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  • Le chat à neuf queues (1971)

    Un film de Dario Argento

    5645736313_637a3fa1e5_m.jpgAprès le succès de L'oiseau au plumage de cristal, les producteurs d'Argento veulent un nouveau giallo : la même formule, mais en plus international. Sont ainsi parachutés au casting James Franciscus, remarqué dans Les naufragés de l'espace et le sympathique Secret de la planète des singes, ainsi que Karl Malden, impérissable second couteau des films de gangsters, ou Archie Lee dans le moite Baby Doll d'Elia Kazan. 

    Un tueur en série sévit dans les alentours d'une clinique de pointe (dont le hall rappelle la galerie de L'oiseau au plumage de cristal) ; un journaliste (Franciscus), aidé d'un vénérable aveugle (Malden), lui aussi journaliste dans son jeune temps, veut tirer ça au clair. Les scientifiques sont sur le point de mettre au jour une remarquable découverte, la constante d'un génome finissant par XYY constaté chez les personnes violentes, faisant voler en éclat les théories de la psychanalyse moderne.

    Les thématiques de Dario Argento sont présentes de façon évidentes, notamment l'obsession de la vision (on suit le meurtrier dans une succession de plans subjectifs et d'inserts sur son oeil en gros plan, par ailleurs éclairé par une source de lumière très forte. L'ironie de l'enquêteur aveugle, tâchant de "faire la lumière" d'entre les ténèbres, est à savourer. De même, la vision partielle d'un événement, sous-entendant une information primordiale manquante, est également au centre du film, tout comme L'oiseau au plumage de cristal et, avant lui, le Blow-Up de Michelangelo Antonioni, matrice évidente de la première partie des oeuvres d'Argento. L'image est le centre nerveux du film, la nécessité de voir en pleine lumière et en "version intégrale" les événements passés fonctionnent comme une métaphore d'un cinéma respectueux de la vision du cinéaste. L'image  virevolte au gré des personnages, épousant tour à tout la vision subjective de chacun d'eux, composant par là un kaléidoscope d'images qui s'entrechoquent. Le titre ouvertement fantastique du film fait écho au premier, un chat chassant l'oiseau...

    La mise en scène et le montage sont tout à fait cohérents avec la primauté de la vision, multipliant les plans aux différences d'échelles notables (un très gros plan succède à un plan d'ensemble, obligeant le spectateur à adapter en continu sa propre vision) ; les inserts interviennent par ailleurs de façon assez expérimentale, illustrant les réminiscences des personnages, ou le cours de leurs pensées, s'inscrivant à contre-courant d'une narration traditionnelle. Nicholas Roeg nous fera profiter de la même structure dans son très beau Ne vous retournez pas (1973). Tout comme L'oiseau au plumage de cristal, la valse de suspects est de mise, les fameuses neuf queues du chat (en points d'interrogation comme il se doit) représentant les différentes pistes possibles. La scène du barbier qui devient l'espace de quelques minutes un danger trop proche pour Franciscus en est un exemple parfait.

    Le ton du film est effectivement plus passe-partout que L'oiseau au plumage de cristal, plus lisse, à l'image du jeu distancié de Franciscus, peu concerné. L'humour introduit par la relation entre l'aveugle et la fillette qu'il a recueillie, et le personnage ouvertement comique du flic, font un peu tâche dans une enquête se voulant autrement tendue. Cet humour fait néanmoins partir du style Argento, comme en témoignent les scènes de la version intégrale des Frissons de l'angoisse concernant David Hemmings et Daria Nicolodi. Peu de scènes sortent de l'ordinaire, et les chocs annoncés sont pour le moins expédiés (la scène de la gare, qui aurait pu être mieux gérée en termes de tension et de timing). Les cadrages sont précis et parfois impressionnants, montrant une plus grande maîtrise de l'outil que dans son premier essai ; néanmoins, l'ensemble est beaucoup moins charmant, dans le sens où les moments mémorables manquent. Et que dire de ces ouvertures successives de portes dans l'hôpital, sinon qu'elles sont plutôt embarrassantes, n'étant pas au même niveau que le reste du film. Pas étonnant qu'Argento ne place pas Le chat... dans son cœur, -les injonctions des producteurs, les acteurs complètement absents -à part Malden- malgré le jalon technique qu'il pose, et l'affirmation de ses thématiques clés. 

  • Kaboom (2010)

    Un film de Gregg Araki

    8568289018_b20a3aa8a3_m.jpgSmith, sexuellement "undeclared" (comprendre : couche avec des filles comme des mecs), vivote sur le campus en compagnie de sa meilleure copine, une Daria en puissance. Le récit commence comme une comédie surréaliste, avec sa voix-off décalée et son esthétique acidulée. Mais sous cette surface vernie à l'artifice, se terre une chronique douce-amère des errements sentimentaux de ses protagonistes, qui rappelle un peu les BD indé américaines de Daniel Clowes (David Boring en tête). Comme chez Clowes, la tranche de vie vire rapidement à une enquête (qui sont les hommes-animaux qui apparaissent à Smith ?) flirtant avec le film de complot globalisé. Percutant les genres, Araki nous emmène à une terre d'entre-deux jamais évidente, difficile à prendre au sérieux ; comment être fun et étrange, dramatique et onirique ?

    Ainsi, Kaboom se pose un peu comme un gigantesque point d'interrogation narratif, qu'arriverait-il si... ma copine était une adapte de la magie noire, si mon père était membre d'un ordre secret, … Tellement déconnectée de la réalité qu'Araki semble malgré tout vouloir dépeindre, beaucoup de ces propositions bouchonnent l'empathie et l'intérêt du spectateur. 

    A un moment, on pressent que Araki a voulu réaliser un film d'envergure, avec sa galerie de personnages tous trempés dans une intrigue mondiale, une prophétie millénariste et ses grandes questions (jamais résolues). Puis, le film reste coincé par ses limites (budgétaires entre autres) et ses parti-pris (indépendant versus commercial). Il ne ressemble finalement à rien d'autre qu'à un film de Gregg Araki, avec ses obsessions et ses thématiques maîtresses. Un peu comme pour Wes Anderson et La vie aquatique, qui visait le film d'aventures et arrive à ... un film de Wes Anderson, atypique, dépressif et joyeux, dramatique et comique. 

    Kaboom est décevant malgré l'invention, le télescopage des genres et des personnages, car on se désintéresse petit à petit de ce qui se passe à l'écran, jusqu'à un final marquant un certain point de non-retour dans le n'importe quoi intersidéral. C'est dommage tant la première partie (la vie au lycée) est dépeinte avec verve et drôlerie.

  • Ciné d'Asie : The Heroic Trio (1993)

    Un film de Johnnie To

    5580019857_b022b5a11e_m.jpgAvant d'être le cinéaste de polars reconnu en France qu'il est devenu (The Mission, Fulltime Killer, Breaking News, Election 1 & 2, Exilé), Johnnie To a commencé par divers films de genre, et The Heroic Trio est celui qui a mis en lumière son talent naissant.

    Cocktail réjouissant s'il en est, The Heroic Trio convoque trois branches typiques du cinéma made in Hong Kong, via chacune de ses héroïnes, découvertes ici par le grand public. Michelle Yeoh incarne une femme aux pouvoirs apparemment magiques (ses déambulations sont camouflées par une cape d'invisibilité) chargée de rapporter des nouveaux-nés à un démon qui veut s'incarner dans l'un d'eux. Avec elle, débarque tout le folklores des films fantastiques, et notamment les standards vus dans Zu les guerriers de la montagne magique (Tsui Hark, 1984) et les Histoires de fantômes chinois troussées par Ching Siu-Tung à la fin des années 80. Des mondes souterrains nimbés de fumée, peuplés de vieux barbus aux ongles crochus, drapés dans des voiles interminables et coiffés de galurins improbables, aux couleurs surréalistes et décorés par des cadrages typiques (travelling au ras du sol shooté au grand angle), l'univers est solidement planté.

    Maggie Cheung (vue la même année dans l'excellent Green Snake de Tsui Hark) prend pour sa part l'allure des porte-flingues des films de John Woo ; carabine à portée de la main, chevauchant une moto, arnachée de lunettes d'aviateur, c'est la flingueuse, travaillant contre rémunération. Le personnage évoque un univers plus réaliste, toutes proportions gardées, que ses deux (futures) comparses.

    Quant à Anita Mui (qu'on verra ensuite dans l'immense Drunken Master 2, commencé par Liu Chia-Liang et terminé par Jackie Chan), c'est la Justicière, munie d'une cape et d'un loup, rappelant la kyrielle de héros masqués à la zorro, combattant le crime, protégeant les faibles et les opprimés. Les trois genres, policier, fantastique et aventures, se marient plutôt bien, faisant exploser par un décloisonnement brutal un univers réaliste et l'autre issu des cauchemars où le mal règne en maître absolu. Jonnhie To n'hésite pas, d'ailleurs, à s'aventurer loin dans la tragédie, deux nouveaux-nés trouvant la mort (dont un violemment en plein cadre) au cours du métrage. Un onirisme flottant baigne notre Heroic Trio, où le monde d'en bas et le monde d'en haut semblent inversé -on ne peut distinguer le plafond du repaire, pourtant souterrain, du grand méchant, tandis que la ville est plongée constamment dans une ténèbre d'ébène). Dans tous les extrêmes, la dynamique cinématographique du film est une réussite, un bon produit de la Film Workshop de Tsui Hark.

    Issues d'horizons bien différents, les trois héroïnes vont être, finalement, rassemblées, pour faire face à une même menace. Schéma certes classique, mais qui révèle tout de même de multiples surprises mises en scène énergiquement, dans un festival d'images léchées tout à fait recommandable. Dès lors, quoi de plus compréhensible que Johnnie To et Ching Siu-Tung emballent une suite la même année, baptisée Executioners (les deux film étant disponibles dans un beau coffret chez HK Vidéo / Metropolitan) ?