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Critiques de films - Page 47

  • Opération Lune : un classique du documenteur sur Arte

    5049776667_9076daabbc_m.jpgUn film de William Karel

    On se souvient de la première diffusion d’Opération Lune, le 16 octobre 2002 : alors dans une période de découverte et d’émerveillement total devant le cinéma de Stanley Kubrick, on regardait bouche bée ce documentaire très bien ficelé par William Karel (CIA guerres secrètes, Le monde selon Bush). Pris en cours de route, le film était très déconcertant, et l’on aurait pu croire à sa théorie devant le parterre de spécialistes interrogés. Alignant avec le plus grand sérieux les intervenants prestigieux, de Buzz Aldrin à Christiane Kubrick en passant par Donald Rumsfeld, il met en doute la véracité des images des premiers pas de l’homme sur la lune retransmis en direct dans le monde entier le 20 juillet 1969. Et, comme Kubrick sortait quelques mois plus tôt son ultimate trip, 2001, l’odyssée de l’espace, pourquoi n’aurait-il pas participé, d’une façon ou d’une autre, à la création de cet événement ? En plus de la surprise et de l'accumulation de preuves accablantes, c'est les portes du cinéma qui nous sont grandes ouvertes, le spectateur pénétrant dans un univers où tout, des noms judicieusement donnés jusqu'aux interviewés, a comme un air de l'artifice cinématographique le plus total.

    Rappelant les facéties d'Orson Welles avec La guerre des mondes ou encore l’ahurissant Forgotten Silver (1996) réalisé par Peter Jackson, lui aussi constellé des interventions les plus convaincantes, nous présentant des preuves filmiques fabriquées de toutes pièces mais tout à fait vraisemblable, Opération Lune va tout de même un peu plus loin dans le faux et convoque un sens du complot éprouvé dès 1969. Ce documenteur, le plus fabuleux faux qu’on a eu l’occasion de voir, est rediffusé sur Arte le jeudi 7 octobre à 22h35 : notre conseil, si  vous n’avez jamais vu ce petit bijou aux multiples références cinématographiques, est de faire tourner les enregistreurs numériques pour regarder et garder cette Opération Lune d’excellente facture.

  • Dorian Gray (2010)

    Un film de Oliver Parker

    5038328677_9c18c5fd48_m.jpgMais pourquoi donc Dorian Gray nous arrive-t-il directement en DVD et Blu-ray ? En effet, en dehors de son pays d'origine, le film de Oliver Parker passe par la petite porte, pour ne pas dire directement à la trappe. Ce n'est pas faute, ni d'un casting réussi (Ben Prince Capian Barnes et Colin Firth), ni d'un production design soigné, et encore moins d'une narration vraiment entraînante. Cette dernière reprenant le conte moral  de Oscar Wilde plutôt fidèlement, introduisant chaque personnage et presque toutes les péripéties à la lettre. Ce qui ne veut pas dire sans ambition : la peinture d'une époque victorienne est crédible, malgré quelques incrustations numériques voyantes (les extensions de quartiers dans les arrières-plans). Les acteurs sont convaincants, Colin Firth en première ligne, hédoniste cynique critiquant à tout va les moeurs de ses contemporains. Ben Chaplin (La ligne Rouge, Terrence Malick, 1998) donne également une belle force à son rôle de peintre obsédé par la beauté de son modèle. Là où d'autres adaptations ont été timides, en regard de leur conditions de production et de leurs époques respectives (le très beau Le portrait de Dorian Gray par Albert Lewin), le Dorian Gray millésime 2010 nous offre une grande ambiguïté dans les rapports entre les trois hommes, rapports d'admiration réciproque, voire de fascination, connotant une sensibilité homosexuelle tout à fait en phase avec le caractère androgyne de Ben Barnes. Le baiser de Basil (Ben Chaplin), ou le tendre intérêt de Lord Henry pour son protégé, tend une ligne de force sur tout le film.

    Lord Henry attire Dorian vers un monde de plaisirs immédiats qu'on rapproche de l'hédonisme. Les plaisirs de l'amour physique, de la boisson semblent être la seule religion de l'aristocrate, soit. Mais l'ensemble prend un air de corruption qui n'est plus en rapport avec les actes perpétrés. Quand le portrait de Dorian commence à se flétrir, il n'a rien fait qui soit vraiment répréhensible, sinon d'un point de vue judéo-chrétien dépassé. En effet, si on considère la recherche des plaisirs sous toutes ses formes comme mauvaises, alors seulement la transformation du tableau apparaît vraisemblable. Dans le cas contraire, les blessures de son âme visiblement corrompue (un vers luis sortant de l'oeil, impliquant un pourrissement moral) sont tout à fait disproportionnées par rapport aux actes. Le récit semble ainsi mélanger hédonisme et perversion morale ; de plus, le portrait accueille la vieillesse physique à laquelle Dorian échappe. Mais là n'est presque pas le débat, tant son cercle d'amis s'émeut peu de aspect physique inchangé. Non, si le diable est à l'oeuvre, c'est dans sa clémence face aux usages extrêmes, voire contre-nature, de Dorian. On voit à quel point la morale a changé depuis, et heureusement. Car, ce n'est pas en passant sa vie à voyager, donc en profitant de son temps sur Terre, que l'on fait quoi que ce soit de moralement répréhensible ! Tout cela est très moral. Pourtant, le côte fascinant de ce mythe universel est bien la fascination que Dorian entretient pour sa propre personne, fil rouge un peu trop discret de l'oeuvre. L'écueil auquel Dorian l'innocent n'échappe pas est un orgueil mal placé, une trop grande conscience de sa beauté qu'il utilise comme outil de manipulation. Là est la grande force du récit original : mais, à l'aide d'une bonne caractérisation des personnages et d'un univers bien ancré, le film réussit à nous faire passer un moment agréable, bien loin de certaines production blindées d'argent qui ont les honneurs d'une sortie en grande pompe (au hasard, Le Choc des Titans millésime 2010).

  • Kick-Ass (2010)

    Un film de Matthew Vaughn

    5011734509_d2dee316f1_m.jpgLa note d'intention de Kick-Ass, le film (adapté du comic book de Mark Millar et John Romita Jr.) le rend instantanément sympathique ; un mélange d'action, de super-héros et de comédie, qu'on peut prendre dans l'ordre que l'on veut selon sa sensibilité. Les geeks verront plus le côté déconstruction du super-héros, d'autres beaucoup plus les passages ouvertement comiques, et les fans d'action seront comblés. Le film est, à ce titre, assez complet, tant  l'alchimie de ces dimensions dépasse leur simple somme mathématique. De ce type de film, Il y en a finalement assez peu, qui savent s'attirer cette forme de sympathie naturelle à un large panel de public ; cela tient, à mon avis, au très bon timing de la bande originale et au choix des morceaux qui la compose, qui collent aux baskets des images et leur impulsent un rythme syncopé, frénétique, tantôt plus calme pour appuyer l'iconisation du personnage principal. Le pool de compositeur (rien moins que quatre) signent chacun une partition exemplaire, entre électro, rock, pop et musique symphonique, John Murphy n'étant présent que pour -légèrement- remanier ses thèmes de 28 semaines plus tard et Sunshine.

    Le côté équilibriste du film est de se vouloir une déconstruction du mythe des super-héros, c'est-à-dire montrer que des personnages en collants incarnant des idéaux vivants, ne peuvent exister au premier degré. Car, dans le même temps, le film est totalement un film de super-héros au premier degré, au sens le plus noble du terme. Ainsi, lorsque l'on voit le premier plan du film, cet iconique homme-oiseau déployant ses ailes de métal au-dessus de New-York, accompagné du thème musical ouvertement John-Williamsien, on est dans le super-héros. La continuité de la scène, dans laquelle on découvre ce faux super-héros écrasé sur une voiture cinquante étages plus bas, on a la déconstruction : tout cela n'est que poudre aux yeux. Et surtout, ce n'est pas un américain comme le voudrait la tradition, mais un arménien un peu fou... Il me faisait surtout penser à Condorman, vous vous rappelez, cette production Disney du début des années 80 ? Ah oui, c'était sans parler de Hit Girl, gamine qui jure comme un charretier et bastonne mieux que dans Matrix. Elle bouffe l'écran à chacune de ses apparitions ; les studios, démarchés pour financer le film, se sont tous défilés à cause de ce personnage, définitivement trop politiquement incorrect. Ceux-là même qui, plus tard, voyant le fil terminé, ont dit : il faudrait plus de Hit Girl ! Et c'est vrai qu'on en redemande. Voir déambuler cette contradiction par essence, un soldat surentraîné dans un corps d'enfant qui demande des couteaux papillons pour son anniversaire, on appelle ça un coup de génie ou je ne m'y connais pas. 

    Mais, dans la scène qui clôture le film, on a bien deux super-héros contemplant le ciel sans nuages de New-York, musique compris, et l'on en restera là : ou comment commencer et finir par deux tableaux graphiquement similaires mais totalement opposés dans leur sens. C'est toute l'intelligence de Matthew Vaughn, réalisateur impliqué, que de faire passer ce grand écart... comme une lettre.

    Relecture colorée d'un point de vue graphique comme langagier, Kick-Ass (littéralement Botter des culs, faut-il le rappeler) dépeint le quotidien de Dave, un ado normal qui passe ses journées à se masturber, à aller au comic-shop et à être invisible à toute créature féminine. Son profil (comme son apparence) rappelle immanquablement Peter Parker, alias Spider-Man, alias Tobey Maguire. Le même Maguire qui, dans le très bon Pleasantville, était lui aussi invisible aux filles, passant la scène d'introduction à parler à une fille qui, elle, ne lui parle pas du tout... Point commun parmi d'autre entre Kick-Ass et Spider-Man, qui décale des scènes clés de l'emblématique film de super-héros, d'ailleurs une des seules réussite absolue sur le média : quitte à prendre un modèle, autant viser le haut du panier. Ainsi, on croisera une relecture du Un grand pouvoir nécessite de grandes responsabilités, le test du vol sur le toit ou encore les essais beaucoup plus comiques du costume. Tout le sel de Kick-Ass est qu'il passe plus de temps à voir son cul botté plutôt que l'inverse. D'autres super-héros passent à la moulinette des autres personnages comme Hit Girl, fillette de 10 ans qui manie les couteaux comme un marine, et qui nous gratifie d'une référence à Batman pas piquée des vers. Nicholas Cage est d'ailleurs très impressionnant dans son exercice de caricature de Batman, le film réunissant les icônes des deux firmes concurrentes, Marvel (pour Spider-Man) et DC pour Batman.  

    Selon la scène, le film oscille donc, dans une balance agile, entre les tons, les couleurs, les péripéties, dont l'énormité croissante offre un mix entre Tarantino et Sin City. Un vrai film comic book, sur les comics et pour les fans de comics. Le premier comic-book movie, serait-on tenté de dire, dans le top 3 des films de 2010. 

    Le blu-ray qui vient de sortir est très réussi, nous faisant entrer dans l'antichambre de la création, que ce soit du comics (très bon doc d'à peine 25 minutes qui arrive à être très pointu) que dans le film (un making-of monstrueux de 2h et une lecture du film commenté par Matthew Vaughn avec d'autres documentaires à la clé). On y découvre un réalisateur attentif aux moindres détails (le mixage son et la musique en premier lieu), perfectionniste au possible, et de fascinantes séquences notamment sur l'étalonnage numérique (cette scène est trop bleue, modifie les couleurs!) et sur les capacités de combat de la jeune Chloé Moretz, bluffants. En deux mots comme en cent, foncez!

  • Mondwest (1973)

    Un film de Michael Crichton

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    Pour nous dernier film à voir  du regretté Michael Crichton, Mondwest (Westworld en version originale) est aussi le premier essai cinématographique de l'auteur de Jurassic Park. Le déroulement du scénario de ce film rare (MAJ d'avril 2012 : enfin édité par Aventi en DVD et blu-ray) préfigure largement celui des dinosaures, dépeignant une sorte de parc d'attraction dans lequel les attractions vont se retourner contre les touristes.

    Le film débute par un journal télévisé où un reporter présente avec fièvre le dispositif de loisirs de Delos, interrogeant des touristes sortant juste de leur escapade. Crichton aime à cibler la télévision comme miroir déformant de la société, comme ce sera le cas pour Looker, dont le premier plan nous gratifie d'un film publicitaire.

    Dès cette introduction, la ligne de démarcation entre réel et/ fiction est ambiguë. On se vante d'avoir tué des cow-boys, d'avoir vécu comme au temps de l'ouest (ou à l'époque médiévale, ou romaine). L'hésitation d'un homme à qualifier son expérience, entre expérience réellement vécue mais dans le fond entièrement fabriquée, est très parlante. 

    Deux hommes, dont l'un a déjà tenté l'expérience par le passé, vont vivre à l'heure de l'ouest dans un environnement entièrement peuplé de machines, reproduisant dans un mimétisme confondant l'être humain. Il n'est donc pas possible de les différencier d'avec des humains véritables. C'est cette idée que j'ai trouvé remarquable dans le film, cette hésitation constante à qualifier ce qu'il se passe à l'écran en fonction de qui est dans le champ de la caméra. Robot ou humain ? Même le serpent, qui mordra vigoureusement un des deux hommes (James Brolin), est synthétique. Montrant les dangers d'un environnement peuplé de machines qu'on ne peut départager des hommes, Mondwest un vrai film cyberpunk avant l'heure, n'exploitant malheureusement que peu les potentialités de son sujet en or. Pour moi, Crichton, c'est un peu ça : un homme qui trouve des concepts géniaux mais qui ne sait pas les sublimer par le processus cinématographique. La progression narrative, notamment, est extrêmement lente, nous montrant plusieurs fois la même procédure sans valeur ajoutée (l'hôpital pour robots, une autre des passions de Crichton, alors futur producteur d'Urgences). Dans un monde fabriqué, peu d'enjeux apparaissent lorsque les robots sont à la botte des humains (ils se battent à chaque fois qu'un touriste a envie de sortir son pistolet), même si le film, finalement un des meilleurs de Crichton, réussit un truc énorme : les hommes couchent avec des robots ! Et, à ce qu'ils en disent, ils ne trouvent ça pas si mal...

    Un fois les décors plantés (les deux autres mondes ne font que de la figuration, le sujet du film étant bien uniquement le Westworld), les robots accusent de plus en plus de pannes : comme une rébellion contre une domestication forcée, ou bien encore la reproduction du processus de dérèglement de la société humaine. Car si l'exercice est factice en apparence, les balles sont bien réelles et peuvent tuer. L'univers du film semble d'abord extrêmement contrôlé, montrant une salle remplie d'informaticiens créant les codes nécessaires à l'application des tâches (ainsi, ils ne disent pas "tel personnage marche dans la rue et interrompt une conversation", mais plutôt "tangente delta à oméga, nouvel indice filaire", bref une interface numérique assez inédite à l'époque dans le panorama cinématographique américain, qui a toujours intéressé Crichton. Le Truman Show de Peter Weir ira même copier une séquence entière, celle où l'on découvre la mise en marche du monde le matin ; les personnages, d'abord immobiles, commencent à marcher et à vaquer à leurs occupations après un compte à rebours : mise en abîme du processus de tournage d'un film, lui-même mise en abîme de la création du monde. Mondwest est donc un film qui ne manque pas d’intérêt, mais cinématographiquement pas très réussi, faute de rythme et d'idées non abouties. Mais rien que pour Yul Brynner en cow-boy indestructible tout droit sorti des Sept mercenaires, ça vaut le coup d'œil...

  • Dark City Director's Cut (2009)

    Un film de Alex Proyas

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    En 1998, date de sortie du film d'Alex Proyas, personne n'était prêt pour assister à un tel spectacle : on a pu dire aussi pudiquement que "le film n'a pas trouvé son public" ; on se rappelle pourtant bien la grosse impression que le film nous avait laissé en salles, pourtant vu en version française (indigne quand on connaît la version originale), et en pleine fête du cinéma, entre fille d'attente interminable et coincé dans un planning chargé entre Les visiteurs 2 et Vampires de John Carpenter. Bref, rien n'indiquait que Dark City devienne avec les années l'objet cinématographique sur lequel la majorité des cinéphiles aujourd'hui tiennent pour un authentique chef d'œuvre. 

    Préfigurant un courant de films dépeignant des mondes impersonnels, préfabriqués vécus comme des prisons (Truman Show, Matrix), Dark City nous plonge dans une odyssée ténébreuse assez fascinante, que son réalisateur n'a malgré tout pas façonné à son envie lors de la sortie en salles. 

    Démonté par des projections-tests pourtant pas si désastreuses, le studio New Line a imposé à Proyas l'ajout d'éclaircissements et de déplacements de séquences entières dont le cinéaste se serait bien passé. Déjà pas très à l'aise face un dépassement de planning conséquent (le tournage, des 65 jours initialement prévu, dura finalement presque trois mois), il prit sur lui de rajouter une voix-off dès la séquence pré-générique, montrant le personnage du docteur Shreber déambuler dans Dark City. Elle détaille alors le monde de l'obscurité laissé au mains des Etrangers, conduisant des expériences sur leurs habitants.
    Juste après cette narration éliminant les zones d'ombres du début, on est témoin d'une première scène, durant laquelle tous les habitants tombent comme endormis, le temps lui-même se figeant à minuit, comme en témoigne de nombreuses horloges. Comprise comme une démonstration logique des fameuses expériences dont nous a averti la fameuse voix-off, le spectateur, s'il reste fasciné par la facture visuelle du passage, n'est pas vraiment décontenancé. Il en sera tout autre dans la version Director's Cut qui arrive ces jours ci dans les bacs : oubliée, la voix-off explicative et la première séquence, déplacée jusque dans le second acte du film. Bienvenue à une ambiance bien plus mystérieuse, où le regard du spectateur épouse totalement celui de Murdoch (Rufus Sewell), en quête de son identité, comme il se demande aussi dans quel monde il est tombé.
    Murdoch évolue comme dans une sorte de jeu vidéo d'exploration, dans lequel chaque lieu est visuellement identifié par une signalétique et des artefacts singuliers (l'Automat, l'hôtel, la piscine, et le lieu qui cristallise la réponse à toutes les questions, Shell Beach). Sur fond de cette quête d'identité, et celle, sous-jacente, de savoir si les souvenirs font de l'homme ce qu'il est, on assiste à une intrigue mêlant adroitement polar, science-fiction et fantastique. Comme avec Truman Show ou d'autres films de SF claustrophobiques, la mer représente une porte de sortie universelle (parfois illusoire), un espace des possibles là où l'horizon, comme l'avenir, peuvent exister sans limites (voir aussi La planète des singes, Les fils de l'homme, Passé virtuel, etc.).

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    Dark City se caractérise dès son titre comme un film noir, selon l'appellation canonique des critiques français des années 40 et 50. La ville est un véritable personnage, vivant, remodelée à l'envi, remplie de rues d'un noir d'encre, rehaussée d'une lumière jaune industrielle, dans laquelle errent des personnages archétypaux : Anna, la chanteuse de cabaret (Jennifer Connelly, qui retrouve pour le Director's Cut sa voix originale lors des chansons), Bumstead le flic (William Hurt), la prostituée, et les méchants en longs manteaux et chapeaux mous, échappés d'un cauchemar de Proyas. L'esthétique générale doit beaucoup aux films des années 40, entre les voitures, les vêtements, l'allure des magasins... La confrontation de cette esthétique avec la présence des Etrangers compose l'ambiance rétro-futuriste propre aux récits de science-fiction.

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    Dark City superpose une ambiance très film noir à quelques personnages et objets issus de la science-fiction, et c'est dans ce mélange réussi que Dark City prouve son importance, grâce à des décors gigantesques superbement éclairés par Darius Wolsky (directeur de la photo des derniers films de Tim Burton). Entre les seringues d'implants, très présentes dans le récit, l'espèce de savant fou (Shreber) joué par Kiefer Sutherland et la véritable apparence des Etrangers, la dimension science-fictionnelle n'est présente que par petites touches durant le récit, pour mieux exploser dans le final. Tout le film durant, c'est plutôt un feeling fantastique qui étreint le spectateur. Sherber et Murdoch sont d'ailleurs des personnages qui se répondent l'un l'autre, étant les seuls humains à ne pas subir le gel du temps ; est-ce également un hasard si leur oeil droit est à moitié fermé ? Malgré leur potentiel avantage sur le reste de la population, ils demeurent aveugles sur leur passé. Comme les autres certes, sauf qu'ils ont conscience de l'avoir perdu.

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    Le fantastique vient de la rupture entre un univers plausible, ressemblant à celui que l'on expérimente chaque jour, et des événements extraordinaires qui mettent à mal les lois fondamentales du monde : ici, l'arrêt du temps, et l'endormissement instantané de toute la population joue ce rôle de rupture qui provoque l'étrangeté du récit et donc la curiosité du spectateur à en savoir plus. En déplaçant la séquence d'endormissement dans le second acte, Dark City sembla apporter une partie de réponse au spectateur tout en lui en intimant d'autres, plus prégnantes encore : la raison d'être de tout ce cirque. 

    Ce qui dessert le film est certainement son aspect trop construit, trop cérébral, échappant trop à la réalité justement, la majorité des spectateurs manquant de points d'accroches pour apprécier l'intrigue. Effectivement, les personnages agissent comme des sortes de clichés, principalement par le rythme précipité de la version cinéma. Le Director's Cut, ajoutant quelques brefs passages supplémentaires, notamment lors de simples conversations (entre Shreber et Anna dans son bureau, entre Bumstead et Anna), humanise grandement les personnages. Des intrigues secondaires (la fixation sur les empreintes en spirales, la fillette de la prostituée) contribuent également à la plus grande richesse du film, œuvrant dans le même temps pour une meilleure cohérence. Pour un film déjà bon, encore meilleur dans cette version initiale visible des années après.

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    Film de genres, Dark City est aussi, au final, un grand film romantique, dont les accompagnements musicaux ne trompent pas lors de séquences entre Murdoch et Anna. Aux sonorités métalliques, industrielles et violentes (mais néanmoins mélodiques), s'opposent des tonalités plus douces qui font la véritable fin de Dark City, dans une toute dernière séquence offrant un contrepoint sensible et espéré, pas évident cependant ; mais bien intégré dans la continuité. Les êtres, changeant, se retrouvent tout de même comme si, malgré la mémoire, une forme d'attrait universel unissait les âmes à travers le temps. Après tout un film dans le noir, il fallait oser, et ça aurait très bien pu ne pas passer : ici c'est juste magnifique, grâce aux dialogues à l'économie et au couple d'acteurs. 

    Le blu-ray sorti chez Metropolitan nous sert une copie perfectible, pour cause d'abus de Digital Noise Reduction (les contours des personnages sont surmontés d'un surcontour blanc, les détails des textures sont amoindris). Outre ce défaut certes rédhibitoire, c'est la première fois qu'un support français nous propose le Director's Cut, qui plus est accompagné de la version salles.

    Les bonus sont éclairants, à commencer par une très intelligente fonction de notes tout au long du film détaillant les différences entre les deux versions, décodant aussi certains symboles semés au gré des décors. Deux documentaires, l'un très sincère sur les difficultés du processus de création du film, l'autre analytique, complètent le programme de façon très a propos. C'est tout simplement un indispensable.

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    Source images : capture dvd Metropolitan - version cinéma