Un film de Roland Joffé
Mission a fait couler beaucoup d'encre à sa sortie en 1986. Palme d’or controversée à Cannes et Oscar de la meilleur photo, le film de Roland Joffé était attendu après le très bon La déchirure, qu'il avait réalisé deux ans plus tôt. Cette histoire véridique d'une mission d’évangélisation sur le territoire des indiens Guarani reste toujours aujourd’hui un film d’une puissance rare, par la beauté des images, la grâce divine de la musique d'Ennio Morricone et un très bon duo d’acteurs aux personnalités antagonistes, Jeremy Irons - frère Gabriel, prêtre jésuite, et Robert De Niro - Rodrigo Mendoza, ancien marchand d’esclaves cherchant sa rédemption dans la religion. Il est intéressant de considérer La Mission du titre comme polysémique, pouvant illustrer mission évangéliste envers les indiens, mission du jésuite pour sauver l'âme de Mendoza, et enfin mission de Mendoza pour mener à bien son dernier combat : tout est mission.
La lutte entre deux conceptions du monde est le centre vital du film, opposant nature et civilisation, nature et religion. Pendant un temps, la fusion opère d'ailleurs plutôt bien, dans un endroit qu’on croirait sorti d'un livre d’images, et qui s'impose comme un paradis terrestre. Mais l'évangélisation n’est pas le seul but des pays dits civilisés, il s'agit aussi de partager les terres entre espagnols et portugais. Dès lors, les autochtones seront chassés de leur terre, une terre certainement trop belle pour eux de l'avis des ecclésiastes et des politiques. Cependant on pressentait depuis le début que de cette invasion, de cette lutte entre des éléments antagonistes, toutes les forces en présence y perdraient beaucoup. On pourrait ici rapprocher cette impossibilité de nature avec le propos du Narcisse Noir, grand film anglais du duo Powell-Pressburger, les deux œuvres se clôturant par le même constat d’échec. L'extrême cruauté (quoi de pire que l’indifférence au sort d’autrui ?) côtoie donc la plus grande beauté, chaque plan alignant certaines des images les plus splendides jamais vues sur un écran. Le coup de génie du film est sûrement dans le choix du lieu de tournage, les chutes d'Iguaçu, encastrées entre le Brésil et l’Argentine ; somptueuses, quasiment surréelles, elles sont magnifiées par l’art du chef-opérateur Chris Menges. La forêt, envahissante, et les chutes d’eaux, au vacarme tonitruant semblant venir des temps les plus reculés, semblent avoir raison de l’ambition des hommes à les conquérir. Et la musique de Morricone, entre envolées aux accents religieux et mélodies indiennes, de souligner toute la douloureuse beauté d’un film qui constitue, à n'en point douter, une grande réussite.