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Un film de Christopher Nolan
Réalisé entre The Dark Knight et The Dark Knight Rises, Inception est un projet de longue date de Christopher Nolan, qu'il a fait maturer pendant une dizaine d'année afin de lui donner l'ampleur souhaitée. La similitude du logo de sa société de production Syncopy Films, créée en 2005, avec le logo-titre d'Inception, n'en est qu'une preuve de surface.
Dès la bande-annonce diffusée en janvier 2010, on voit des choses étonnantes ; un verre d'eau dont le contenu tangue, des personnages en apesanteur, une avenue de Paris qui se retourne sur elle-même, etc. Même si certains font le lien avec Matrix (les passages au ralenti), on pressent un film qui "ouvre des horizons". La même sensation nous avait étreint à la vision de la sublime bande-annonce de The Fountain (Darren Aronofsky, 2005), film aussi novateur dans le fond et dans la forme.
Inception prend le parti de nous parler de deux phénomènes parents, les rêves conscients (être conscient d'être en train de rêver), et les rêves emboîtés (on se réveille et l'on est encore dans un rêve). Ces deux dimensions se manifestent furtivement dans notre expérience quotidienne des rêves. Personnellement, il se trouve que j'en fait l'expérience régulièrement et de manière prolongée. Vous comprendrez pourquoi mon rapport au film est éminemment personnel, et lorsque j'ai vu sur l'écran un miroir de mes expériences, cela m'a fasciné.
Nolan part d'un constat simple, décrit par Cobb (Leonardo DiCaprio) : le monde du rêve nous paraît sensé quand on est dedans, ce n'est qu'une fois qu'on s'est réveillé qu'on se rend compte de son étrangeté. C'est la raison pour laquelle le film part dans la direction opposée à celle attendue sur le monde des rêves (thème prolifique au cinéma), à savoir une certaine sobriété dans la représentation graphique du monde. Nolan a construit de la même façon sa renaissance du Chevalier Noir, minimisant les aspects les plus fantaisistes de la mythologie du Batman. Dès lors, les rares moments véritablement fantastiques surgissent avec une force décuplée.
Le film part comme une sorte de dissertation sur les possibilité du rêve, alternant questionnements (l'"inception", immiscer une idée dans la tête d'un individu en pénétrant ses rêves, est-elle possible, combien de niveaux de rêves peut-on supporter, etc.), fonctionnement du cerveau quand il est en état de rêve (la fameuse impression d'arriver tout de suite au milieu de l'action, l'incroyable gymnastique du cerveau qui crée le monde du rêve tout en ayant l'impression de le découvrir), explication des concepts de base (plusieurs personnes rêvant simultanément se retrouve dans un même lieu) et une action continue. Les multiples tableaux sur lesquels joue le film en fait un ensemble complexe, qui demande une concentration de tous les instants pour bien en saisir tous les tenants et aboutissants. Mais, au terme d'un voyage foisonnant, la satisfaction d'avoir été témoin de cette structure très consciemment et intelligemment construite, vaut bien quelques efforts (et autres défauts).
Dom Cobb dirige une équipe qui utilise le monde du rêve pour gagner leur vie : ils vont chercher dans le subconscient des sujets leurs secrets, et les dévoilent au plus offrant. Mais le nouveau contrat qu'ils vont accepter va bien plus loin que ce postulat déjà fantastique : il s'agira de semer une idée dans l’inconscient du sujet, lequel aura alors l'impression qu'elle vient de lui-même. La trame scénaristique est remarquable par sa construction d'une extrême précision. De la même façon que l'équipe de Cobb prépare son attaque, Nolan érige son film en démonstration de cinéma.
Christopher Nolan interroge le monde du rêve par la vision fragmentée qu'il peut donner de la réalité : on passe d'un monde à l'autre, d'un plan à l'autre sans transition. Dans la technique de narration cinématographique, la façon de faire avancer l'intrigue s'offre la plupart du temps par la vue successive de différents plans, lesquels n'ayant pas forcément de rapports flagrants entre eux : d'un plan à l'autre, on passe d'un lieu à l'autre, d'une temporalité à l'autre, différents personnages se succédant, sans que l'on se déplace. Le montage cinématographique peut être ainsi considéré comme similaire à une expérience de rêve, ce dernier baladant parfois son passager de la même façon. Ainsi, le pivot et la beauté d'Inception réside dans son usage de l'ellipse et du montage alterné (également fondement des premiers films de Nolan, Following et Memento).
L'ellipse d'abord, qui se trouve dans l'espace invisible entre deux plans, quand ceux-ci représentent deux séquences ne se suivant pas immédiatement dans le temps diégétique, le temps du film. Par exemple, juste après la première rencontre entre Ariane et Cobb dans son université, on les voit dans un nouveau plan sur le toit d'un building, Cobb lui faisant passer son entretien d'embauche : la création d'un labyrinthe. Puis, le plan d'après les montre attablés à un café, où ils ont une grande discussion sur le monde du rêve. Cobb demande alors à Ariane de se rappeler comment ils sont arrivés jusqu'ici. Elle ne peut pas s'en rappeler, car comme dans un rêve, ils y sont arrivés directement. Comme dans un rêve... comme dans un film, où l'enchaînement de plans distincts peut signifier à la fois un glissement temporel et spatial. En un claquement de doigts, 1/24ème de seconde, le paysage, l'échelle du plan, les personnages changent... Et toute la beauté du cinéma fait que le spectateur lui, reste physiquement immobile : c'est devenu naturel. Et lorsque l'ellipse est posée de façon explicite, l'on peut en venir à se demander si, dans le monde du film, les protagonistes sont en train de rêver, ou dans la réalité. En fait, dans Inception, le grand tour de passe-passe réside dans le fait que toute distinction entre rêve et réalité et tout bonnement impossible : Christopher Nolan installe le doute permanent sur la teneur des événements de son film ; y chercher une résolution paraît totalement illusoire.
Le montage alterné représente deux actions différentes qui se suivent temporellement ; il est grandement utilisé dans le film car, au bout de la première heure, plusieurs couches de récits se superposent, et ce jusqu'à la toute dernière image. Le récit va comporter jusqu'à cinq niveaux différents, tous interconnectés. Le travail de montage y est digne d'un chef d'orchestre virtuose ; il est grandement aidé, jusqu'à un tonitruant final, par la puissante musique électro de Hans Zimmer. Le compositeur, habitué des blockbusters et d'un musique grandiloquente, a intégré le concept des rêves emboîtés dans sa structure musicale même, utilisant le morceau d'Edith Piaf, "Je ne regrette rien", au ralenti, jusqu'à la rendre méconnaissable. En effet, les niveaux de rêves, dans le film, impliquent que plus on descend profond dans les niveaux, plus le temps passe lentement. On entendrait alors chaque son s'étendre encore et encore. Et, plus Inception s'approche de son final, et plus la musique se fait puissante, pour offrir un duo image / musique en forme de feu d'artifice des sens.
Le film, brassant des thèmes variés, n'a pas que des qualités : la partie "action" cannibalise par moments la force de la narration, comme lors du dernier acte dans le bunker enneigé. La poursuite à ski sonne comme un hommage un peu trop appuyé à la saga des James Bond, alors même que le film n'a pas besoin d'emprunts extérieurs pour exister.
D'autre part, la multiplication des éléments perturbateurs, laissant apparaître des failles gigantesques dans une préparation qu'on nous a préalablement fait croire comme méticuleuse, amoindrit la vraisemblance du récit.
Et pourtant, quel voyage au final ! la construction des rêves, la sensation de perdre pied puis de se retrouver, les nappes de synthés de Zimmer (qui lorgnent parfois vers Vangelis époque Blade Runner) s'accordent en symbiose pour un puissance émotionnelle décuplée. Car oui, cette débauche d'effets, de construction alambiquée, n'a au final qu'un seul but qu'elle atteint parfaitement : une très forte émotion, qui se prolonge après la vision du film, parfois ravivée par la seule écoute de la très belle bande originale du film.
Oyez, oyez, mes seigneurs et gentes damoiselles, le temps des voeux est avec nous : belle année 2013 à tous et à toutes, qu'elle vous soit bénéfique en tous points. Après cette déclaration sincère mais néanmoins de rigueur, passons quelques instants à nous remémorer l'année écoulée : pour ma part, l'année cinématographique ne fut pas fantastique, bien que quelques perles surnagent de belle façon ; les découvertes vidéo furent, par contre presque plus intéressantes. Cela s'explique par une donnée toute simple : je n'ai pas vu beaucoup de films directement au cinéma cette année (7 en tout et pour tout), pour cause de ... paternité. Comme j'accuse sur le visionnage de ma collection vidéo un retard indécent (quelques centaines de films restant à voir, et la liste s'allonge de jours en jours), j'ai tout de même pu me nourrir convenablement, n'en doutez pas !
Ce qui donne les résultats ci-dessous :
Coups de coeur (Sortie 2012) :
Eva (Kike Maillo) : un touchant film de SF visuellement très beau, sans être bardé d'effets à tous les étages ; avec Daniel Brühl et une stupéfiante gamine, Claudia Vega.
The Dark Knight Returns - Partie 1 (Jay Oliva) : l'adaptation animée du chef d'oeuvre de Frank Miller. la fulgurance des plans, épaulée par la musique, très inspirée par la trilogie Nolan, nous sonne comme un uppercut. On attend rapidement la suite !
Le Hobbit : un voyage inattendu (Peter Jackson) : on n'y croyait pas, de se faire ré-embringuer dans une histoire de nains et de hobbits dans la Comté de Tolkien, 11 ans après la révélation du Seigneur des Anneaux. Pourtant, Peter Jackson le fait, et comme il s'en sort bien ! l'humour de la première partie, le casting impeccable de Martin Freeman en Bilbo, et les nouveaux décors oniriques de la Terre du Milieu nous ont emporté loin, très loin...
Prometheus (Ridley Scott) : 'nuff said !
Évidemment, j'en oublie beaucoup, dont Skyfall, qui n'est pas si mal, et The Dark Knight Rises qui clôt en beauté le cycle Nolan ; j'ai beaucoup apprécié Jane Eyre, Dark Shadows, La cabane dans les bois également (hé oui !). Mais les 4 cités plus hauts sont au-dessus.
En vidéo, j'ai adoré la première saison de Game of Thrones : l'ampleur de la vision, des intrigues, un casting, là encore, parfait (Peter Dinklage forever !)... Excellent en tous points. La suite de Battlestar Galactica, Caprica, m'a également marqué, même si on sent parfois quelques baisses de régimes : peut-être l'univers SF que je préfère à la télévision.
Découvert également en vidéo, Les nuits rouges du bourreau de jade, de Julien Carbon et Laurent Courtiaud, m'a bien plu. Un exercice de style transformé par la beauté plastique des cadres, des couleurs (et de la sensuelle Carrie Ng...). Intriguant, hypnotisant, le film est une très belle déclaration d'amour au cinéma de Hong-Kong que les deux réalisateurs connaissent bien.
Je terminerai par Valérie au pays des merveilles, fabuleux moments "dont sont faits les rêves".
Des déceptions, il y en a eu : la plus flagrante à mes yeux est celle de Looper, film carrément à côté de la plaque, alors qu'on veut nous faire croire qu'il a tout compris. Quand on se demande pendant tout le film comment et pourquoi on en arrive là, c'est qu'il y a un problème de construction, et de choix narratifs. Déception aussi pour L'étrange pouvoir de Norman, qui ne m'a pas vraiment touché, à l'exception d'un passage vraiment drôle (que je vous laisserai découvrir). Atentio, ce n'est pas un mauveai film : il est en deçà des attentes pour moi.
Enfin, une année de cinéma c'est aussi une année de blogs et de rencontres ; Stéphane et son blog Hollywood Classic, qui consacre ses articles à l'âge d'or d'Hollywood, nous fait revivre cette période faste avec passion et célèbre ses acteurs et actrices phares. Longue vie à Hollywood Classic !
Je tiens également à remercier l'ami Manchec et son blog Abordages pour m'avoir accueilli à son bord, pour chroniquer d'autres films : une expérience toujours en cours !
Bonne année également aux émérites
Vincent, FredMJG, Edouard et Princécranoir, prolifiques compagnons de route !
A très vite pour de nouvelles chroniques cinéma,
Raphaël
Source image : Eva (Kike Maillo, 2012) - Escandalo Film
Deux films de Rian Johnson et Len Wiseman
Le rapprochement de certains films aident parfois à percevoir des points de convergences et des différences fondamentales de traitement : aujourd'hui, penchons-nous sur deux films de science-fiction sortis en 2012, qui possèdent de prime abord de sérieux antagonismes.
A prioris
Looper est un petit film avec une solide réputation, Total Recall : mémoires programmées est lui un blockbuster contenant déjà dans son titre un handicap pour les critiques. C'est un remake, d'un film presque culte et pas si vieux, Paul Verhoeven l'ayant réalisé en 1990. Looper et ses 30 millions de budget ne font économiquement pas le poids, face à un Total Recall : mémoires programmées et ses 200 millions. Rian Johnson, le réalisateur de Looper, avait épaté les quelques personnes qui avaient vu Brick, son film au bon goût de polar hard-boiled délocalisé dans les cours d'école. Len Wiseman, de son côté, s'est laissé catalogué dans les films d'action gothique avec la franchise Underworld, commercialement valable mais qualitativement douteuse. Cette situation de base génère des a priori bien compréhensibles, pour le public comme pour les critiques. Ceci étant, rien ne nous préparait à la réception de deux films aussi différents.
L'imagerie de science-fiction
Aborder la science-fiction au cinéma s'opère, au choix, sous deux prismes opposés : embrasser une imagerie fantastique débridée, validée par le décalage temporel que le genre propose, nous emmenant souvent à des dizaines voires des centaines ou des milliers d'années dans le futur, ou sur de lointaines galaxies. Ou bien, la jouer profil bas, en se tenant à quelques artefacts science-fictionnels (armes, véhicules, objets divers) entourés d'un monde pas si différent que celui que nous côtoyons chaque jour. On notera que, si cette tendance résulte de la pensée d'un futur pessimiste, misant sur l'effondrement du système capitaliste et donc, l'abandon d'un possible progrès technologique soutenu par la finance, ce choix est avant tout guidé par des contraintes budgétaires.
Les deux approches peuvent fournir de très bons films ; le scénario, une certaines vision et le sens du rythme font toute leur réussite. Dernièrement, Eva, un petit film de SF espagnol, est venu encore confirmer, s'il en était besoin, de la très bonne santé du genre ; du côté des blockbusters, Prometheus, même s'il ne fait pas l'unanimité, constitue malgré tout une très grande réussite SF.
Looper fait part de cette vision de science-fiction modeste visuellement : des voitures déglinguées rongées par la rouille pourrissent sur des parkings aux airs de terrain désaffectés, les habitudes vestimentaires n'ont que peu changées avec le vingtième siècle, les armes des loopers sont des tromblons crasseux plus proches d'un Mad Max que d'un Minority Report. Même la machine à remonter le temps, nœud central du film, est un globe métallique bricolé. Total Recall : mémoires programmées, lui, est un pur film de designers, tant chaque plan regorge de détails sur les cités tentaculaires, éclairés au néons et rempli d'objets ouvertement futuristes : implants téléphoniques, véhicules volants, écrans virtuels omniprésents... Deux conceptions du futur au cinéma s'affrontent.
Original versus copie
Looper est un film "original" : entendons par là, qu'il n'est ni une adaptation littéraire, ni un remake, ni une suite ou une version cinéma d'une série ou d'une idée sortie d'un parc d'attraction. Ce qui, avouons-le, est rare. Là où Total Recall, le remake, fait également clairement référence à des films majeurs de la science-fiction moderne (Blade Runner en tête pour l'aspect visuel), Looper tente le coup de la nouveauté... ou plutôt de la nouveauté déguisée. En effet, on remarque des inspirations très claires dans le déroulement de Looper, qu'il lorgne vers Akira (Katsuhiro Otomo, 1988) ou Terminator (James Cameron, 1984), mais aussi sur L'armée des 12 singes (Terry Gilliam, 1998), ... ce dernier étant déjà très inspiré par La jetée (Chris Marker, 1962). L'originalité se situe bien sîr dans le télescopage de plusieurs genres antagonistes, idées, atmosphères, rythmes. Et si Total Recall : mémoires programmées ne peut être qualifié d'original (malgré le nom d'une des sociétés productrices du films : Original Film, ça ne s'invente pas), il ne manque pourtant pas de qualités... qui sont plus difficiles à trouver du côté de Looper.
Total Recall, en sa qualité de remake d'un film très ancré dans la culture fantastique des cinéphiles, notamment le fameux passage de la femme aux trois seins, qu'on retrouve évidemment ici ; des références, il y en a d'autres, mais le film n'avait pas besoin de cela. Il demeure en l'état un film d'action tonitruant, habité d'une mise en scène dynamique et inventive (le plan-séquence du changement de point de vue au début du film, entre l'ancien et le nouveau Doug Quaid/Colin Farrell). De plus, il mixe son argument SF avec une tonalité post-apocayptique qui conditionne tout le récit. Il n'existe en effet plus que deux groupes de pays, l'alliance britannique et l’Australie. Le reste du monde n'est que poussière et vapeurs toxiques, héritées de guerres chimiques. Le remake est, en vérité et hormis les quelques clins d'oeil superflus, bien différent de son modèle : la planète Mars n'est pas visitée (conformément à la nouvelle de K. Dick), la configuration du monde et l'approche science-fictionnelle - qui mêlait aussi l'horreur dans le film de Paul Verhoeven- marque des divergences évidentes.
Looper, au-delà des quelques inspirations détaillées plus haut, souffre d'un trop plein d'idées, qu'on imagine pourtant bien élaguées : il y a fort à parier que le DVD/ Blu-ray à venir contienne un lot non négligeable de scènes coupées. Entre le voyage dans le temps, le rôle des loopers, ces boucleurs qui tuent par contrat des malfrats du futur, le mythe du faiseur de pluie, un concept général qui semble nous dire "tout n'est qu'un recommencement", « tout ce qui se passe a déjà eu lieu", et une sous-intrigue totalement inutile (un des loopers est poursuivi par ses employeurs mafieux pour vouloir échapper à sa mort programmée), le film mange à tous les râteliers et oublie de resserrer sa narration principale. Pire, avec le virage au milieu du film qui délocalise l'histoire dans une ferme au milieu de nulle part, on a à la fois l'impression de perdre l'atmosphère construite jusque-là, et la désagréable impression d'avoir changer de salle de cinéma en un instant : au voyage temporel, se substitue un voyage spatial qui manque terriblement de cohérence. Et, alors même que son scénario a été porté aux nues dans une multitude de festivals, c'est celui-là même qui fait dévisser le film.
Total Recall : mémoires programmées, malgré un passif assez lourd (qui l'a sûrement fait échouer lamentablement au box-office US), s'avère autrement plus réjouissant dans son approche. Dans son director's cut rallongé de 20 minutes disponible en vidéo, il fait preuve, a contrario de Looper, d'une belle cohérence, même si ses schémas sont traditionnels. Et si le doute "réalité ou fiction ?" habite moins le remake que le film de Verhoeven, la perfection du design, et l'histoire rondement menée autour de La Chute, seul moyen de relier les deux derniers territoires habitables, suffisent à lui procurer un degré de réussite bien supérieur à Looper. Et si l'on reconnaît sans l'ombre d'un doute l'ombre de Blade Runner ou celle de Minority Report, l'on est en droit de préférer l'approche de Total Recall, l'écran bardé de trouvailles science-fictionnelles délirantes, à celle de Looper, incohérente et tristement fade.
Un film de Stuart Baird
"Les Son'a, les Borgs, les Romuliens...
Vous semblez décrocher toutes les missions faciles !"
Un membre de Starfleet s'adressant au commandant Picard
L'aventure cinématographique Star Trek avait de bonnes raisons de s'arrêter au numéro 9, Insurrection, tant les personnages principaux y trouvaient un accomplissement quasi-définitf : Riker et Troi finissent ensemble, même Picard semble avoir trouvé son âme jumelle, et, même si c'est loin d'être le Trek le plus réussi, il est tout à fait honorable, à la hauteur des idées portées par Gene Roddenberry, le créateur de la mythologie. C'était sans compter la Paramount qui, fière de sa franchise, revient à l'assaut par l'intermédiaire du producteur Rick Berman. De plus, l'équipe de Next Generation est tellement liée que tous les participants des films précédents rempilent avec plaisir. Nemesis est-t-il pour autant un film de vacances ?
Film de détente, c'est en tous cas ce dont a l'air Nemesis à l'ouverture : la scène du mariage sent bon les retrouvailles, et les blagues potaches sont légions mais ratées : ainsi, la gueule de bois de Worf loupe complètement le coche, l'acteur Michael Dorn n'étant pas formidable dans la séquence (Stuart Baird ne voulait pas de cette scène, le producteur Berman a pesé de tout son poids pour la conserver : les deux hommes batailleront gentiment pendant tout le film). Le sérieux reviendra vite, dans une intrigue dominée par la figure du miroir.
L'androïde Data va trouver son double, Proto (B4 en version originale), une version moins évoluée du même modèle, auquel il va transmettre son expérience (ses "data"). Dans un second temps, le commandant Picard est mis nez-à-nez avec le prêteur Shinzon (Tom Hardy à ses débuts), chef des Rémiens et accessoirement clone de Picard (en plus jeune), du temps où certains voulaient court-circuiter la Fédération en y infiltrant un des leurs. Chacun étant le reflet de l'autre, les individus se questionnent sur le sens de leur vie, celle qu'ils ont choisie ou subie. Cette partie du film, fort peu spectaculaire, est véritablement intéressante ; mais elle est coincée au milieu d'une foultitude d'autres enjeux qui parasitent la narration. A l'origine encore plus ambitieux, le film aurait du totaliser 2h40, si l'on en croit les nombreuses scènes coupées présentées en bonus sur le blu-ray. En coupant des bouts de scènes, raccourcissant deci-delà, égalisant ou tranchant, les décideurs ont un peu sabordé Nemesis, qui avait les bases d'un bon Trek.
Rattacher les deux face-à-face Data/B4 et Picard/Shinzon n'était pas la meilleure des idées, tant on capte difficilement le lien entre cette histoire du cheval de Troie galactique (Data/B4) et l'offensive voulue par Shinzon. Ajouter là-dessus la découverte d'une menace chimique contrôlée par Shinzon, et l'image est complète.
Tom Hardy, pour son premier rôle important au cinéma, essaime une ambiguité palpable, similaire à celle qui avait fait les beaux jours de Premier Contact avec la Reine Borg. Si sa ressemblance avec Patrick Stewart n'est pas évidente, il arrive tout de même à faire passer une similarité de regard qui aurait basculé du côté obscur.
Les effets spéciaux, passage obligé d'un bon film de SF, sont omniprésents autant que réussis : jamais l'Enterprise n'aura autant brillée. Stuart Baird, plutôt habitué aux films d'actions et au montage (rien moins que sur Superman, le film, La malédiction, Ladyhawke, ou dernièrement Casino Royale et Skyfall), signe un film passable, réussit les séquences qu'il faut (la première rencontre entre Picard et Shinzon, la collision de l'Enterprise avec la vaisseau des Rémiens) mais passe à côté d'un très bon film : dommage.