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2000's - Page 11

  • Cypher (2003)

    Un film de Vincenzo Natali

    3561573981_20f3d75dde_m.jpgMême si je ne pense pas que ce film soit "indéfendable", il reste tout du moins mésestimé par le plus grand nombre. Il s’agit s’un trip très construit, à cheval entre espionnage, SF et thriller paranoïaque, dans lequel Morgan Sullivan (Jeremy Northam) incarne l’homme ordinaire qui veut changer de vie : il devient alors espion industriel pour la firme Digicorp, mais ses missions sont, comment dire, loin de celles d’un James Bond, jugez plutôt : il se rend à des conférences pour enregistrer des discours sans intérêt... On se doute rapidement qu’il est utilisé.

    Opérant une variation chromatique tout au long du film, passant d’un ensemble désaturé qui s’agrémente peu à peu de couleurs, pour finir dans une apothéose bariolée, Vincenzo Natali construit son film par petites touches impressionnistes. Le moment du premier véritable envahissement de couleurs à l’écran accompagne ainsi la révélation conjointe, pour le personnage principal comme pour le spectateur, d’une première vérité, dans ce monde où l’information semble toujours cachée. De plus, le glissement progressif d’un genre à l’autre suit cette variation chromatique, et la découverte progressive de la vérité par Sullivan. Même si le début du métrage fait invariablement penser à un Matrix du pauvre, il ne faut pas s’y fier. Derrière un budget qu’on n’imagine certes pas à la hauteur des ambitions du cinéaste -les effets spéciaux sont très visibles-, le film déroule sa trame avec une droiture et une absence d’ironie qui le sert bien. Le jeu des doubles, illustré ici jusqu’aux antagonismes des multinationales qui s’affrontent, donne un léger vertige par la richesse des virages scénaristiques, qui s’estompera cependant bien vite, n’ayez crainte. La dernière partie, qui démêle le vrai du faux, est jouissive pour qui y est réceptif (j’en suis, évidemment).

    Lucy Liu est bien castée dans un rôle ambigu, personnage coloré et atypique dans un univers formaté où l’on ne parle que de données échangées, volées, à prendre... Jeremy Northam, quant à lui, a la bonne tête et les manières maladroites de l'homme dépassé par les événements, mais qui jouit en même temps de ce revirement dans sa vie. Northam reste, malheureusement, trop discret dans le paysage cinématographique.

    Ne se prétendant pas autre chose qu’un divertissement, le film surprend par sa foule d’idées, dont certaines sont franchement casse-gueule -la citation de La mort aux trousses, transposée de nuit, et l’apparition qui s’en suit-, mais qui organise tranquillement sa petite réussite, en sachant bien qu’il ne révolutionne pas le genre. Je rapprocherais volontiers Cypher d’un Passé Virtuel (Josef Rusnak, 1999), voire d’un Planète hurlante (Christian Duguay, 1996), deux films qui n’ont pas la réputation qu’ils méritent. Sans être des chefs d’œuvres évidents, ils sont des réussites, tant formelles que scénaristiques, et font du bien pour leur fraîcheur.

  • Watchmen - Tales of the Black Freighter (2009)

    Un film de Daniel DelPurgatorio & Mike Smith

    3532303249_2d519d03b7_m.jpgBizarre, cette vision de ce qui devait être, à l’origine, inclus dans la version ciné du Watchmen de Zack Snyder. Rappelons que ledit-film, adaptation du comics de Alan Moore et Dave Gibbons, devait faire état d’un passage assez magistral dans la BD, à savoir un jeune noir lisant un bande d’aventures plutôt gore, celle-ci ayant des correspondances avec l’histoire principale du film ; d’où une mise en abîme originale et particulièrement réussie.

    La vision indépendante de ce récit est troublante car on sent clairement qu’il manque quelque chose, sur le strict plan narratif. En l’état, le film prend le format d’un épisode de série animée de 20 minutes, d’habitude utilisé pour de nombreuses séries pour enfants. Ici, point de tout cela ; on est dans le gore et l’horrible, la trame pouvant ressembler à un Conte de la Crypte sous acide (quel épisode de cette série ne l’est pas, d’ailleurs ?). Un marin est le seul survivant d’une attaque de pirates sanguinaires ; il se retrouve seul sur un petit bout d’île, avec comme seuls compagnons les corps sans vie de ses camarades d’infortune, une nuée de charognards aux aguets. La suite ne sera que plongée dans une folie dure, hallucinations comprises. Le bougre arrivera à s’extirper de l’île dans le seul moment d’anthologie gore assez peu vu ailleurs, en animation comme en prises de vues réelles.

    L’argument est un peu mince, mais de plus il n’est pas aidé par une animation approximative (mis à part les éléments en numérique, tels les sombres flots d’une mer déchaînée), les personnages n’ayant tous qu’une seule et même expression. Si cela ne suffisait pas, le design général marque par sa grande laideur esthétique (Mon dieu, ça, c’était des requins ?!, ne pourra-t-on s’empêcher de se demander à l'occasion).

    On en retiendra tout juste un enchaînement non-stop de morts en décomposition et de meurtres, ce qui n’est pas donné à tout film d’animation qui se respecte. Mais cette oeuvre, qui n’en est pas vraiment une, faisant partie d’un tout beaucoup plus grand qu’elle, peut-elle être considérée comme telle ? La question mérite d’être posée, et nous répondrons non,  tant la sensation d’avoir assisté à un fragment d’histoire reste ancré après le visionnage.

  • Vinyan (2008)

    Un film de Fabrice Du Weltz

    3430473661_137a105466_m.jpgAprès un premier film, Calvaire, qu’on peut qualifier sans mal de dérangeant, le belge fou revient avec un film-trip, véritable déambulation hallucinée dans les cités bariolées de Thaïlande, puis dans la forêt Birmane, où nous suivons donc les pas d’un couple, interprété par Emmanuelle Béart et Rufus Sewell (Dark City, Chevalier), mis à mal par la perte d’un enfant. La possibilité de le retrouver va faire basculer leur vie une nouvelle fois.

    Que dire de ce film, si ce n’est qu’il convoque visuellement les imaginaires du cinéma de genre italien, à commencer par le Suspiria de Dario Argento : la séquence du début du film, dans laquelle le couple se retrouve dans un taxi à Phuket, est calquée sur la séquence elle aussi quasi inaugurale du film italien qui voit Jessica Harper, peu rassurée à l’arrière d’un taxi, évoluer dans les lumières flashy des feux de circulation, donnant des airs de cauchemar sous acide à cette ballade nocturne. La référence continue lorsque Jeanne (Béart) décide de poursuivre sa quête sans son mari, et quitte brusquement le taxi, le film nous offrant d’ailleurs à ce moment précis un plan séquence anthologique (comme il va en enfiler un certain nombre sur toute la durée du métrage), suivant en caméra portée les errements maladifs de la femme. Les couleurs criardes, fusant dans cette nuit moite, désoriente le spectateur au même titre que l’héroïne, qui est allée très loin dans l’interprétation de son personnage.

    De l’influence d’un certain cinéma de genre italien, on peut même parler de bis,  la seconde partie du film pouvant rappeler La montagne du dieu cannibale de Sergio Martino, péloche mi-aventures mi-horreur, où le rôle tenu par Ursula Andress offre certaines similitudes avec celui de Jeanne, on ne vous en dira pas plus si vous décidez de tenter l’aventure de ce film-trip. De même, le voyage en bateau entre les forêts touffues de Birmanie font entrevoir un isolement, un danger, voire même une folie q'on a pu croiser dans Aguirre (autre film-trip dont la réussite est sans commune mesure avec ce qui nous intéresse aujourd'hui). Enfin, on pourra voir une certaine inspiration vers Sa majesté des mouches, car les enfants que vont rencontrer le couple sont pour le moins inquiétants.

    Baignant dans une folie qui va crescendo, le film est extrêmement soigné, dans son visuel (couleurs chaudes magnifiques, plan-séquences de folie signés par un très grand chef op’, Benoît Debie) mais également dans ces ambiances sonores. On retiendra le premier plan du film, visiblement sous-marin nous montrant des bulles provoquées par le remous du au tsunami. Ce plan a une efficacité figurative (on sait de quoi il s’agit) tout en ayant un cachet abstrait, avec les bulles qui composent aléatoirement des formes étranges.

    Au niveau de la forme, tout est donc très beau et très pro. Mais là où ça se gâte, c’est au niveau de l’histoire, qui prend vvvrrraiiiiment  son temps pour nous raconter... quoi d’ailleurs ? le traumatisme d’une mère suite à cette perte irréparable ? un récit psychologique où tout n’est que rêverie embrumée ? Une histoire d’esprit maléfique qui emporte votre raison si vous vous en approchez trop ? Coincé dans un trip qui est avant tout très personnel au réalisateur, le film ne passionne pas, c’est le moins que l’on puisse dire. Manquant terriblement de crédibilité, l’intrigue bascule finalement très vite (dès les premiers instants, on peut se douter que Jeanne va péter une durite) dans le n’importe quoi scénaristique. Le mari se laisse embourber dans les errements psychotiques de sa femme, ne réalisant rien de l’impasse dans lesquels chacun de ses pas l’en  rapproche.

    Dépourvu de réelle matière, on ne saura que trop déconseiller cette vision d’un auteur tout à fait nombriliste et hautain (le générique de début en est une belle preuve, avec un FABRICE DU WELTZ’S VINYAN qui fait rire, honnêtement). Bénéficiant tout de même d’un cachet visuel et sonore sans pareil, on peut avancer que Vinyan constitue un bien beau ratage cinématographique (mais alors, très beau !).

  • Animal Factory (2000)

    Un film de Steve Buscemi

    3417738272_a1f73dcf05_m.jpgCet excellent acteur/réalisateur qu’est Steve Buscemi nous sert un exemple du film carcéral dans toute sa dure réalité ; bien que l’intrigue se situe dans la prison de San Quentin, une des plus anciennes des Etats-Unis et lieu de maints autres films avant celui-ci, le film a été tourné dans une ancienne prison d’état à Philadelphie. Adapté du roman de Eddie Bunker, qui connaît San Quentin comme sa poche (il y a séjourné 18 ans, semble-t-il), Animal Factory est d’abord un film de gueules incroyables, à commencer par un Willem Dafoe, tête rasée, excellent. A celui-là s’ajoute l’ex-taulard Danny Trejo, tout en balafres, connu pour jouer les seconds rôles chez Robert Rodriguez. Mickey Rourke, méconnaissable (pléonasme), est à contre-emploi dans un rôle... borderline dont je vous laisserais la surprise. Eddie Bunker lui-même, après avoir été aperçu dans Reservoir Dogs (Mister Blue, c’était lui), joue un rôle secondaire. Au milieu de toute cette troupe, qui reconstitue de façon convaincante une ambiance toujours sur le fil, entre vie et mort, le jeune Ron Decker (Edward Furlong, disparu des écrans et c’est bien dommage) doit rentre dans les cases, se conformer aux usages hors-normes d’une société de psychopathes.

    Buscemi filme en gros plans, ou du moins toujours serrés, tentant de cerner dans les plus infimes expressions le ressenti d’être emprisonné ; en étant au plus proches des rides, cicatrices, cernes des protagonistes, il fait de ces marques de la vie le temps qui passe, long, bien long, et dont la brutalité laisse des traces indélébiles, qu’elles soient visibles ou psychologiques.

    Dans cet écrin de réalisme, où les prisonniers s'organisent en clans, en binômes (le protecteur et son protégé / parfois souffre-douleurs), et façonnent un cercle vicieux immuable, provocation / agression / vengeance, on sent l’empreinte prégnante d’un Oz, dominant depuis sa fenêtre télévisuelle tout la représentation de l’univers carcéral depuis la création du show. Buscemi, dans sa démarche, ne peut qu’emprunter un chemin déjà tracé par cette magistrale série.

    Malgré tout, la relation Willem Dafoe / Edward Furlong échappe aux stéréotypes et aux craintes du personnel encadrant de la prison, créant une fraternité nécessaire dans un monde sans pitié, où les prisonniers s’entretuent et où, quand ce n’est pas eux qui s’en chargent, des surveillants impersonnels (on ne distinguent que leur silhouette) mitraillent à vau-l’eau.

    Caractères hétéroclites, besoin de reconnaissance et survie, les prisonniers apparaissent bien comme des animaux, pour lesquels la liberté n’est qu’un fantôme. Furlong redonne vie à cet espoir pour Dafoe, et c’est ce qui est beau dans ce film. On en parlera donc comme d’un essai assez réussi, mais où le personnage de Furlong aurait peut-être du être traité plus en profondeur... A découvrir toutefois !

  • L'orphelinat (2008)

    Un film de Juan Antonio Bayona

    3398337666_fa70ed17f4_m.jpgL’Espagne est la terre promise du cinéma fantastique actuel. Ce premier film en est la nouvelle preuve, alignant sur un canevas classique de maison hantée un drame familial et personnel assez réussi.

    Film de fantômes sans fantômes, L’orphelinat utilise nombre de concepts déjà vu : le pouvoir hautement anxiogène des poupées, marquant car figeant dans une immobilité mortuaire les figures de très jeunes enfants ; une maison de bois aux multiples recoins dont l’imposante façade rappelle Psychose (Alfred Hitchcock, 1960) ; l’usage de la parapsychologie afin de mettre au jour les esprits vadrouilleurs, entouré d’un dispositif technique élaboré (évoquant L’emprise de Sidney J. Furie ou L’exorciste II de John Boorman). Les caméras installées dans toutes la maison, déjà vu dans le bon La chambre du fils -non, pas celui de Moretti, mais bien le segment de l’anthologie Historias para no dormir, réalisé par Alex de la Iglesia), instaure la volonté de multitude de points de vues, voir plus, voir mieux, et aussi de déceler l’invisible dans le visible. Les caméras, avec leur vision infra-rouge, rendent l’environnement habituel fantastique et cauchemardesque, un moment dans l’espace où l’immatérialité du rêve peut prendre une forme tangible. On a récemment vu le même procédé -avec les mêmes résultats- dans la dernière partie de [REC], du duo Balaguero-Plaza. Ceci dit, L'orphelinat ne propose pas, à l'image de [Rec], une idéologie du visible, tout montrer (et tout démontrer) pour faire naître la peur ; il préfère laisser le soin au design sonore (les cris d’enfants, les tocs-tocs dans les cloisons, les grincements métalliques) de provoquer l’imaginaire du spectateur, qui crée de lui-même les manifestations physiques qui découlent de l’ambiance environnante. Délaissant une approche démonstrative du fantastique (à base de maquillages horrifiques et de grand-guignolesques apparitions fantômatiques), le film surfe sur un malaise psychologique, celui de Laura, hantée par la perte de son fils. Thématique clé du genre, qu’on avait suivi avec terreur dans le tétanisant La secte sans nom (Jaume Balaguero, 1999). En minimisant les plans d’horreur graphique, le film a su également s’attirer un public différent, beaucoup plus large que son genre ne lui laissait présager (il est aujourd’hui le film le plus vu au cinéma en Espagne).

    On assiste dans le film à une véritable régression : la volonté de Laura, de retourner dans cet orphelinat qui a bercé son enfance et dont elle garde un excellent souvenir, opère comme un retour en arrière, un retour aux sources pour solutionner un problème existentiel. On remarque ainsi que le film, ainsi  que d’autres exemples du cinéma fantastique espagnol (Ouvre les yeux, Les autres, A louer, Fragile), sont ancrés dans le passé, avec aucun espoir pour le futur, pour une résolution qui amènerait les personnages à mieux vivre leur existence après les événements survenus. Laura est tout de même très combative dans sa quête, dont l’extrémisme peut passer pour de la folie pure. Elle ressemble à ces héroïnes très fortes dont la Ripley d’Alien reste le parent commun. Son parcours, laissant peu à peu de côté son mari, rappelle celui de La chambre du fils - encore lui-, mais dans son opposé parfait : le film de Alex de La Iglesia voyait le mari délaisser sa femme, l’homme se faisant contaminer par une paranoïa sur la caractère maléfique de leur nouvelle demeure.

    Hormis ces caractéristiques somme toute classiques du genre, on trouve que l’ensemble marche plutôt bien, et l’idée du jeu de piste d’indices à la Amélie Poulain version flippant est vraiment efficace : là encore, la "preuve" du fantastique n’est pas amenée par des apparitions éthérées, ou des manifestations clairement dues à un élément surnaturel, mais jaillit de la matérialité la plus entière. L’orphelinat est donc une réussite, cependant peut-être trop héritière de certains lieux communs du genre.