Un film de Bruno Dumont
Le choc. La crise. Les larmes, la terreur, lors de la découverte de ce film au cinéma il y a queslques années, qui résonne encore aujourd’hui. Ce film, l’histoire d’un couple hors normes (un américain et une russe) est un dépassement, un exploit, une prouesse. Surpassant le clivage si facile des genres, Bruno Dumont réussit à embrasser toutes les ambiances dans ce road-movie indie. Une trame minimaliste, forte, lourde, fabuleusement visuelle. Une histoire régressive entre deux personnes trop proches dans ce désert pour une fois vraiment (désert).
Bruno Dumont signe un terrible essai sur la communication, cet outil vital pour co-exister. La communication orale n’est plus d’actualité entre les deux tourtereaux quand la langue est trop différente. Dès lors, c’est sur un plan essentiellement sexuel que s’aborde la communication entre les deux individus, seul plan fusionnel ; les autres sont tous source de conflits, légers ou parfois plus durs. L’incompréhension qui régit l’essentiel des rapports entre les deux personnages est aussi culturelle : voir la scène de la cafétéria où Katia reproche à David de regarder une autre fille ; elle lui dit sans sourciller "tu peux aller avec elle si tu veux". Des incompréhensions ce film bizarre, insoutenable, beau de façon si étouffante, en regorge. Cette relation exclusive, est déséquilibrée dans son rapport excessif à la sexualité, seul terrain d’expression où les deux amants excellent. David, colérique, impulsif, ne vit pas sur la même planète que Katia, naïve, "étrangère", et pourtant a l’air de vivre une histoire belle et simple. Mais rien n’est vraiment simple quand on parle de passion, d’exclusivité. La communication bancale dont font preuve les deux amoureux est pointée comme un manque vital.
Extrême, brutale, cette histoire d’un autre temps où les moments les plus significatifs sont des joutes de grognements bestiaux nous montrent tels que nous pourrions être : des animaux (légèrement) civilisés. Mais grattez le vernis social déjà écaillé et vous y verrez peut-être l’ombre de Twentynine Palms…
allemagne
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Twentynine palms (2003)
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Fleur du Désert (2010)
Un film de Sherry Hormann
La réalisatrice américaine nous livre son premier film, avec ce biopic de Waris Dirie, fille d’un nomade du désert, devenue reine de podiums et des couvertures de magazines de mode. De son origine africaine, elle garde notamment la trace d’une mutilation inhumaine : l’excision. Le film est l’adaptation de l’autobiographie du top model.
Curieux film, qui commence comme une comédie sociale anglaise, poursuit à la façon d’un documentaire presque choc (les scènes en Afrique), passe par une phase très Le Diable s’habille en Prada, et finit comme un biopic à message , du genre de Ray, voire d’un pamphlet à la Lord of War. C’est dire que le film n’est pas un, unitaire, mais pluriel. Pourquoi pas, si l’on ne ratait pas le sujet pour parler d’autre chose pendant la quasi-totalité du métrage. De la vie de Waris Dirie (encore loin d’être terminée en 2010, au passage), on retiendra certes le grand écart faisant correspondre la survie dans les terres arides de Somalie au clinquant faste, irréel et superficiel du monde de la mode ; faisant tout le sel de son parcours, surmontant le déterminisme de sa naissance, et des traditions auxquelles elle devait se soumettre. Quand elle n’a pas plus de huit ans, ses parents veulent la marier de force à un vieillard qui a payé le prix pour l’avoir : ce sera son déclic. Traversant le désert dans toute l’inconscience de ses jeunes années, pieds nus et sans aucune ressource, elle arrivera à se faire un chemin providentiel jusqu’à Mogadiscio, et deviendra d’abord femme de ménage en Angleterre.
Si l’histoire est exemplaire et le message sur la vérité de l’excision en fait un film on ne peut plus légitime, le choc provoque par ses différentes réalités ne sont absolument pas traitées dans le film, mais juste mises bout à bout comme si cela allait de soit. Or, ce collage maladroit dessert tout à fait les enjeux profonds de son histoire. Les moments comiques, assez nombreux, paraissent rajoutés -certains ne dépareilleraient pas dans un Coup de foudre à Notting Hill- par rapports aux passages plus sombres où Waris découvre l’horreur de l’excision, confrontée à un monde où la plupart des habitants n’en ont jamais entendu parler. De même, les séquences de défilés et des séances photos posent un problème : comment Waris peut regarder l’objectif de la même façon que tous ces mannequins anorexiques qui assument totalement l’argent facile qui coule à flots, et l’image de femme-objet dont elle sont l’incarnation ? C’est un non-sens que de ne pas traiter le problème du décalage entre ces vies trop différentes, autrement que par la comédie hystérique (nous devons être les seuls à ne pas goûter à l’interprétation de Sally Hawkins, en roue libre). L’actrice qui l’incarne est par ailleurs d’une ressemblance frappante avec la vraie Waris Dirie, mais semble un peu trop artificiellement enjouée.
Rien de frappant dans la valeur cinématographique des plans ainsi alignés, sans talent ni grand défaut ; la musique par contre, est assénée avec un lourdeur confondante dès la première image, malgré son beau thème. Un peu plus de nuances n’aurait pas été de trop. Enfin, c’est comme si le vrai thème du film, la lutte contre une pratique mutilatrice sans fondement, n’arrivait qu’à la fin, à quinze minutes du dénouement. La valeur cinématographique de l’œuvre est donc très diminuée, devant un sujet qui demeure nécessaire et profond. La légitimité d’en faire état par le biais d’une œuvre destinée au plus grand nombre n’est pas à discuter ; faite de cette manière, elle n’atteint cependant pas son but. -
Metropolis - version intégrale (1927)
Un film de Fritz Lang
Ce vendredi 12 février 2010, aux alentours de 23h20, la projection exceptionnelle de la version la plus complète de Metropolis à la 60ème édition de la Berlinale touchait à sa fin. Fruit d'un parcours épique, dont l'histoire des déboires est aussi dense que celle d'un (bon) film, Metropolis tient donc debout pour la première fois depuis sa première projection.
Production pharaonique de la UFA, qui accompagnait Fritz Lang depuis quelques années, et avait déjà permis à son réailsateur de créer sa vision démesurée du mythe des Nibelungen (1924), Metropolis est le film de tous les superlatifs : figuration dantesque (35000 personnes, chômeurs pour le plus grand nombre, permis par les salaires très bas pratiqués à l'époque), décors gigantesques, expérimentations graphiques de tous les instants au service d'une réflexion sur les rapports de force entre les classes sociales, et c'est loi de faire le compte. Face à son budget incontrôlable, le film est un échec cinglant et le film est rapidemment coupé, découpé dans les grandes largeurs. Si l'on se retrouve aujourd'hui avec une version quasi-complète de 2h30 (de rares cartons nous décrivent encore une ou deux scènes manquantes), l'on ne pouvait voir à la fin des années 20 qu'un film d'une durée de 1h30 ! Le film met ainsi longtemps, très longtemps avant d'acquérir le statut de classique mondial (premier film enregistré à la Mémoire du monde de l'Unesco), et ce n'est quà partir des années 70 que le film, sous le coup d'une première restauration, va inspirer les metteurs en scène, mais aussi le monde de la mode, ....
La copie retrouvée au musée de Buenos Aires remet donc les pendules à l'heure, car elle permet de voir près de 25 minutes inédites par rapport à la dernière restauration de 2004, celle présentée sur le DVD MK2 en France, qui comportait encore nombre de cartons descriptifs rendant l'intrigue encore confuse. Ici, le challenge était de produire une copie exploitable en HD, pour de futures éditions Blu-ray. La version diffusée sur Arte est celle-ci, en plus d'être un ciné-concert, l'orchestre symphonique de Berlin jouant pendant que le film était projeté. La partition originale est très importante, entre nous soit dit, car elle a permis de se rendre compte que la copie argentine était bien la plus complète : la partition comporte en fait plus de mille points de synchronisation musique / images, qui permettent de faire vivre le film beaucoup plus qu'une musique générique comme c'était souvent le cas pour sonoriser des films muets.
On peut facilement différencier les passages déjà connus, retranscrits avec une pureté jamais atteinte (la HD pour les films de patrimoine, fussent-ils si anciens, est vraiment visible!) des scènes inédites, la copie argentine, en 16 millimètres, faisant preuve d'un état lamentable, restaurée au mieux mais aux dégâts irréversibles. D'innombrables stries barrent l'immage verticalement, le spectateur pouvant discerner derrière ces véritables barreaux ce à quoi ressemblait ce rêve de Metropolis, ce mythe du film génial mutilé et retrouvé. Dans ces scènes inédites, qui ne s'en tiennent parfois qu'à des plans de coupes, on découvrent de nouveaux personnages, tel le sbire du chef de l'usine, un gars à la mine patibulaire, mâchoire carrée, chapeau noir à longs bords et oreilles naturellement pointues : mandaté pour tuer Freder Fredersen, il va poursuivre l'ouvrier à qui ce dernier a fait don de son costume. 11811, car il est ainsi nommé, a droit a plus de scènes, et notamment une dambulation en voiture durant laquelle il veut se rendre au quartier des plaisirs (nommé Yoshiwara, du même nom que le quartier bien connu, pour les mêmes raisons, dans le Japon de l'ère Edo). La fin du film est la plus dense en scène nouvelles, principalement axée autour de l'inondation du monde souterrain ; l'eau monte, jaillit de toute part, à l'instar de la peur de tout un peuple.
La tenuer christique du récit, voyant un homme du peuple d'en haut aller dans les souterrains, prendre la place d'un ouvrier, pour finalement symboliser le coeur entre "le cerveau et la main", leitmotiv martelé tout au long du film, est claire et finalement très naïve (le jeu de Gustav Frohlich, tout en yeux écarquillés et poses théâtrales, n'élévant certes pas le propos). L'acteur a d'ailleurs une particularité amusante : il est atteint d'un mal plus tard connu sous le nom de syndrome Forrest Gump, à savoir qu'il ne se déplace qu'en courant comme un dératé, même sur des courtes distances, ce qui est est très drôle -malgré lui.
Le film, opposant le monde d'en haut, terre des artistes, de la beauté et de la richesse, aux tons blancs éclatants, à celui du bas, noir de charbon pour les ouvriers qui semblent nourrir les machines d'eux-mêmes pour assurer le bon fonctionnement d'en haut, est ainsi construit en miroir constant. Marie, jeune fille pure qui exhale la foi des opprimés, et son double robotique, pervertie; Freder le bourgeois et 11811 l'ouvrier , dont il prend la place et qui, une fois maquillé en rupin, lui ressemble beaucoup ; A ses oppositions symétriques s'ajoutent les effet de miroir dans le cadre, qui démultiplient les visages, ou les regards (le visage de Maria répété à l'infini). L'opposition cerveau / main s'offre une résolution, un lien possible entre les deux en la personne de Freder, défini comme l'élu, le médiateur rêvé. Dans un autre axe de lecture, on peut néanmoins penser que le véritable lien, le médiatuer véritable n'est autre que la femme robotique, croisement entre l'homme et la machine, et ainsi trait d'union entre le cerveau (l'homme) et la machine (la main). Le centre de gravité de metropolis est donc mouvant entre ces deux potentialités.
On retrouve aussi dans Metropolis des moments qui préfigurent Les Temps Modernes de Chaplin ; avec le thème des masses épuisées par l'industrialisation galopante, transformés en zombies (la relève dans l'usine de Metropolis / les tour de clés mécaniques de Chaplin dans Modern Times), Metropolis offre une lecture sociale et avant-gardiste. La relation entre le patron de l'usine et le chef machinot, par écrans interposés, est illustré par des procédés très similaires.
Une nouvelle vision salutaire, qui témoigne de la richesse d'une oeuvre-monstre. Vivement le Blu-ray, pour le courant de l'année 2010 !
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L'enquête (2009)
Un film de Tom Tykwer
Le réalisateur de Cours, Lola cours (1999) fait son bout de chemin aux États-unis. Après Le parfum, adaptation assez réussie malgré des séquences casse-gueule, il nous revient avec un thriller tendance parano, héritier des films politiques des années 70, sous-genre qui semble, aujourd'hui plus que jamais, refléter une réalité déformée par la désinformation et le double langage. Le fantôme commun à tous ses films, l'assassinat de JFK, flotte sur plusieurs séquences du film et notamment sur celle, quasi identique au drame, du meurtre du nouveau directeur de la banque IBBC. On a droit à une analyse de trajectoire directement inspirée des exploits des Jim Garrison à la commission Waren, et à la certitude de la présence d'un deuxième tireur, éternelle question officiellement éludée par la théorie de la balle magique défendue par cette même commission. Conformément à la thèse du complot et au destin d’Oswald, le premier tireur est d'ailleurs lui-même piégé et tué pour la cause.
Ici, un duo d'agents d'Interpol enquête sur la mystérieuse disparition d'un de leurs collègues, pour remonter vers la fameuse banque aux ramifications tentaculaires. Illustre aînée de cette Enquête, Les hommes du président (1976) est cité de façon plus imagée à travers l'impressionnante fusillade finale, à l'intérieur du musée Gugenheim. La structure ovale, donnée par la perspective des étages du musée, lui donne l'aspect d'un réseau labyrinthique suggéré dans le film Pakula par le fameux plan de la bibliothèque du congrès en plongée, immense réseau dont Woodward / Redford et Bernstein / Hoffman, souris cherchant la clé du mystère Watergate, veulent dénouer les fils. Les cadres, de la même façon, ne cesse judicieusement de positionner l'homme constamment seul, perdu au milieu d'un vaste ensemble aux limites indéfinissables (halls immenses, voies de circulation, mégapoles infinies). Il doit ainsi trouver les limites, aller jusqu'au bord et les dépasser, pénétrer la zone interdite, seule détentrice possible d'une vérité.
L'héritage est visible, l'hommage appuyé, ce qui enlève quelque peu de sa valeur au film. Ces vieilles ficelles, créant un suspense prenant, n'en font pas moins un agréable moment de cinéma, loin des films palôts du type L'affaire Pélican, pourtant réalisé par Pakula lui-même, qui ont essayé de marcher sur les traces de ces mêmes inspirations dans les années 90. Clive Owen est un acteur magnétique, l'air toujours inquiet, à qui ce genre de rôle sied particulièrement. Les fils de l'homme d'Alfonso Cuaron (2006) lui avait déjà donné l'occasion de parcourir, regard hagard, les cadres aux tonalités pessimistes d’un monde trop contrôlé. Naomi Watts, elle, reste étrangement un cran en dessous, trop proprette pour convaincre.
L'enquête s'inscrit dans le même temps en relecture de notre époque immédiate, s'auto-désignant comme film de la crise. Le milieu des banques, pointé du doigt, est aujourd'hui logiquement légal cinématographique des laboratoires pharmaceutiques (The Constant Gardener, 2005) ou des partis politiques (A cause d’un assassinat, 1975). Sans faire preuve d’originalité, bien conscient du modèle de films qu’il convoque, Tom Tykwer signe donc là un honnête suspense.
Source image : affiche du film © Sony Pictures Releasing France -
L'histoire sans fin (1984)
Un film de Wolfgang Petersen
La redécouverte de certains films ayant bercé notre enfance nous réserve souvent de fort agréables surprises. Cette histoire sans fin, dont j’avais oublié la plupart des passages, m’a replongé dans un univers fantastique tout bonnement exceptionnel, et pour ainsi dire aujourd’hui disparu ; la grâce des effets spéciaux "en dur" rend vraiment attachant un personnage comme le géant de pierre, doté d’un chara design imparable. Plusieurs aspects rendent ce film tout simplement beau : d’abord la force évocatrice rendue à l’acte de lecture. Les expressions de Bastien, qui sort épisodiquement les yeux de son livre, ou qui fait le geste de fermer l’ouvrage pour regarder la couverture, sont vrais. De même, l’immersion dans le récit reste un modèle quasi parfait, par le biais d’un visuel onirique, fait d’un bestiaire imaginaire vraiment réussi -le dragon, le loup, l’escargot de course, et la tortue géante, extraordinaire- et de décors désolés ou foisonnants assez impressionnants. Filmé avec tout ce qu’il faut pour rendre ces décors majestueux, le métrage nous offre une ballade dans le souffle brumeux d’un rêve éveillé. Des moments durs, comme tout bon conte initiatique (la mort du cheval, cruelle) ou d’autres qui s’inscrivent directement dans une dimension mystique (le passage des Sphynx). Bien que tourné la langue de Shakespeare, le film est presque entièrement allemand, et constitue à ce jour l’un des plus gros budgets du pays ; peuplé d’un casting dont on n’avait jamais croisé les têtes ailleurs, le monde du film s’ouvre et se referme en même temps que la séquence-titre et le mot fin, telle une parenthèse magique.
La deuxième dimension remarquable que l’on retrouve dans l’histoire sans fin est une mise en abîme particulièrement soignée, que l’on doit d’ailleurs au livre de Michael Ende dont est tiré le film. Cette mise en abîme marchait sûrement encore mieux avec le livre, car le lecteur se trouvait, de fait, dans la même posture que Bastien, qui lit lui aussi un livre nommé L’histoire sans fin. La possibilité entrevue d’interagir avec les personnage du roman est un rêve d’enfant, qu’on tenté de reproduire de façon bancale ces ouvrages "dont vous êtes le héros". Cela vous rappelle-t-il quelque chose ?
L’histoire est aussi un pur Creature Movie dont chaque nouvelle scène comprend une ou plusieurs créatures fantasmagorique, et dont le récent Hellboy II est un avatar (assez réussi). D’où une multitude de bonnes raisons de toujours apprécier ce film une fois adulte ; et aussi parce que le film s’ouvre sur une chanson typique des eighties (donc à l’orchestration dépassée mais à la mélodie terriblement entraînante), une NeverEnding Story bien-nommée... J’ai hésité à vous proposer le clip de la chanson sur Youtube qui est assez autre... Mais non. L’histoire sans fin de Wolfgang Petersen doit garder son intégrité artistique. A l’heure où un remake de ce chef d’œuvre est en discussion à Hollywood, proclamons notre attachement à l’original !