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80's - Page 7

  • Mort sur le gril (1985)

    Un film de Sam Raimi

    crimewave.jpgAu sortir du succès d’Evil Dead, Raimi choisit la voie de la diversification avec la comédie loufoque qu’est Crimewave ; du cinéma cartoon co-écrit avec les frères Coen, dans le style du furieusement barré Arizona Junior. C’est bien simple : vous vous rappelez la séquence Tex Avery du restaurant dans The Mask (Chuck Russell, 1994) ? Etirez-la sur 1h30, rajoutez deux méchants grimaçant comme les compères cambrioleurs dans Maman, j’ai raté l’avion, secouez le tout avec un mélange de Jim Carrey et de Matthew Broderick dans le rôle principal (il s'agit en fait du comédien Reed Birney), et vous obtenez ce ticket pour montagnes russes qu’est Mort sur le gril.

    Les Coen au scénario, Raimi à la réalisation : le film hérite des deux paternités. Résumer le scénario n’est pas très important, tant il est accessoire ; Sam Raimi signe un film uniquement visuel, où les gags ne dépendent pas directement des acteurs mais plutôt de la façon dont ils sont filmés.

    Rami signe un chassé-croisé cartoonesque, à base de travellings avant à toute allure, de champ/contre-champ en ping-pong, tout en éclairages psychédéliques. Sur le rythme d'une rumba endiablée, on y fait des ronds de fumée en forme de danseuse affriolante (passage en image par image qui rappelle la séquence de la danse macabre en stop motion dans le premier Evil Dead), un méchant évite de peu les assiettes qui lui sont lancées à la figure, on joue à se faire coincer la main dans la boîte à gants -et on trouve ça drôle, en plus! -, bref, Crimewave, c'est un festival d'idées à la minute filmé avec une énergie - hystérie? - créatrice rare.

    La musique joue donc un rôle important, même si ni Joseph LoDuca, compositeur de la musique d'Evil Dead, ou Danny Elfman (Darkman ou encore les Spider-Man) ne sont de la partie. Rythmée, frénétique, enjouée, elle fait montre de l'artifice cinématographique, tout comme les décors en carton-pâte, souvent vides. Les quelques personnages de l'intrigue sont seuls à l'écran, se croisant sans cesse, à l'exception notable de la scène de bar. C'est dans cette configuration que se déroule la meilleure scène du film, où l'héroïne, pour échapper à son massif assaillant, ouvre les portes d'une exposition sur la sécurité et les caméras-mouchards -dont le héros est l'installateur. Devant elle se dressent alors une multitude de murs et de portes, donnant l'impression de se prolonger à l'infini, déconnecté de la réalité du dehors. Elle va donc passer les portes une à une, valsant à chaque fois entre les parois, dessinant un solo dansé mémorable. Elle est suivie par une caméra semblant être libérée de toute contrainte, dans un travelling latéral continu. En plan de coupe, l'affreux bestial offre un contrepoint parfait, tout en force brute, défonçant les murs les uns après les autres... Jusqu'à une porte blindée heureusement solide. L'espace de cette séquence nous aura transporté ailleurs, jusque dans un couloir indéfini hors du temps et de la réalité, déjà bien altérée, du film.

    Préfigurant certains aspects du très beau Darkman (l'hystérie des plans cartoon, appliquée ici au traitement plus tragique de la figure du super-héros), Mort sur le gril est, ne serait-ce que sur la foi de cette séquence, à découvrir de toute urgence. De plus, quand on commence son film par des nonnes lancées à toutes blindes dans une vieille voiture, de nuit, le film qui en découle ne peut pas être tout à fait mauvais... Encore que.

  • Indiana Jones et le Temple Maudit (1984)

    Un film de Steven Spielberg

    4453048583_93b44c122c_m.jpgAprès le succès populaire des Aventuriers de l’Arche perdue, Spielberg remet le couvert en mettant son héros en avant dès le titre, dans la pure tradition du serial, à la Flash Gordon ou Buck Rogers. Sur l’affiche française, un avant-titre précède son intronisation : Depuis Les aventuriers de l’Arche perdue, l’aventure a un nom : Indiana Jones ! Un serial qui n’en est pas vraiment un, ne serait-ce que par le budget pharaonique dont Spielberg a pu jouir pour l’occasion. Malgré tout, l’amour du genre est prégnant à chaque instant.

    La séquence d’introduction nous emmène dans un Shanghai rétro de 1935 au coeur d'un club sélect, où l’entrée d’Harrison Ford est très soignée : le personnage apparaît de trois quart dos, vêtu d’un costume blanc, sa main glissant sur la rambarde d’escalier alors qu’il le descend. On est loin du look d’aventurier du premier opus, avec chapeau, fouet et torse luisant découvert, Indiana Jones dévoilant ici le rêve inassouvi de Spielberg : faire un James Bond. Il le dira souvent lui-même en interviews, George Lucas l’a persuadé de faire Indiana Jones en lui promettant que c’était encore mieux qu’un James Bond, en créant son propre aventurier. L’élégance d’Harrison fera le reste dans cette séquence rappelant les scènes de casino, fréquentes dans les aventures de l’espion britannique. De même, la façon de retarder l’apparition de son visage plein cadre, asseyant son statut de star -acteur et personnage confondus-, est fidèle aux premières apparitions cinématographiques de James Bond. Il y a quelque chose de magique dans cette séquence d’introduction, comme l’impression de pénétrer, par une porte dérobée, dans un monde de cinéma total, classique et intemporel. George Lucas apportera l’idée de la séquence musicale, voyant Kate Capshaw danseuse vedette dans un show démesuré à la Busby Berkeley, toute de paillette couverte. Lucas, scénariste de la trilogie, apporte également à cette scène le clin d’œil starwarsien de circonstance, nommant le lieu de l’action Club Obi Wan. Ainsi plusieurs imaginaires s’entrechoquent dans cette seule introduction, entre l’espionnage, la comédie musicale, Star Wars et le décorum chinois, faste et coloré : le film commence très fort.

    De l’avis de tous les intervenants sur le film, Le temple maudit est plus sombre, beaucoup plus que Les aventuriers de l’Arche perdue ; D’une part, parce que Lucas sortait d’un divorce, et aussi car c’était la direction qu’il voulait prendre pour cette suite. Mais, pour autant, ils ne s’attendaient pas à un film si noir. La succession de scènes assez horribles, des multiples bestioles, insectes, serpents, le banquet spécial, et l’inénarrable sacrifice orchestré par les adorateurs de Kali, en fait vraiment un film particulier, paradoxal, pas vraiment pour les enfants (la classification PG-13, avis parental pour public de moins de treize ans, fut d’ailleurs créé pour l’occasion). Les enfants, justement, prisonniers de la secte Kali, seront sauvés mais dans un néant scénaristique final : on perçoit, là encore, un élément rajouté dont l’absence aurait sûrement aidé le film. Le tout est évidemment rempli d’humour, mais souvent mêlé à une impression de dégoût (le banquet, les cris ininterrompus de Kate Capshaw sur des images de têtes de mort, de piques acérées, ... Spielberg avoue d’ailleurs ouvertement que c’est l’épisode qu’il aime le moins.

    La conception du film témoigne elle-même de ce côté équilibriste bancal, le duo Spielberg-Lucas reprenant des scènes qu’ils n’avaient pas pu inclure dans le premier film, pour les coller dans celui-ci. Si la scène du bateau pneumatique (qu’ils ne se priveront pas de reprendre pour un résultat bien moins probant dans Indiana Jones et le royaume du Crâne de Cristal) est tout à fait bien intégrée, on ne saurait en dire autant de celle dite des montagnes russe vers la fin, brillante mais interminable, révélant sans même qu’on le sache a priori son caractère rajouté : le film n’avait pas besoin de ça, et l’on peut dire qu’à partir de la séquence -ô combien traumatique !- du sacrifice humain, les péripéties s’enchaînent mécaniquement. Tout juste pourra-t-on sauver la scène du pont suspendue, bien gérée, amenant jusqu’au point de rupture dans une beauté cinématographique implacable. Pas aidant, la musique de Williams bat et rebat le thème du héros dans un trop plein dont on a du mal à se dépêtrer. Et si, à la fin, Harrison embrasse bien l’héroïne, le happy-end ne sonne que telle une façade, un vernis sur un cœur moins reluisant.

  • La mort en direct (1980)

    Un film de Bertrand Tavernier

    4265620792_cee49c7061_m.jpgRéalisateur doué, doublé d’un don d’orateur hors pair pour faire partager sa passion du cinéma, Bertrand Tavernier aura touché à une multitude de genres : polar, chronique sociale, film historique, et même science-fiction, comme nous le prouve sa cuvée 1980, adapté d’un roman de l’anglais David Compton.

    Dans un futur proche, Katherine Mortenhoe (Romy Schneider), auteur de romans faits par ordinateur est gravement malade, alors même que toutes les maladies ont été vaincues par la science. Une chaîne de télévision entreprend alors de suivre son agonie et d’en faire un show télé, Death Watch. On pose sur les yeux d’un homme, Roddy, un dispositif permettant de filmer tout ce qu’il voit, la caméra étant intégré dans ses yeux. Si bien qu’alors même que Katherine pense s’être enfuie de l’emprise de la chaîne, Roddy, entreprenant le voyage avec elle, enregistre le moindre de ses gestes.

    Et le film de nous amener sur des terres plutôt familières, celle de la télé-réalité, dont c’est l’une des premières transpositions cinématographiques. Le personnage du producteur, joué par Harry Dean Stanton, préfigure celui de Max Renn (James Woods) dans Videodrome (1984), qui veut exploiter la nouvelle pornographie : assister à une mort à la télévision. Pour Renn, il s’agira de snuff-movies, auquel Death Watch ajoute le direct ; du moins le croira-t-on, les heures de films compilées servant finalement à créer des émissions enregistrées, dont les extraits sont soigneusement choisis pour leur cruauté et leur vérité. Soit exactement ce qui se passera quelques années plus tard, pas plus loin qu’en France. Et, dans les films plus récents (Dark City, The Truman Show, Les fils de l'homme) comme dans les classiques exploitant le thème de l'aliénation (la série Le Prisonnier), la mer, vers laquelle se dirigent inexorablement les personnages, incarne l'espoir d'une échappatoire.

    Roddy (Harvey Keitel, décidément quel casting !) est un personnage captivant, car il personnifie le ciné-œil cher à Dziga Vertov : chacun de ses regards est un plan de film. Il s’instaure donc, dès le début, caméraman dont il est son propre outil. Lorsqu’il s’entretient avec son producteur, Roddy transforme dans l’instant son expérience personnelle de vision en prise de vue : "La scène du lit, elle était bien éclairée ?". La caméra de Tavernier se substitue d’ailleurs, le temps de quelques scènes, à l’œil-caméra de Roddy, le changement intervenant parfois même à l’intérieur d’un même plan, bousculant notre vision des événements (la séquence du dortoir). Cette construction force la conscience, pour le spectateur, d’une mise en abîme constante, le film dans le film se montrant constamment comme tel. Tel un caméraman, Roddy sera dans un premier temps absent, caché du regard de Katherine : l’observant (la filmant) derrière une vitre sans tain, ou d’une partie cachée de la pièce. Si bien que, dès lors que les deux personnages se rencontrent face à face, le spectateur garde bien à l’esprit la nature de Roddy et l’assimile à une caméra vivante. Tavernier nous fait ainsi toucher du doigt le voyeurisme dont nous faisons preuve, et dont fait preuve tout spectateur, à l’image des téléspectateurs du show. Roddy, à l’inverse, va oublier, sans s’en rendre compte lui-même, la cruauté de sa position, et n’en prendra réellement la mesure que trop tard.

    L’intérêt du film vient aussi du fait qu’il n’essaye pas d’éviter son appartenance à la science-fiction : il l’embrasse entièrement, à travers le personnage de Roddy, véritable cyborg qui doit veiller à ce que ces circuits restent éclairés de jour comme de nuit. De même, la profusion des affiches annonçant l’émission Death Watch (titre anglais du film, tourné en Écosse et en anglais), donne un cachet vraiment futuriste au récit, même si l’on reste globalement dans ce que Michel Chion appelle une "science-fiction sans imagerie", dénuée des multiples artefacts caractéristiques du genre. Les seuls que nous verrons suffisent cependant à tracer le sillon futuriste, tel l’ordinateur qui écrit les livres de Katherine après qu’elle lui en ait décrit les principaux événements. Ainsi, à la question de Katherine, "Somme nous si fatigués de t’avoir fabriqué que nous ne pouvons plus rien inventer ?", Harriett (c’est son nom), répondra un froid et cynique : "AFFIRMATIVE". Katherine, attachée à "gagner, juste une fois" contre cette société qui semble s’être perdue à elle-même, restera fidèle à son principe. Comme tous les films de science-fiction réussis, La mort en direct nous met face à nous-même, et ce n’est jamais beau à voir.

  • SOS Fantômes 2 (1989)

    Un film de Ivan Reitman

    4025560250_8fb0b2af44_m.jpgThey're back.

    SOS Fantômes se devait d'avoir une suite. Film de vidéo club par excellence, Ghostbusters représente quelque chose comme l'ultime film pop-corn, amusant, fantastique, effrayant (un peu), ... bref. Une certaine idée du cinéma de divertissement qui se fait rare. 5 ans plus tard (comme l'affirme le sobre carton d'introduction de SOS Fantômes 2), on prend les mêmes et on recommence. Jamais peut-être a-t-on suivi ce principe à la lettre, autant que pour cette suite ; car, au-delà des acteurs, c'est toute la structure narrative du premier qui est recyclée, tel un remake du Ghostbusters originel. Le réalisateur Sam Raimi aura fait de même, mais sans se le cacher, avec un Evil Dead 2 (1987) exceptionnel. Ainsi donc, on découvre les membres de la fine équipe en train d'animer une fête d'anniversaire, en chantant eux-même la chanson-titre du film! (que l'on ré-entendra à foison d'ailleurs). Comme si, d’ailleurs, le récit fictionnel et la réalité à l’intérieur de celui-ci fusionnaient. On avait d’ailleurs la même impression à la fin du premier opus, lorsque les casseurs de fantômes débarquaient avec l’armée au pied du building maléfique : la foule semble acclamer autant les acteurs que les personnages qu’ils incarnent.

    De véritables super-stars à la fin du premier film, ils tombent dans un quasi-anonymat au début du 2, caractéristique des aléas de la célébrité : un coup au sommet, un coup oubliés ; le premier film démarrant aussi par notre équipe à laquelle personne ne croit (on leur enlève leur bourse de recherche et ils sont mis à la porte manu militari). Vient alors le premier cas avéré de fantôme, qui les propulse au rang de groupe vedette (groupe musical ? Le morceau pop de Ray Parker Jr. confirmerait cette hypothèse, et le leitmotiv de leur publicité, dans le 1 et le 2, est bien "Who you gonna call ? Ghostbusters !", reprenant le refrain de ladite chanson). Ayant occasionné toute une série de produits dérivés tous aussi variés que profondément inutiles, le premier film trouve sa prolongation ici dans une attitude étonnamment réflexive. Ainsi, à un portier qui lui demande s’il ne pourrait pas récupérer un pack protons pour son fils, Egon (Harold Ramis, également co-auteur du script) lui répond "Le pack proton n’est pas un jouet", alors que, dans un grand élan contradictoire, le même Egon nous vante les mérites des nouveaux produits dérivés Ghostbusters (une tasse, un t-shirt) dans une publicité, plus avant dans le film.

    Dans SOS fantômes 2, on assiste de la même façon que dans le premier à une nouvelle apparition fantomatique confirmée par les hautes instances de la justice (deux condamnés à la chaise électrique apparaissent alors que les Ghostbusters sont sous le coup d’une injonction judiciaire). De même, le personnage tantôt amusant puis effrayant, joué par Rick Moranis dans le premier film, trouve son calque en la personne de Peter MacNicol (excellent en John Cage dans Ally McBeal), conservateur d’un musée, possédé par une force démoniaque ; tout comme Louis Tully (Moranis) dans le premier film. Ensuite, internés pour empêcher de nuire à l’image du maire, les Ghostbusters seront repêchés à la demande expresse de ce dernier, exactement comme dans le film d’origine. Le maléfique bibendum chamallow du film d’origine, déambulant dans les rues de New-York comme la femme de 50 pieds dans le film éponyme, est ici remplacé par un double positif, la statue de la Liberté, marchant de la même façon dans la ville pour exalter le sentiment de bonheur chez les New-Yorkais. Hum... Résumer comme cela, le ridicule semble l’emporter. Pourtant, malgré cet évident décalque, le film provoque un plaisir non dissimulé, emprunt de vrais moments de comédie (principalement imputable à la performance de Bill Murray, comme d’habitude très à l’aise). Tordante, la relation Janine - Louis est aussi à mettre au crédit des bonnes idées du métrage.

    La dimension effrayante voire horrifique, présente dans le premier film avec les gros chiens cornus, trouve ici une bonne incarnation dans le personnage de Vigo, prince des Carpathe et accessoirement symbole du mal absolu, même si, de lui ou de Peter MacNicol, on se demande qui fait le plus peur...

    A partir d’un moment, on ne maîtrise plus la portée de ce genre de films. Le deuxième film est objectivement moins réussi que son aîné, mais est-il pour autant moins apprécié ? Celui-là, comme d’autres (on pense inévitablement aux Retour vers le Futur) auront fait les beaux jours des vidéo-clubs un peu partout dans le monde.  Une époque qui paraît bien lointaine aujourd’hui, faisant tomber le film sous le coup de cette bonne vieille nostalgie...

  • Prince des ténèbres (1987)

    Un film de John Carpenter

    3866235069_bb3ee3b0d0_m.jpgFilm de genre, film d’épouvante, Prince des Ténèbres s’assume comme tel de bout en bout. Malgré l'introduction d'une possible romance, l’ambiance n’est pas adoucie pour autant. Le métrage voit l’affrontement de deux mondes : le religieux et le scientifique, le technique et la croyance. Un prêtre est mort, un autre vient enquêter, assisté par une équipe de chercheurs. Dans le domaine scientifique, le spectateur est prévenu : "Oubliez tout ce que vous savez de la réalité" nous dit le professeur Birack. La réalité du film, dès lors, n’est pas régie par les lois dont nous avons l’expérience, et nous emmène sur les terres du surnaturel. Les deux mondes coexistent durant tout le film, dans un huis clos qui enferme l’équipe de scientifique dans une église. Deux dialogues contradictoires s’affrontent ici, celui d’une pensée empirique et d’une croyance.

    La tension est entretenue continuellement, par des artifices que Carpenter connaît bien : la musique, qui crée une ambiance, un arrière-plan narratif qui guide le spectateur vers les moments clés du film. Les cinq premières minutes du film sont sur ce point vraiment bien ficelé, sans paroles, sur fond de la musique synthétique de Carpenter. Beaucoup de ses films commencent par un passage entièrement  musical, comme une introduction qui touche directement le spectateur par la tension propagée, sèche et implacable. Halloween (1978), New-York 1997 (1980), The Thing (1982), Vampires (1996) et j'en passe, débutent tous par ce procédé. Cette tension est accentuée dans Prince des ténèbres par la situation particulière d’un huis-clos. L’équipe est en effet maintenue à l’intérieur de l’église car dehors, veillent des sbires du mal. Pour le peu de protagonistes qui sortent, c’est la mort assurée. Malgré cette apparente dichotomie, la distinction dedans/dehors est quasiment égale du point de vue du danger encouru ; en effet, à l’intérieur même de l’église, lieu de refuge par excellence, sévit le mal provoqué par une incarnation du malin. C’est alors plutôt l’opposition seul/ensemble, autre grande caractéristique du film d’épouvante, qui est utilisée ici. L’impossibilité de s’échapper du lieu central (aussi bien pour les personnages que pour le spectateur) est bien rendue par la vaine tentative du héros, qui se retrouve cerné par une horde de zombies.

    C’est le monde scientifique qui vient s’installer dans l’église, et non pas l’inverse. On comprend alors que les scientifiques sont prisonniers sous la domination des croyances religieuses qu’ils connaissent peu et auxquelles ils n’adhèrent pas (voir le scepticisme avec lequel sont reçues les explications du prêtre).  L’équipe se retrouve face un objet qu’ils ne comprennent pas, un cylindre dans lequel tournoie un mystérieux fluide verdâtre, auquel ils tentent d’appliquer leur savoir scientifique. Cette tentative de décodage est néanmoins inutile et désespérée,  car le mal s’est emparé de la terre.

    La représentation de cette emprise est créée par une omniprésence organique dans le film : les vers qui grouillent sur la terre, les fourmis et autres insectes qui rampent sur les corps et les visages des êtres possédés.  Les personnages possédés sont livides, à l’image des zombies cher à George Romero.  Leur caractéristique reste l’immobilité, qui s’oppose au mouvement organique incessant, et à l’attitude des quelques passants qu’il nous est donné de voir, qui ne sont pas atteints. Ce qui nous indique que le diable choisit ses apôtres : ce sont le plus souvent des laissés pour compte, des sans abris, des individus qui vivent dans la rue. D’une façon assez dérangeante, le malin s’approprie les symboles chrétiens, comme la blessure qu’il inflige à un protagoniste de l’histoire, qui s’illustre par une croix sur son bras. Cette blessure indique encore une fois le choix du mal : c’est par elle qu’il passera, l’utilisant comme un vaisseau pour permettre au diable d’apparaître sur Terre. On peut encore noter le pigeon épinglé sur une croix, témoin de la présence des possédés autour de l’église. Le mal est aussi marqué physiquement par la laideur, le repoussant, comme Carpenter va encore l'utiliser dans son film suivant, Invasion Los Angeles (1989). Ainsi, la décomposition de la femme prise comme réceptacle pour l’incarnation du mal, qui passe par tous les états, d’une grossesse d’un autre monde à une détérioration de ses propres chairs, laisse apparaître un crâne d’écorchée.

    Film horrifique, Prince des ténèbres n’en est pas moins parsemé de touches humoristique (personne ne se rappelle de quoi a l’air la radiologue), mais à chaque court-circuité par le pessimisme et la noirceur des autres individus (les blagues du personnage du scientifique chinois tombent immanquablement à l’eau).  Dans le film, si le soleil montre son éclat, ce n’est que dans l’optique d’un répit d’autant plus difficile à apprécier qu’on le sait de courte durée.  Et Carpenter de livrer avec son Prince des ténèbres un véritable spectacle, dérangeant, oppressant, d’une dureté à toute épreuve : une œuvre forte, qui, sans égaler ses plus grands films (Halloween, New-York 1997, The Thing, L’antre de la folie), est un vrai moment de cinéma.

    Source image : affiche américaine du film © Universal Pictures