Un film de Dario Argento
Pour son premier film, Dario Argento met au grand jour ses inspirations, tout en leur insufflant un univers tout à fait personnel, déjà empli des obsessions qui feront toute son œuvre. S’inscrivant dans la tradition littéraire du giallo (polar à énigmes popularisé en Italie par les éditions Mondadori et leurs couvertures jaunes - giallo en italien), il y projette en effet le suspense d’Hitchcock et la narration toute en images et musique chère à Sergio Leone. Rappelons que Dario Argento, d’abord scénariste, a participé à l’écriture du scénario du cultissime Il était une fois dans l’Ouest (1968). De fait, il créera des scènes de meurtres très graphiques, poussées dans une gradation vers l’horreur au fur et à mesure des films, qui en feront une marque de fabrique de sa première période. Son virage vers le fantastique est très clairement marqué à partir de Suspiria (1977), et sa rencontre avec l’actrice Daria Nicolodi, passionnée par les sciences occultes.
Dans L’Oiseau au plumage de cristal, premier opus de ce qu’on appellera la trilogie animale du cinéaste (avec Le chat à neuf queues et Quatre mouches de velours gris, tous deux sortis en 1971), Sam Dalmas, un écrivain, est témoin d’une étrange scène de meurtre dans une galerie d’art. Durant tout le film, il n’aura de cesse d’essayer, comme obsédé, de se remémorer un détail entrevu lors de cette scène, la clé de toute l’affaire. Cette scène est exceptionnelle car fondatrice du cinéma d’Argento sur le plan visuel, et matrice de l’obsession de ses héros pour un élément pourtant vu mais oublié : un voyage vers la mémoire retrouvée. On retrouvera la même problématique chez Suzy Banner dans Suspiria (1977) et surtout, David Hemmings dans Les frissons de l’angoisse (1975). Ce dernier n’est pas là par hasard, tant son rôle dans Blow-Up (1967) de Michelangelo Antonioni a directement influencé Argento. Comme Sam Dalmas, il n’est pas policier mais va tout faire pour y voir plus clair et élucider un mystère, une scène initiale dans laquelle tout est là mais où les yeux sont abusés, trompés.
Dalmas assiste de l’extérieur à la scène de meurtre se déroulant à l’intérieur de la galerie, comme enfermée dans un cadre rappelant l’écran large de cinéma, qu’Argento utilisera pour ses films les plus marquants, et plus encore une scène de théâtre, d’où un Fantôme de l’Opéra tout de noir vêtu semble rapidement s’échapper en coulisse. La lumière qui se dégage de la scène, incluant des statues imposantes et monstrueuses, en fait un moment onirique déconnecté de la réalité, tout à fait invraisemblable (comme commettre un meurtre dans une vitrine de magasin, au vu et au su de tous). La géométrie de l’endroit est également très étrange, la galerie étant séparée de la rue par deux parois de verre pouvant se refermer comme un sas -ce qui arrive à notre écrivain, rapproché trop près de la scène. Même à quelques mètres, Dalmas n’arrive pas à tout comprendre, et pour cause : la vitre offrant une isolation phonique, il n’arrive pas à communiquer avec la victime. Un sens lui fait toujours défaut. Ce mélange d’onirisme, d’invraisemblance spatiale et de violence se retouveront dans les films majeurs d’Argento.
S’en suit une enquête ponctuée de meurtres et de personnages excentriques plutôt effrayants (ici, le peintre) qui joncheront tout autant les autres films d’Argento. Fausses pistes, vrais coupables, tout s’emmêle au gré d’un récit mené classiquement. Notons que la scène de meurtre dans la cabine téléphonique, où le rasoir semble découper l’écran, n’est pas sans rappeler la matricielle scène de la douche dans Psychose (1960). Elle aura aussi marqué un grand obsédé d’Hitchcock, Brian De Palma, dans Phantom of the Paradise (1974) et surtout dans Pulsions (1980), où la scène de meurtre dans l’ascenseur offre des similitudes frappantes avec celle d’Argento. Un début tout à fait prometteur, à voir surtout pour sa magistrale scène inaugurale.
Source images : DVD Wild Side Vidéo