Un film de Russell Mulcahy
Perdu dans les pourtant rares adaptations de comics des années 90, The Shadow ne fait pas beaucoup parler de lui, si ce n'est en termes condescendants. Il est certain qu'il ne fait pas le poids face aux Batman (1989, 1992) de Tim Burton, son modèle évident. Lamont Cranston, playboy le jour, n'y est personne d'autre que le redouté The Shadow, revenant après 7 ans de voyages en Asie, chassant le crime sans répit -les plus informés auront flairé une ressemblance de plus avec Batman, le même prétexte scénaristique ayant été utilisé dans la série animée de Bruce Timm, ainsi que dans Batman Begins (Chistopher Nolan, 2005). D'aucun pensent, comme pour Batman, qu'il ne s'agit que d'une légende urbaine de plus. Le film ne manque pourtant pas d'atouts. Le Shadow est tout d'abord apparu comme héros de pièces radiophoniques, avant d'être adapté en bande dessinée.
Russell Mulcahy, le réalisateur de Highlander (1986), est à la barre et n'a rien perdu de sa patte si reconnaissable : un montage cut, des plans aériens et des cadrages aux angles extrêmes (contre-plongées exagérées, éléments qui semblent vouloir jaillir du cadre) qui offrent une belle illustration des périples super-héroïques. Entre ces envolées baroques, Mulcahy donne à voir un New-York années 30 inspiré de Batman. Il en a cependant les moyens, ne lésinant pas sur les costumes, riches en détails, les véhicules, les riches intérieurs (le Cobalt Club, L'Hotel Monolith), ... L'ambiance rétro est ce qui est le plus réussi dans The Shadow, ainsi que son parfum de pulp, qui s'il peut passer pour cheap, n'en est pas moins intentionnel. Les personnages sont un peu surrannés, les dialogues dépassent la ligne du ridicule ; c'est une des évidences les plus criantes du film. L'on y ressent aussi un flottement incessant, le spectacle oscillant sans cesse entre rêve et réalité, hallucination et émerveillement. Rien que la séquence du Cobalt Club, où Lamont Cranston (Alec Baldwyn) est subjugué par la beauté et la présence de Margo Lane (Penelope Ann Miller), est révélatrice de cet aspect. Et pour cause : l'hypnose, cet état de demi-conscience, est le pouvoir que possède Cranston / The Shadow. Embrumer les consciences et les persuader d'une réalité, là est l'arme du playboy contre le crime. La révélation de l'Hotel Monolith, caché en plein jour, est un moment poétique épaulé par la belle mélodie de Jerry Goldsmith.
Là où le Shadow s'avère une plus grande réussite que Le fantôme du Bengale (Martin Wincer, 1996), jouant dans la même cour -il s'agit aussi de l'un des premiers super-héros, évoluant dans le même New-York des années 30), si ce n'est pour ces décors, réside bien dans sa belle bande originale. Pour l'occasion, le compositeur de La Planète des singes, Patton ou Chinatown, ou des meilleurs opus cinéma de Star Trek, se fend d'un score symphonique mêlant le classique à quelques arrangements électroniques, passant allègrement d'un thème fort et positif à une respiration plus sombre, évoquant la nature schizophrène du personnage. On retiendra aussi les chants des trompettes, sonnant telles des sirènes de police sillonnant un New-York infesté par le crime.
The Shadow a malheureusement des défauts, au premier lieu desquels on peut citer les prestations des comédiens, toutes décevantes. Alec Baldwyn, même dans sa période de lumière, reste bien fade, si ce n'est sa voix grave seyant bien à son alter-ego des ténèbres. Mais alors que dire de Sir Ian McKellen, cantonné à un second rôle inepte, et John Lone (pourtant très bon dans L'année du dragon), dans le rôle du méchant chinois, qui nous rappelle les temps désuets de Fu Manchu ? On dira que malgré tout, cela fait partie du charme un tantinet dépassé du serial tel que l'a imaginé Mulcahy. Tim Curry, l'éternel Frank N Furter du Rocky Horror Picture Show, nous offre quand à lui un moment totalement fou, atomisant l'air avec sa mitraillette, dans un hall désert. Ses yeux démesurés, bien utiles dans Ça, fichent la frousse, en même temps que les méthodes expéditives du Shadow (quand on vous dit que Batman n'est pas loin).
Si The Shadow est aujourd'hui relativement oublié, ce n'est pas sans raison. Son caractère délicieusement daté, sûrement perceptible dès sa sortie, aura eu raison de lui. Pourtant, l'on pense que cet univers dans lequel on nous entraîne est saupoudré d'une désuétude tout voulue et assez savoureuse ; un cocktail divertissant au parfum bis, attirant malgré tout notre plus grande sympathie.