Un film de John Glen
Permis de tuer, réalisé par John Glen, alias le réalisateur attitré de la franchise dans les années 80 et grand spécialiste des scènes d’action, nous ferait-il, une fois encore, voyager dans ce monde étrange, peuplé de "je-veux-devenir-le-maître-du-monde" en puissance, d’armes chimiques, d’explosions multiples, de cascades irréalistes et surtout, de belles demoiselles ? Pas tout à fait, ou pas seulement. Cet opus de l’éternelle saga d’espionnage, tout en dérogeant à quelques-unes de ces règles, tient bien la route encore aujourd’hui, alors que d’autres épisodes plus récents ont terriblement mal vieilli (je pense aux Pierce Brosnan, sans exception).
Pour situer mon approche par rapport à notre cher agent secret, il faut savoir que de tous, je ne peux plus regarder ce qui constitue la pantalonnade Mooresque, qui fait de Bond un dandy maniéré sortant des vannes très moyennes toutes les deux secondes. Dans cette optique, la personnalité que Timothy Dalton insuffle au personnage, toute en rudesse mais également emplie de fragilités, hisse sa performance au sommet de mon Bondomètre personnel. Dalton, félin, pousse l’humain sur le devant de la scène. Ses relations personnelles fondent son code de conduite. De plus, il apporte de belles nuances grâce à un jeu toujours impeccable, alternant retenue et éclats de violence. En totale rupture avec Moore, il dit adieu à l’humour, et bonjour à l’aventure la plus violente de l’histoire de la franchise avec Permis de tuer. Le film a d'ailleurs souffert de nombre d’interdictions que n’avaient jamais eu à déplorer les films précédents. De nombreux moments gore sont au rendez-vous, mais ce n’est pas tout : la scène durant laquelle Bond essaye de savoir si Pam Bouvier est de mèche avec l’ennemi, témoigne d’une violence verbale et psychologique impressionnante. Le personnage y gagne grandement en crédibilité, en proximité De même, l’objectif de la mission de Permis de tuer n’est pas, contrairement à la tradition, commanditée par le MI6, mais constitue bel et bien une vendetta personnelle durant laquelle Bond n’est plus Bond ; son statut d’agent secret et son fameux permis de tuer lui sont retirés. Cette dimension nouvelle offre un modèle plus subversif de Bond, plus tête brûlée, qui sera évidemment mis à profit dans le dyptique Casino Royale/Quantum of Solace et par le tenant du titre actuel, Daniel Craig.
Le positionnement des James Bond girls, Pam Bouvier (Carey Lowell) et Lupe Lamora (Talisa Soto), est aussi bienvenu, s’engageant dans une dynamique de jalousie, formant avec Bond un ménage à trois lors de certaines scènes détonantes autant qu’inhabituelles. De plus, le film laisse vraiment réellement à Bond le soin de choisir sa préférence, plutôt qu’une solution de facilité très souvent exploitée au cinéma (soit l’une des deux meure, a un autre amant, ou est la vraie méchante de l’histoire, bref).
Le film étonne également par la place beaucoup plus grande qu’à l’accoutumée accordée à Q, assistant 007 sur le terrain. Il en ressort une certaine comédie, ce qui a toujours été le rôle privilégié de Q par delà les épisodes. La scène tordante dans laquelle il est déguisé en jardinier avec une grosse moustache et un balai rappellerait presque la folie de Clouseau pour les déguisements dans la Panthère rose ; las, la scène ne dure pas.
La saga sait se renouveler, et ses choix sont payants sur ce film qui, 20 ans après, fonctionne toujours. Le rythme est enlevé, malgré une durée conséquente (2h07) ; les péripéties, nombreuses, auront néanmoins tendance à perdre le spectateur ; comment Bond, par exemple, arrive jusqu’à l’usine-couverture de Sanchez et pourquoi ce dernier, sachant que l’agent secret n’est pas où il devrait être, ne s’en méfie pas plus ? On dira que si Permis de tuer gagne à tout focaliser sur le Bond nouvelle formule -éprouvé avec succès sur Tuer n’est pas jouer (John Glen, 1987)-, on n’échappe quand même à la machinerie gigantesque qui rentre dans le cahier des charges plus traditionnel des anciens Bond, en vigueur depuis Opération Tonnerre (Terence Young, 1965). Machines incroyables, lieux paradisiaques un brin mégalo (mais alors, juste un brin), armées de seconds couteaux auxquels est réservé un sort peu enviable (mention spéciale à une irruption de ninjas), séquences d’action aussi démesurées que surréalistes (ici, au choix, poursuite de camions-citernes avec passage sur deux roues à la clé, risque de collision en vol camion/avion, et encore, Tuer n’est pas jouer est loin d’être le plus démonstratif dans l’exercice).
Avouons-le, James Bond est le représentant quasi-unique d’un divertissement à échelle planétaire auquel on pardonne beaucoup de choses depuis le début (rappelez-vous quand même de Abondance Delaqueue, jeune fille qui accoste Bond, et à qui celui-ci répond : "ça vous vient de votre père, je pense ?", digne d’un American Pie). Un plaisir un peu honteux, une sorte de réalisation de fantasmes masculins variés qui fondent son succès public. Permis de tuer ne réussit cependant pas à être un grand succès à sa sortie, sûrement victime de ses écarts aux règles sus-citées. Malgré tout, le film tire sacrément bien son épingle du jeu et reste un épisode à part, marquant d’ailleurs la dernière participation de nombreuses personnes-clés de l’équipe, notamment Maurice Binder, qui réalisait ici son dernier générique et qui, grâce à son invention du fameux "gun barrel logo", avait défini l’image de la série dans son entier.