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Critiques de films - Page 34
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Valérie au pays des merveilles (1970)
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Basil, détective privé (1986)
Un film d'animation de Ron Clements & John Musker
Plusieurs années avant la renaissance du studio par les mêmes artisans (Ron Clements et John Musker réalisèrent à partir de la fin des années 80 deux des Disney les plus réussis : La petite sirène (1989) et Aladdin en 1992), sortait sur les écrans Basil, détective privé, adaptation d'une série de livre pour enfants, Basil of Baker Street, de Eve Titus et Paul Galdone. Il avait la lourde têche de succéder à un cinglant échec commercial, Taram et le Chaudron magique (Ted Berman, Richard Rich, 1985). C'est l'époque des remises en questions chez Disney, et clairement Taram tentait de viser un nouveau public, en proposant une histoire bien plus sombre qu'à l'ordinaire -fable initiatique inspirée du Seigneur des anneaux, où se succèdent ambiances délétères, têtes de mort et infâmes maléfices.
Revenant à un sens du spectacle Disney plus classique, Basil... est aujourd'hui un film d'animation méconnu (pas d'édition spéciale en DVD si ce n'est une version dépouillée de tout supplément en 2004), qui mérite bien plus. Basil combine d'ores et déjà deux aspects qui fonctionnent très bien chez Disney : d'abord, la réinvention d'un personnage littéraire classique, Sherlock Holmes (l'intérêt connu de Disney pour les oeuvres d'Agatha Christie montre aussi la volonté d'adapter un suspense policier). Ensuite, les personnages sont des animaux parlants, et qui plus est des souris, -l'origine de Disney avec Mickey-, qui avaient fait leurs preuves dans le très beau Les aventures de Bernard et Bianca (Wolfgang Reitherman, Art Stevens, John Lounbery, 1977). Coïncidence, à quelques mois d'écart sortait sur les écrans le très sympa Fievel et le nouveau monde (Don Bluth, 1986), faisant également la part belle à une souris.
Débutant dans un foggy London où les souris habitent des maisons minuscules au pied des demeures des humains, Basil a en effet tout pour plaire : des personnages bien trempés souvent excentriques (en cela, Basil et le professeur Ratigan, rejouant l'éternel combat des chefs entre Sherlock Holmes et Moriarty, sont à armes égales : la première apparition de Basil le montre affublé d'un déguisement de pacotille, roulant des yeux globuleux dans un pose démoniaque ; tandis que Ratigan, ébouriffé et fou de haine, est impérial dans l'excellent passage musical "Le grand génie du Mal". Vincent Price, invité d'honneur du film pour interpréter ce vilain, confiera que ce fût son rôle favori.
La relecture de la mythologie holmésienne fonctionne à plein, entre un Dawson - Watson revenu d'Afghanistan, Basil héritant du prénom de son interprète le plus célèbre (Basil Rathbone dans la série Fox / Universal des années 40), ce dernier se permettant même un caméo sonore extrait de sa lecture de La ligue des rouquins, fameuse aventure du détective privé, enregistrée quelques temps avant sa disparition. Le traditionnel attrait d'Holmes pour le déguisement est bien présent, à l'occasion d'une scène dans un bar malfamé (le rat trap, ou "piège à rats") où Basil et Dawson prennent les traits de vieux loups de mer, empruntée à un des films de la série Universal, Sherlock Holmes et l'arme secrète (Roy William Neill, 1942). Le jeu des hommages ne s'arrête pas là, car Dawson se laisse embarquer dans une farandole avec les danseuses du bar, exactement comme Watson dans le film de Billy Wilder, La vie privée de Sherlock Holmes (1970). Le dernier affrontement Holmes / Moriarty , tiré du Dernier problème (The final problem, 1891) de Arthur Conan Doyle est aussi revisité lors d'une époustouflante séquence dans les rouages de Big Ben. Cette poursuite magistrale, en plus de constituer un défi technique réussi (il s'agit de la première utilisation d'images de synthèse dans un long métrage d'animation), aurait pu trouver sa place dans la filmographie d'un Miyazaki, passionné qu'il est des mécanismes d'horlogerie. Plus largement, l'importante place donnée à la mécanique (la salle de travail de l'inventeur, la petite ballerine, la salle des jouets) donne vraiment une couleur unique à ce long-métrage, qui se rapproche par moments de façon troublante de .. la série d'animation Sherlock Holmes, initiée quelques années auparavant par Hayao Miyazaki lui-même ! A ce titre, la séquence de poursuite en machine volante entre le Professeur Ratigan et Basil, semble en être directement tirée.
La tenue visuelle est celle des Disney de la belle époque, aux décors soignés et remplis de détails (on peut apercevoir l'éléphant Dumbo lors de la déambulation de nos enquêteurs dans une salle des jouets), aux frimousses attachantes et très expressives des personnages, dans la joie, la tendresse, le drame, mais aussi dans l'horreur et la folie.
La tonalité de Basil..., si elle peut être par moments légère - notamment grâce à la partition magnifique composée par le grand Henry Mancini, qui retrouve son affinité avec l'animation 20 ans après La panthère rose- , n'en est pas moins constellée de moments de cruauté, suggérés certes, mais bien présents. L'on apprend donc que les méchants sont vraiment méchants, et n'hésite pas à (faire) tuer... souvent pour une broutille - "l'exécution" d'un rat par une chatte goulue et féroce, rendue terrifiante par le rituel de "la clochette"...
On dit souvent que "plus le méchant est réussi, meilleur est le film". C'est on ne peut plus vrai ici, et si Basil a vraiment toutes les qualités d'un excellent divertissement animé, c'est en grande partie grâce à son méchant d'anthologie. Ce film mésestime du studio aux grandes oreilles est à (re)découvrir de toute urgence !
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Shame (2011)
Un film de Steve McQueen
Confirmant tout le bien que l'on pense de l'acteur Michael Fassbender, Shame consacre encore un peu plus son charisme en titane. Il retrouve ici le cinéaste de sa "naissance au grand jour" avec Hunger (2008), et par là même un rôle torturé auquel il donne une consistance unique, comme à sa fantastique habitude. Il est de tous les plans ; et, l'on peut dire que si le rôle avait échu à quelqu'un d'autre, le film en aurait clairement pâti.
Le réalisateur britannique livre avec Shame une oeuvre atmosphérique : ce sont les images et la musique qui racontent, plus que les dialogues, rares. Ces images, celles d'un New-York clinique, classe et nocturne, défilent harmonieusement, se répétant parfois, pour intimer au spectateur la solitude de Brandon (Michael Fassbender) et l'infinie répétition qui semble constituer sa vie. Boulot (cadre dans une société de cols blancs), sexe (avec prostituées ou en "solo"), essais avortés ou ratés de lien social plus profond avec les femmes... L'anomalie de ce système bien rôdé vient avec l'apparition de Sissy (Carey Mulligan), la soeur de Brandon. Sans le sou, avec une vie beaucoup moins bien réglée que celle de son frère, elle met le bazar dans l'appartement et dans la tête de Brandon. Voilà peu ou prou ce qui se passe dans ce film, qui gagne énormément à ne pas verbaliser son contenu, qui s'il peut paraît polémique (un sex-addict trompe mal sa solitude dans une ville où chacun erre, anonyme), repose sur des ressorts assez classiques.
Impudique et beau gars, Brandon vit pour le sexe. Violence extériorisée. Jouissance de l'immédiateté qui remplace un avenir sans but. Pour autant, Steve McQueen ne charge pas trop son personnage. Les scènes de sexe sont sensuelles, pas glauques. Lors d'une scène de nuit, Brandon, à l'extérieur, observe des couples faire l'amour, dans les mêmes tours transparentes que lui, tout aussi impudiques qu'il peut l'être. Le spectateur est avec lui, extérieur au cours de la vie du reste du monde, déconnecté. C'est sur ce feeling, cette sensation, que le film fonctionne. Comme une balade lounge nocturne qui rappelle le Collateral (2004) de Michael Mann.
Le tempo lent du film pourra en surprendre certains. Si Shame ne dure sur le papier qu'une heure quarante, son temps subjectif est bien plus long, à l'image d'un autre grand film atmosphérique, In the mood for love (Wong Kar-Wai, 2000). A ce titre, l'interprétation langoureuse de New-York, New-York par Sissy est révélateur, étirant le temps et les mots à l'infini. Les nappes synthétiques du compositeur Harry Escott dessinent aussi les contours mouvants, la vie qui glisse, lentement, d'un instant à l'autre, sans autre conséquence que le passage du temps.
Pour se laisser emporter, Shame, outre son thème rare, est un invitation sans pareille. Une déambulation hantée, symphonie des corps, le contenant révélant le contenu. Une oeuvre d'esthète, à l'évidence.
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Les oiseaux (1963)
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Network - main basse sur la télévision (1976)
Un film de Sidney Lumet
"Qu'est-ce que la télévision ?" semble être la question à laquelle veut répondre le réalisateur Sidney Lumet, d'une façon à la fois subversive et théâtralisée. Le titre original, par son sobre nom commun ("Network", le réseau), donne au monde de la télévision des allures de corporation opaque, secrète et toute-puissante. En cela, le film s'insère parfaitement dans une série d’œuvres magistrales tournées dans les années 70, exploitant les thématiques du complot, de la défiance envers les autorités légitimes, et enfin de la manipulation du public. Dans le même temps, il décrit aussi une société qui se délite, se transforme, sous l'effet conjugué d'un état de crise et des nouvelles opportunités qui se dessinent. Voyons s'il réussit sa démonstration aussi bien que Les hommes du président (Alan J. Pakula, 1976), Conversation secrète (Francis Ford Coppola, 1974), ou encore Les trois jours du condor (Sydney Pollack, 1975).
Howard Beale (Peter Finch, extatique), présentateur télé de son état, transforme un soir son journal en pamphlet révolté, foutraque et vengeur contre la société du mensonge et de la manipulation qui s'est bâti aux États-Unis, notamment par le biais de son médium, la télévision. Sa diatribe est perçue comme un pétage de plomb manifeste par la direction, qui le renvoie. Mais contre toute attente, l'audience de la chaîne grimpe lors de ses apparitions. Cet homme, qui dit tout haut ce que la population silencieuse mais affectée pense tout bas, est sur le fil. Sa chronique plaît à la chaîne non pas pour son contenu, mais pour les chiffres qu'elle engendre. "Bienheureux les ignorants..." Lui n'est pas dupe, et ça le tue. Alors, il met en scène chaque soir un show aux accents éminemment religieux (la séquence où il exhorte les gens de lever de leur fauteuil et de crier à la fenêtre "J'en ai ma claque de tout ça !" fait passer une énergie religieuse, quasi-mystique, par l’intermédiaire du poste cathodique : intéressant) théâtralisé au possible, pour donner à voir la télévision comme un spectacle manifeste, non comme une réalité possible sur laquelle les spectateurs calquerait leurs fantasmes. On y aperçoit l’envers du décor, ses déplacements ne se limitant pas aux bordures du plateau. Les cadrages montrent les opérateurs, les caméras, les câbles... Tout un monde pour créer l'illusion. Ses vociférations discontinues font écho au flux tout aussi ininterrompu qui s'échappe de Diana Christensen (Faye Dunaway, décidément une muse pour ce type de films dans les années 70), productrice prédatrice à l’affût du nouveau programme qui fera grimper son audimat.
Vivant pour son travail, elle aime que tout aille vite et progresse encore plus vite. Prenant comme amant Max Shumacher (William Holden), responsable de département du Network, elle parvient à récupérer un concept d'émission unique : des films de braquages ou d'actes criminels tournés par les malfaiteurs eux-mêmes. La réalité rejoint la fiction, dans un élan de suspense et de crime : jackpot ! On retrouvera plus tard une situation similaire avec le Max Renn de l'immense Videodrome (David Cronenberg, 1983) : la quête d'une nouvelle sorte de télé-réalité, inspirée des reportages live sur la guerre du Viêt-Nam et des meurtres télévisés de Lee Harvey Oswald, de Robert Kennedy, et bien sûr du choc fondateur, le film d'Abraham Zapruder montrant l'assassinat du président JFK.
Les thèmes sont là, puissants ; la critique de la télévision, objet du mal vendu aux ultra-libéraux de tous poil, est acerbe. En ce 21ème siècle, les téléspectateurs en sont tout à fait informés, et l'on peut dire que les dialogues ultra-référentiels (la plupart sont en effet construits sur des métaphores autour de la télévision : la vie ne serait qu'une pâle copie d'un programme télé très calibré) nous paraissent ampoulés. On a compris le message ! Le film veut montrer un monde fabriqué et régit par la soif de pouvoir (ici, l'audimat). Soit. Mais il devient du même coup, lui aussi, un spectacle théâtral et excessif, un peu épuisant à la longue. Des séquences surnagent et l'on ne s'ennuie pas, cependant : le tête-à-tête entre Beale et le directeur de la chaîne qui l'oblige à transformer son discours pour dire désormais le contraire sonne comme un rêve : les décors sont réduits à une rampe de lumière, donnant la part belle à un clair-obscur très scénographié. La ferveur quasi-religieuse, la encore, donne l'impression que le présentateur dépressif se paye un tour en enfer !
À l'époque, Network a du détonner, avançant avec sa thèse cheville au corps. Aujourd'hui, ce sont surtout ses défauts que l'on remarque, au milieu certes de performances ahurissantes (Faye Dunaway, Peter Finch et Beatrice Straight, qui incarne la femme de William Holden, repartant chacun avec un oscar sous le bras). Le thème est évidemment toujours autant d'actualité, mais la forme est usée.