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espagne - Page 2

  • Tristana (1970)

    Un film de Luis Buñuel

    4259604144_e892b29faa_m.jpgDès le début, Tristana, le film, porte bien son nom : tout y sonne grave, glacé et désespérément triste, à l’image de Catherine Deneuve, interprète du personnage principal qui donne son nom au métrage. Cette dernière, à la mort de sa mère, est recueillie par Don Lope, un aristocrate très attaché aux principes, sauf en ce qui concerne les femmes. De fille adoptive, Tristana va devenir sa maîtresse. Le scénario est d’apparence simple, propre à être résumé en trois phrases. C’est d’ailleurs ce qu’il faudra à StudioCanal vidéo, lors de l’édition DVD du film, pour raconter tout le film et ainsi gâcher la vision de tous ceux qui ont eu le malheur de lire le dos de la jaquette... Mais derrière cette simplicité apparente se cache un des plus beaux films sur la vieillesse et les problématiques du couple, ainsi qu’un film très personnel.

    Don Lope / Fernando Rey apparaît ici comme un double de Bunuel, une version possible de sa vieillesse. D’une part, Buñuel a toujours considéré l’acteur, qu’il a fait jouer dans nombre de ces films, comme son alter-ego. D’autre part, le cinéaste choisit la ville de Tolède, en Espagne, comme théâtre des tourments de Tristana, sa ville de cœur, comme l’indique son scénariste et ami Jean-Claude Carrière dans les bonus du DVD. Mettant en scène un personnage vieillissant, véritable autoportrait anticipé dont les convictions et l’esprit contestataire s’érodent peu à peu avec les années, il dessine les contours de sa vision de la vie. Dans celle-ci, le couple formé par Catherine Deneuve / Tristana et Fernando Rey / Don Lope est tout à la fois mari et femme, père et fille, et mère et fils, selon les scènes. Tantôt, Don Lope fait d’elle sa servante, sa maîtresse, tantôt c’est elle qui, une fois revenue à lui, handicapée, lui intimera des ordres semblant totalement dénué d’amour. L’a-t-elle jamais aimé ? C’est probable, tant le manque de passion est palpable, et le besoin d’une autre vie se fait terriblement sentir (l’épisode étrange et beau où elle dévoile sa poitrine au jeune Saturno, le rêve récurrent qui voit la tête de Don Lope sonner dans une cloche, ou une des dernières scènes, durant laquelle elle croise une mère allaitant son bébé, ne laissant aucun doute sur son ressenti). On sent aussi l’asynchronisme patent des désirs des deux individus, l’une aspirant toujours à ce que l’autre rejette en bloc. Le visage résigné de Catherine Deneuve, aussi noué que sa coiffure toujours tirée à quatre épingles, est à ce titre très évocateur. Sa beauté reste froide et inaccessible, même pour le peintre Horacio (Franco Nero, immortel Django de Sergio Corbucci) avec qui elle aura une aventure.

    Déjà vieux à l’époque du tournage, Buñuel était particulièrement morose durant le tournage, voyant son vieillissement dans celui (en partie simulé) de Fernando Rey. Pour les besoins du film, l’acteur se faisait blanchir les cheveux. La scène où il teint sa barbe grisonnante a ainsi valeur de du refus de vieillir de Don Lope, mais aussi de Bunuel lui-même.

    Le dernier aspect marquant du film est la capacité qu’a Bunuel d’interroger constamment le processus de la narration cinématographique, notamment dans le questionnement du personnage de Tristana sur l’acte du choix. Elle va en effet choisir, sans raison visible, de prendre une rue plutôt qu’une autre, ou de manger tel petit pois plutôt que l’autre. Ses choix vont directement influer sur le cours de sa vie, la ruelle la conduisant vers le peintre et cette autre vie dont nous parlions plus haut. On peut rapprocher les deux personnages de Tristana et Belle de jour sur cette idée de la vie rêvée, un espace mental ne pouvant s’épanouir que dans la brume ouateuse des rêves, laissant la personne comme distante de la réalité : le surréalisme qui abreuve Belle de Jour dans ses décalages de montages est ici peu présent, malgré quelques visions étranges.

  • Timecrimes (2007)

    Un film de Nacho Vigalondo

    3686001603_bd8baee808_m.jpgProfitons de la sortie en DVD il y quelques semaines de Los Cronocrimenes (Timecrimes par chez nous) pour en dire quelques mots. Commençons par avancer qu’il est scandaleux que ce film tout à fait honnête, projeté avec succès de festivals en festivals, n’ait eu finalement droit qu’à une sortie direct en DVD, à l’instar des pires navetons d’un Steven Seagal. Bref, passons.

    Film modeste par les moyens, il n’en développe pas moins, après une introduction qui pourrait faire pencher la balance vers le slasher, une trame typiquement science-fictionnelle sur le voyage dans le temps. Cependant, avec son personnage entouré de bandages, semblant sorti d’une BD (et dont l’apparence ressemble à s’y méprendre au Darkman de Sam Raimi), on restera toujours raccroché à une dimension serial killer / thriller ; le film nous offre là une astucieuse déconstruction des codes du genre, où le mutisme habituel de ce type de personnage est remplacé par ses questionnements incessants ; l’identité du mystérieux individu, source de tant de conjectures et d’interrogations d’autres métrages, nous sera ici dévoilé très rapidement, jouant avec les attentes du spectateur, pour mieux bifurquer dans le sentier SF.

    Le voyage dans le temps ne cesse de fasciner le cinéma, car lui seul peut le rendre tangible, existant ; Retour vers le futur donna le ton contemporain, alliant un immense aspect ludique tout en réussissant à faire éprouver le vertige des paradoxes temporels. Cependant, bien des fois, d’autres films se prennent à leur propre piège et se mordent la queue (Terminator, Minority Report). Ici, c’est la maîtrise et l’emboîtement sans faute qui surprend le plus ; chaque action prend sens une fois le film terminé. Loin de jouer la carte de la facilité, le cinéaste multiplie les strates temporelles, et malgré cela tout est compréhensible.

    Une fois la première surprise passée, celle du changement de genre et du dévoilement de l’identité du personnage mystère, s’organise un jeu de rôles vertigineux dont le spectateur connaît les grandes lignes ; cependant, par petites touches apparemment anodines, l’enchaînement sait surprendre. Ce mélange de prévisible et d’imprévisible a garantit mon intérêt constant pour les personnages et leurs destinées, ainsi qu’une grande envie de le faire découvrir ; un moment de cinéma à la télévision ( ?!) tout à fait respectable.

  • L'orphelinat (2008)

    Un film de Juan Antonio Bayona

    3398337666_fa70ed17f4_m.jpgL’Espagne est la terre promise du cinéma fantastique actuel. Ce premier film en est la nouvelle preuve, alignant sur un canevas classique de maison hantée un drame familial et personnel assez réussi.

    Film de fantômes sans fantômes, L’orphelinat utilise nombre de concepts déjà vu : le pouvoir hautement anxiogène des poupées, marquant car figeant dans une immobilité mortuaire les figures de très jeunes enfants ; une maison de bois aux multiples recoins dont l’imposante façade rappelle Psychose (Alfred Hitchcock, 1960) ; l’usage de la parapsychologie afin de mettre au jour les esprits vadrouilleurs, entouré d’un dispositif technique élaboré (évoquant L’emprise de Sidney J. Furie ou L’exorciste II de John Boorman). Les caméras installées dans toutes la maison, déjà vu dans le bon La chambre du fils -non, pas celui de Moretti, mais bien le segment de l’anthologie Historias para no dormir, réalisé par Alex de la Iglesia), instaure la volonté de multitude de points de vues, voir plus, voir mieux, et aussi de déceler l’invisible dans le visible. Les caméras, avec leur vision infra-rouge, rendent l’environnement habituel fantastique et cauchemardesque, un moment dans l’espace où l’immatérialité du rêve peut prendre une forme tangible. On a récemment vu le même procédé -avec les mêmes résultats- dans la dernière partie de [REC], du duo Balaguero-Plaza. Ceci dit, L'orphelinat ne propose pas, à l'image de [Rec], une idéologie du visible, tout montrer (et tout démontrer) pour faire naître la peur ; il préfère laisser le soin au design sonore (les cris d’enfants, les tocs-tocs dans les cloisons, les grincements métalliques) de provoquer l’imaginaire du spectateur, qui crée de lui-même les manifestations physiques qui découlent de l’ambiance environnante. Délaissant une approche démonstrative du fantastique (à base de maquillages horrifiques et de grand-guignolesques apparitions fantômatiques), le film surfe sur un malaise psychologique, celui de Laura, hantée par la perte de son fils. Thématique clé du genre, qu’on avait suivi avec terreur dans le tétanisant La secte sans nom (Jaume Balaguero, 1999). En minimisant les plans d’horreur graphique, le film a su également s’attirer un public différent, beaucoup plus large que son genre ne lui laissait présager (il est aujourd’hui le film le plus vu au cinéma en Espagne).

    On assiste dans le film à une véritable régression : la volonté de Laura, de retourner dans cet orphelinat qui a bercé son enfance et dont elle garde un excellent souvenir, opère comme un retour en arrière, un retour aux sources pour solutionner un problème existentiel. On remarque ainsi que le film, ainsi  que d’autres exemples du cinéma fantastique espagnol (Ouvre les yeux, Les autres, A louer, Fragile), sont ancrés dans le passé, avec aucun espoir pour le futur, pour une résolution qui amènerait les personnages à mieux vivre leur existence après les événements survenus. Laura est tout de même très combative dans sa quête, dont l’extrémisme peut passer pour de la folie pure. Elle ressemble à ces héroïnes très fortes dont la Ripley d’Alien reste le parent commun. Son parcours, laissant peu à peu de côté son mari, rappelle celui de La chambre du fils - encore lui-, mais dans son opposé parfait : le film de Alex de La Iglesia voyait le mari délaisser sa femme, l’homme se faisant contaminer par une paranoïa sur la caractère maléfique de leur nouvelle demeure.

    Hormis ces caractéristiques somme toute classiques du genre, on trouve que l’ensemble marche plutôt bien, et l’idée du jeu de piste d’indices à la Amélie Poulain version flippant est vraiment efficace : là encore, la "preuve" du fantastique n’est pas amenée par des apparitions éthérées, ou des manifestations clairement dues à un élément surnaturel, mais jaillit de la matérialité la plus entière. L’orphelinat est donc une réussite, cependant peut-être trop héritière de certains lieux communs du genre.