Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

livres et cinéma

  • Hollywood Babylone, ou la face sombre de la Cité des Rêves

    Un livre de Kenneth Anger

    8650681721_bcd530273b_m.jpgKenneth Anger est plutôt connu pour son œuvre cinématographique, underground et ésotérique. Il réalisa de nombreux films, son dernier à ce jour, Ich Will !, datant de 2008. Cependant, à la fin des années 50, il écrit un livre rassemblant un certain nombre de scandales en tous genres sur le Hollywood interdit, mêlant principalement drogues, sexe et meurtres. A l'énoncé, on saisit clairement l'orientation très tabloïd du contenu : tout ce qui compte de faits divers sordide et croustillant fera le corps du livre ; Hollywood était une nouvelle Babylone dès ses débuts. Ainsi, chapitre après chapitre, année après année (des années 20 jusqu'à la fin de l'Hollywood classique, fin 60's), Anger égrène les potins, de ce qui faisait les choux gras de journaux à sensation de l'époque, tel le GraphiC. Il tient alors une posture contradictoire, vilipendant ces journaux et leurs gossip girls (Louella Parsons et Hedda Hopper), tout en jouant de sa dimension racoleuse pour vendre son bouquin (certaines photos des scènes de crime, et Jayne Mansfield en couverture, en témoignent). Le comble étant atteint lorsqu'il insère une page du Daily Examiner de William Randolph Hearst crachant sur "Le ragot" et louant la vérité des informations vérifiées. Mais ce n'est pas la seule chose qui gêne ici, à commencer par les informations non sourcées que l'auteur couche sur le papier.

    Une fois ces griefs posés, force est de reconnaître que le livre a des points positifs : ainsi, Anger trace en filigrane l'histoire de la naissance d'Hollywood et du star-system, de ces inconnu(e)s qui, par la lumière aveuglante des projecteurs, deviennent en un clin d’œil des célébrités. Ceux-là, pas encore saisis de la qualité d'un travail qui serait plus tard reconnu en tant qu'art, devaient consumer leur argent et leur renommée dans de fastes parties décadentes. De même, le passage de la fin des années 20 et son double krach (crise financière et arrivée brutal au parlant) laissa plus d'un acteur sur le carreau (cas extrême : la MGM, voulant se débarrasser d'un acteur, dérègle les instruments de prise de son pour lui donner la voix d'un castra : le public n'en voulu plus). Ce point de vue donne un autre angle à l'arrivée du Code de production cinématographique ou code Hays, en 1934, et le montage de projets bibliques (Le Roi des Rois) pour assainir l'image souillée qu'offrait alors Hollywood. Quand la frontière entre la vie privée et l'image publique s'efface, certains y laissent leurs plumes : Rudolph Valentino et son homosexualité supposée, Stroheim et ses orgies généreusement financées par Paramount, MGM ou Universal, la dépression de Frances Farmer qui la projeta dans l'abîme, etc. Une histoire parallèle de la grande cité du cinéma.

    8651787450_7bdb614748.jpg
    Mae West, la croqueuse d'hommes

    Rappelons ici que le livre est le fruit d'une collaboration étroite entre Kenneth Anger et l'éditeur Jean-Jacques Pauvert à sa sortie en 1959 ; Tristram, qui réédite aujourd'hui le livre, y apporte une nouvelle traduction (de Gwilym Tonnerre), qui préserve heureusement un langage désuet qui dépeint à merveille les affres d'une autre époque. C'est effectivement l'écriture elle-même qui est la plus grande valeur du livre : tout à la fois foisonnante, un peu trash et mouvementée, elle trace énergiquement la route chronologique mais alternative de son contenu. Alors, au-delà des réserves évoquées, si le voyage vous intéresse, faîtes-vous votre propre opinion sur cet Hollywood dépravé : le livre de chez Tristram, composé avec soin (on y retrouve pléthore de photos d'époque), est une bonne porte d'entrée... dérobée !

  • L'île du docteur Moreau (1977) : du livre... au film

    Un roman de H. G. Wells & un film de Don Taylor

    7131842897_d375f2ebe9_m.jpgDans son roman, Herbert George Wells nous conte l'aventure d'Edward Prendick, seul rescapé d'un naufrage, recueilli par le docteur Moreau et son assistant, Montgomery, sur une île peuplée d'animaux que le docteur importe. Dans le cadre de cette île sauvage et peu rassurante, Prendick découvre peu à peu la réalité  des expérimentations du maître des lieux : transformer des bêtes en hommes dans les atroces souffrances de la vivisection. L'histoire dans son entier nous est transmise par la vue subjective de Prendick, un homme ordinaire dans une situation extraordinaire. Les adjectifs attribués aux personnages rencontrés dans l'île ne font pas longtemps mystère de leur vraie nature : faciès disgracieux et velus, gestes approximatifs, parole limitée. Bien que tenus par des règles -la Loi- édictées par Moreau (pas de sang versé, ne pas marcher à quatre pattes), l'appel instinctif et inévitable de leur corps originel ne se fera pas attendre. Le roman de H. G. Wells se comprend comme une fable sur l'opposition entre nature et culture, entre "civilisation" et "sauvagerie" ; le plus vertueux n'étant forcément pas celui que l'on croit. S'il délaisse volontairement les aspects techniques de la folie de Moreau, c'est que son propos est ailleurs, de même que l'on ne lira pas des pages entières remplies de la théorie de Moreau expliquant son geste. Pas parce qu'il est inexplicable, mais bien parce qu'on peut se le figurer nous-même : dans les mains de fous, la médecine devient l'obsession de recréer la vie, à l'égal de dieu. De façon plus terre-à-terre, son personnage narrateur n'a de toute façon pas le loisir d'observer ce qui se passe dans la "maison de la douleur". 

    Contenant des idées et des possibilités visuelles intéressantes, le roman a été adapté une première fois dans les années 30, dans Island of lost souls, de Erle C. Kenton, avec Charles Laughton et Bela Lugosi ; film à la réputation flatteuse. Il fallu attendre les années 70 pour que les producteurs, sûrement impressionnés par l'avancée significative des effets visuels (les prothèses de John Chambers dans La planète des singes), soient tentés de réaliser un film de monstres ; et, même si le film est assez fidèle au déroulement du roman, c'est bien dans l'esprit d'un creature features que le projet est envisagé. 

    6985828848_6acbb92190.jpg

    L'on retrouve le personnage du rescapé, ici renommé Andrew Braddock (Michael York), ainsi que Moreau (Burt Lancaster vieillissant et Montgomery ; M'Ling, un hybride utilisé par Moreau comme serviteur, est également présent, comme la plupart des rôles importans issus du roman. Certaines  scènes sont transcrites quasiment à l'identique, comme celle où Braddock surprend un des serviteurs de Moreau boire dans une flaque à la manière d'un chien ; la caverne où les hybrides du docteur Moreau se terrent, et la séquence sur "la Loi" est également reprise telle quelle. On y observe les fondements de la logique du docteur, qui pense transformer ses animaux grâce à l'inculcation de quelques repères éthiques.

    Le film se démarque du roman sur trois points essentiels : tout d'abord, le personnage joué par Barbara Carrera, qui devient le love interest de Braddock, est une invention du scénariste Al Ramrus ; l'on peut dire que le roman manquait cruellement de personnage féminin, un vrai défaut aux yeux des producteurs. Il ajoute également une raison valable au fait que Braddock ne prenne pas ses jambes à son cou dès qu'il comprend ce qui se passe dans l'île. Le choix de Barbara Carrera, future James Bond girl dans le dissident Jamais plus jamais (Irvin Kershner, 1983), flatte l’œil  ; ne manquez pas, si vous le pouvez, le délicieux hommage de Christophe Lemaire dans le DVD édité par Wild Side. 

    Ensuite, Braddock devient lui aussi la victime des expériences de Moreau ; choix intéressant mais qui demanderait tout de même au bon docteur des mois d'expérimentation pour réussir dans le sens inverse (l'homme devient animal) ce qu'il a déjà beaucoup de mal à accomplir (transformer les animaux en humain). Tout cela rajoute néanmoins une richesse narrative qui ajoute de la valeur à l'adaptation cinématographique ; en effet, Wells, privilégiant les questionnements éthiques de son narrateur, choisit de ne pas développer la dimension action, composante maîtresse dans la conception d'un film, a fortiori fantastique.

    Le dernière différence notable n'est pas un ajout mais une coupe nette à la fin du film ; alors que Wells décrit le retour de son héros à la vie civilisée, et en profite pour achever son discours pessimiste sur le dévoiement sociétal, Don Taylor préfère clôturer son récit sur la fuite de Braddock, son canot embrassant les flots dorés du Pacifique (dans le roman, la construction d'un radeau de fortune occupe une place prépondérante). Le film se pare ainsi d'une tonalité bien plus solaire, même si l'on est loin d'un véritable happy-end.

    6985781184_2867cd199d.jpg

    Le passage en revue de ses différences semble donner des points au film, qui pourtant est loin d'être une réussite. La mise en scène est bancale, montrant rapidement et en pleine lumière des maquillages signés John Chambers qui auraient gagnés à être montrés moins ostensiblement. Don Taylor préfère laisser la beauté des Caraïbes inonder l'écran de ses forêts luxuriantes et de sa mer bleu azur, qui contraste fortement avec les abominations commises par Moreau. Cette nature majestueuse, cernant les personnages aux quatre coins du cadre, constitue par elle-même un positionnement antagoniste par rapport à ses expériences ; Moreau ne crée que des monstres.

    Lancaster est sur sa fin de carrière (cohérent avec le personnage qu'il interprète), Michael York balade sa silhouette dégingandée sans trop y croire ; John Chambers confiera plus tard que le soleil des Caraïbes aura eu raison de toute l'application nécessaire à fournir un film correct. C'est dommage, mais on est bien d'accord avec lui.


    Disponibilité vidéo : DVD zone 2 - éditeur Wild Side Video

  • Dans les griffes de la Hammer : réédition d'un ouvrage indispensable

    4723180771_2256f5c7d2.jpgParu une première fois en 2008 chez l’éditeur Scali, Dans les griffes de la Hammer avait rapidement été épuisé, et introuvable depuis. Son auteur, Nicolas Stanzik, y livre une analyse documentée de la réception des œuvres fantastiques du studio Hammer en France, en évoquant en parallèle une histoire du genre sur le territoire, bien réduite avant l’apparition de Frankenstein s’est échappé ! (Terence Fisher, 1957) sur les (quelques) écrans hexagonaux. Le circuit de distribution (à Paris, puis dans les salles de quartier) donne des clés pertinentes pour évaluer la pénétration du genre dans la société française de l’époque. En utilisant affiches, statistiques, entretiens avec des spécialistes, le tout tient une place de choix (et un livre unique dans la langue de Molière) dans le panorama d’études cinématographiques sorties ces dernières années. Fruit d’une thèse de fin d’études, le contenu a été remanié, revu et augmenté pour cette nouvelle édition qui sort ces jours-ci chez Le bord de l’eau. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle fait montre d’un soin évident : maquette flatteuse, magnifiques planches couleurs reprenant des photos d’exploitation ou des affiches françaises d’époque, nouvelle préface par Jimmy Sangster dotée d’un humour typiquement british, c’est un sans fautes.

    Composé en deux parties bien distinctes, le livre fait se succéder l’étude à proprement parler à des entretiens éclairants, où l’on retrouve A1ain Schlockoff, créateur de la revue L’écran Fantastique, ou plus tard de l’excellente revue Fantastyka ; Francis Moury, critique émérite dont la plume se reconnaît entre mille, digne défenseur des œuvres Hammer ; et aussi Christophe Lemaire, Jean-François Rauger… Des figures incontournables de la cinéphilie fantastique.

    Rédigé avec sérieux, érudition et un sens de l’analyse bien dosé, on ne saurait que recommander l’ouvrage à tous ceux qui, comme nous sont des amateurs indéfectibles de la firme. Celle-ci brille encore aujourd’hui d’un feu vif, alimenté par ses films évocateurs où l’on croise sang, violence, canines acérées et donzelles en détresse. Indispensable, on vous dit !

    D'autres lectures :

    Les films de la Hammer chroniqués sur ce Blog
    La Hammer Collection de Daniel Frenette

  • Émile Cohl, l'inventeur du dessin animé : un livre incontournable

    3044913373_680d919e98.jpg?v=0Profitons de l'article du jour pour faire état d’une publication remarquable, celle du livre Émile Cohl, l'inventeur du dessin animé. Fruit de nombreuses années de travail, cet ouvrage paru chez Omniscience nous fait découvrir le visage de celui par qui le cinéma d'animation a débuté, et qui fut pendant la plus grande partie de sa vie un caricaturiste de talent. A 50 ans, il décide de remettre à plat tout son savoir afin de donner vie à des dessins. Travaillant seul, il est l’archétype de l’artisan génial, et ce qui peut être qualifié d'expérimentations représente déjà un accomplissement immense. Pour être tout à fait exact, on remarquera tout de même que l'animation de dessins a commencé plus tôt, avant même le cinéma, grâce au Théâtre optique d’Émile Reynaud. Ce qu'il reste aujourd’hui de la production de Colh est, miracle, inclus dans ce livre décidément incontournable via 2 DVD édités par Gaumont, qui constituent le complément de l’édition consacrée au Cinéma premier, sortie en avril 2008. Ces disques ne représentent qu’un cinquième de la production de Reynaud et sont à considérer comme un véritable trésor de patrimoine. Dans le livre, on a également droit à une très belle introduction du grand Isao Takahata (Le tombeau des Lucioles), pleine de finesse et d’un profond respect pour l’œuvre du précurseur. Richement illustré, ce livre est à ne rater sous aucun prétexte, bénéficiant de plus d’un rapport qualité/prix imbattable (vous le trouverez au-dessous des 40 €).