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70's - Page 15

  • Rollerball (1975)

    Un film de Norman Jewison

    3449058055_dc740a6fea_m.jpgRollerball est un film relativement typique d’une SF à messages des années 70, tout en étant assez unique dans la foultitude de thèmes qu’il aborde, et ce, sans en avoir l’air.

    La première chose notable, importante dans Rollerball, c’est l’absence quasi-totale d’imagerie habituellement rattachée au genre : pas d’objets futuristes (mis à part un pistolet, dont on parlera plus tard), pas de vêtements spéciaux, bref ce futur qu’on nous offre à voir est très dépouillé. C’est somme toute assez logique car la période du film ressemble fort à un retour dans le passé : le Rollerball, attraction centrale, mélange de hockey, de patinage de vitesse et de basket-ball, constitue le divertissement des foules au même titre que les jeux du cirque dans l’Antiquité. Le jeu occasionne des moments très violents, laissant à penser que l’espérance de vie d’un joueur est très courte. Dans le même temps, les rares vainqueurs sur la durée, tel que l’incarne le personnage de Jonathan E. (James Caan), sont de véritables superstars, des gladiateurs modernes. L’espace de jeu est clairement dessiné comme un cirque romain, et les accessoires que les joueurs portent rappellent les armes variées des combattants de l'arène : pointes, cuirasses, etc. Le Rollerball est désigné par les hauts responsables de l’état comme un instrument de cohésion sociale, un rouage fondamental du maintien du statu quo, beaucoup plus que comme un jeu (un de ceux-ci s’exclame d’ailleurs "ce n’a jamais été un jeu !", nous indiquant bien la portée politique du dispositif, comme l’étaient les jeux du cirque à l’époque des Césars. Cette parabole était dans l’air du temps, comme le figure un autre film SF de la même année utilisant une organisation similaire, le sympa Course à la mort de l’an 2000, réalisé par Paul Bartel ; film qui a dernièrement eu droit à un remake, sorti ces jours en DVD, tout comme Rollerball, remaké par John McTiernan en 2002, preuve de l’intelligence de leur propos (et du manque d’idées nouvelles des producteurs d’Hollywood, mais ça, c’est une autre histoire).

    Dès lors, dans un jeu qui demande la mort de ses participants, l’existence même de Jonathan E. va poser un problème : après 10 ans de jeu, il est un véritable dieu vivant et gêne les puissances à la tête du monde. Il va donc être poussé vers la sortie... sauf que Jonathan n’aime pas être le jouet que les dirigeants voudraient qu’il soit. Qui plus est, il a une passion indéfectible pour le jeu : à plusieurs occasions, à la suite d’actions magistrales dans l’arène du Rollerball, il lance à son coéquipier un "j’adore ça" qui en dit long.
    Le monde est donc aux prises de multinationales qui sont devenues les organes les plus puissants du futur. L’argent règne en maître, dans une société où ne se prélassent plus que les nantis : tous les autres ont disparus, on ne sait trop comment. De même, on peut se demander où sont passés les vieux : il n’y a pas un personnage de plus de 45 ans dans le film ; ou, plus précisément, pas une seule femme âgée. Les hommes âgés sont eux bien présents, dans la classe dirigeante. Le troisième âge a-t-il été éliminé comme dans cette scène incroyable de Death Race 2000, où un hospice fait sortir ses vieux au milieu de la route pour que des bolides aux pare-chocs agressifs les cartonnent ? On pourrait croire que les deux films font partie d’une même réalité alternative, tant les idéologies se répondent.

    Rollerball hérite aussi d’un imaginaire science-fictionnel très politique et écologique comme Soleil Vert (Richard Fleischer, 1973). Comme dans ce dernier, les filles y sont monnayées, baladées comme de vulgaires affaires. Comme Thorn (Charlton Heston), Jonathan E. est tombé amoureux d’une fille qu’il ne pouvait pas aimer. Le futur de Soleil Vert, marquant une pénurie de vivres, et une disparition de la flore à cause de l’activité humaine, peut être considéré comme un moment dans la ligne temporelle de Rollerball, où l’on voit l’espace d’une scène des jeunes aristocrates jouer avec un pistolet lance-feu et détruire toute une rangée d’arbres... pour jouer. Ce feu peut également rappeler les attaques au napalm, utilisé en masse lors de la guerre du Viêt-Nam, laquelle venait juste d’arriver à son terme. On nous pointe ici l’inconscience et la futilité des aspirations de ces générations, tentant d’apaiser leur lassitude de vivre en détruisant tout autour d’eux, et en appréciant le spectacle d’autres se détruisant pour eux.

    La télévision est aussi très présente dans le film, à travers une multitude d’écrans disséminés ici et là, écrans de contrôle ou écrans de télévision, jamais uniques, toujours à plusieurs. Plus que la surveillance, la télévision incarne le concept de manipulation de l’information, cruciale lors de l’émission spéciale consacrée au champion de Rollerball. Lors d’un essai, un texte qu’il doit déclamer lui est dicté, ce qu’il refuse. L’émission consistera alors en grand mixage de passages de ses matches, où ne seront montrés que les coups mortels portés par le champion, et où tous les bruitages sont amplifiés pour rendre la brutalité encore plus prégnante. Sur les visages des spectateurs se lit peu à peu une distance inquiète, loin de l’adoration sans bornes qu’ils vouent d’habitude à leur champion. L’écran de télévision est alors présenté comme le prisme déformant d’une réalité, déjà problématique.

    Enfin, les matchs de Rollerball, noyau central du film, sont une prouesse technique et visuelle, communiquant bien toute la brutalité, la vitesse du jeu. Le lancement de la première balle rappelle un flipper géant, et les joueurs ont l’air d’être les obstacles, victimes consentantes, de cette balle furieuse.

    Le film essaime donc pas mal d’idées, peut-être un peu trop, en tous les cas plus que son cadre ne lui laissait espérer. Dans la même veine nous vient à l’esprit la foule d’idées déchaînées servi dans le grand bazar qu’est Zardoz (John Boorman, 1974), qui, lui, n’amène qu’au chaos scénaristique le plus total. Au final, Rollerball est un film maîtrisé, offrant à la science-fiction ce qu’elle devrait toujours avoir, à savoir une dimension politique et révélatrice de notre condition actuelle.

  • La fille de Ryan (1970)

    Un film de David Lean

    Dès les premiers instants du film, on est littéralement saisi. Transporté par la beauté magistrale de cette côte irlandaise, de cette plage de sable fin et de cette eau turquoise qui semble baigner tout le cadre. Dégageant un lyrisme et un romantisme certain, ces couleurs convoquent le souvenir des films de Douglas Sirk, souvent soutenus par les teintes d’un flamboyant Technicolor.

    Histoire d’amour sur fond de 1ère guerre, récit sur la perte de l’innocence, La fille de Ryan subjugue d’abord par l’adéquation entre le fond et la forme. Cette plage irréelle, véritable paradis, symbolise les espoirs de la jeune Rosy, amoureuse de son maître d’école... qui, contre toute attente, ne va pas poser beaucoup de problèmes pour la prendre pour femme. Rosy est donc déjà sous le coup d’un interdit dans son petit village traditionnel, mais, au moins, elle a ce qu’elle désirait. Ou plutôt... elle ne sait pas vraiment ce qu’elle veut. Son père dit d’elle, dès le tout début, qu’elle a "tous ces hommes dans sa tête", et se rendra compte lors d’une discussion avec sa fille à quel point elle est désorientée.

    Son rêve n’est pas vraiment conforme à son idéal, tel son amour de Professeur, qui prendra 30 secondes de la nuit de noces, pour lui faire découvrir les joies (fatiguées) de l’amour charnel. De son plein gré, elle s’est enfermée dans une vie qui ne lui plaît guère, elle, pleine de l’insouciance et de la vigueur de la jeunesse. Lorsqu’un nouveau major anglais arrive dans le campement proche du village, elle décidera de se tourner vers lui pour obtenir une plus grande satisfaction, et faire prendre corps à son rêve, déçu jusque là. Elle entérine alors un nouvel interdit, car son village est un nid de résistance face aux anglais, et cette liaison est signe d’une trahison manifeste pour les esprits échauffés par la bière que sont les habitants de ce bourg perdu. Les trajectoires, décisions des personnages se font soit dans l’inconscience des conséquences, à l’image de Rosy, ou, à l’inverse, dans la trop grande conscience des effets de ces actions, comme Ryan, le père de Rosy, qui, comble de la contradiction, permet à la fois à la résistance de triompher dans un premier temps, puis à la police d’arrêter lesdits résistants.

    Ryan, entre deux eaux, car à la fois informateur des anglais et digne serviteur de la résistance, occupera cette double tâche jusqu’au bout de notre histoire. Le personnage du major est aussi intéressant, tout en silence, traumatisé par les horreurs de la guerre passée au front, exprimant un besoin de réconfort tel, que la scène de sa rencontre avec Rosy est comme un éclair dans sa nuit.


    Les tonalités de couleurs accompagnent, soulignent les états d’âme de la jeune Rosy, passant de franches couleurs éclatantes lors de ces doux moments à des teintes grisâtres lorsque la réalité reprend le dessus, notamment dans toutes les scènes au village. On a une opposition caractéristique entre la côte et son étendue d’eau semblant se poursuivre à l’infini, lieu de tous les espoirs, possibilité d’évasion par le corps ou par l’esprit, et le village boueux et rempli de qu’en dira-t-on et de méchantes commères (les filles de joie), se refermant comme un cachot derrière les aspirations romanesques de la jeune fille.

    Un personnage du village, ceci dit, est une bête magnifique, un quasimodo simplet, qui joue un fou du roi à la perfection et constitue le réceptacle de la haine viscérale des villageois envers la différence, l’altérité. La relation qu’il nouera en pointillé avec Randolph Doryan, le major anglais, est touchante dans un effet de vérité surprenant.

    Péchant cependant par trop de longueurs, les errements de Rosy, du maître d’école (très bon Robert Mitchum, qui a sûrement la plus grande scène du film, celle où il est le témoin fantasmé de la ballade de sa femme et de son amant sur la plage) et du major naviguent encore longtemps dans les esprits après sa vision. Preuve, s’il en est besoin, de sa puissance d’évocation.

  • Hamburger Film Sandwich (1977)

    Un film de John Landis

    3378756252_ec4f5ed147_m.jpgPlus que la paternité de John Landis, qui réalisa par ailleurs des films oubliables si ce n’est Le loup garou de Londres et le fondamental clip Thriller de Michael Jackson, on retient ici la première incursion cinématographiques des ZAZ, alias Zucker-Abrahams-Zucker, qui allaient par la suite orchestrer les aventures les plus débiles (mais jouissives) en compagnie de Leslie Nielsen et de seconds rôles à mourir de rire dans Y a-t-il un pilote dans l’avion, Y-a-t-il un fill pour sauver la reine et autres Hot Shots !

    La veine exploitée par les ZAZ est clairement parodique et ce, dès ce premier essai, film à sketches foisonnant et forcément inégal qui a élevé la parodie à un niveau tout à fait supérieur à ce qu’on pouvait faire auparavant, mais a aussi inspiré des comiques français, notamment les Nuls avec, en première ligne, le culte Grand détournement et La cité de la peur, qui reprend, en francisant les paroles, la chanson du générique de Hamburger Film Sandwich, la Carioca.

    On peut donc trouver à HFS (alias Kentucky Fried Movie, référence à la chaîne de fast food américaine KFC, Kentucky Fried Chicken) une dimension télévisuelle vraiment assumée, l’enchaînement non-stop des sketches sans aucun lien narratif entre eux se rapprochant d’un effréné zapping télé. Appuyant cela, les guest-stars aperçus ici et là sont souvent issus du monde télévisuel, à l'image de Bill Bixby , qui incarne à l’époque Bruce Banner dans la série Hulk. Les segments du film sont des publicités, des bandes annonces, des passages d’émissions télé dont la variété empêche la lassitude, mais pas l’ennui. Ce système sera, comme on l’a dit, beaucoup repris par l’école comique des années 90, notamment en France avec Les Inconnus. L’ensemble provoque un sentiment d’amusement discontinu devant l’inégalité comique des situations : on remarque une structure oscillant entre des moments plus calmes, moins euphoriques (certaines tentatives d’humour assez ratées, comme la plupart des blagues dans le segment Pour une poignée de yens, parodie d’Opération Dragon), et d’autres, purement géniales, comme le séance de cinéma en Touchorama, où le spectateur reçoit les mêmes claques, les mêmes brutalités que le personnage principal. C’est souvent dans les passages exploitant le comique de gestes qu’il est le plus réussi : le truc tout bête des élèves d’arts martiaux qui tombent les uns après les autres comme des dominos alors qu’ils sont tous assis en tailleur les uns à côté des autres est d’une simplicité étonnante, mais jouit d’un impact immédiat dans l’accumulation, souvent difficile, de ce genre d’exercice. Le film offre ainsi, sûrement involontairement, un mouvement de vagues comiques, allant d’un échec à une réussite, faisant du tout un ensemble tout à fait regardable, même si jamais franchement passionnant. Le doublage français est d’ailleurs tout à fait dans le ton, et sonne mieux que la version originale, instaurant une distance caractéristique par rapport aux événements dépeints. Il est cependant dommage -et relativement incompréhensible -d’avoir fait de la parodie d’Opération Dragon le segment principal du film (35 min. au compteur), tant les gags accumulés ne valent pas un Big Jim Slade d’anthologie, vu dans un sketch précédent.

    S’attaquant à de nombreux genres (érotique, polar, blaxploitation, sentimental, arts martiaux, historique, film catastrophe), on n’y trouve cependant ni le western (pourtant annoncé dans le titre For a fistful of yen, le Pour une poignée de dollars de Sergio Leone), ni le fantastique (si ce n’est une allusion à King Kong qui tombe à plat) ou la science-fiction : c'était avant Star Wars, qui sinon serait passé ici  à la moulinette de la parodie, comme il le sera beaucoup par la suite. Expérience plus familière pour les spectateurs d’aujourd’hui, la vision de cet ovni cinématographique a touché au but en cette fin de décennie 70, engrangeant un sacré pactole vu la mise de départ (20 millions de recette pour 1 million de budget !), ce qui a déterminé la carrière des trois drôles pour le reste de leur vie... Précurseur d’une nouvelle "comédie américaine", ce pionnier qu’est HFS est loin d’être le meilleur, mais offre de bon moments, tel ce Touchorama dont on ne se lasse pas...

  • Macadam à deux voies (1971)

    Un film de Monte Hellman

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    Monte Hellman incarne une voix à part dans le cinéma américain des années 70, montant des films s’insérant dans de purs genres américains (western, road-movie) tout en y appliquant une sensibilité plus "européenne" ; refusant volontairement toute dimension spectaculaire ou même dramatique, ses films parlent de personnages-figures, sans passé ni futur, n’existant que dans le présent pour effectuer ce qu’ils ont l’habitude de faire.


    Dans Macadam à deux voies (Two-lane blacktop), the driver, the mechanic et the girl parcourent les Etats-Unis pour participer à des courses de voitures, jusqu’à rencontrer un autre fou de vitesse, GTO ; une des volontés les plus fortes de Hellman est de court-circuiter le potentiel dramatique des courses, en n’en traitant qu’une partie -souvent le début-, sans qu’on sache au final si elle a été remportée ou non par les personnages centraux. De même, l’enjeu servant de fil rouge au film (le plus rapide qui arrive à Washington D.C. remporte la voiture de l’autre) sera aussi mis à mal.

    Le rythme du film est assez lent, comme à l’habitude chez Hellman, et centré sur des moments "en creux" dont la teneur en actions n’est jamais significative. Les interactions verbales des personnages sont minimes et l’un des actes fondateurs du film -la rencontre entre the girl et les deux garçons- n’est pas traitée. Les personnages sont des êtres perdus, semblant par ailleurs relativement isolés, voire seuls au monde (on ne voit quasiment personne d’autres qu’eux dans le film), dont le but, au premier abord, semble de faire des courses, mais plus largement, de faire de la route. S’éloigner, fuir, rester en mouvement. Leur parcours n’est agrémenté d’aucune référence à l’histoire contemporaine du pays, pourtant riche et raccord avec nos personnages (l’avènement de la contre-culture, la débâcle de la guerre du Viêt-Nam). Ou plutôt si, une seule référence : celle au tueur du Zodiac, qui sévissait alors dans la région de San Francisco ; la peur invisible de la brutalité, la violence, le meurtre. Aucun de ces maux ne sera d’ailleurs montré dans le film. C’est d’ailleurs ce qui fait à mon sens la valeur du travail de Monte Hellman, c’est-à-dire aller constamment au-delà de ce qui est montré. En restant scotché à la route, la caméra du cinéaste capte un espace morne qui reflète le désenchantement des personnages. Le refus de toute dramatisation provoque inévitablement des longueurs, mais on se rend compte que l’on est dans un cinéma intérieur, une sorte de projection mentale hypnotique ; on ne s’y ennuie pas. On suit les gestes anodins de nos personnages, les aléas de leur voyage. Opposé aux deux garçons par bien des côtés, GTO (Warren Oates) offre un pendant friand de paroles, d’histoires inventées (à chaque auto-stoppeur correspond une nouvelle version de l’histoire de sa vie) et coloré -ses multiples pulls, sa GTO d’un jaune éclatant. Warren Oates incarnera quelques années plus tard un rôle qui répond à GTO en miroir, dans Cockfighter (Monte Hellman, 1974), celui d’un dresseur de coqs de combat qui restera silencieux pendant la majeure partie du film.

    Questionnant l’espace, questionnant le temps, Monte Hellman réalise un road-movie existentialiste qui surprend, interroge, bref, qui nous promène pendant ces 1h38 dans un monde étrange, décalé. L’image finale est peut-être la plus belle idée du film, en tout cas son passage le plus connu, avec raison. Le cinéma de Monte Hellman, singulier, atteindra ici un point de non-retour ; la sortie du film, sacrifiée par Universal, sera un échec, et ses films suivants seront rares. Sacrifié à sa sortie par Universal, Macadam à deux voies accède au fil des années au rang de film culte, son invisibilité y étant probablement pour beaucoup. En tous les cas, un témoignage personnel qui allait participer à un renouvellement des formes dans le cinéma américain.