Il est fascinant de remarquer à quel point certains événements traumatiques de l’histoire des États-unis restent vivaces, et ce même pour une génération qui n'est plus contemporaine dudit fait. L'exemple le plus flagrant est certainement l'assassinat de JFK, relayé par le célèbre film amateur d'Abraham Zapruder, qui nous fait revivre indéfiniment cet instant meurtrier comme si l'on y était. Le début de XIII, l’adaptation de la série de bandes dessinées de Van Hamme et Vance, débute par un meurtre similaire (l'assassinat de la présidente des États-unis) et donne à voir le même type de film que celui de Zapruder, avec ses effets tremblés, et une texture d’image qui rappelle le grain d’origine des terribles 26 secondes pendant lesquelles Kennedy a été tué, tourné en 16 millimètres.
Le thème du film entre dans un courant contemporain du film de complots, illustré constamment dans l’histoire du cinéma depuis les années 70. On pense à la grande Trilogie de la paranoïa par Alan J. Pakula, Klute (1971) - A cause d’un assassinat (1974) - Les Hommes du président (1976), qui illustre une notion chère au pays en ces temps de guerre froide : la menace vient de l’intérieur. Ainsi, XIII applique ce concept à la lettre pour un résultat énergique, rappelant encore et toujours le personnage de Jason Bourne, Van Hamme et Vance ne s'étant par ailleurs jamais caché de leur inspiration.
Revenons sur le film Zapruder et pointons du doigt une différence notable, qui indique un changement d’ère plus profond : au point de vue unique imposé (Zapruder) se substitue dans XIII une vision fragmentée, éclatée (lors de la scène inaugurale, on voit la présidente, mais aussi le building d'où est tiré le coup de feu et les réactions des passants face à l'horreur). Ce dépassement du champ (on montre le hors-champ qu'on ne peut deviner chez Zapruder, sans lequel toute résolution de l’affaire est illusoire) est à rapprocher du grand changement dans le monde de l’espionnage : le circuit de l'information et les technologies numériques. Alors que le modèle classique de l’espionnage consiste en un enchaînement de filatures, de couvertures et de recueil d'information laborieux (Les Hommes du Président, voire Bons baisers de Russie, pur film d’espionnage à l’ancienne), on a aujourd’hui pratiquement le phénomène inverse, où l'individu est piégé par avance devant la multitude d’indices qui l'identifie : suivi des mouvements bancaires, identification instantanée grâce aux fichiers de la CIA/FBI/,... Ce sont souvent les coupables, aux commandes de ces outils dignes du Big Brother de 1984, qui accumulent des fausses preuves pour coincer un homme là au mauvais moment, au mauvais endroit. Depuis l'avènement de l’informatique, un nouveau genre de film voit le jour, qui ressuscite cette bonne vieille paranoïa, puissance 1000. On retrouve tous ces éléments dans l’adaptation de XIII sur le petit écran, même si les fans de la bande dessinée seront déçus par un casting pas très en accord avec le physique des protagonistes originaux. Tout à fait dans l'air du temps et programmé avec une actualité implacable - les élections américaines -, XIII constitue un divertissement plus qu'honnête, sachant intelligemment mettre au goût du jour le propos de la BD.
2000's - Page 15
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XIII, la mini-série
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Quantum of Solace (2008)
Un film de Marc Forster
Le nouveau James Bond étonne tout en faisant état d’une continuité évidente. Il constitue le premier film de la franchise à être une suite directe du très bon Casino Royale. Dans le rappel de ce simple fait, on décèle un changement plus profond que cela paraît : la dimension toute serialesque chère à James Bond, avec lequel une aventure complète nous était proposée à chaque film, et chez lequel on retrouvait des caractéristiques récurrentes. Rappelons ici que nous sommes au cœur d’un renouvellement complet de la franchise, Casino Royale et Quantum of Solace représentant un épisode 0 dans la caractérisation d’un nouveau Bond. En effet, on peut se demander dans quel mesure on assiste à un James Bond movie : pas de gadgets (rupture déjà amorcée par Casino Royale, radicalisée ici), pas de frivolités avec la gente féminine (Bond ne flirte même pas avec Olga Kurylenko), impasse sur l’humour, pas de "My name is Bond, James Bond". Entre tradition et (r)évolution, le nouvel opus signé Marc Forster semble avoir choisi son camp. Quantum of Solace fait montre d’une rudesse qui saute à la gorge, de rugosité, voire d’austérité, loin des fastes du passé (décors, voitures, ...).
Le plus connu des agents secrets poursuit une quête de vengeance personnelle froide et limite aveugle, devenant une machine à tuer incontrôlable digne d’un Terminator, pour qui le respect des ordres donnés par sa hiérarchie est... aléatoire. C’est là que Quantum of Solace paye un trop lourd tribut à la trilogie Bourne. L’agent de l’écrivain Robert Ludlum et ses adaptations cinématographiques ont dépeint de façon trop évidentes sur les scènes d’action du métrage, rendues illisibles par un excès de tremblements et de sur-découpages : sans plan de référence montrant l’ensemble de la scène, on est perdu alors même que seulement deux protagonistes se battent ou se coursent à l’écran. Bond, dissident au sein même de l’organisation qui l’emploie, rappelle le parcours de Timothy Dalton alias James Bond dans le violent Permis de tuer (John Glen, 1989). Pour être un Bond crédible dans le film d’espionnage d’aujourd’hui, il doit se poser en rebelle, en électron libre au sein d’un système où toutes les cartes sont truquées d’avance. Le monde dépeint dans le film s’affranchit de toute notion prédéfinie de bien ou de mal, et privilégie une théorie du complot où les membres les plus importants des états dominants font affaire avec des truands notoires en connaissance de cause. La note d’intention est bien un réalisme à outrance, moins charmant mais plus (trop ?) crédible. On se retrouve donc dans une configuration de pur récit d’espionnage, empli de couvertures, d’infiltrations, et d’un certain flou dans les motivations de chacun. On perd cependant beaucoup du charme d’un Bond classique (couleurs chaudes, belles voitures, lieux paradisiaques, une fenêtre de fantaisie et de rêve).
A l’image du monde actuel, James Bond subit des transformations d’importance : il est un des témoins révélateurs de notre époque, le changement dans la continuité ; à chacun de choisir dans quel époque ils préfèrent vivre. -
Tonnerre sous les tropiques (2008)
Un film de Ben Stiller
Tonnerre sous les tropiques avait eu droit à une promotion efficace, à base d'affiche parodique Rambo-style, et d'une bande annonce dont le plus grand effet spécial était Robert Downey Jr. : grimé en noir pour un "relooking extrême" dont même la pire émission de télé-réalité n'aurait pas pu rêver, il bouffait déjà l’écran. Après une prestation empreinte de charisme, d'intelligence et surtout d'un grand sens de l’humour dans le bon Iron Man, on l’a enfin accepté comme un acteur au grand potentiel comique, aux côtés de deux poids lourds (Jack Black et Ben Stiller) dans Tonnerre… C’est d’ailleurs lui la vraie star du show, dégaine impayable, répliques ultimes, accent parodique sur fond de réflexions désopilantes sur le métier d’acteur. Son association avec les deux trublions sus-cités promettaient d’ailleurs beaucoup aux aficionados d'humour énaurme assumé jusqu’au bout.
Acteur-réalisateur (cas rare dans l’univers de la comédie), Ben Stiller paye de sa personne les gags les plus lourds (ce n’est pas négatif) mais aussi et surtout les plus humiliants. Déguisé en singe agitant des cimbales ou hennissant avec un gars sur le dos dans Zoolander, il nous joue ici deux trucs qui constituent la patte Stiller : un panda trucidé par sa faute dont il porte la tête en casquette (je vous laisse imaginer) et une performance comme Hollywood les aime : Stiller joue un malade mental et devient l’idole d'une bande de parrains locaux dont c’est le seul film qu’ils aient jamais connu. A part ces scènes tellement over the top qu’elles en deviennent géniales, à quoi peut-on s’attendre sur la durée ? L’idée de base paraissait déjà trop foutraque pour tenir sur un format long-métrage -des acteurs venus tourner le film de guerre ultime se retrouvent catapultés dans une vraie jungle où des caméras cachées sont censées prendre leurs émotions sur le vif- et c’est vrai qu'après que le réalisateur de ce chef d’œuvre guerrier (dans le film) disparaît en fumée, on a l'impression d'assister à un spectacle tourné un peu en roue libre, assez efficace cependant dans la parodie (les fausses bandes-annonces du début sont excellentes) mais un peu trop relâchées dans l'enchaînement des péripéties : une fois que le petit groupe est dans la jungle (soit les 2/3 du film), il ne se passe plus grand-chose.
Hollywood ne sort pas grandi de cette (petite) charge politiquement incorrecte : acteur shooté, producteur mono-maniaque et agent qui n’en glande pas une à part jouer à la console ; mais la tendance geek de Stiller lui intime de réellement tourner son film de guerre, et non plus la parodie qu'il était parti pour trousser. La dernière partie laisse donc l'humour de côté pour nous plonger dans le film dont on était censé voir la parodie : malgré de très bons moments, Tonnerre sous les tropiques aurait pu être bien meilleur.
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Vicky Cristina Barcelona (2008)
Un film de Woody Allen
Le cinéma de Woody Allen a changé. C'est un fait établi depuis, disons, Match Point. Cette bifurcation, moins comique, plus thriller intimiste, apportait alors beaucoup de fraîcheur au parcours d’un cinéaste prolifique mais au renouvellement quasi absent. Avec son dernier film en date, présenté à Cannes 2008 dans l’euphorie de la présence simultanée à l’écran de deux bombes anatomiques, Johansson et Cruz, on semble arriver à un point de non-retour, un moment où s’étiole déjà (Match Point date de 2005) le renouveau Allen. Osons le dire, Woody est carrément en vacances. Au moins c’est raccord avec le thème du film (Vicky et Cristina passent l’été à Barcelone : comment ça, tout est déjà dans le titre ?)
Le Woody 2008, c’est relâche : scénario déjà vu sur lequel on a constamment trois temps d’avance, mise en scène absente où Allen se contente de filmer Barcelone et ses personnages à la touriste - Javier Bardem et Scarlett Johansson ne semblent pas vraiment concernés par ce qu'il se passe- ; personnages pour lesquels on ne peut avoir aucune empathie : tous guidés par des pulsions "incontrôlables" -seule raison invoquée : Barcelone est chaude, colorée et pleine d’architectures bizarres, et il y a Javier Bardem-, ils se détruisent eux-mêmes dans des abîmes de réflexions auto-analytiques (la palme à Vicky, qui a un peu de mal à jouer Woody Allen) sur le sens de l’amour. C’est ici et juste ici qu'on se dit : une mise en scène touriste, un scénario déjà vu, tous plein de défauts et cette tendance "ménage à trois, so modern !" : le film de Woody Allen est en fait le film de Cristina (Johansson), qui dit avoir joué et réalisé un film sur "la difficulté de l'amour" de 12 min. ! Celui-là, on ne le verra pas, bien sûr. Pour illustrer la jeunesse, l’inexpérience et –sûrement- la prétention de la réalisatrice, il aurait raté son film exprès (ou du moins, on ne pourra pas lui reprocher le résultat : c’est le film de Cristina !). Cette réflexion ne manquera sûrement pas d'être relevée par les adorateurs du cinéaste (Télérama anyone ?) pour crier au génie d'une mise en abîme invisible. N'empêche, le film est un gros ratage.
Cerise sur le tùron, la structure du métrage est bordélique dans sa façon de contrôler le récit, la faute à une voix-off insupportable qui vient déjouer à chaque fois le peu de tension dramatique qui pourrait poindre. En totale contradiction avec le reste du film –et dirait-on, comblant des explications que Woody Allen n'aurait pas eu le temps de tourner-, elle semble indiquer que le film est une comédie, ce qui est pourtant loin d’être évident.
Bref, quand on s’est ennuyé ferme tout du long, l'apparition de Penelope Cruz et sa scène sensuelle avec Johansson, baignée dans un rouge sur-signifiant inutile, ne suffisent pas à empêcher une des plus grandes déceptions de l’année.