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  • Baraka (1992)

    Un film de Ron Fricke

    3478605817_270dff259a_m.jpgBaraka, mot indien passé dans le langage populaire ayant la signification de chance, prend également le sens d'énergie divine, une énergie collective, un flux qui traverse les individus. C'est en référence à cette dernière définition que s'est constitué le titre du film, Baraka.

    En effet, on peut voir dans ce documentaire aux parti-pris aussi étranges qu'intéressants (une succession de plans, tournés aux quatre coins du monde, sans paroles, dont l'ensemble fait sens par la grâce du montage et de la musique qui l'accompagne) les paysages magnifiques du mont Everest, en passant par la forêt amazonienne, les chutes d'Iguaçu ou les nombreux temples thaïlandais. Autour de ces plans, on voit certaines constantes, en rapport avec cette énergie collective dont nous parlions : nombre de rituels sont ainsi données à voir, dont la dimension la plus extraordinaire est l'illustration de l'énergie collective, comme si la volonté individuelle n'existait plus, pour former entre plusieurs individus une même force motrice ; on a ainsi droit, de la part des indiens d'Amérique du Sud, à une transe dont chacun n'est qu'un élément constitutif d'un grand tout qui le dépasse. Mais la séquence la plus incroyable est bien les milliers de pélerins faisant le tour de la Ka'ba à la Mecque, telle que le veut la tradition religieuse. On a alors vraiment cette sensation que tout bouge d'un même élan, et possède une force autonome dont les humains ne sont que les porteurs, les utilisateurs occasionnels.

    Bien qu'étant (re)connu pour ses images splendides, véritable diaporama idéal, le film véhicule toujours une dimension écologique et dénonciatrice de la façon dont l'homme s'est approprié la terre ; ainsi, il a forgé sa propre prison -c'est en tous les cas le sens précis d'une séquence qui fait mal, montrant des centaines de poussins destinés à l'élevage en batteries, en alternance avec les allers et venues observées dans le métro de Tokyo, en accéléré, et sur la même musique industrielle. Les hommes sont alors clairement assimilés à ces poussins qu'ont amènent par un tapis roulant à leur fin proche, sans avoir eu de réel but qu'autre chose que de nourrir le ventre de la terre. Les individus sont pris, de la même façon, dans une machine à broyer de l'humain. En allant vers des choses encore plus dures (la guerre, les camps de concentration), Baraka entend dresser un portrait sans complaisance de l'humanité, qui fait sens, et est dans le même temps rempli d'espoir.

    Baraka fait partie du même corum de films que la trilogie des qatsi, dont le chef-opérateur n'est autre que Ron Fricke ; on rapprochera également un autre film documentaire réalisé ces dernières années, Mana, le pouvoir des choses, réalisé par Peter Friedman et Roger Manley ; on y retrouve le même intérêt pour illustrer l'immatériel, une sorte de force qui viendrait ici des choses elles-mêmes, telle le fameux rocher doré de Kyaiktiyo, qui, selon la tradition, tiendrait en équilibre grâce à un cheveu de Bouddha.

    Une expérience sensorielle et intellectuelle, voilà ce que propose et réussit le film de Fricke. Même si les passages les plus durs nous inconfortent, alors que, par ailleurs,  les sites spectaculaires nous exaltent, il s'agit à mon humble avis d'un mal nécessaire.

  • Ciné d'Asie : Nuages d'été (1958)

    Un film de Mikio Naruse

    3472155583_97abbcea67_m.jpgAlors qu’il y a quelques mois, nous découvrions son chef d’œuvre, Nuages flottants (1955), dont on reparlera à coup sûr dans ces colonnes, la vision d’autres films de ce réalisateur prolixe (une carrière de 90 films, ça n’est pas rien) s’imposait. C’est chose faite aujourd’hui grâce au coffret édité il y a quelques années par Wild Side Video dans ses fameux Introuvables. Nuages d’été nous montre une famille d’agriculteurs, dont le patriarche tient à garder le contrôle. En effet, une des lignes d’évolution du film sera l’envie des enfants de s’affranchir de cet héritage agricole, en voulant devenir étudiant, commerçant...

    Le monde est en train de changer. La figure du père, incarnant les traditions, la façon de vivre à l’ancienne, est déstabilisée car descend de son piédestal. Les jeunes femmes veulent étudier, les couples s’installent sans s’être mariés au préalable... Situé juste après la deuxième guerre mondiale, présente en filigrane dans le récit (l’héroïne est veuve de guerre), le film nous montre le décalage des désirs et des façons de vivre entre deux générations. Décalage qui s’exprime déjà dans les modes vestimentaires, entre les vestes portées par les jeunes et les kimonos traditionnels qui ont la faveur des générations plus matures. Ces derniers ne semblent pas être issus du même siècle. Malgré la résistance du père, les jeunes vont arriver à leur fin. Cette période de transition s’illustre aussi, dès le début du film, par une enquête où un journaliste interroge la population sur les effets d’une réforme agraire instaurée peu avant, basée sur le partage équitable de l’héritage entre les enfants. Tout est en train d’évoluer, d’être ré-arrangé, bousculant les comportements, en laissant certains sur le carreau. L’empreinte du passé est néanmoins indélébile, et reste à portée tant que la génération des pères reste en vie.

    Un autre aspect intéressant de Nuages d’été est son rapport constant aux finances : les questions d’argent y sont prégnantes de bout en bout, laissant imaginer qu’il s’agit d’un personnage supplémentaire et central. L’argent est la raison invoquée qui pousse le patriarche à refuser à sa filles ses études (qui se double bien sûr d’une réaction face à la volonté d’émancipation de la jeune fille), et tout est, tôt ou tard, réduit à des questions financières. D’ailleurs, alors que le film pourrait mettre plus en valeur les trajectoires dynamiques et quasi-révolutionnaires des fils et filles voulant s’échapper de leur déterminisme, on s’attarde plutôt sur le personnage du père, qui veut décider de tout en ce qui concerne l’avenir de ses enfants. On reconnaît derrière ce choix clair la personnalité de Naruse, connu pour ne refuser aucun contrat de film, car il avait sûrement une terrible peur du manque d’argent. Même si ce dernier n’a jamais été considéré comme un auteur par son côté "réalisateur à la chaîne", le rapprochement que l’on peut faire entre l’obsession dépeinte dans le film et son propre comportement est évident.

    Mais le personnage principal est présenté comme étant celui de la tante, veuve de guerre qui a clairement besoin de retrouver une sociabilité après des années de solitude ; une amie lui dit même à un moment qu’elle "la croyait morte". Ce besoin va s’exprimer par l’attirance qu’elle éprouve pour le personnage du journaliste, pourtant un home marié -dont on ne verra jamais la femme-. Les choix francs de Naruse concernant les enchaînements d’actions et l’apparition ou non de certains personnages qui auraient pu avoir leur place dans le film, lui donne un côté étrange : alors que certaines choses paraissent manquer, d’autres semblent en trop, notamment toutes les interactions familiales entres différentes générations qui brouillent les pistes de la généalogie de cette famille : au bout d’un moment, on nage dans un léger flou à ce niveau-là. Mais, de cette posture particulière, naît une identité assez unique, car au final on ne se soucie guère de la structure familiale pour laisser la place à l’éclatement du carcan familial.

    Nuages d’été est le premier film en couleurs de Naruse, ainsi que le premier où il expérimente le format panoramique. Il en ressort une grande beauté, qui rehausse les paysages agricoles, et des couleurs omniprésentes, comme s’il testait tous les rendus des variations colorimétriques.

    Sans égaler la réussite éclatante de Nuages flottants, ce film-ci, malgré un flou qui peut faire décrocher le spectateur, reste digne, et illustre un témoignage de première main, quasi-documentaire, étude sociologique, d’un moment dans l’histoire du Japon.

  • Police fédérale Los Angeles (1985)

    Un film de William Friedkin

    3458834148_bd22e1f2e6_m.jpgTo live and die in L.A., titre original bien meilleur que son équivalent passe-partout français, sonne comme une épitaphe, ainsi qu’une note d’intention, basique mais bien servie, dans un film qui est le produit de son époque. Polar léché, montrant des flics en jeans  marchant comme des cow-boys (ah, la démarche de William Petersen...) vivant dans des villas ensoleillées au bord de la côte californienne, le film pourrait être démodé aujourd’hui. Accompagnée d’une bande originale alignant des titres eighties en diable, il reste pourtant un grand moment de cinéma.

    Il est amusant de voir d’une part, à quel point le film est en phase avec son temps (on le rapproche volontiers d’une Arme fatale, même si plus axé comédie d’action, et d’une ambiance à la Miami Vice - la série, chère au Michael Mann producteur), et d’un autre côté, combien Richard Chance, son personnage principal, est un grand déséquilibré. Sa séquence fondatrice est bien sûr celle du saut à l’élastique inaugural, dont on imagine d’un premier abord qu’il s’agit d’un suicide. Dès lors, les pulsions du personnage, basculant constamment entre la vie et la mort, à la recherche d’adrénaline, de sensations fortes, font de lui à la fois la tête brûlée (intéressant dans un polar, tentant des choses impossibles aux autres) qui a quand même un grain (à ce titre, To live and die in L.A. pourrait être la prequel d’un film tourné l’années suivante par Michael Mann, encore lui, à savoir Le sixième sens - Manhunter, dans lequel excelle encore une fois William Petersen. La tension de son rôle à fleur de peau est bien similaire à celle de Police fédérale Los Angeles).

    Opposer un flic, fonçant droit dans le tas, à un artiste oeuvrant du mauvais côté, c’est l’autre bonne idée du film. Eric Masters, joué par Willem Dafoe, dont on perçoit l’ambivalence grâce à sa trogne incroyable, est peintre et crée des autoportraits qu’il fait ensuite brûler. Son allure dépassionnée lorsqu’il effectue son geste ne laisse pas de doute sur la nature rituelle de l’acte ; Masters semble être déçu de lui-même, devant exercer son art dans l'illégalité : les faux billets qu’il fabrique, dont le processus nous est montré avec moult détails, se rapproche d’une forme de création artistique, en tous les cas artisanale, et de qualité. De même, comme tout bon créateur, il contrôle toutes les étapes du processus lui-même, ne laissant à aucun autre le soin d’établir les planches de faux. Solitaire, il répond en double à Chance, mais semble paradoxalement plus équilibré et logique dans sa façon de gérer les événements. Beaucoup moins posé, Richard Chance n’hésite pas à monter un coup totalement foireux et hors des clous pour pouvoir coincer le trafiquant ; il faut dire que ce dernier a tué son chef, grand trauma qu’on retrouve extrêmement souvent dans le polar. Pour arriver à ses fins, Chance manipule tout le monde, et arrive même à ne plus paraître très sympathique au spectateur. La façon dont il use d’une prostituée, négligeant toute notion de sécurité, est exemplaire de son attitude.

    N’oublions pas que c’est William Friedkin, monsieur French Connection, qui est aux commandes de ce polar noir. Il en découle une nervosité dans les cadrages, une séquence très réussie de poursuite en voiture (comme il avait tourné celle de Popeye dans FC), et surtout, un grand réalisme dans le traitement. La fin du film, très inhabituelle du genre, sonne finalement juste comparativement au reste du métrage. Un polar que nous aimons particulièrement, et visionné ces derniers temps pour la première fois : c’est le genre de découvertes qu’on aime faire, et qu’on aime partager !

  • Rollerball (1975)

    Un film de Norman Jewison

    3449058055_dc740a6fea_m.jpgRollerball est un film relativement typique d’une SF à messages des années 70, tout en étant assez unique dans la foultitude de thèmes qu’il aborde, et ce, sans en avoir l’air.

    La première chose notable, importante dans Rollerball, c’est l’absence quasi-totale d’imagerie habituellement rattachée au genre : pas d’objets futuristes (mis à part un pistolet, dont on parlera plus tard), pas de vêtements spéciaux, bref ce futur qu’on nous offre à voir est très dépouillé. C’est somme toute assez logique car la période du film ressemble fort à un retour dans le passé : le Rollerball, attraction centrale, mélange de hockey, de patinage de vitesse et de basket-ball, constitue le divertissement des foules au même titre que les jeux du cirque dans l’Antiquité. Le jeu occasionne des moments très violents, laissant à penser que l’espérance de vie d’un joueur est très courte. Dans le même temps, les rares vainqueurs sur la durée, tel que l’incarne le personnage de Jonathan E. (James Caan), sont de véritables superstars, des gladiateurs modernes. L’espace de jeu est clairement dessiné comme un cirque romain, et les accessoires que les joueurs portent rappellent les armes variées des combattants de l'arène : pointes, cuirasses, etc. Le Rollerball est désigné par les hauts responsables de l’état comme un instrument de cohésion sociale, un rouage fondamental du maintien du statu quo, beaucoup plus que comme un jeu (un de ceux-ci s’exclame d’ailleurs "ce n’a jamais été un jeu !", nous indiquant bien la portée politique du dispositif, comme l’étaient les jeux du cirque à l’époque des Césars. Cette parabole était dans l’air du temps, comme le figure un autre film SF de la même année utilisant une organisation similaire, le sympa Course à la mort de l’an 2000, réalisé par Paul Bartel ; film qui a dernièrement eu droit à un remake, sorti ces jours en DVD, tout comme Rollerball, remaké par John McTiernan en 2002, preuve de l’intelligence de leur propos (et du manque d’idées nouvelles des producteurs d’Hollywood, mais ça, c’est une autre histoire).

    Dès lors, dans un jeu qui demande la mort de ses participants, l’existence même de Jonathan E. va poser un problème : après 10 ans de jeu, il est un véritable dieu vivant et gêne les puissances à la tête du monde. Il va donc être poussé vers la sortie... sauf que Jonathan n’aime pas être le jouet que les dirigeants voudraient qu’il soit. Qui plus est, il a une passion indéfectible pour le jeu : à plusieurs occasions, à la suite d’actions magistrales dans l’arène du Rollerball, il lance à son coéquipier un "j’adore ça" qui en dit long.
    Le monde est donc aux prises de multinationales qui sont devenues les organes les plus puissants du futur. L’argent règne en maître, dans une société où ne se prélassent plus que les nantis : tous les autres ont disparus, on ne sait trop comment. De même, on peut se demander où sont passés les vieux : il n’y a pas un personnage de plus de 45 ans dans le film ; ou, plus précisément, pas une seule femme âgée. Les hommes âgés sont eux bien présents, dans la classe dirigeante. Le troisième âge a-t-il été éliminé comme dans cette scène incroyable de Death Race 2000, où un hospice fait sortir ses vieux au milieu de la route pour que des bolides aux pare-chocs agressifs les cartonnent ? On pourrait croire que les deux films font partie d’une même réalité alternative, tant les idéologies se répondent.

    Rollerball hérite aussi d’un imaginaire science-fictionnel très politique et écologique comme Soleil Vert (Richard Fleischer, 1973). Comme dans ce dernier, les filles y sont monnayées, baladées comme de vulgaires affaires. Comme Thorn (Charlton Heston), Jonathan E. est tombé amoureux d’une fille qu’il ne pouvait pas aimer. Le futur de Soleil Vert, marquant une pénurie de vivres, et une disparition de la flore à cause de l’activité humaine, peut être considéré comme un moment dans la ligne temporelle de Rollerball, où l’on voit l’espace d’une scène des jeunes aristocrates jouer avec un pistolet lance-feu et détruire toute une rangée d’arbres... pour jouer. Ce feu peut également rappeler les attaques au napalm, utilisé en masse lors de la guerre du Viêt-Nam, laquelle venait juste d’arriver à son terme. On nous pointe ici l’inconscience et la futilité des aspirations de ces générations, tentant d’apaiser leur lassitude de vivre en détruisant tout autour d’eux, et en appréciant le spectacle d’autres se détruisant pour eux.

    La télévision est aussi très présente dans le film, à travers une multitude d’écrans disséminés ici et là, écrans de contrôle ou écrans de télévision, jamais uniques, toujours à plusieurs. Plus que la surveillance, la télévision incarne le concept de manipulation de l’information, cruciale lors de l’émission spéciale consacrée au champion de Rollerball. Lors d’un essai, un texte qu’il doit déclamer lui est dicté, ce qu’il refuse. L’émission consistera alors en grand mixage de passages de ses matches, où ne seront montrés que les coups mortels portés par le champion, et où tous les bruitages sont amplifiés pour rendre la brutalité encore plus prégnante. Sur les visages des spectateurs se lit peu à peu une distance inquiète, loin de l’adoration sans bornes qu’ils vouent d’habitude à leur champion. L’écran de télévision est alors présenté comme le prisme déformant d’une réalité, déjà problématique.

    Enfin, les matchs de Rollerball, noyau central du film, sont une prouesse technique et visuelle, communiquant bien toute la brutalité, la vitesse du jeu. Le lancement de la première balle rappelle un flipper géant, et les joueurs ont l’air d’être les obstacles, victimes consentantes, de cette balle furieuse.

    Le film essaime donc pas mal d’idées, peut-être un peu trop, en tous les cas plus que son cadre ne lui laissait espérer. Dans la même veine nous vient à l’esprit la foule d’idées déchaînées servi dans le grand bazar qu’est Zardoz (John Boorman, 1974), qui, lui, n’amène qu’au chaos scénaristique le plus total. Au final, Rollerball est un film maîtrisé, offrant à la science-fiction ce qu’elle devrait toujours avoir, à savoir une dimension politique et révélatrice de notre condition actuelle.

  • Vinyan (2008)

    Un film de Fabrice Du Weltz

    3430473661_137a105466_m.jpgAprès un premier film, Calvaire, qu’on peut qualifier sans mal de dérangeant, le belge fou revient avec un film-trip, véritable déambulation hallucinée dans les cités bariolées de Thaïlande, puis dans la forêt Birmane, où nous suivons donc les pas d’un couple, interprété par Emmanuelle Béart et Rufus Sewell (Dark City, Chevalier), mis à mal par la perte d’un enfant. La possibilité de le retrouver va faire basculer leur vie une nouvelle fois.

    Que dire de ce film, si ce n’est qu’il convoque visuellement les imaginaires du cinéma de genre italien, à commencer par le Suspiria de Dario Argento : la séquence du début du film, dans laquelle le couple se retrouve dans un taxi à Phuket, est calquée sur la séquence elle aussi quasi inaugurale du film italien qui voit Jessica Harper, peu rassurée à l’arrière d’un taxi, évoluer dans les lumières flashy des feux de circulation, donnant des airs de cauchemar sous acide à cette ballade nocturne. La référence continue lorsque Jeanne (Béart) décide de poursuivre sa quête sans son mari, et quitte brusquement le taxi, le film nous offrant d’ailleurs à ce moment précis un plan séquence anthologique (comme il va en enfiler un certain nombre sur toute la durée du métrage), suivant en caméra portée les errements maladifs de la femme. Les couleurs criardes, fusant dans cette nuit moite, désoriente le spectateur au même titre que l’héroïne, qui est allée très loin dans l’interprétation de son personnage.

    De l’influence d’un certain cinéma de genre italien, on peut même parler de bis,  la seconde partie du film pouvant rappeler La montagne du dieu cannibale de Sergio Martino, péloche mi-aventures mi-horreur, où le rôle tenu par Ursula Andress offre certaines similitudes avec celui de Jeanne, on ne vous en dira pas plus si vous décidez de tenter l’aventure de ce film-trip. De même, le voyage en bateau entre les forêts touffues de Birmanie font entrevoir un isolement, un danger, voire même une folie q'on a pu croiser dans Aguirre (autre film-trip dont la réussite est sans commune mesure avec ce qui nous intéresse aujourd'hui). Enfin, on pourra voir une certaine inspiration vers Sa majesté des mouches, car les enfants que vont rencontrer le couple sont pour le moins inquiétants.

    Baignant dans une folie qui va crescendo, le film est extrêmement soigné, dans son visuel (couleurs chaudes magnifiques, plan-séquences de folie signés par un très grand chef op’, Benoît Debie) mais également dans ces ambiances sonores. On retiendra le premier plan du film, visiblement sous-marin nous montrant des bulles provoquées par le remous du au tsunami. Ce plan a une efficacité figurative (on sait de quoi il s’agit) tout en ayant un cachet abstrait, avec les bulles qui composent aléatoirement des formes étranges.

    Au niveau de la forme, tout est donc très beau et très pro. Mais là où ça se gâte, c’est au niveau de l’histoire, qui prend vvvrrraiiiiment  son temps pour nous raconter... quoi d’ailleurs ? le traumatisme d’une mère suite à cette perte irréparable ? un récit psychologique où tout n’est que rêverie embrumée ? Une histoire d’esprit maléfique qui emporte votre raison si vous vous en approchez trop ? Coincé dans un trip qui est avant tout très personnel au réalisateur, le film ne passionne pas, c’est le moins que l’on puisse dire. Manquant terriblement de crédibilité, l’intrigue bascule finalement très vite (dès les premiers instants, on peut se douter que Jeanne va péter une durite) dans le n’importe quoi scénaristique. Le mari se laisse embourber dans les errements psychotiques de sa femme, ne réalisant rien de l’impasse dans lesquels chacun de ses pas l’en  rapproche.

    Dépourvu de réelle matière, on ne saura que trop déconseiller cette vision d’un auteur tout à fait nombriliste et hautain (le générique de début en est une belle preuve, avec un FABRICE DU WELTZ’S VINYAN qui fait rire, honnêtement). Bénéficiant tout de même d’un cachet visuel et sonore sans pareil, on peut avancer que Vinyan constitue un bien beau ratage cinématographique (mais alors, très beau !).