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  • Morts suspectes (1978)

    Un film de Michael Crichton

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    A la suite d'opérations bénignes sous anésthésie générale, de jeunes patients sombrent dans un état de mort cérébrale. Une chirurgienne va alors essayer d’en savoir plus…

    Michael Crichton, auteur de romans de science-fiction qui nous a quitté récemment, s'est démarqué par quelques tentatives dans la réalisation. Diplômé de la Harvard Medical School et producteur historique de la série Urgences, la médecine est clairement son domaine de prédilection. Pour preuve, le très honnête thriller médical Morts suspectes (Coma), sorti en 1978 avec l’appui d'un casting sympathique ; Michael Douglas, Geneviève Bujold, Richard Widmark et des apparitions d’Ed Harris -encore avec des cheveux- et de Tom Selleck -déjà avec sa moustache.

    Adapté d’un roman de Robin Cook, lui aussi spécialiste du domaine médical, le film nous entraîne, avec le personnage de Susan (Geneviève Bujold), dans les méandres du monde médical. Crichton emploie toutes les ressources nécessaires pour faire de l'hôpital hautement anxiogène un enfer, dans lequel la confiance nécessaire du patient vers le médecin est mise à mal par les plans démoniaques de l’autorité en place. Devant la pauvreté du décor hospitalier, peu photogénique, Crichton arrive à créer un réseau labyrinthique de couloirs et de salles toutes semblables (à l'image des chirurgiens et de leur uniforme réglementaire), participant à la claustrophobie et la paranoïa qui s’installe dans l’esprit du spectateur. Les individus y sont tels des souris de laboratoire, essayant de trouver la sortie, ou la résolution des comas inexpliqués. Une sorte de fil d’Ariane inversé (Thésée s’en sert pour sortir du labyrinthe et ainsi échapper au Minotaure, ici son utilisation vise à pénétrer le système, mais dans la même optique salvatrice) va alors guider Susan, de salles d'amphis jusque dans les tuyauteries et autres réseaux électriques, au cœur d’un secret inavouable. De même, la salle 8 symbolise le centre névralgique de l'hôpital, concentrant toutes peurs, tous dangers. On retrouvera une configuration analogue avec la chambre 237, centre maléfique d’un Overlook Hotel tout aussi tortueux dans Shining (Stanley Kubrick, 1980).

    Certaines séquences parviennent à s'ancrer durablement sur la rétine : on pense à une poursuite dans une salle frigorifique où des corps congelés sont pendus comme des morceaux de viande dans une boucherie, ou la visite d’un centre de soins high-tech, dans lequel les patients sont maintenus horizontalement à un mètre du sol, dans un ambiance assez futuriste. On aime donc que Morts suspectes atteigne son objectif, ne laissant pas de répit au spectateur, délivrant un spectacle haletant secondé par des acteurs bien présents et un score efficace du grand Jerry Goldsmith : mission accomplie.

  • Promenade avec l'Amour et la Mort (1969)

    Un film de John Huston

    3047787486_8d927b0596.jpg?v=0John Huston revisite le Moyen-âge et plus précisément la Guerre de Cent Ans avec ce film, aux antipodes des représentations hollywoodiennes auxquelles la période a généralement droit. Deux personnages, un jeune étudiant -Assaf Dayan- et une jeune fille noble -Angelica Huston dans son premier rôle-, vont errer dans un monde chaotique, où les paysans et les nobles se livrent à une lutte des classes -historiquement vérifiée. Ils rencontrent des individus des deux bords, ainsi que des gens d’Église intolérants et sots. Cette promenade est habitée par l’innocence et l’inexpérience des deux acteurs principaux, perdus dans un monde qui n’a plus de sens. Eux-mêmes ne savent que faire, à l’image du jeune étudiant qui tue un paysan en fuite sûrement plus jeune que lui ; le désordre -territorial, sentimental,...- crée le désordre. Le manque de direction, ce flottement dans lequel se trouvent nos deux héros fait perdre pareillement la direction du film, qui du coup peut occasionner un ennui poli, que dis-je, courtois.

    C’est toute une idée du romantisme qui habite le film, avec le personnage de l’étudiant, poète, amoureux et protecteur de sa Dame, qui a fait ce voyage dangereux avec toute l'inconscience de la jeunesse dans le but de... voir la mer. Le film, accompagné de chansons jouées au luth, retranscrit bien la sensation du Moyen-âge dans une réalité palpable, et non plus irréelle et statique comme ont pu l'être certains films hollywoodiens de l’âge d’or. La caméra, parfois mobile, libre, capture des images d'une grande beauté, rehaussées par la lumière de Ted Scaife (qui a travaillé sur plusieurs films de John Huston, et avec Jack Cardiff, le directeur photo de génie du duo Powell-Pressburger). Il en ressort une grande fraîcheur, une impression plus réaliste. On note même une épure stylistique devant le peu de décors, la musique douce -de Georges Delerue- qui évite un traitement grandiloquent, et un montage clair qui présente les enjeux d’une façon assez neutre. Huston, qui décidément aura touché à pas mal de genres (policier, aventure, drame, film biographique, parodie) s'octroie ici le rôle d'un seigneur d’une grande sagesse ayant rallié la cause des paysans. Dans cet égarement du monde, cette direction flottante, il montre le chemin du droit.

  • Émile Cohl, l'inventeur du dessin animé : un livre incontournable

    3044913373_680d919e98.jpg?v=0Profitons de l'article du jour pour faire état d’une publication remarquable, celle du livre Émile Cohl, l'inventeur du dessin animé. Fruit de nombreuses années de travail, cet ouvrage paru chez Omniscience nous fait découvrir le visage de celui par qui le cinéma d'animation a débuté, et qui fut pendant la plus grande partie de sa vie un caricaturiste de talent. A 50 ans, il décide de remettre à plat tout son savoir afin de donner vie à des dessins. Travaillant seul, il est l’archétype de l’artisan génial, et ce qui peut être qualifié d'expérimentations représente déjà un accomplissement immense. Pour être tout à fait exact, on remarquera tout de même que l'animation de dessins a commencé plus tôt, avant même le cinéma, grâce au Théâtre optique d’Émile Reynaud. Ce qu'il reste aujourd’hui de la production de Colh est, miracle, inclus dans ce livre décidément incontournable via 2 DVD édités par Gaumont, qui constituent le complément de l’édition consacrée au Cinéma premier, sortie en avril 2008. Ces disques ne représentent qu’un cinquième de la production de Reynaud et sont à considérer comme un véritable trésor de patrimoine. Dans le livre, on a également droit à une très belle introduction du grand Isao Takahata (Le tombeau des Lucioles), pleine de finesse et d’un profond respect pour l’œuvre du précurseur. Richement illustré, ce livre est à ne rater sous aucun prétexte, bénéficiant de plus d’un rapport qualité/prix imbattable (vous le trouverez au-dessous des 40 €).

  • Le visage du plaisir (1961)

    Un film de José Quintero

    1939481109.jpgWarren Beatty, dans son deuxième grand rôle au cinéma (après La fureur dans le sang d’Elia Kazan) paraît d’abord assez risible dans le rôle d'un italien roulant les "r" comme personne ; mais l'intelligence du scénario, adapté d'un roman de Tennessee Williams, rattrape le coup.

    Les personnages apparaissent comme des outcast, des marginaux : un gigolo, sa maquerelle, un SDF, tous gravitent autour du personnage principal, une actrice vieillissante (Vivien Leight, excellente, qui aurait pu faire Sunset Boulevard) dont il ne reste de sa gloire passée qu'une immense fortune. Son mari, mort subitement, la laisse dans une solitude que sa richesse ne parvient pas à combler. Elle passe donc un été à Rome pour se changer les idées.

    Les personnages de Tennessee Williams sont souvent des grands malades (La nuit de l’iguane : alcoolisme et obsession sexuelle, La chatte sur un toit brûlant : impuissance, culpabilité, Un tramway nommé désir : maladie mentale). Ici, la maladie est peut-être l’argent, qui gangrène et régit les relations humaines. Plus grande maladie encore, la solitude, qui ronge silencieusement tous les personnages. La galerie des caractères dresse un portrait vérolé de l'humanité, qui contraste avec la beauté classique et intemporelle d’une Rome sous un calme ciel d’été. Dans cet endroit paradisiaque, la détresse des âmes paraît anti-naturelle, mais n'en est que plus évidente. José Quintero, cinéaste panaméen sorti de nulle part qui réalisait ici son premier et unique long-métrage, filme tout ceci malheureusement de façon assez banale. Mais c’est toute l’épaisseur des personnages de Williams, pleins des tourments de l’écrivain, de cette angoisse existentielle, cette  peur de la solitude, qui remplit le film de vérité.

  • Un film, une séquence : Eyes Wide Shut (1999)

    L'orgie

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    Environ à la moitié du film-testament de Kubrick intervient une séquence magique, onirisme brumeux aux couleurs de feu. Bill, tourmenté par l'aveu de tromperie de sa femme Alice, se rend à une soirée privée dont il ignore tout, mais qui est fondamentalement tout ce qu'il recherche : un interdit, un mystère, et une promesse de débauche sexuelle, lui dont la vie était si cadrée, si prévisible, si normale. Norme balayée d'une phrase de sa femme, dont il ne se serait douté. Bill arrive donc au terme d’un voyage nocturne dans une résidence somptueuse, dont il soulève le voile.

    Il pénètre dans un bal masqué sonorisé par une musique mystique, accompagnée d’une voix gutturale. La musique est en fait jouée sur un clavier électronique, tout n'est qu'illusion. Des rituels de sélection assemblent certaines jeunes femmes avec des personnes de l’assemblée silencieuse, qui, comme le spectateur, sont plutôt observatrices qu'actrices de l'événement. Bill se fond dans la masse des masques, semblable à tous, donc incognito. Mais quelque chose cloche : on lui fait signe, il est reconnu. Il doit partir car il n’est pas le bienvenue ("You don’t belong here", tu n’est pas à ta place ici, l’avertit une jeune femme). Il va poutant pouvoir regarder le spectacle qui s’offre à lui, et les lents travellings l’accompagnent au sein de salles aux teintes pourpres.

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    Des pantins s'y embrassent, déshumanisés, animalisés aussi. L'acte sexuel, omniprésent mais laissant la plus grande place à la foule passive, est théâtral, peut-être même est-il simulé. La musique aux tonalités orientales est la bande-son d’une orgie scénographiée, une performance, forme d’art, un "cabinet de curiosités" vivant, qui fait de Bill un spectateur déambulant dans un musée des pratiques sexuelles. Lui seul a la posture d’un être en mouvement, tous les autres prenant la pose, faisant partie du décor. La séquence apparaît dès lors comme une représentation de l'esprit de Bill, obnubilé par l'infidélité d’Alice, revoyant toujours les images qu’il s’est inventé. Démasqué, il devra subir le jugement d'une cour improvisée, pouvant rentrer in-extremis chez lui mais échappant à on-ne-sait-quoi. Dans cette séquence hallucinatoire, réside tout l'art de Kubrick sur le théâtre des apparences.

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