Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

2010's - Page 8

  • The Secret (2012)

    Un film de Pascal Laugier

    8411490113_8ece0b9e15_m.jpgPremière tentative du français Pascal Laugier aux Etats-Unis, The Secret est aussi un bon film, chose assez rare dans ce cas de figure. The Secret (titre original : The Tall Man, décidément les as du marketing sont de sacrés farceurs) est effectivement un film malin, qui joue avec les conventions du thriller pour mieux capturer son spectateur dans une intrigue imprévisible. Film à twist, il est délicat de révéler son scénario ; tout juste peut-on dire que, dans une petite bourgade minière perdue au cœur des Etats-Unis, des enfants disparaissent.

    La patte visuelle et l'ambiance sont prégnantes, dès un générique aux crédits gigantesques plantés dans le décor, les forêts vues d'hélicoptères en mode Shining... sans compter la séquence initiale dans le commissariat de police, déterminante pour tout le déroulement de l'histoire : Laugier joue ici sur les attentes du spectateur, forcément balisées dans un film de genre ; tout ça pour mieux le surprendre. Cette acrobatie sur les conventions cinématographiques est vraiment bien menée, jusque la position du twist (qui intervient en milieu de film plutôt qu'à la fin, ce qu'avait tenté Jim Sheridant pour Dream House, et qui là fonctionnait beaucoup moins bien à mon sens). Il est aujourd'hui extrêmement complexe de véritablement surprendre le spectateur : la recrudescence de film à twist à partir de Sixième sens (M. Night Shyamalan, 1999) le pousse à se méfier de toute situation présentée comme établie, douter des apparences. Et, en effet, il s'agit d'un des ressorts les plus classiques -et efficaces- de toute œuvre de fiction. Ici, le casting, le choix du personnage principal, puis le dévoilement de certaines informations, amènent franchement à une seule conclusion possible... qui n'est cependant pas la bonne. C'est tout le tour de force cinématographique de Pascal Laugier, qui nous mène bien en bateau.

    La perception du passage du temps est tout aussi capitale dans The Secret, qui débute sur un montage d'images concernant les enfants disparus ; on nous donne l'impression que, depuis un temps immémorial, des disparitions de ce type arrivent fréquemment, disparitions à mettre au crédit du "Tall man", une personne énigmatique vêtue de noir. Certains l'auraient vu, d'autres y croient, certains non. Il est ainsi défini par ces contours flous qui font les légendes urbaines, asseyant petit à petit son aura mythologique, héritée de la nuit des temps...

    En cassure de cette présentation des choses, l'on va suivre en temps réel pendant une bonne demi-heure les démêlés de Jessica Biel avec le Tall Man, d'une façon assez inédite : alors qu'on penserait qu'il enlève un enfant et disparaît sans que personne n'en sache rien, Biel s'accroche et et part à la poursuite de ce mystérieux individu, en faisant preuve d'une audace finalement assez étonnante. A ce jeu du "tu va voir, je vais quand même te surprendre", The Secret  fonctionne à plein régime. La question du point de vue est également au centre de l'exercice : point de vue du personnage, du spectateur, sur les actions qui se déroulent devant leurs yeux.

    Une fois le fameux twist passé, la question est alors : la suite du film va-t-elle y survivre, car à ce moment-là l'objectif du film change. Que reste-t-il à découvrir ? Et c'est là, encore une fois, que Laugier est assez fort : il entretient tout de même le doute sur le devenir des enfants disparus et sur le Tall Man, son identité et ses motivations. Pour le coup, le timing des révélations du film est très bien géré, mais prend également une forme inédite.

    Devant tout ce mystère, que peut-on dire de plus ? Laugier nous trousse un film vraiment étonnant, qui fait s'interroger le spectateur sur le pouvoir des images et de la grammaire cinématographique. Mais The Secret n'est pas qu'un exercice de style ; le réalisateur réussit également à nous faire poser des questions sur notre façon de voir les choses, notre point de vue face à une situation bien plus complexe qu'elle n'en a l'air.

  • Inception (2010)

    Un film de Christopher Nolan

    8378302218_86913731d1_m.jpgRéalisé entre The Dark Knight et The Dark Knight Rises, Inception est un projet de longue date de Christopher Nolan, qu'il a fait maturer pendant une dizaine d'année afin de lui donner l'ampleur souhaitée. La similitude du logo de sa société de production Syncopy Films, créée en 2005, avec le logo-titre d'Inception, n'en est qu'une preuve de surface.

    Dès la bande-annonce diffusée en janvier 2010, on voit des choses étonnantes ; un verre d'eau dont le contenu tangue, des personnages en apesanteur, une avenue de Paris qui se retourne sur elle-même, etc. Même si certains font le lien avec Matrix (les passages au ralenti), on pressent un film qui "ouvre des horizons". La même sensation nous avait étreint à la vision de la sublime bande-annonce de The Fountain (Darren Aronofsky, 2005), film aussi novateur dans le fond et dans la forme.

    Inception prend le parti de nous parler de deux phénomènes parents, les rêves conscients (être conscient d'être en train de rêver), et les rêves emboîtés (on se réveille et l'on est encore dans un rêve). Ces deux dimensions se manifestent furtivement dans notre expérience quotidienne des rêves. Personnellement, il se trouve que j'en fait l'expérience régulièrement et de manière prolongée. Vous comprendrez pourquoi mon rapport au film est éminemment personnel, et lorsque j'ai vu sur l'écran un miroir de mes expériences, cela m'a fasciné.

    Nolan part d'un constat simple, décrit par Cobb (Leonardo DiCaprio) : le monde du rêve nous paraît sensé quand on est dedans, ce n'est qu'une fois qu'on s'est réveillé qu'on se rend compte de son étrangeté. C'est la raison pour laquelle le film part dans la direction opposée à celle attendue sur le monde des rêves (thème prolifique au cinéma), à savoir une certaine sobriété dans la représentation graphique du monde. Nolan a construit de la même façon sa renaissance du Chevalier Noir, minimisant les aspects les plus fantaisistes de la mythologie du Batman. Dès lors, les rares moments véritablement fantastiques surgissent avec une force décuplée.

    Le film part comme une sorte de dissertation sur les possibilité du rêve, alternant questionnements (l'"inception", immiscer une idée dans la tête d'un individu en pénétrant ses rêves, est-elle possible, combien de niveaux de rêves peut-on supporter, etc.), fonctionnement du cerveau quand il est en état de rêve (la fameuse impression d'arriver tout de suite au milieu de l'action, l'incroyable gymnastique du cerveau qui crée le monde du rêve tout en ayant l'impression de le découvrir), explication des concepts de base (plusieurs personnes rêvant simultanément se retrouve dans un même lieu) et une action continue. Les multiples tableaux sur lesquels joue le film en fait un ensemble complexe, qui demande une concentration de tous les instants pour bien en saisir tous les tenants et aboutissants. Mais, au terme d'un voyage foisonnant, la satisfaction d'avoir été témoin de cette structure très consciemment et intelligemment construite, vaut bien quelques efforts (et autres défauts).

    8377233417_72b467f0c6.jpg

    Dom Cobb dirige une équipe qui utilise le monde du rêve pour gagner leur vie : ils vont chercher dans le subconscient des sujets leurs secrets, et les dévoilent au plus offrant. Mais le nouveau contrat qu'ils vont accepter va bien plus loin que ce postulat déjà fantastique : il s'agira de semer une idée dans l’inconscient du sujet, lequel aura alors l'impression qu'elle vient de lui-même. La trame scénaristique est remarquable par sa construction d'une extrême précision. De la même façon que l'équipe de Cobb prépare son attaque, Nolan érige son film en démonstration de cinéma. 

    Christopher Nolan interroge le monde du rêve par la vision fragmentée qu'il peut donner de la réalité : on passe d'un monde à l'autre, d'un plan à l'autre sans transition. Dans la technique de narration cinématographique, la façon de faire avancer l'intrigue s'offre la plupart du temps par la vue successive de différents plans, lesquels n'ayant pas forcément de rapports flagrants entre eux : d'un plan à l'autre, on passe d'un lieu à l'autre, d'une temporalité à l'autre, différents personnages se succédant, sans que l'on se déplace. Le montage cinématographique peut être ainsi considéré comme similaire à une expérience de rêve, ce dernier baladant parfois son passager de la même façon. Ainsi, le pivot et la beauté d'Inception réside dans son usage de l'ellipse et du montage alterné (également fondement des premiers films de Nolan, Following et Memento).

    L'ellipse d'abord, qui se trouve dans l'espace invisible entre deux plans, quand ceux-ci représentent deux séquences ne se suivant pas immédiatement dans le temps diégétique, le temps du film. Par exemple, juste après la première rencontre entre Ariane et Cobb dans son université, on les voit dans un nouveau plan sur le toit d'un building, Cobb lui faisant passer son entretien d'embauche : la création d'un labyrinthe. Puis, le plan d'après les montre attablés à un café, où ils ont une grande discussion sur le monde du rêve. Cobb demande alors à Ariane de se rappeler comment ils sont arrivés jusqu'ici. Elle ne peut pas s'en rappeler, car comme dans un rêve, ils y sont arrivés directement. Comme dans un rêve... comme dans un film, où l'enchaînement de plans distincts peut signifier à la fois un glissement temporel et spatial. En un claquement de doigts, 1/24ème de seconde, le paysage, l'échelle du plan, les personnages changent... Et toute la beauté du cinéma fait que le spectateur lui, reste physiquement immobile : c'est devenu naturel. Et lorsque l'ellipse est posée de façon explicite, l'on peut en venir à se demander si, dans le monde du film, les protagonistes sont en train de rêver, ou dans la réalité. En fait, dans Inception, le grand tour de passe-passe réside dans le fait que toute distinction entre rêve et réalité et tout bonnement impossible : Christopher Nolan installe le doute permanent sur la teneur des événements de son film ; y chercher une résolution paraît totalement illusoire.

    8378376648_642be3f2c3.jpg

    Le montage alterné représente deux actions différentes qui se suivent temporellement ; il est grandement utilisé dans le film car, au bout de la première heure, plusieurs couches de récits se superposent, et ce jusqu'à la toute dernière image. Le récit va comporter jusqu'à cinq niveaux différents, tous interconnectés. Le travail de montage y est digne d'un chef d'orchestre virtuose ; il est grandement aidé, jusqu'à un tonitruant final, par la puissante musique électro de Hans Zimmer. Le compositeur, habitué des blockbusters et d'un musique grandiloquente, a intégré le concept des rêves emboîtés dans sa structure musicale même, utilisant le morceau d'Edith Piaf, "Je ne regrette rien", au ralenti, jusqu'à la rendre méconnaissable. En effet, les niveaux de rêves, dans le film, impliquent que plus on descend profond dans les niveaux, plus le temps passe lentement. On entendrait alors chaque son s'étendre encore et encore. Et, plus Inception s'approche de son final, et plus la musique se fait puissante, pour offrir un duo image / musique en forme de feu d'artifice des sens.

    Le film, brassant des thèmes variés, n'a pas que des qualités : la partie "action" cannibalise par moments la force de la narration, comme lors du dernier acte dans le bunker enneigé. La poursuite à ski sonne comme un hommage un peu trop appuyé à la saga des James Bond, alors même que le film n'a pas besoin d'emprunts extérieurs pour exister. 

    D'autre part, la multiplication des éléments perturbateurs, laissant apparaître des failles gigantesques dans une préparation qu'on nous a préalablement fait croire comme méticuleuse, amoindrit la vraisemblance du récit. 

    Et pourtant, quel voyage au final ! la construction des rêves, la sensation de perdre pied puis de se retrouver, les nappes de synthés de Zimmer (qui lorgnent parfois vers Vangelis époque Blade Runner) s'accordent en symbiose pour un puissance émotionnelle décuplée. Car oui, cette débauche d'effets, de construction alambiquée, n'a au final qu'un seul but qu'elle atteint parfaitement : une très forte émotion, qui se prolonge après la vision du film, parfois ravivée par la seule écoute de la très belle bande originale du film.

    8377219645_fdaf783c80.jpg

  • Looper (2012) vs. Total Recall : mémoires programmées (2012)

    Deux films de Rian Johnson et Len Wiseman

    8307012963_e9e9b7ac72.jpg

    Le rapprochement de certains films aident parfois à percevoir des points de convergences et des différences fondamentales de traitement : aujourd'hui, penchons-nous sur deux films de science-fiction sortis en 2012, qui possèdent de prime abord de sérieux antagonismes.
     

    A prioris

    Looper est un petit film avec une solide réputation, Total Recall : mémoires programmées est lui un blockbuster contenant déjà dans son titre un handicap pour les critiques. C'est un remake, d'un film presque culte et pas si vieux, Paul Verhoeven l'ayant réalisé en 1990. Looper et ses 30 millions de budget ne font économiquement pas le poids, face à un Total Recall : mémoires programmées et ses 200 millions. Rian Johnson, le réalisateur de Looper, avait épaté les quelques personnes qui avaient vu Brick, son film au bon goût de polar hard-boiled délocalisé dans les cours d'école. Len Wiseman, de son côté, s'est laissé catalogué dans les films d'action gothique avec la franchise Underworld, commercialement valable mais qualitativement douteuse. Cette situation de base génère des a priori bien compréhensibles, pour le public comme pour les critiques. Ceci étant, rien ne nous préparait à la réception de deux films aussi différents.
     

    L'imagerie de science-fiction

    8307051555_fec45b2eb5.jpg

    Aborder la science-fiction au cinéma s'opère, au choix, sous deux prismes opposés : embrasser une imagerie fantastique débridée, validée par le décalage temporel que le genre propose, nous emmenant souvent à des dizaines voires des centaines ou des milliers d'années dans le futur, ou sur de lointaines galaxies. Ou bien, la jouer profil bas, en se tenant à quelques artefacts science-fictionnels (armes, véhicules, objets divers) entourés d'un monde pas si différent que celui que nous côtoyons chaque jour. On notera que, si cette tendance résulte de la pensée d'un futur pessimiste, misant sur l'effondrement du système capitaliste et donc, l'abandon d'un possible progrès technologique soutenu par la finance, ce choix est avant tout guidé par des contraintes budgétaires.

    Les deux approches peuvent fournir de très bons films ; le scénario, une certaines vision et le sens du rythme font toute leur réussite. Dernièrement, Eva, un petit film de SF espagnol, est venu encore confirmer, s'il en était besoin, de la très bonne santé du genre ; du côté des blockbusters, Prometheus, même s'il ne fait pas l'unanimité, constitue malgré tout une très grande réussite SF.

    Looper fait part de cette vision de science-fiction modeste visuellement : des voitures déglinguées rongées par la rouille pourrissent sur des parkings aux airs de terrain désaffectés, les habitudes vestimentaires n'ont que peu changées avec le vingtième siècle, les armes des loopers sont des tromblons crasseux plus proches d'un Mad Max que d'un Minority Report. Même la machine à remonter le temps, nœud central du film, est un globe métallique bricolé. Total Recall : mémoires programmées, lui, est un pur film de designers, tant chaque plan regorge de détails sur les cités tentaculaires, éclairés au néons et rempli d'objets ouvertement futuristes : implants téléphoniques, véhicules volants, écrans virtuels omniprésents... Deux conceptions du futur au cinéma s'affrontent.
     

    Original versus copie

    Looper est un film "original" : entendons par là, qu'il n'est ni une adaptation littéraire, ni un remake, ni une suite ou une version cinéma d'une série ou d'une idée sortie d'un parc d'attraction. Ce qui, avouons-le, est rare. Là où Total Recall, le remake, fait également clairement référence à des films majeurs de la science-fiction moderne (Blade Runner en tête pour l'aspect visuel), Looper tente le coup de la nouveauté... ou plutôt de la nouveauté déguisée. En effet, on remarque des inspirations très claires dans le déroulement de Looper, qu'il lorgne vers Akira (Katsuhiro Otomo, 1988) ou Terminator (James Cameron, 1984), mais aussi sur L'armée des 12 singes (Terry Gilliam, 1998), ... ce dernier étant déjà très inspiré par La jetée (Chris Marker, 1962). L'originalité se situe bien sîr dans le télescopage de plusieurs genres antagonistes, idées, atmosphères, rythmes. Et si Total Recall : mémoires programmées ne peut être qualifié d'original (malgré le nom d'une des sociétés productrices du films : Original Film, ça ne s'invente pas), il ne manque pourtant pas de qualités... qui sont plus difficiles à trouver du côté de Looper.

    Total Recall, en sa qualité de remake d'un film très ancré dans la culture fantastique des cinéphiles, notamment le fameux passage de la femme aux trois seins, qu'on retrouve évidemment ici ; des références, il y en a d'autres, mais le film n'avait pas besoin de cela. Il demeure en l'état un film d'action tonitruant, habité d'une mise en scène dynamique et inventive (le plan-séquence du changement de point de vue au début du film, entre l'ancien et le nouveau Doug Quaid/Colin Farrell). De plus, il mixe son argument SF avec une tonalité post-apocayptique qui conditionne tout le récit. Il n'existe en effet plus que deux groupes de pays, l'alliance britannique et l’Australie. Le reste du monde n'est que poussière et vapeurs toxiques, héritées de guerres chimiques. Le remake est, en vérité et hormis les quelques clins d'oeil superflus, bien différent de son modèle : la planète Mars n'est pas visitée (conformément à la nouvelle de K. Dick), la configuration du monde et l'approche science-fictionnelle - qui mêlait aussi l'horreur dans le film de Paul Verhoeven- marque des divergences évidentes.

    8307051467_40c6824581.jpg

    Looper, au-delà des quelques inspirations détaillées plus haut, souffre d'un trop plein d'idées, qu'on imagine pourtant bien élaguées : il y a fort à parier que le DVD/ Blu-ray à venir contienne un lot non négligeable de scènes coupées. Entre le voyage dans le temps, le rôle des loopers, ces boucleurs qui tuent par contrat des malfrats du futur, le mythe du faiseur de pluie, un concept général qui semble nous dire "tout n'est qu'un recommencement", « tout ce qui se passe a déjà eu lieu", et une sous-intrigue totalement inutile (un des loopers est poursuivi par ses employeurs mafieux pour vouloir échapper à sa mort programmée), le film mange à tous les râteliers et oublie de resserrer sa narration principale. Pire, avec le virage au milieu du film qui délocalise l'histoire dans une ferme au milieu de nulle part, on a à la fois l'impression de perdre l'atmosphère construite jusque-là, et la désagréable impression d'avoir changer de salle de cinéma en un instant : au voyage temporel, se substitue un voyage spatial qui manque terriblement de cohérence. Et, alors même que son scénario a été porté aux nues dans une multitude de festivals, c'est celui-là même qui fait dévisser le film.

    Total Recall : mémoires programmées, malgré un passif assez lourd (qui l'a sûrement fait échouer lamentablement au box-office US), s'avère autrement plus réjouissant dans son approche. Dans son director's cut rallongé de 20 minutes disponible en vidéo, il fait preuve, a contrario de Looper, d'une belle cohérence, même si ses schémas sont traditionnels. Et si le doute "réalité ou fiction ?" habite moins le remake que le film de Verhoeven, la perfection du design, et l'histoire rondement menée autour de La Chute, seul moyen de relier les deux derniers territoires habitables, suffisent à lui procurer un degré  de réussite bien supérieur à Looper. Et si l'on reconnaît sans l'ombre d'un doute l'ombre de Blade Runner ou celle de Minority Report, l'on est en droit de préférer l'approche de Total Recall, l'écran bardé de trouvailles science-fictionnelles délirantes, à celle de Looper, incohérente et tristement fade.

  • Batman : Year One (2011)

    Un film de Sam Liu & Lauren Montgomery

    8192088883_7a375a2082_m.jpgLes films animés de DC Comics n'étaient pas, avant le milieu des années 2000, adaptés littéralement de récits pré-existants. Ainsi, les excellents Batman contre le fantôme masqué ou encore Batman beyond : le retour du Joker sont des créations originales piochant dans la mythologie du justicier masqué. Avec la naissance de la collection DC Universe Animated Original Movies en juillet 2006, l'objectif est de transposer, sous formes de films d'animation destinés au marché de la vidéo, les comics qui ont fait l'histoire de la maison d'édition. Il s'agit d'une initiative conjointe de DC, Warner Bros. et Bruce Timm entre autres, à qui l'on doit l'inestimable Batman : la série animée. Sont ainsi portés à l'écran Superman : Doomsday d'après l'arc La mort de Superman, Justice League : New Frontier d'après la BD de Darwyn Cooke, deux titres qui remportent un vif succès. Les films s'enchaînent rapidement, montrant souvent une adaptation fidèle du matériau d'origine, notamment le très bon Batman et Red Hood : sous le masque rouge (Brandon Vietti, 2010). Batman : Year One calque donc sa trame sur le récit de Frank Miller (au scénario) et David Mazzucchelli (au dessin). Un retour aux origines permettant de voir les débuts d'un fringant Bruce Wayne de 25 ans, combattant le crime dans une Gotham City dominée par la mafia et les flics ripoux. Son apprentissage se déroule en parallèle de la trajectoire du lieutenant James Gordon, débarquant aussi fraîchement à Gotham. La BD fut créé après le coup d'éclat de Frank Miller en 1985, The Dark Knight Returns (ressorti ces jours-ci chez Urban Comics avec le film d'animation adaptant la première partir de l'histoire, chronique à venir sur le blog). 

    Le film d'animation réalisé par Lauren Montgomery et Sam Liu (habitués de l'univers DC, ils ont aussi réalisé conjointement Justice League : Crisis on Two Earths) suit très, très fidèlement le cours du comic, au point que l'on peut pratiquement isoler chaque cadrage pour retrouver son équivalent dans la BD. La plupart des répliques sont également reprises à l'identique ; les connaisseurs retrouveront très exactement les scènes qu'ils ont observées dans les pages du comics, que ce soit l'arrivée de Bruce Wayne et Gordon à Gotham, la rencontre entre Gordon et Flass à la gare, la première sortie du justicier, ou encore la très belle scène fondatrice de "la clochette", qui détermine la future apparence du héros. Sur une durée ramassée de 65 minutes (assez standard pou les animés DC), quelques rares scènes sautent, comme celle où Wayne se repose en Suisse ; seule une photo examinée par Gordon dévoile ce détail.

    Rappelons ici que le film, comme la BD, commencent en janvier et se terminent en janvier, décrivant une année entière dans la vie des protagonistes, comme le promet le titre. La ponctuation narrative de la BD, incluant au fil des pages les "cartons" des dates, se retrouvent dans le film ; et, si elles étaient pertinentes dans le comic, offrant une scansion intéressante, impulsant un rythme et une justification aux ellipses, elles bousculent un peu le récit dans le film, apparaissant parfois à des intervalles très rapprochées. Le décalque du comic trouve ici ses limites.

    Mazzucchelli avait pris le jeune Gregory Peck comme modèle pour Bruce Wayne ; on ne le retrouve que peu dans l'apparence du millionnaire justicier du film. Ceci étant dit, la réalisation, si elle est classique, affiche un character design très élégant, dans la lignée de la série de Bruce Timm et Paul Dini. Les quelques éléments créés en images de synthèse -les véhicules la plupart du temps- s'intègrent assez bien à l'ensemble. Si les plans sont la plupart du temps statiques, ils savent se démener lors des quelques séquences d'action (Batman au rez de chaussée d'un immeuble en flammes, aux prises avec un groupe d'intervention armé), épaulée par la musique de Christopher Drake, toujours très inspirée par celle de Hans Zimmer sur la trilogie Nolan. Les similitudes sont de même évidentes avec Batman Begins, qui est inspiré en grande partie de Batman : Year One.

    Bien que les connaisseurs n'auront pas une once de surprise, par rapport à certains films de la collection (on pense à Justice League : Echec), Batman : Year One "fait le job", et s'en acquitte de belle manière, surtout pour sa fabuleuse esthétique ; le film respecte aussi la charge violence, assez intense pour un animé, de la BD. Cependant, pour conserver toute la force du récit, (re)lisez plutôt l'excellent comic.

    Pour plus d'infos, n'hésitez pas à vous rendre sur le bon site La tour des héros !

  • Metal Hurlant Chronicles - saison 1 (2012)

    Une série de Guillaume Lubrano

    8167885972_9cef43313a_m.jpgDe la SF à la française... Cela m'a longtemps laissé songeur (voir mes articles désabusés ici ou ), tant les producteurs et les réalisateurs de l'hexagone ne permettent pas de s'extasier devant des projets qui tiennent la route. Vision parfois trop auteurisante sur un domaine où l'imaginaire a tous les droits, paralysée par des budgets ridicules, la science-fiction française n'a jamais brillé au cinéma. Paradoxalement, le genre y a longtemps été catalogué comme sujet de sous-films, et donc doté de petits budgets, alors même que tout l'univers est à créer : aujourd'hui, les films fantastiques ou de science-fiction (américains mais pas que : asiatiques et indiens par exemple) sont mainstream, capables de mobiliser un public important, et bénéficient de moyens dantesques. A venir, le nouveau film de Tom Tykwer, Andy et Lana Wachowsky, Cloud Atlas, a été réalisé pour 100 millions de dollars, et c'est encore peu face à un Avatar et ses 250, ou 500 millions ? Personne ne semble même le savoir...

    Là où Guillaume Lubrano et sa société We Prod ont bien joué, c'est qu'ils reprennent un nom clairement identifiable à l'étranger : Métal Hurlant est à l'origine une revue française dirigée par Jean-Pierre Dionnet, animé par le trublion Manoeuvre, créée dans les années 70 qui mêle tout à la fois bande dessinée futuriste et musique rock, et dans lequel des immenses talents ont émergés : Enki Bilal, Moebius ou Druillet pour ne citer que les plus connus. Leur imaginaire improbable se doublait d'une lecture amère et ironique de la société. Quelques années après sa création, la même équipe produit une version américaine, Heavy Metal. Deux films d'animation ont été réalisé en 1980 et 1999, compilant certaines histoires de la revues ; on retrouvait déjà les jeunes filles peu couvertes et la dérision typique du titre. Les artistes confirmés, ainsi que l'esprit si particulier de la revue sont aujourd'hui connus un peu partout, la meilleure carte de visite qui soit pour Lubrano et son équipe. Le concept a ainsi été vendu rapidement à l'étranger, bien plus qu'en France où un partenariat a finalement été trouvé dans la dernière ligne droite avec la chaîne France 4. Malgré l'attrait général qui a permis la constitution d'un casting sympathique, mais aussi très farfelu (Rutger Hauer y croise la route de Greg Le Millionnaire Basso, la plantureuse Kelly Piranha 3D Brook de Frank des 2be3, ou encore Dominique Pinon celle de l'ex-hardeuse Yasmine), le budget a été famélique : il a fallu réaliser l'intégralité de la saison 1, soit 6 épisodes de 25 minutes avec 1,4 millions d'euros, soit l'équivant d'un épisode de la série Les revenants, qui va être diffusé sur Canal + en cette fin d'année ; somme qu'on imagine déjà bien grignotée par les cachets des acteurs. 

    8167857059_d9d4d4b80d.jpg

    Enfin arrivée à la fin du mois d'octobre à la télé et dans les bacs, on peut aujourd'hui juger sur pièces. Ne le cachons pas, le résultat est, comme on pouvait s'y attendre, très mitigé. La facture générale ne masque en rien les limites du budget. Les effets spéciaux, parfois nombreux, ont une grosse dizaine d'années de retard par rapport à des séries TV de science-fiction américaines. Mais tout n'est pas qu'une question d'argent : plus que ces effets, c'est le jeu des acteurs qui pêche vraiment, pas forcément aidés par des dialogues imbitables (mention spécial au premier épisode, King's Crown, et au deuxième, Shelter Me, avec James Buffy Marsters). Ce dernier peut être considéré sans mal comme le pire épisode de cette courte première saison, tant ni les acteurs, ni les dialogues, et encore moins le visuel et la chute, ne sont mémorables. 

    Le niveau, cependant, progresse au fil des épisodes. Aux trois premiers nous cueillant vraiment à froid, réussissant tout de même à nous faire trouver le temps long sur un format de 25 minutes (avec un petit mieux pour Oxygène, mais ça ne compte, il y une scène de sexe au début), les trois suivants sont bien plus probant. Le quatrième, l'un des plus réussis, prend la forme d'un double-épisode prenant chacun la moitié du temps. La première histoire prend pour sujet un jeune homme enfermé dans une prison nimbée de rouge, qui l'obsède et ne lui donne qu'une envie : en sortir pour, ne serais-ce qu'un instant, revoir le ciel. Même si une voix-off pesante occupe l'espace sonore, l'épisode est très bien réalisé, donnant la part belle à la castagne pure et dure, dans des chorégraphies de combat visuellement intéressantes. 

    La deuxième partie, misant beaucoup sur l'ambiance, grâce à une partition musicale inspirée, nous plonge dans un monde totalitaire qui n'a que faire de ceux qui ne suivent pas le chemin tracé. Ici, les images parviennent à marquer (une ville aux multiples tours qui s'étend, avec ses lumières fluorescentes, jusqu'à l'horizon), et les acteurs jouent juste. Ce double épisode, qui introduit d'ailleurs la mythologie du métal hurlant (qui n'existe pas dans le magazine), est vraisemblablement le pilote de la série, tourné pour démarcher les producteurs et diffuseurs : on comprend que ces derniers aient été sensibles à la démarche.

    8167857135_279df760c5.jpg

    Le cinquième épisode, Le serment d'Anya, voit Rutger Hauer officier en ancien mage, et va conduire un guerrier par-delà le temps pour lutter contre l'apparition d'un démon. Même si les effets spéciaux montrent encore une fois leur triste limite (les créateurs ont manifestement trop appris à faire des images en regardant 300 et Sin City, tant on voit bien que rien, à part les acteurs, n'est réel : cette fausse réalité nous éloigne immanquablement du récit), le corps de Greg Basso ne s'en sort pas si mal : il a la carrure de l'emploi et ne pipe quasi-pas un mot pendant tout l'épisode. La chute, bien qu'attendue, donne à l'ensemble un air d'anthologie à La Quatrième dimension, Alfred Hitchcock présente ou Au-delà du réel. Ces séries phares des années 60 misait gros sur l'ambiance, ayant peu de moyens, et tout sur leur final, retournement de situation souvant cruel, ironique et -moins souvent- drôle. Ce format, peu tenté en France, vaut le coup d'être essayé et l'on décernera la palme de l'audace à Lubrano et son équipe. 

    8167886042_a91e0bf8f9.jpg

    Enfin, comment ne pas dire deux mots sur Les maîtres du destin, où Joe Flanigan (Stargate Atlantis et une foultitude d'autres séries), en Han Solo du pauvre, déambulant dans un bar fluo, tombe sous le charme de Kelly Brook, alors même que leur destinée semble liée depuis la nuit des temps par des tortues de l'espace... 

    Malgré une réussite très contrastée, Metal Hurlant Chronicles innove totalement dans le panorama télévisuel français, et l'on espère que la saison 2 (déjà achetée dans plusieurs pays) montrera le plein potentiel de de l'équipe. Bref, un truc de fou, kitsch et foutraque, mais qui donne à quelques occasions de bons moments.