Un film de Steve Buscemi
Cet excellent acteur/réalisateur qu’est Steve Buscemi nous sert un exemple du film carcéral dans toute sa dure réalité ; bien que l’intrigue se situe dans la prison de San Quentin, une des plus anciennes des Etats-Unis et lieu de maints autres films avant celui-ci, le film a été tourné dans une ancienne prison d’état à Philadelphie. Adapté du roman de Eddie Bunker, qui connaît San Quentin comme sa poche (il y a séjourné 18 ans, semble-t-il), Animal Factory est d’abord un film de gueules incroyables, à commencer par un Willem Dafoe, tête rasée, excellent. A celui-là s’ajoute l’ex-taulard Danny Trejo, tout en balafres, connu pour jouer les seconds rôles chez Robert Rodriguez. Mickey Rourke, méconnaissable (pléonasme), est à contre-emploi dans un rôle... borderline dont je vous laisserais la surprise. Eddie Bunker lui-même, après avoir été aperçu dans Reservoir Dogs (Mister Blue, c’était lui), joue un rôle secondaire. Au milieu de toute cette troupe, qui reconstitue de façon convaincante une ambiance toujours sur le fil, entre vie et mort, le jeune Ron Decker (Edward Furlong, disparu des écrans et c’est bien dommage) doit rentre dans les cases, se conformer aux usages hors-normes d’une société de psychopathes.
Buscemi filme en gros plans, ou du moins toujours serrés, tentant de cerner dans les plus infimes expressions le ressenti d’être emprisonné ; en étant au plus proches des rides, cicatrices, cernes des protagonistes, il fait de ces marques de la vie le temps qui passe, long, bien long, et dont la brutalité laisse des traces indélébiles, qu’elles soient visibles ou psychologiques.
Dans cet écrin de réalisme, où les prisonniers s'organisent en clans, en binômes (le protecteur et son protégé / parfois souffre-douleurs), et façonnent un cercle vicieux immuable, provocation / agression / vengeance, on sent l’empreinte prégnante d’un Oz, dominant depuis sa fenêtre télévisuelle tout la représentation de l’univers carcéral depuis la création du show. Buscemi, dans sa démarche, ne peut qu’emprunter un chemin déjà tracé par cette magistrale série.
Malgré tout, la relation Willem Dafoe / Edward Furlong échappe aux stéréotypes et aux craintes du personnel encadrant de la prison, créant une fraternité nécessaire dans un monde sans pitié, où les prisonniers s’entretuent et où, quand ce n’est pas eux qui s’en chargent, des surveillants impersonnels (on ne distinguent que leur silhouette) mitraillent à vau-l’eau.
Caractères hétéroclites, besoin de reconnaissance et survie, les prisonniers apparaissent bien comme des animaux, pour lesquels la liberté n’est qu’un fantôme. Furlong redonne vie à cet espoir pour Dafoe, et c’est ce qui est beau dans ce film. On en parlera donc comme d’un essai assez réussi, mais où le personnage de Furlong aurait peut-être du être traité plus en profondeur... A découvrir toutefois !