le suspense et bannissant un véritable happy end. La double énigme est finalement un ravissement au propos trop didactique. Mais quels grands moments !

  • Pour toi j'ai tué (1948)

    Un film de Robert Siodmak

    3077248094_5368fb47d1_m.jpgA l’occasion d'un travail sur le film noir, nous découvrons aujourd’hui Criss Cross (Pour toi j'ai tué), réalisé par Robert Siodmak en 1948, deux ans après ses Tueurs, déjà avec Burt Lancaster dans le rôle principal. Après la femme fatale détestable de Detour (Edgar G. Ulmer), la violence sèche de La brigade du suicide et Marché de brutes (Anthony Mann) ou encore la folie apocalyptique de En quatrième vitesse (Robert Aldrich), nous pouvons affilier sans problème aucun Criss Cross dans la veine la plus pure du film noir. Ici, à l'image de certains personnages qui dès le début du film ont déjà perdu et sont marqués par le sceau du fatum en marche, tout est déjà joué dès les premières minutes. La vue aérienne qui débute le film est d’ailleurs très à-propos, s'approchant peu à peu du lieu où tout bascule, un bar interlope du centre-ville ; les activités humaines ont l’air d'un monde miniature où le contrôle de la destinée semble impossible, déterminée par quelque chose de plus grand. La tentative de hold-up d'un camion blindé se soldera, ce n'est jamais une surprise, par un échec sanglant.

    Le couple qui ouvre le film est un couple clandestin, qui doit se rencontrer la nuit tombée sur le bitume glacé d’un parking. Dès les premiers mots échangés, on entend la résonance d'un passé qui refait surface, d'un passé qui fait mal mais les relie envers et contre tous. Le film est essentiellement construit autour d'un long flash-back de 45 minutes, d'ailleurs quasiment raccord avec le temps réel du métrage.  Ce flash-back n'est cependant pas celui du passé originel, celui de la rencontre, du mariage et du divorce de Steve et d'Anna ; celui-là, on ne le verra jamais, mais on peut aisément le deviner. Non, le flash-back intervient lors des retrouvailles accidentelles des deux amants, un long moment étant déjà écoulé depuis leur séparation. Mais est-ce qu'un accident existe dans le film noir ? Comme l’égrène la voix-off de Burt Lancaster, "It was in the cards", c'était la destinée. Cette voix-off insiste longuement sur sa résistance de Steve envers cette force invisible, qu'il n'était pas revenu dans sa ville natale pour revoir celle qui fut sa femme. Malgré tout, sa première action est de revenir au lieu de leurs rendez-vous d'autrefois, le bar Round-up. On note un vrai décalage entre les actions du personnage principal et ce qu'annonce sa voix-off, elle qui a la possibilité de mettre les événements en perspective. Malgré tout, une fois que le cours du récit revient au temps présent, c’est exactement ces mêmes erreurs que Steve reproduit : même en étant relativement conscient de la mauvaise route qu'il prend, il ne peut pas s'en empêcher. Les choses se passent malgré lui, comme s'il était téléguidé par une force avec laquelle il est en perpétuelle lutte sans avoir aucune chance de gagner. L'enchaînement des actions nous fait comprendre les faiblesses du personnage principal : il se croit maître de ses actions, assez intelligent pour passer entre les gouttes alors que toutes ses décisions ne font que précipiter un peu plus sa fin et celle des autres. Siodmak prend ici à revers les caractéristiques de Swede, le personnage de Burt Lancaster des Tueurs, qui attend sa mort car croit la mériter alors qu'il a tout faux. Ici, Steve pense qu'il va toujours s’en sortir, et il a également tout faux. Les deux films sont ainsi des miroirs chacun l'un pour l’autre : c’est dire la place importante de Criss Cross dans la lignée du film noir. Et si, à la source du tourbillon funèbre, ce n'était ni la poisse, ni le destin, mais seulement une passion dévorante qui marquerait au fer rouge la vie de tous ces personnages ?