Un film de Joel Schumacher
Le premier Batman, à grand renfort de publicité et de merchandising, avait donné au studio un été 1989 enchanteur ; il fallait que cela continue. Après que le pourtant sublime Batman Returns de Tim Burton a fortement déplu au studio Warner, les producteurs ne veulent ni continuer dans la voie sombre, poétique et ambiguë tracée par le réalisateur californien, ni renoncer à leur juteuse franchise. Joel Schumacher entre alors en scène pour réaliser l'exact opposé de la version burtonnienne du chevalier noir. A l'atmosphère sombre et aux intrigues glauques, issues d'abord du film noir (Batman, 1989) puis du fantastique gothique (Batman, le défi, 1992), Schumacher répond par un cadre constamment éclairé et coloré de la plus outrancière des façons : Gotham n'est que néons, les personnages se font plus caricaturaux et les ressorts comiques reviennent en force, voulant rappeler la série loufoque des 60's. Ce qui commence avec Batman Forever évolue jusqu'à l'extrême dans le quatrième volet, Batman et Robin, qui s'enterre dans une dégénérescence de la punchline.
La punchline est une phrase utilisée pour son impact immédiat et mémorable. Elle dénote souvent une dose d'humour et synthétise en peu de mots une position bien tranchée. Elle se généralise dans les buddy-movies des années 80 (la décennie de L'Arme fatale), même si on peut noter plus tôt son explosion remarquée dans le Dirty Harry (1971) de Don Siegel, lorsque Harry nous balance un "Go ahead, make my day !", ou encore la tirade qui se conclue par un cinglant "Do you feel lucky, punk ?".
Avec le Batman de Schumacher, la punchline se généralise, jusqu'à vampiriser la quasi-totalité des dialogues, aux doubles-sens parfois sympathiques. Batman Forever et ses face-à-face Batman / Chase Meridian sont éloquents : "Le Bat-signal n'est pas un beeper", "Essayez un pompier, ça se déshabille plus vite", voilà qui permet d'apprécier le niveau stratosphérique du troisième opus. Mais c'est sans compter la récidive du quatrième, où la systématisation du procédé aboutit à un anéantissement pur et simple de toute dramaturgie. Il ne s'agit plus de dialogues, mais de phrases quasiment dénuées de progression narrative, balancées au gré du vent. Schumacher est dès lors très fort : d'une richesse apparente (exploitation d'un des super-héros les plus cinégéniques, le plus important budget de la franchise jusqu'alors, 125 millions de dollars, plusieurs personnages au potentiel intéressant), le film est finalement d'une rare pauvreté. "Salut Freeze, je suis Batman", "Freezy, je suis en chaleur", bref, on assiste à une enfilade de jeux de mot ridicules (et parfois incompréhensibles) sans aucun impact. Pis, la mise en scène programmatique de Schumacher fait se répéter des séquences déjà pas folichonnes à leur première occurrence : l'habillage des héros (allusions gays appuyées qui ont valu au film sa réputation), les cadrages obliques zoomés option "migraine oblige", moult champs/contre-champs d'une platitude consternante, d'autres plans généraux virevoltant dans un océan fluorescent... Certes, tout cela est voulu ; mais il n'en ressort qu'une bêtise bien plus grande que le pastiche léger que semble vouloir mettre en place Schumacher.
Le production design (décors et costumes) est totalement délirant, soit ; mais il est aussi d'un rare mauvais goût. Les costumes des héros ont des tétons moulés, Bane n'est qu'une marionnette déguisée en baudruche géante... Du coup, la demeure de Bruce Wayne / Batman, assez classique, ne paraît pas appartenir au même monde (de plus, le manoir est à chaque fois montré de jour, alors que le centre de Gotham est constamment plongé dans la nuit... dont les jeux de lumière font terriblement penser à un boîte de nuit). Les vêtements de Bruce Wayne sont hors-sujet, tellement il a l'air de se promener en peignoir pendant tout le film ; son masque de Batman n'est même pas taillé correctement ! La plus grosse erreur, cependant, est d'avoir confié le rôle-titre à un George Clooney qui s'en balance ostensiblement : tête basse, mains continuellement jointes dans le dos, on dirait un gardien de nuit qui fait sa tournée. La façon théâtrale avec laquelle il débite ses lignes se voudrait sans doute drôle ; les doubleurs français l'ont d'ailleurs compris, donnant au film entier des allures de parodie.
Bonjour, je m'appelle Batman, mais de toute évidence
ce masque a été fait pour quelqu'un d'autre !
Pour peu qu'il soit question de scénario dans Batman et Robin, celui qui nous est servi est complètement étranger à la mythologie créée par Bob Kane, Bill Finger et DC Comics au fil des années : ainsi Bruce Wayne et Dick Grayson passent leur temps à se disputer les faveurs d'une Poison Ivy qui les a envoûtés. D'une, Batman, qu'on surnomme parfois le Détective, prend bien trop de temps à s'apercevoir de l'entourloupe ; ensuite, les origines de Bane sont totalement remaniées, anéantissant son danger potentiel ; et que dire de l'introduction de Barbara Wilson / Batgirl (qui n'est plus la nièce du Commissaire Gordon), nursant un Alfred aux portes du trépas ? Le film n'aura finalement servi qu'à Uma Thurman, qui recycle son personnage de Poison Ivy dans les publicités d'une marque de soda bien connue...
Atteignant dès son entrée les sommets du n'importe quoi (une sorte de gala Holiday on ice en plastoc), Batman et Robin est tombé au plus bas. Rater un personnage de façon aussi définitive restera, finalement, le grand exploit de Schumacher sur la franchise. C'est simple : personne n'y est arrivé mieux que lui, sur toutes les déclinaisons du super-héros, que ce soit à l'échelle cinématographique, télévisée, animée : une certaine forme d'achèvement, en fait.
Source images : blu-ray Warner Bros.