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  • Classics Confidential : La forêt interdite (1958)

    Un film de Nicholas Ray

    6786349690_c8d5e20ee5_m.jpgLa forêt interdite est une sorte de film maudit, qu'il fait bon voir dans la sublime collection lancée par Wild Side Vidéo, les Classics Confidential. Si, exceptionnellement, j'ai apposé le nom de la collection dans le titre, c'est que cette chronique a pour sujet autant le DVD que le film. Quel pur objet de jouissance cinéphile ! La format, petit et qui tient bien en main, les pages au grammage épais, les photos d'époques, les lobby cards et autres encarts publicitaires ainsi qu'une lettre Nicholas Ray, la somme d'infos rassemblée est exceptionnelle, et combine un certain idéal cinéphile : pouvoir remettre le film en contexte avec les clés de lecture sur le tournage, l’origine du projet, les tenants et aboutissants de sa singularité... Il y en avait matière ici, entre un casting ô combien hétéroclite (pratiquement aucun acteur n'est comédien de formation), un exténuant tournage en extérieurs (dans le parc naturel des Everglades, au sud de la Floride), un Nicholas Ray complètement perdu qui se fera exclure avant la fin du tournage, une première version estimée à trois heures, ramenée à 1h30, ... Un beau texte clair et didactique de Patrick Brion nous apprend tout cela, épaulé par un habillage graphique élégant : il s'agit encore ici d'une réussite éditoriale éclatante pour l'équipe de Wild Side.

    Fin du XIXème siècle, Floride. La mode est aux parures de plumes que les dames de la haute-société arborent avec fierté. Un professeur d'histoire naturelle fraîchement arrivé décide de mettre un terme au braconnage des oiseaux qui permettent ces excentriques accesoires. Il se rend dans le parc naturel des Everglages, une zone marécageuse où la vie sauvage exerce tous ses droits... ou presque, car sous le joug d'un braconnier, Cottonmouth (joué par Burl Ives), et de ses sbires. L'universitaire lettré, qui a forgé ses idées dans les livres, se heurte au natif de cette zone qui en a, lui, une connaissance empirique. Ce dernier, avec sa barbe rousse, et la façon dont il régente son groupe, peut rappeler le pirate Billy Leech (joué par George Sanders) dans Le cygne noir (Henry King, 1942) ; entre gouaille festive et sanction aussi cruelle qu'immédiate. Walt Murdoch (Christopher Plummer), le professeur, a la conviction passionnelle du respect de l'environnement chevillée au corps ; tant, que lorsqu'il arrache sa plume de la coiffe d'une riche passante, son geste peut être considéré, même par le spectateur, pour de l'arrogance. Les deux personnalités vont s'affronter dans un combat autant idéologique que physique, Cottonmouth étant en position de supériorité sitôt Murdoch arrivé sur le terrain des Everglades. Une sorte de chasse, un jeu du chat et de la souris, implicitement signifié par le nom de Cottonmouth (lorsqu'il est prononcé dans le film, l'on entend plutôt "cat and mouse"). 

    Puis il y a la nature. L’intarissable Bertrand Tavernier, qui intervient dans les bonus, qualifie La forêt interdite de "premier film écologique", tant l'impression d'évoluer en plein milieu d'un environnement préservé, vierge de toutes traces de civilisation, est prégnante. Ray a utilisé des stocks-shot achetés à Disney, qui s'intègrent d'ailleurs très bien au métrage : coucher de soleil d'un rose onirique, scènes de chasses brutales (un crocodile croque un héron), on est parfois proche du documentaire. C'est par cette omniprésence du règne sauvage, bien plus que par les dialogues ou positions des personnages, que passe le message écologique de protection de la nature. Au point même que la dernière phrase de Cottonmouth "Il a raison... Je ne les ai jamais vraiment bien regardés", en désignant les oiseaux, paraît de trop. Un plan muet sur le visage de Burl Ives devant le spectacle qui s'offre à lui aurait suffi. 

    Le film s'octroie également une romance entre Murdoch et une jeune femme immigrée, Naomi, dont quelques scènes surnagent, notamment celle de leur baiser sous le kiosque à musique, charmant. Chana Eden, l'interprète de Naomi, a toute la fraîcheur de son inexpérience, et apparaît rayonnante à l'écran. Seuls les immigrés (un indien et elle) sont bienveillants envers Murdoch, car même lorsqu'il apporte la preuve manifeste d'un trafic de plumes au tribunal, on l'enverra paître. L'homme se retrouve rapidement seul au milieu des prédateurs, humains comme animaux. 

    Le contenu, on l'a vu, est bien là ; l'exécution et sa juste transmission au spectateur souffre malheureusement de scories inhérente à son tournage et son montage : dépossédé de toute intervention sur le film avant même la fin du tournage, Ray n'en est pas responsable (et quand bien même, il aurait visiblement été incapable de faire mieux). Ça et là, des transitions apparaissent étranges, des plans pas aboutis, et notamment cette fin qui sera tournée par l'équipe technique. On retiendra tout de même l'excellente scène de beuverie entre les deux personnages principaux, révélatrice de points communs insoupçonnés ; on peut désormais interpréter la première apparition de Burl Ives, en inverse vertical (les pieds en haut du cadre), comme symbole du double inversé qu'il constitue avec Murdoch. Des éléments de valeur, provenant du scénario de Budd Shulberg, tombé amoureux de la région et porteur du projet ; mais Ray aura raté son coup. L'histoire du tournage est à nos yeux bien plus palpitante que le film, à lire absolument !

  • L'incroyable alligator (1980)

    Un film de Lewis Teague

    6921512593_632be59750_m.jpgPassé dans la case "Trash" de la chaîne Arte, L'incroyable alligator est de ces films au pitch improbable (mais alors en vogue : animal géant semant la terreur et repeignant tout en rouge sang) qui laissent augurer d'un résultat totalement bis et qui sont... bien cela, mais un peu plus.

    Au milieu des années 70, le cinéma d'horreur est secoué par Les dents de la mer (Steven Spielberg), le premier blockbuster de l’histoire du cinéma, mêlant ainsi adroitement cinéma de divertissement et épouvante pure. Rapidement, il fait nombre de copies honnêtes (Orca, de Michael Anderson, 1976) et de séries Z innommables le plus souvent italiennes, devenant même un sous-genre de film d'exploitation, la bien nommée sharksploitation (lire à ce propos le Mad Movies 243, passant en revue les avatars tous plus improbables les uns que les autres du film original). Leur point commun : piller sans vergogne la moindre parcelle du scénario de Jaws. Et, même s'il ne s'agit pour Alligator pas du même genre d'animal, on est bel et bien parti pour en suivre les grandes lignes. Le reptile, lui, a tout de même inspiré moins de films de prédateurs, même si l'on peut nommer Le crocodile de la mort (Tobe Hooper, 1977), ou plus récemment Lake Placid (Steve Miner, 1999), à l'affiche reprenant en tous points les codes établis par Les dents de la mer.

    L'on retrouve ainsi Robert Jackie Brown Forster, plutôt in dans les petits films des années 70, dans la peau d'un inspecteur de police aux prises avec des scènes de crimes sanglantes. Appelant sans détour son film d'un simple et cinglant Alligator, on comprendra que le tueur ne fait pas tant de mystères. Et de la trame se dérouler sans grand suspense. Mais le film marque tout de même, là où ne l'attendait pas : la mise en scène est efficace, nerveuse dans les scènes d'attaque, sachant distribuer généreusement sa dose d'hémoglobine, ne s’appesantissant pas de superflu le long de son heure et demi. Les décors sont plutôt bien exploités, à commencer par les égouts, l'antre du monstre. Immenses tunnels suintant, engloutissant toute lumière, nimbés d'une brume bleutée, la sensation d'espace aux recoins sombres cachant d'innavouables monstruosités peut fonctionner. La photo du film est aussi assez soignée, les couleurs faisant prueve d'une très belle tenue. Plus fondés sur la lancée pessimiste -voire nihiliste- du cinéma américain des années 70, Alligator n'hésite pas à faire preuve d'une cruauté surprenante -un enfant passe quand même à la trappe en se soumettant à un jeu a priori innocent !, en même temps qu'un certain humour. Le personnage principal est ainsi caractérisé par un coupe de cheveux très spéciale, souffrant d'une calvitie tout sauf seyante, qui revient plus d'une fois dans la conversation. Sa romance avec une scientifique reconnue (qui habite chez sa mère !), débarrassée de la plupart de son argument psychologique, est là seulement pour habiller un peu plus le film. Mais la gradation de la violence des meurtres, le policier confronté au scepticisme de ses supérieurs, l'intervention d'un chasseur de crocodile aguerri (Henry Silva, véritable gueule du cinéma bis et vieux briscard des séries télé), tout cela est bien présent dans l'illustre modèle du film de Lewis Teague.

    On ressent sur la durée comme un manque d'homogénéité dans l'ensemble du montage des séquences. Tantôt, elle paraît totalement maîtrisée et pensée dès le tournage (la lecture d'un article dans le quotidien local indique la continuité temporelle entre deux lieux distincts : simple mais limpide), et à d'autres reprises bâclée (des ellipses étranges, Forster passant par exemple un long moment dans les tunnels désaffectés des égouts à la chasse au croco tandis que, la scène suivante, le même saurien se retrouve pourchassé par des officiers en hors-bords dans un fleuve. Le film serait-il passé à la broyeuse de producteurs soucieux d'accélérer le rythme ?

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    Comme on peut le voir dans d’autres films de monstres, l'origine du monstre géant est humaine, ici des expérimentations d'un laboratoire pharmaceutique sur des animaux, que les scientifiques +peu scrupuleux, motivés par leurs profits potentiels, rejettent ensuite dans les égouts ; situations qui seront légion dans la grande majorité des films de monstres, inspirés par le séminal Godzilla (Hinoshiro Honda, 1954). Les égouts qui recueillent au début du film un bébé alligator, jeté aux toilettes par un père excédé. Tout s'emboîte correctement, pourrait-on dire. Tout, ou presque, fait penser que l'on regarde un film presque normal, certes raté côté suspense (n'est pas John Williams qui veut...). Puis, arrive une scène, un tournant, un moment où l'on comprend. On saisit que l'on est bien en train de regarder un bon bis des familles. Ce moment arrive assez tardivement dans Alligator, quand l'animal en titre, trop à l'étroit dans le réseau souterrain des égouts, décide de prendre l'air. Là, dans un plan totalement surréaliste, le monstre surgit d'une mer de bitume, de métal et de ciment, explosant la voie d'accès aux égouts pour atterrir sur le trottoir. Dans un ralenti camouflant au maximum les limites esthétiques de la bête (en plus d'une différence d'échelle significative avec le décor), l'apparition du saurien prend presque des accent d'apocalypse mythologique, et l'on hésite entre l'étonnement, le rire généreux ou cynique. J'applaudis en tous les cas des deux mains cette petite bande bien sympathique, qui est finalement de belle tenue. Une heureuse surprise refilée par mon meilleur dealer ; Arte power !

    A lire : une chronique irrésistible sur le bien nommé "J'irais verser du nuoc-mam sur tes tripes"

  • Star Trek (2009)

    Un film de J.J. Abrams

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    Quand on en vient à parler de Star Trek, on peut utiliser l'expression de série culte. Créée au milieu des années 60 par Gene Roddenberry, un ancien aviateur, elle ne remporte pas un succès public flagrant, passant à deux doigts de l'annulation pure et simple à la fin de chacun de ses trois saisons. Plus que son décorum flashy souvent kitsch (destiné à éprouver les toutes nouvelles télévisions couleurs du public américain), c'est la philosophie de la série qui donne à Star Trek toute sa valeur. Le vaisseau Enterprise et sa "mission d'exploration de nouveaux mondes étranges" est pacifique, poursuivant le but de l'amélioration de la connaissance, de l'ouverture d'esprit et du dépassement des clivages (sociaux, intellectuels...). Une mission humanitaire. Les relations inter-personnages deviennent des symboles, comme le trio de tête de l'Enterprise, Capitaine Kirk, qui incarne l'action, Monsieur Spock, la réflexion et Leonard "Bones" McCoy, l'humanité pour un ensemble qui cherche constamment son point d'équilibre. Parlant des problèmes de son époque tout en faisant voyager le spectateur vers des terres inconnues et fantastiques, la série a gagné ses fans sur la durée, lors de rediffusions.

    Vaisseau-amiral de la Paramount, Star Trek et sa mythologie sont depuis exploités sous les formes les plus diverses (série animée, films de cinéma, nouvelles séries télévisées, romans, jeux, ...), avec un résultat forcément inégal : pour une trilogie de films assez réussie -Star Trek II : la colère de Khan (Nicholas Meyer, 1982), Star Trek III : A la recherche de Spock (Leonard Nimoy, 1984), Star Trek IV : Retour sur Terre (Leonard Nimoy, 1986)-, on a droit à un film en dessous de tous les standards de qualité (et d'un ridicule absolu), Star Trek V : l'ultime frontière (William Shatner, 1989). Après plus d'une décennie sans nouvelle sortie cinéma, Paramount décide de tourner un redémarrage de la saga, procédé très en vogue ces dernières années (Casino Royale, Batman Begins, X-Men : le commencement, La planète des singes : les origines, tout bientôt The amazing Spider-Man et... encore un nouveau Batman, après le Dark Knight Rises de Christopher Nolan). Bien pratique, le reboot permet de repartir d'un nouveau pied, garder "l'essence du culte" en biffant les éléments trop datés. Et Paramount de donner les clés de l'Enterprise à J.J. Abrams, homme de télévision (Alias, LostFringe) ayant donné à une autre série, Mission : Impossible, son numéro 3 en 2006. L'homme de la situation en quelque sorte, aimé des geeks (qui sont peut-être les seuls à aimer Star Trek en France).

    Que fait J.J. Abrams de Star Trek ? Eh bien, on a l'impression qu'il gomme plus d'éléments qu'il n'en conserve ; d'abord pour faire de son film un teen-movie.

    Revenant à l'enfance de Kirk et Spock, il en fait des rebelles (l'un est une tête brûlée que rien n'arrête, l'autre un jeune garçon coincé entre ces origines humaines et vulcaines). Kirk court toutes les filles, boit comme un trou, tandis que Spock, bien que plus réservé, n'en a pas moins une puissante détermination. Ce rajeunissement ne va pas sans certaines conséquences, la plupart mauvaises pour la franchise : des séquences totalement improbables, montées dans une hystérie permanente, visent à appuyer de façon bien trop démonstratives les caractères des personnages (le film démarre sans qu'on sache de quoi il s'agit à bord d'un vaisseau assiégé dans lequel une femme accouche en urgence de celui qui deviendra Kirk ; le même Kirk, quelques années plus tard, fait une course contre lui-même dans le désert au bord d'un précipice à ciel ouvert, une aberration topographique). Uhura se retrouve au milieu d'un triangle amoureux entre Kirk et Spock (quelle aime, trait que l'on retrouve par petites touches dans la série originale), dans une écriture aux ressorts de sitcom (Kirk couche avec la colocataire d'Uhura lorsque celle-ci rentre à l'improviste ; Simon Pegg joue un Scotty déconneur, sympa mais qui semble plus échappé de Spaced que de Star Trek), saupoudrée d'effets de pyrotechnie aussi grandioses que vains.  Bref, J.J. Abrams nous mitonne un space-soap opera.

    La force thématique de Star Trek disparaît donc sous un déluge d'effets et de complexes jeux temporels faisant des clins d'oeil au fans. Ainsi, si l'on a le bonheur de retrouver Christopher Pike, permier commandant historique de l'Enterprise, ainsi que Leonard Nimoy dans une émouvante interprétation de son personnage fétiche, et Zachary Quinto quand même très bien dans le rôle, ce sera bien tout ce qu'il y a à sauver dans les 2h de ce (pour l'instant) dernier voyage du plus beau vaisseau de Starfleet. Et, même si William Shatner n'est pas un foudre de guerre question jeu d'acteur, le remplacer Chris Pine, inexpressif au possible, n'était pas non plus une si brillante idée... Mieux vaut se revoir un bon épisode de la série originale (par exemple Planète des illusions, et la tenue out of this world d'Andréa !) plutôt que ce remix qui n'a plus grand chose à voir avec le projet originel de Roddenberry.

  • Drive (2011)

    Un film de Nicolas Winding Refn

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    Il n'y a pas si longtemps, on s'émerveillait devant la classe sans pareille de Shame, balade nocturne un rien dépressive dans l'esprit d'un accroc au sexe, superbement interprété par Michael Fassbender. On retrouve dans Drive cette mélancolie atmosphérique, une ode musicale à la singularité d'un parcours, d'une puissance sensorielle qui scotche le spectateur dès les premières secondes.

    Remarqué il y a déjà 15 ans (!!!) avec Pusher, film qui deviendra trilogie, coup de poing tétanisant asséné avec une rage de filmer palpable, Nicolas Winding Refn s'est forgé, en quelques films, une personnalité forte, une identité d'auteur à part entière. Il construit ses films autour de personnages solitaires, souvent mutiques, auxquels il réserve un traitement iconique en diable, en occultant aucunement leurs pulsions de mort (Pusher, Vallalah Rising). 

    Avec Drive, le réalisateur continue à dépeindre ses traits fétiches, tout en grimpant une marche supplémentaire dans la maîtrise de la technique cinématographique, comme de la puissance émotionnelle de son récit. En effet, si Pusher (et dans une bien moindre mesure Vallalah Rising) sont de très bons moments de cinéma, ils sont loin d'avoir toutes les qualités de Drive.

    Le réalisateur est un malin, il prend le spectateur par surprise. Ce dernier s'attend à voir un film rempli de testostérone, de chrome et bitume. Refn nous le promet à un moment, le Driver devant conduire en championnats un bolide concocté par son patron. Mais, si l'on aperçoit le fameux bolide à l'arrêt, cette intrigue ne se réalisera jamais. L'affiche du film s'y met aussi, montrant un Ryan Gosling (le personnage principal, jamais nommé autrement que The Driver) au volant de son bolide, avec ses gants en cuir vachette dans une pause très fast and furious. Alors que la véritable affaire criminelle du film, sujet principal, arrivera par petites touches, puis véritablement dans la deuxième partie du film, toute la première partie ressemble plus au début d'une romance compliquée entre le Driver et Irene (Carey Mulligan, aussi vu dans Shame, décidément), sa voisine de palier qui élève seule son enfant en attendant que son mari sorte de prison. Le générique, avec sa police de caractère rose bonbon, en était-il un signe ?

    La séquence d'introduction est hypnotique au possible. Dans un décor urbain ténébreux surgissent, tels des phares dans tempête, les buildings nimbés d'une lumière qui ne s'éteint jamais. Là, dans l'immensité, un conducteur, pressé mais serein, concentré, attend, avec la musique pour seule compagne. composée de nappes de synthés, pulsations sourdes, mélodie entêtante célébrant les eighties, elle est un personnage à part entière, formant avec la ville nocturne un couple fusionnel. On reconnaît, une fois, l'alchimie qui faisait tout le sel du grand Collateral (Michael Mann, 2004). En quelques minutes, Refn nous a eu, embarqué dans cette histoire qu'on veut découvrir plus que tout.

    Après cette séquence sportive, le driver faisant montre de son talent pour semer la police, s'étale une histoire avare en dialogues, pour mieux faire parler l'image et la musique de concert. Le lien qui unit le Driver à Irene est touchant, encore plus comme on perçoit bien qu'il est ténu et risque de casser à tout instant. C'est cette sensation, celle qui nous fait anticiper le fait que tout peut mal tourner d'un moment à l'autre, que Refn arrive à imprimer dans l'esprit du spectateur, et qui fait qu'on reste accroché au siège, cramponné aux personnages, du début à la fin.

    Puis, quelle classe visuelle ! Retenons avant tout le travail sur les lumières, aussi cinégénique de nuit comme de jour (la teinte orangée d'une fin de soirée d'été, par exemple), et ses reflets, dessinant la nuit sur les personnages tel un artiste enfiévré.

    Comme dans Pusher, la dimension criminelle de l'intrigue apporte dans la troisième partie son lot de violence, qui impressionne d'autant plus qu'elle est mise en regard avec l'histoire d'amour sensible des personnages. Celle à qui on fait couler le sang en premier, dans un violent jet rouge filmé au ralenti, marque l'idée qui soutend le film : la violence arrive sans prévenir, jaillissant au sein du cadre sans avoir été annoncée par moult introduction, sonore, visuelle ou par le biais du montage. D'où cette sensation qui arrive finalement peu au cinéma aujourd'hui, de voir l'action se passer pour la première fois devant nos yeux. Nous sommes témoin de la vérité du film, qui dépasse les artifices de la construction cinématographique : la preuve ultime de la réussite incontestable de ce film.