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  • Looper (2012) vs. Total Recall : mémoires programmées (2012)

    Deux films de Rian Johnson et Len Wiseman

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    Le rapprochement de certains films aident parfois à percevoir des points de convergences et des différences fondamentales de traitement : aujourd'hui, penchons-nous sur deux films de science-fiction sortis en 2012, qui possèdent de prime abord de sérieux antagonismes.
     

    A prioris

    Looper est un petit film avec une solide réputation, Total Recall : mémoires programmées est lui un blockbuster contenant déjà dans son titre un handicap pour les critiques. C'est un remake, d'un film presque culte et pas si vieux, Paul Verhoeven l'ayant réalisé en 1990. Looper et ses 30 millions de budget ne font économiquement pas le poids, face à un Total Recall : mémoires programmées et ses 200 millions. Rian Johnson, le réalisateur de Looper, avait épaté les quelques personnes qui avaient vu Brick, son film au bon goût de polar hard-boiled délocalisé dans les cours d'école. Len Wiseman, de son côté, s'est laissé catalogué dans les films d'action gothique avec la franchise Underworld, commercialement valable mais qualitativement douteuse. Cette situation de base génère des a priori bien compréhensibles, pour le public comme pour les critiques. Ceci étant, rien ne nous préparait à la réception de deux films aussi différents.
     

    L'imagerie de science-fiction

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    Aborder la science-fiction au cinéma s'opère, au choix, sous deux prismes opposés : embrasser une imagerie fantastique débridée, validée par le décalage temporel que le genre propose, nous emmenant souvent à des dizaines voires des centaines ou des milliers d'années dans le futur, ou sur de lointaines galaxies. Ou bien, la jouer profil bas, en se tenant à quelques artefacts science-fictionnels (armes, véhicules, objets divers) entourés d'un monde pas si différent que celui que nous côtoyons chaque jour. On notera que, si cette tendance résulte de la pensée d'un futur pessimiste, misant sur l'effondrement du système capitaliste et donc, l'abandon d'un possible progrès technologique soutenu par la finance, ce choix est avant tout guidé par des contraintes budgétaires.

    Les deux approches peuvent fournir de très bons films ; le scénario, une certaines vision et le sens du rythme font toute leur réussite. Dernièrement, Eva, un petit film de SF espagnol, est venu encore confirmer, s'il en était besoin, de la très bonne santé du genre ; du côté des blockbusters, Prometheus, même s'il ne fait pas l'unanimité, constitue malgré tout une très grande réussite SF.

    Looper fait part de cette vision de science-fiction modeste visuellement : des voitures déglinguées rongées par la rouille pourrissent sur des parkings aux airs de terrain désaffectés, les habitudes vestimentaires n'ont que peu changées avec le vingtième siècle, les armes des loopers sont des tromblons crasseux plus proches d'un Mad Max que d'un Minority Report. Même la machine à remonter le temps, nœud central du film, est un globe métallique bricolé. Total Recall : mémoires programmées, lui, est un pur film de designers, tant chaque plan regorge de détails sur les cités tentaculaires, éclairés au néons et rempli d'objets ouvertement futuristes : implants téléphoniques, véhicules volants, écrans virtuels omniprésents... Deux conceptions du futur au cinéma s'affrontent.
     

    Original versus copie

    Looper est un film "original" : entendons par là, qu'il n'est ni une adaptation littéraire, ni un remake, ni une suite ou une version cinéma d'une série ou d'une idée sortie d'un parc d'attraction. Ce qui, avouons-le, est rare. Là où Total Recall, le remake, fait également clairement référence à des films majeurs de la science-fiction moderne (Blade Runner en tête pour l'aspect visuel), Looper tente le coup de la nouveauté... ou plutôt de la nouveauté déguisée. En effet, on remarque des inspirations très claires dans le déroulement de Looper, qu'il lorgne vers Akira (Katsuhiro Otomo, 1988) ou Terminator (James Cameron, 1984), mais aussi sur L'armée des 12 singes (Terry Gilliam, 1998), ... ce dernier étant déjà très inspiré par La jetée (Chris Marker, 1962). L'originalité se situe bien sîr dans le télescopage de plusieurs genres antagonistes, idées, atmosphères, rythmes. Et si Total Recall : mémoires programmées ne peut être qualifié d'original (malgré le nom d'une des sociétés productrices du films : Original Film, ça ne s'invente pas), il ne manque pourtant pas de qualités... qui sont plus difficiles à trouver du côté de Looper.

    Total Recall, en sa qualité de remake d'un film très ancré dans la culture fantastique des cinéphiles, notamment le fameux passage de la femme aux trois seins, qu'on retrouve évidemment ici ; des références, il y en a d'autres, mais le film n'avait pas besoin de cela. Il demeure en l'état un film d'action tonitruant, habité d'une mise en scène dynamique et inventive (le plan-séquence du changement de point de vue au début du film, entre l'ancien et le nouveau Doug Quaid/Colin Farrell). De plus, il mixe son argument SF avec une tonalité post-apocayptique qui conditionne tout le récit. Il n'existe en effet plus que deux groupes de pays, l'alliance britannique et l’Australie. Le reste du monde n'est que poussière et vapeurs toxiques, héritées de guerres chimiques. Le remake est, en vérité et hormis les quelques clins d'oeil superflus, bien différent de son modèle : la planète Mars n'est pas visitée (conformément à la nouvelle de K. Dick), la configuration du monde et l'approche science-fictionnelle - qui mêlait aussi l'horreur dans le film de Paul Verhoeven- marque des divergences évidentes.

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    Looper, au-delà des quelques inspirations détaillées plus haut, souffre d'un trop plein d'idées, qu'on imagine pourtant bien élaguées : il y a fort à parier que le DVD/ Blu-ray à venir contienne un lot non négligeable de scènes coupées. Entre le voyage dans le temps, le rôle des loopers, ces boucleurs qui tuent par contrat des malfrats du futur, le mythe du faiseur de pluie, un concept général qui semble nous dire "tout n'est qu'un recommencement", « tout ce qui se passe a déjà eu lieu", et une sous-intrigue totalement inutile (un des loopers est poursuivi par ses employeurs mafieux pour vouloir échapper à sa mort programmée), le film mange à tous les râteliers et oublie de resserrer sa narration principale. Pire, avec le virage au milieu du film qui délocalise l'histoire dans une ferme au milieu de nulle part, on a à la fois l'impression de perdre l'atmosphère construite jusque-là, et la désagréable impression d'avoir changer de salle de cinéma en un instant : au voyage temporel, se substitue un voyage spatial qui manque terriblement de cohérence. Et, alors même que son scénario a été porté aux nues dans une multitude de festivals, c'est celui-là même qui fait dévisser le film.

    Total Recall : mémoires programmées, malgré un passif assez lourd (qui l'a sûrement fait échouer lamentablement au box-office US), s'avère autrement plus réjouissant dans son approche. Dans son director's cut rallongé de 20 minutes disponible en vidéo, il fait preuve, a contrario de Looper, d'une belle cohérence, même si ses schémas sont traditionnels. Et si le doute "réalité ou fiction ?" habite moins le remake que le film de Verhoeven, la perfection du design, et l'histoire rondement menée autour de La Chute, seul moyen de relier les deux derniers territoires habitables, suffisent à lui procurer un degré  de réussite bien supérieur à Looper. Et si l'on reconnaît sans l'ombre d'un doute l'ombre de Blade Runner ou celle de Minority Report, l'on est en droit de préférer l'approche de Total Recall, l'écran bardé de trouvailles science-fictionnelles délirantes, à celle de Looper, incohérente et tristement fade.

  • Star Trek : Nemesis (2002)

    Un film de Stuart Baird

    "Les Son'a, les Borgs, les Romuliens...
    Vous semblez décrocher toutes les missions faciles !"

    Un membre de Starfleet s'adressant au commandant Picard
     

    8260386341_b53958eaac_m.jpgL'aventure cinématographique Star Trek avait de bonnes raisons de s'arrêter au numéro 9, Insurrection, tant les personnages principaux y trouvaient un accomplissement quasi-définitf : Riker et Troi finissent ensemble, même Picard semble avoir trouvé son âme jumelle, et, même si c'est loin d'être le Trek le plus réussi, il est tout à fait honorable, à la hauteur des idées portées par Gene Roddenberry, le créateur de la mythologie. C'était sans compter la Paramount qui, fière de sa franchise, revient à l'assaut par l'intermédiaire du producteur Rick Berman. De plus, l'équipe de Next Generation est tellement liée que tous les participants des films précédents rempilent avec plaisir. Nemesis est-t-il pour autant un film de vacances ?

    Film de détente, c'est en tous cas ce dont a l'air Nemesis à l'ouverture : la scène du mariage sent bon les retrouvailles, et les blagues potaches sont légions mais ratées : ainsi, la gueule de bois de Worf loupe complètement le coche, l'acteur Michael Dorn n'étant pas formidable dans la séquence (Stuart Baird ne voulait pas de cette scène, le producteur Berman a pesé de tout son poids pour la conserver : les deux hommes batailleront gentiment pendant tout le film). Le sérieux reviendra vite, dans une intrigue dominée par la figure du miroir. 

    L'androïde Data va trouver son double, Proto (B4 en version originale), une version moins évoluée du même modèle, auquel il va transmettre son expérience (ses "data"). Dans un second temps, le commandant Picard est mis nez-à-nez avec le prêteur Shinzon (Tom Hardy à ses débuts), chef des Rémiens et accessoirement clone de Picard (en plus jeune), du temps où certains voulaient court-circuiter la Fédération en y infiltrant un des leurs. Chacun étant le reflet de l'autre, les individus se questionnent sur le sens de leur vie, celle qu'ils ont choisie ou subie. Cette partie du film, fort peu spectaculaire, est véritablement intéressante ; mais elle est coincée au milieu d'une foultitude d'autres enjeux qui parasitent la narration. A l'origine encore plus ambitieux, le film aurait du totaliser 2h40, si l'on en croit les nombreuses scènes coupées présentées en bonus sur le blu-ray. En coupant des bouts de scènes, raccourcissant deci-delà, égalisant ou tranchant, les décideurs ont un peu sabordé Nemesis, qui avait les bases d'un bon Trek.

    Rattacher les deux face-à-face Data/B4 et Picard/Shinzon n'était pas la meilleure des idées, tant on capte difficilement le lien entre cette histoire du cheval de Troie galactique (Data/B4) et l'offensive voulue par Shinzon. Ajouter là-dessus la découverte d'une menace chimique contrôlée par Shinzon, et l'image est complète.

    Tom Hardy, pour son premier rôle important au cinéma, essaime une ambiguité palpable, similaire à celle qui avait fait les beaux jours de Premier Contact avec la Reine Borg. Si sa ressemblance avec Patrick Stewart n'est pas évidente, il arrive tout de même à faire passer une similarité de regard qui aurait basculé du côté obscur.

    Les effets spéciaux, passage obligé d'un bon film de SF, sont omniprésents autant que réussis : jamais l'Enterprise n'aura autant brillée. Stuart Baird, plutôt habitué aux films d'actions et au montage (rien moins que sur Superman, le film, La malédiction, Ladyhawke, ou dernièrement Casino Royale et Skyfall), signe un film passable, réussit les séquences qu'il faut (la première rencontre entre Picard et Shinzon, la collision de l'Enterprise avec la vaisseau des Rémiens) mais passe à côté d'un très bon film : dommage.

  • Classics Confidential : La porte du diable (1950)

    Un film de Anthony Mann

    8258341333_8e6b0677a4_m.jpgQuel film atypique que cette production du début de la décennie (le projet a réellement débuté en 1946) : il s'agit d'un des premiers films américains montrant la réalité du traitement des Indiens sur leur propre territoire. Cela explique sûrement pourquoi ce film, en avance sur son temps, est sorti en catimini et a fait un beau bide aux Etats-Unis. C'est un autre film, La flèche brisée (Delmer Daves), sorti la même année mais commencé plus tard que La porte du diable, qui aura les honneurs historique d'être qualifié de "premier film pro-Indien". La porte du diable possède pourtant un force réelle, bien expliquée dans le livre qui accompagne l'édition DVD prestigieuse parue chez Wild Side Video en juillet 2012.

    Le personnage principal concentre sur lui les ambiguïtés du statut de l'Indien d'Amérique : alors sur ses terres, il doit entrer dans l'armée nordiste pour combattre lors de la guerre de Sécession. Revenu décoré, il perd le droit de propriété sur ses terres, sur lesquelles sont désormais libres de s'installer des blancs ayant combattu. Seule solution : racheter ses propres terres... s'il le pouvait seulement. Son origine ne lui permet même pas d'acheter librement ce qui, pourtant, était déjà à lui. L'injustice la plus criante saute à la gorge de chaque spectateur, Anthony Mann ne cessant de faire des parallèle parlant avec le racisme anti-noirs de l'époque : un écriteau "No Alcohol for Indians" orne désormais les étagères du bar de la ville. Un médecin, sachant une femme Indienne très malade, rechigne à se déplacer, ignorant totalement l'appel de l'Indien. 

    Le film est constellé de scènes où les hommes blancs, pourtant sur un territoire habités depuis des siècles par les Indiens, ignorent dédaigneusement ce peuple, tentant de l'effacer, de le rendre invisible. Là-dessus, une avocate débutante s'éprend du personnage principal (Robert Taylor, le teint légèrement assombri : il ne fait tout de même pas illusion). Cette histoire d'amour, totalement contre-nature, donne toute sa valeur à ce film à message sur les clivages insurmontables. Le fond, dans un film hollywoodien, est remarquable dans la ligne directrice qu'il se fixe et respecte : ne pas bercer le public d'illusions (bien tentantes) sur l'issue de l'histoire. La magnifique réplique "ça aurait pu marcher dans cent ans", de l'Indien Poole à celle qu'il aurait pu convoiter, en dit long.

    Le film réussit en cela qu'il gêne l'américain en ramenant la poussière de dessous le tapis et en l'exposant à la vue de tous : le rapport entre la conscience de l'Amérique et son "problème indien". Partant de là, on comprend bien pourquoi le film aura mis si longtemps à se monter, et (partiellement) les raisons de son échec. Mais son but est achevé, et sa vision est aujourd'hui des plus salutaires.