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  • Star Trek : le film (1979)

    Un film de Robert Wise

    6871766984_8f371c4a1b_n.jpgL'histoire de la naissance cinématographique du film, tirée de la série de science-fiction humaniste de Gene Roddenberry, est sans nulle doute plus passionnante que le film qui en a résulté. Souhaitant porter la mythologie Star Trek à l'écran dès le milieu des années 70, Paramount mise d'abord sur un projet de long-métrage, Star Trek : Planet of the Titans, dans lequel l'équipage du vaisseau Enterprise était opposés à leur ennemis classiques, les Klingons, autour d'un peuple antédiluvien, point d'origine de tous les autres, les Titans. Au détour d'un voyage dans le temps, l'équipage de Kirk se retrouvaient à incarner ces fameux Titans. Envisagé jusqu'au alentours de 1977 puis annulé, le projet laisse la place à une nouvelle série télé, baptisée Star Trek  : Phase II, qui ira beaucoup plus loin dans sa phase de pré-production, le casting, scénarios et les storyboards ayant été produits (quelques-uns de ces derniers ont été utilisés dans la série Star Trek : The Next Generation). Quatre semaines avant le début de la production, la série est elle aussi annulée, mais le succès de Star Wars au cinéma ne peut laisser les exécutifs de Paramount insensibles. Un des scénarios écrits pour la série mort-née fut donc l'idée de départ de ce Star Trek : le film, qui est le seul de la série cinématographique à avoir été envisagé en indépendant, sans fin vraiment ouverte pour la suite des aventures. Intituler le métrage Star Trek : le film, fait d'ailleurs augurer d'un dernier baroud d'honneur, la conclusion de la série sur grand écran. Qui aurait pu imaginer que presque 50 ans après la série, un nouveau film serait encore en préparation ? 

    Les débuts atypiques du film se retrouvent par bribes dans ce que l'on connaît aujourd'hui comme le premier opus d'une longue saga. Le capitaine Decker (Stephen Collins, qui officiera de longues années en tant que pater familias dans l'inénarrable série 7 à la maison) commande L'Enterprise ; enfin, avant l'apparition de William Shatner, qui tient dur comme fer à redevenir le capitaine de son vaisseau. Leonard Nimoy (Spock) ne devant pas réapparaître dans la série, a du se faire prier pour le film et figure en bonne place, d'abord dans une belle séquence sur Vulcain. Ce n'est que plus tard, profondément changé (reconnaissant sa part d'humain), qu'il embarquera à bord de l'Enterprise, dégageant du même coup le pauvre Decker, déjà rétrogradé du rand de Commandant à officier scientifique. Star Trek, comme toute saga, se doit d'avoir à chaque opus sa Trek Girl ; il s'agit ici de la regrettée Persis Khambatta, très bien dans son rôle d'alien au physique renversant.

    Le film entend tisser des liens étroits avec la série-mère ; plus que la continuité de la mythologie, Star Trek : le film va jusqu'à reprendre de façon éhontée le script d'un épisode de la saison 2, Le Korrigan (The Changeling). Nomad, une intelligence artificielle y attaque l'Enterprise, et dit vouloir "rencontrer son créateur", tout en analysant toutes les "unités carbones" (comprendre les êtres humains) du vaisseau. Pour le film, la menace est amplifiée, l'entité mesurant plusieurs unités astronomiques (la distance Terre-soleil) et concerne la Terre entière, mais une majeure partie des éléments est commune. Pour asseoir sa puissance, l'entité s'offre en ouverture un vaisseau romulien, grands méchants classiques. Et, même si ce n'est précisé dans le film (mais ça l'est dans le scénario), Decker n'est autre que le fils de Matt Decker, commandant malheureux dans La machine infernale, épisode 6 de la saison 2 de la série originale.

    Choisir Robert Wise (Le jour où la Terre s'arrêta, La maison du diable, etc.), réalisateur versatile dans la tradition hollywoodienne, ainsi que Douglas Trumlbull (2001, l’odyssée de l'espace) pour les effets spéciaux (après que John Star Wars Dykstra et sa société Apogée ait été remerciés) est important pour comprendre que le film devient, sous son égide, un trip métaphysique sur l'origine du monde qui pourrait en déconcerter plus d'un, notamment par sa propension à la lenteur. D'un côté, Trumbull réalise de splendides trucages optiques, épaulés par la musique orchestrale de Jerry Goldsmith, qui donne un réel sens du spectacle aux aventures spatiales du groupe. De l'autre, Wise organise son film de manière à privilégier non pas l'action, mais de larges plages de déambulations spatiales, dont on peut être agacé. En effet, entre la découverte d'un Enterprise new-look et une promenade dans les entrailles de "l'autre", entité qui se nomme elle-même V'Ger, on aura déjà passé 45 minutes ! On aurait pu être alerté par Le mystère Andromède (1971), film paranoïaque d'espionnage sur fond de SF, où Wise et Trumbull coopérait déjà pour un résultat d'une lenteur presque surhumaine. Le reste n'apparaît pas d'importance notable, si ce n'est l'obsession de Kirk pour l'Enterprise, qui veut le faire décoller dans la minute alors qu'aucun test tehnique n'a confirmé la fiabilité du vaisseau, et qui vire Decker sans ménagement.

    On retiendra pour note finale une certaine incompréhension quant à avoir repri une trame existante bien connue des passionnés, ceux pour qui le film était a priori dédié. Plus encore que cela, tout le mystère du film repose sur le nom de l'entité, V'Ger ; on se demande bien comment la machine, qui ne va pas lire son nom sur son propre corps, peut induire en erreur l'équipage quant à sa véritable identité. Cette erreur fait partie, elle aussi, de l'histoire peu commune de premier Star Trek cinématographique...

  • Classics Confidential : Menaces dans la nuit (1951)

    Un film de John Berry

    6955776543_d436f1277e_m.jpgIl fallait être pas loin de fou, vu l’implacable chasse aux sorcières qui sévissait alors, pour mettre sur pied un film comme Menaces dans la nuit : à l'aide d'une équipe quasi-intégralement connue pour ses sympathies communistes, John Garfield et Bob Roberts, avec leur société de production nouvellement créée, voulaient à tout prix faire un film en marge de l'esthétique et de la morale traditionnelle des studios hollywoodiens. Et He ran all the way (son titre original bien plus parlant) allait incarner cela.

    Après un braquage qui tourne mal, Nick Robey (John Garfield) tue un policier et s'enfuit. Dès lors, tout ce qui l'entoure, sons, objets, personnes, lui sembleront suspects, susceptibles de l'envoyer directement en prison et, très certainement, de le tuer. Mais il est bel et bien emprisonné à la minute où il commet l'irréparable. Le spectre de la culpabilité le hante dès lors au plus profond de son être, comme si cela était inscrit jusque sur son visage, constamment en sueur ; ses yeux deviennent deux billes noires remplies de colère rentrée et de désespoir. Le personnage de fiction et l'acteur fusionnent à tel point que, peu après l’issue fatale que l'un connaîtra, l'autre connaîtra le même sort.

    Il y a dès le début de ce long-métrage un malaise palpable. Malaise des personnages eux-mêmes, qui déteignent, tâches indélébiles, sur les relations qui les lient aux autres. La scène du bar où Al (Norman Lloyd) vient chercher Nick, ce dernier ne donne pas l'impression de choisir son destin ; il agit plus par désœuvrement, ou désespoir déjà, que par une réelle volonté : celle-ci, c'est Al, le cerveau de l'affaire, qui l'a. Le comportement de Nick est d'autant plus étrange au vu de la gravité de ce qu'ils vont commettre, dont on comprend bien qu'il s'agit de leur premier coup. Le même sentiment d'ambiguïté nous frappe quand, pour se fondre dans la foule, Nick se rend à la piscine municipale. Là, toujours poursuivi par le démon invisible et omniprésent de la culpabilité, il se retourne à chaque policier croisé, la sonnette d'alarme tirée en permanence. Après une brasse coulée, il heurte Peg Dobbs (Shelley Winters), avec qui se crée dans l'instant un lien d'attirance / répulsion. Nick, toujours préoccupé à paraître le plus "normal" possible, met en scène une leçon de natation pour sa nouvelle partenaire, la serrant bien près. Une danse aquatique, faite de séduction et de violence, de doux rapprochements comme de brutales ruptures, emmène les deux personnages dans un rapport tout de suite très intime. Cette ambiguïté va perdurer durant tout le film, aboutissant à la terrible scène finale. De même, lorsque Peg consent à emmener Nick chez elle, ils se livreront bientôt à une autre danse, plus classique cette fois. La brutalité sera cette fois plus évidente, Nick serrant Peg si fort qu'elle ne peut plus respirer et, dès lors, clôt cette parenthèse. Nick reste insaisissable, son visage reste constamment fermé, mais l'on peut aisément lire dans ses yeux la marque de la fatalité. 

    6809666264_455a04c1fe_m.jpgLa saine réflexion n'a pas cours dans l'univers de Menaces dans la nuit (pas plus que dans la majorité des films noirs), tant chaque action semble improvisée par l'urgence, et rapprochant chaque fois plus l'issue fatale du personnage. Ainsi, c'est le hasard qui met Peg sur la route de Nick ; d'instinct, ce dernier songeant à se protéger du regard extérieur, comprend qu'il sera à l'abri chez Peg. Utilise-t-il consciemment l'attirance qu'elle éprouve pour lui ? Non, il est plutôt en prise avec une peur panique incontrôlable. D'où cette impression de paranoïa constante, qui vampirise d'ailleurs le film, enfermé dans huis-clos étouffant incluant les parents et le petit frère de Peg. Le choc entre le solitaire et nerveux Nick, avec la famille aimante de Peg, explose dans des brèches ouvertes notamment par le père, dans cette scène où il tente, pour retrouver un semblant de sérénité, d'assembler sa maquette de bateau. Ces explosions de tensions arrivent, de la même manière, de façon improvisée, c'est-à-dire non prévenues. A l'inverse d'une grammaire hollywoodienne où chaque émotion, chaque tournant de script est amené et préparé (musique, enchaînements de gros plans ou de champs / contre-champs), le spectateur est surpris par tout, l'aspect général du film gardant un côté brut, dans ses lumières, son montage, ses dialogues, ses personnages ; et reçoit le final en violent uppercut. Le fond du film est ainsi en accord avec sa forme. 

    Le livre érudit qui accompagne cette édition DVD signée Wild Side est, comme d'habitude, très éclairant sur l'histoire du tournage du film, comme à l'habitude orné d'un nombre conséquent de documents publicitaires d'époque. Samuel Blumenfeld, critique au Monde et co-auteur du meilleur ouvrage sur Brian De Palma, livre un texte passionnant. Chasse aux sorcières, déchéance de John Garfield, confidences de Shelley Winters, historique du (des) scénario(s) rédigés pour le film, on a là affaire à un ouvrage définitif sur le film, organisé de telle façon que le lecteur assiste à une sorte d'enquête d'où Blumenfeld fait ressortir les anecdotes, faits marquants, confronte les visions des protagonistes... On le conseille vivement pour qui veut avoir une compréhension plus large de He ran all the way. Une très belle édition pour un film film noir (ou plutôt "gris", comme s'en réclament ses créateurs, moins excentrique dans sa forme et sa psychologie, plus brut, au réalisme plus saisissant) marquant. 

    A consulter également : la critique de Anthony Royer sur DVDClassik, et le très bon documentaire présent sur le DVD du Facteur sonne toujours deux fois (Tay Garnett, 1946).

    Crédit images : visuel dvd © Wild Side Video
    John Garfield et Shelley Winters © Laszlo Willinger