Un film de Michael Rymer
Reprenant la trame et les personnages d’une série de science-fiction de la fin des années 70, Battlestar Galactica s’offre un coup de jeune en 2003 : se voulant à la fois suite et remake, elle est d’abord conçue comme une mini-série de presque trois heures et traite d’une guerre entre les humains et les Cylons, des machines rebelles originellement créées par l’homme. Quoi de plus classique que cet argument que l’on retrouve à tous les coins de rues des récits science-fictionnels, me direz-vous. Oui, sauf que cette série a plusieurs atouts dans sa manche : un visuel qui se donne les moyens de ses ambitions, constituant déjà un magnifique space opera : les images de synthèse donnent aux batailles stellaires ainsi qu’aux différents vaisseaux une grande beauté, complétés par des décors en dur très impressionnants. Le style de la réalisation prend à contre-pied les codes du genre en optant pour un rendu caméra à l’épaule et une texture d’image grainée qui rappelle le documentaire. En faisant ces choix, les créateurs se rapprochent plus du renouveau des films de guerre des années 2000, Il faut sauver le soldat Ryan en tête. La volonté est de rendre tous les artefacts de la science-fiction, ô combien fantaisistes et bien loin de notre réalité, plus concrets. Car la force de la série, si elle passe d’abord par ce sens du visuel qui happe sans délais l’attention du spectateur, est avant tout une affaire d’écriture et de jeux d’acteurs.
L’écriture est sans doute le grand point fort de la mini-série, comme la série à suivre. Dès les premières minutes du film (passé une sublime scène d’introduction quasi-muette), les éléments nous sont donnés de façon très habile pour nous permettre de fixer une situation complexe et une importante galerie de personnages. On comprend ainsi que la mini-série débute après une première guerre contre les Cylons, terminée, que le vaisseau Galactica est une des reliques de la flotte militaire, devenu un musée. Une histoire est déjà en marche, ce qui dynamise tout de suite la narration. Les différents corps de militaires sont tout de suite identifiés : les techniciens, les officiers, le commandant, et les rapports de force posés avec une grande clarté. Tout ce petit monde nous est très vite familier par la superposition qui s’opère entre leur exercice officiel, dans lequel ils assument chacun une fonction déterminée par leur grade, et leur vie quotidienne, une fois qu’ils quittent leurs uniformes. Ensuite, tout démarre très rapidement et l’accent est mis sur la stratégie militaire plus que sur les combats à proprement parler. Il s’agit d’ailleurs d’une des premières fictions que je vois en comprenant la difficulté de la prise de décision, le danger constant et l’acceptation des erreurs commises. En effet, bien que nous étant souvent présentés dans le cadre militaire, les personnages ne peuvent être réduits à des machines exécutant les ordres de façon mécanique (ce qui pose les bases de leur différence avec les ennemis auto-proclamés de la série, qui, eux, sont de vraies machines). Cette exploration des failles humaines et de ce qui fait notre humanité est assez novateur dans ce degré de détails, et diffère de nombreux films ou séries vus sur le sujet. Sensation d’humanité mise à mal, d’autant que ces Cylons prennent forme humaine -jusqu’au sang, aux organes, qui semblent identiques aux nôtres mais sont de composition synthétique. Et puis, devant l’anéantissement dont la race humaine semble être victime, se pose la question du plan des Cylons et leur objectif final : anéantissement pur et simple ? Rien n’est moins sûr... Devant la menace d’une extinction, les humains devraient tous se souder, se rassembler autour de cette cause commune, cependant il n’en est rien et les intérêts personnels brouillent les cartes si bien qu’on ne sait plus, au bout du compte, où sont les ennemis.
Le talent d’écriture prend forme par les performances assez exceptionnelles d’un casting sans fautes : Edward James Olmos, le Gaff fan d’origami de Blade Runner, compose un commandant dont le poids des responsabilités semble être inscrit à même sa peau crevassée. Son jeu, tout en affirmation de soi, force intérieure, et fêlures personnelles, est transcendant. Mary McDonnell, précédemment Dressée avec le poing dans Danse avec les loups ou mère de Donnie Darko dans le film éponyme de Richard Kelly, incarne une ministre de l’éducation devenue la présidente des 12 colonies, avec une expression assez étrange qu’elle conservera dans la série, un sourire un peu figé, celui des obligations et du paraître qu’elle est obligé de simuler, mourante, atteinte d’un cancer. Tous les rôles montrent l’exercice d’un pouvoir particulier, et comment les itinéraires personnels interfèrent avec les décisions qu’il faudrait prendre et celles qui sont réellement prises. Les acteurs portent tous cette gravité nécessaire et forment un tout extrêmement cohérent. La minisérie est aussi bluffante dans les thèmes qu’elle aborde frontalement, comme la religion (dans ce futur, la religion la plus répandue ressemble à un culte polythéiste comme la mythologie grecque, alors que les Cylons prônent l’allégeance à un Dieu unique). Certaines séquences sont même traumatisantes et repoussent les limites de ce qui se fait dans la fiction télévisuelle. D’équivalent au niveau de la puissance d’évocation, et de la réflexion sur l’état et le devenir de nos sociétés modernes, je ne vois que Oz, série atypique et grave de Tom Fontana prenant pour cadre l’univers carcéral. La mini-série, grande réussite, deviendra finalement le pilote de la série Battlestar Galactica, cette dernière arrivant à sa fin au terme de sa quatrième saison, en cette (nouvelle) année 2009. Sur ce, très bonne année à tous !