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  • Classics Confidential : La porte du diable (1950)

    Un film de Anthony Mann

    8258341333_8e6b0677a4_m.jpgQuel film atypique que cette production du début de la décennie (le projet a réellement débuté en 1946) : il s'agit d'un des premiers films américains montrant la réalité du traitement des Indiens sur leur propre territoire. Cela explique sûrement pourquoi ce film, en avance sur son temps, est sorti en catimini et a fait un beau bide aux Etats-Unis. C'est un autre film, La flèche brisée (Delmer Daves), sorti la même année mais commencé plus tard que La porte du diable, qui aura les honneurs historique d'être qualifié de "premier film pro-Indien". La porte du diable possède pourtant un force réelle, bien expliquée dans le livre qui accompagne l'édition DVD prestigieuse parue chez Wild Side Video en juillet 2012.

    Le personnage principal concentre sur lui les ambiguïtés du statut de l'Indien d'Amérique : alors sur ses terres, il doit entrer dans l'armée nordiste pour combattre lors de la guerre de Sécession. Revenu décoré, il perd le droit de propriété sur ses terres, sur lesquelles sont désormais libres de s'installer des blancs ayant combattu. Seule solution : racheter ses propres terres... s'il le pouvait seulement. Son origine ne lui permet même pas d'acheter librement ce qui, pourtant, était déjà à lui. L'injustice la plus criante saute à la gorge de chaque spectateur, Anthony Mann ne cessant de faire des parallèle parlant avec le racisme anti-noirs de l'époque : un écriteau "No Alcohol for Indians" orne désormais les étagères du bar de la ville. Un médecin, sachant une femme Indienne très malade, rechigne à se déplacer, ignorant totalement l'appel de l'Indien. 

    Le film est constellé de scènes où les hommes blancs, pourtant sur un territoire habités depuis des siècles par les Indiens, ignorent dédaigneusement ce peuple, tentant de l'effacer, de le rendre invisible. Là-dessus, une avocate débutante s'éprend du personnage principal (Robert Taylor, le teint légèrement assombri : il ne fait tout de même pas illusion). Cette histoire d'amour, totalement contre-nature, donne toute sa valeur à ce film à message sur les clivages insurmontables. Le fond, dans un film hollywoodien, est remarquable dans la ligne directrice qu'il se fixe et respecte : ne pas bercer le public d'illusions (bien tentantes) sur l'issue de l'histoire. La magnifique réplique "ça aurait pu marcher dans cent ans", de l'Indien Poole à celle qu'il aurait pu convoiter, en dit long.

    Le film réussit en cela qu'il gêne l'américain en ramenant la poussière de dessous le tapis et en l'exposant à la vue de tous : le rapport entre la conscience de l'Amérique et son "problème indien". Partant de là, on comprend bien pourquoi le film aura mis si longtemps à se monter, et (partiellement) les raisons de son échec. Mais son but est achevé, et sa vision est aujourd'hui des plus salutaires.

  • Classics Confidential : Nightfall (1957)

    Cliquez sur l'image pour consulter la chronique du film :

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  • Trilogie Quatermass, 2ème partie : La marque (1957)

    Un film de Val Guest

    7631783418_e3e0e171db_m.jpgLe film vient à peine de débuter qu'une envolée de violons de James Bernard, déjà un habitué à la Hammer Film, nous plonge dans la tourmente à venir. Celle d'un couple, dont l'homme est blessé au visage, causée par une projection inattendue. Les roues de leur voiture filent sur l'asphalte noir comme l'ébène ; ils tombent sur le professeur Quatermass (toujours interprété par Brian Donlevy) quand survient l'écran-titre, "Quatermass 2". La marque (ou Terre contre satellite lors de sa sortie sur les écrans français) a l’insigne honneur d'avoir été le premier à utiliser un chiffre pour s'auto-désigner suite du premier film, pratique qui deviendra monnaie courante à partir des années 70, 80, et encore plus dans les décennies suivantes.

    Au-delà de son titre, La marque se pose en suite directe du premier opus, Le monstre, ayant remporté un franc succès ; le "projet lunaire" de Quatermass, qui a occasionné de nombreuses pertes humaines dans le premier épisode, est mentionné, mais abandonné par le gouvernement. Mais Quatermass est un personnage très obstiné, et n'en démord pas : il veut envoyer "100 fusées sur la Lune". Un des célèbres plans du premier film, montrant la fusée, le laboratoire et la voiture de Quatermass, est réutilisée. Si l'inspecteur Lomax revient, il est ici incarné par un autre acteur, John Longdon, qu'on a pu voir chez Hitchcock (Blackmail, 1929, La taverne de la Jamaïque, 1939), ou Michael Powell. S'il est à n'en point douter une suite, La marque est aussi un film Hammer à part entière, avec son équipe d'habitué et ses acteurs / actrices fétiches. On retrouvera ici l'inévitable Michael Ripper, abonné aux rôles de piliers de bar dans toute la filmo Hammer.

    L'intrigue est déplacée de Londres à la campagne, dans un lieu nommé Willington Flats. Les météorites qui y tombent régulièrement, causant le traumatisme de la séquence pré-générique, intriguent logiquement le professeur. Arrivé sur place, la méfiance des locaux et l'accueil froid des autorités lui intiment de pousser ses investigations plus loin. Découvrant à sa grande surprise les plan de sa "base lunaire" exécutés dans la campagne de Willington Flats, il va peu à peu déterrer l'inavouable vérité.

    Quatermass 2 est un pur film de science-fiction typée années 50, paranoïa ambiante incluse. En effet, tous les corps d'autorité présents dans le film sont suspectés de s'être fait infecté, obéissant tous aveuglément au commandement d'un supérieur inconnu. Les villageois apeurés par l'inconnu, maintenu dans l'ignorance par de fausses informations, sont également typique d'un cinéma de "la peur du rouge".

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    La découverte de la vérité est astucieusement progressive, mais cadencée d'un tempo énergique et réfléchi. Après une première tentative qui a permis à Quatermass de voir de l'extérieur les dommages causés par l'usine, il aura l’occasion d'y revenir une seconde fois pour pénétrer à l'intérieur du dispositif, représenté par un enchevêtrement de tuyaux reliés en réseau, bien organisés. La représentation juste d'un complot qui se joue aux degrés les plus haut de la hiérarchie.

    Cet opus des aventures de Quatermass, scénarisé par Nigel Kneale, créateur du personnage, est à mon sens le pic qualitatif du cycle pour plusieurs raisons ; d'abord, une trame science-fictionnelle classique mais finement amenée, dans un noir et blanc qui va bien aux trucages requis par l'exercice. Donlevy joue un personnage très sec et peu aimable tout en incarnant tout à fait correctement le "héros", dichotomie pouvant mettre en échec adhésion du public, ce qui est très bien évité ici. Enfin, le film boucle magistralement avec le premier épisode, offrant un final assez retentissant dans le genre. Ne retrouvant le grand écran que dix ans plus tard sous les traits de Andrew Keir, le diptyque Le Monstre / La marque est une belle pierre de l'édifice de la Hammer, dont on retrouve la patte reconnaissable entre mille.

  • Trilogie Quatermass, 1ère partie : Le monstre (1955)

    Un film de Val Guest

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    Notre récente chronique de L'île de la terreur chez notre confrère Mariaque aura paradoxalement redonné le goût d'un nouveau cycle Hammer, en commençant par la trilogie fondatrice de Quatermass. Si Terence Fisher est le réalisateur majeur de l'âge d'or du studio Hammer, Val Guest occupe la place de précurseur, oeuvrant surtout au cours des années 50, jusque l'électro-choc produit par Frankenstein s'est échappé (Terence Fisher, 1957), puis surtout Le cauchemar de Dracula (Terence Fisher, 1958). On lui doit en 1954 La revanche de Robin des bois, et le très bon Le redoutable homme des neiges en 1957 ; mais il est surtout connu pour les deux premières aventures cinématographiques de Quatermass, Le Monstre (1955) et La Marque (1957), dont le premier scellera le destin de la Hammer, empruntant dès lors exclusivement le sentier du fantastique.

    Adapté d'une pièce radiophonique de Nigel Kneale pour la BBC, Quatermass est un scientifique chevronné confronté à des phénomènes extra-terrestres. Cependant, loin d'être une figure unilatérale du bien, Quatermass cache également une détermination pouvant aller jusqu'à l'obsession.

    Dans un sublime noir et blanc, hanté par les violons atmosphériques et menaçants de James Bernard, Le Monstre (The Quatermass Xperiment) débute par la chute d'un objet non-identifié dans une zone campagnarde ; cette séquence est d'ores et déjà marquante, d'une part par l'usage d'un travelling latéral qui participe au sentiment d'urgence. En effet, entendant un bruit suspect mais familier, un jeune couple se précipite dans leur proche habitation. D'abord à l'extérieur, la scène est vécue de l'intérieur, où la chute de l'objet cause l'effondrement de tout le mobilier à l'intérieur de la maison, comme l'aurait provoqué un tremblement de terre... ou un bombardement. L'analogie avec les bombardements subis par l'Angleterre lors de la seconde guerre mobdiale est ici évidente, alors même qu'au tout premier plan du film, les amants se jettent semble-t-il innocemment dans les bottes de foins... déjà comme pour éviter les retombées d'une explosion.

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    la fusée des astronautes fichée dans le sol

    Le soin apporté à ces séquences d'entame donne le ton : le mouvement perpétuel de la caméra lors de l'arrivée des pompiers entraînant le film dans une précipitation palpable, jusqu'au dévoilement de l'objet de toutes les attentions. L'apparition de la fusée, renversée et à l'oblique, fait partie des images marquantes du film. Insérées dans la séquence, on remarque deux autres scènes intéressantes : l'une, montrant en plan fixe un speaker de radio puis finissant par une gros plan sur un micro, insiste sur l'importance qu'aura le médium dans le film, relais primordial des informations et objet omniprésent dans la dernière séquence du film. L'autre introduit le personnage-titre, en route avec son équipe vers le lieu du désastre, où l'on comprend deux choses : le scientifique est responsable de l'accident, ayant envoyé des astronautes sonder les profondeurs galactiques ; puis, son personnage est cerné en quelques phrases sèches et un air inflexible (Brian Donlevy, imperturbable).

    L'astronaute rescapé va progressivement subir une atroce transformation, dont se souviendra sûrement le Cronenberg de La mouche (1986) : d'abord plongé dans le coma, sa structure osseuse semble subir de subtils chagements ; à son réveil, il va, tel un fantôme, s'élever doucement sans attirer l'attention du personnel pourtant à deux pas. Lorsque, à l'hôpital, la volonté de la créature prend le dessus sur l'homme pour le faire fusionner avec une plante, l'impact esthétique et sensitif de la douleur est saisissant. 

    Val Guest va utiliser un ressort qu'on trouve aujourd'hui couramment au cinéma, tous genres confondus : le film retrouvé, ou found footage. Ainsi est récupéré et restauré comme une boîte noire vidéo, montrant le déroulement des événements lors du voyage retour de la navette. Ne montrant finalement pas grand-chose, la séquence est tout de même marquante par le contenu potentiel qu'elle peut révéler. Comme pour la première séquence, le choix cinématographique va dans le sens de l'économie de moyens, en n'oubliant pas de proposer un spectacle visuel qui fait pleinement sens. Roy Ward Baker réutilisera d'ailleur le procédé en le faisant évoluer (les scientifiques peuvent visionner une projection mentale) dans Les monstres de l'espace (1967), le dernier épisode cinématographique de la série.

    Impressionante enfin, la scène finale voyant la créature être traquée jusque dans l'église de Westminster, nous donne presque l'impression d'être du côté du monstre, s'étant comme réfugié dans le lieu saint. Visuellement, même si le résultat est un peu moins pathétique que les aspirateurs serpentés de L'île de la terreur (Terence Fisher, 1966), il n'est pas convaincant pour autant, donnant dans le caoutchouteux vaguement lovecraftien. On retiendra surtout la pirouette finale, Quatermass étant confronté à son échec mais refusant d'en prendre acte : "Je recommencerai", affirme-t-il silencieusement en s'enfonçant, seul, dans le London Fog... Terminant ainsi en beauté cette incursion réussie de la Hammer dans le fantastique.

  • Classics Confidential : Menaces dans la nuit (1951)

    Un film de John Berry

    6955776543_d436f1277e_m.jpgIl fallait être pas loin de fou, vu l’implacable chasse aux sorcières qui sévissait alors, pour mettre sur pied un film comme Menaces dans la nuit : à l'aide d'une équipe quasi-intégralement connue pour ses sympathies communistes, John Garfield et Bob Roberts, avec leur société de production nouvellement créée, voulaient à tout prix faire un film en marge de l'esthétique et de la morale traditionnelle des studios hollywoodiens. Et He ran all the way (son titre original bien plus parlant) allait incarner cela.

    Après un braquage qui tourne mal, Nick Robey (John Garfield) tue un policier et s'enfuit. Dès lors, tout ce qui l'entoure, sons, objets, personnes, lui sembleront suspects, susceptibles de l'envoyer directement en prison et, très certainement, de le tuer. Mais il est bel et bien emprisonné à la minute où il commet l'irréparable. Le spectre de la culpabilité le hante dès lors au plus profond de son être, comme si cela était inscrit jusque sur son visage, constamment en sueur ; ses yeux deviennent deux billes noires remplies de colère rentrée et de désespoir. Le personnage de fiction et l'acteur fusionnent à tel point que, peu après l’issue fatale que l'un connaîtra, l'autre connaîtra le même sort.

    Il y a dès le début de ce long-métrage un malaise palpable. Malaise des personnages eux-mêmes, qui déteignent, tâches indélébiles, sur les relations qui les lient aux autres. La scène du bar où Al (Norman Lloyd) vient chercher Nick, ce dernier ne donne pas l'impression de choisir son destin ; il agit plus par désœuvrement, ou désespoir déjà, que par une réelle volonté : celle-ci, c'est Al, le cerveau de l'affaire, qui l'a. Le comportement de Nick est d'autant plus étrange au vu de la gravité de ce qu'ils vont commettre, dont on comprend bien qu'il s'agit de leur premier coup. Le même sentiment d'ambiguïté nous frappe quand, pour se fondre dans la foule, Nick se rend à la piscine municipale. Là, toujours poursuivi par le démon invisible et omniprésent de la culpabilité, il se retourne à chaque policier croisé, la sonnette d'alarme tirée en permanence. Après une brasse coulée, il heurte Peg Dobbs (Shelley Winters), avec qui se crée dans l'instant un lien d'attirance / répulsion. Nick, toujours préoccupé à paraître le plus "normal" possible, met en scène une leçon de natation pour sa nouvelle partenaire, la serrant bien près. Une danse aquatique, faite de séduction et de violence, de doux rapprochements comme de brutales ruptures, emmène les deux personnages dans un rapport tout de suite très intime. Cette ambiguïté va perdurer durant tout le film, aboutissant à la terrible scène finale. De même, lorsque Peg consent à emmener Nick chez elle, ils se livreront bientôt à une autre danse, plus classique cette fois. La brutalité sera cette fois plus évidente, Nick serrant Peg si fort qu'elle ne peut plus respirer et, dès lors, clôt cette parenthèse. Nick reste insaisissable, son visage reste constamment fermé, mais l'on peut aisément lire dans ses yeux la marque de la fatalité. 

    6809666264_455a04c1fe_m.jpgLa saine réflexion n'a pas cours dans l'univers de Menaces dans la nuit (pas plus que dans la majorité des films noirs), tant chaque action semble improvisée par l'urgence, et rapprochant chaque fois plus l'issue fatale du personnage. Ainsi, c'est le hasard qui met Peg sur la route de Nick ; d'instinct, ce dernier songeant à se protéger du regard extérieur, comprend qu'il sera à l'abri chez Peg. Utilise-t-il consciemment l'attirance qu'elle éprouve pour lui ? Non, il est plutôt en prise avec une peur panique incontrôlable. D'où cette impression de paranoïa constante, qui vampirise d'ailleurs le film, enfermé dans huis-clos étouffant incluant les parents et le petit frère de Peg. Le choc entre le solitaire et nerveux Nick, avec la famille aimante de Peg, explose dans des brèches ouvertes notamment par le père, dans cette scène où il tente, pour retrouver un semblant de sérénité, d'assembler sa maquette de bateau. Ces explosions de tensions arrivent, de la même manière, de façon improvisée, c'est-à-dire non prévenues. A l'inverse d'une grammaire hollywoodienne où chaque émotion, chaque tournant de script est amené et préparé (musique, enchaînements de gros plans ou de champs / contre-champs), le spectateur est surpris par tout, l'aspect général du film gardant un côté brut, dans ses lumières, son montage, ses dialogues, ses personnages ; et reçoit le final en violent uppercut. Le fond du film est ainsi en accord avec sa forme. 

    Le livre érudit qui accompagne cette édition DVD signée Wild Side est, comme d'habitude, très éclairant sur l'histoire du tournage du film, comme à l'habitude orné d'un nombre conséquent de documents publicitaires d'époque. Samuel Blumenfeld, critique au Monde et co-auteur du meilleur ouvrage sur Brian De Palma, livre un texte passionnant. Chasse aux sorcières, déchéance de John Garfield, confidences de Shelley Winters, historique du (des) scénario(s) rédigés pour le film, on a là affaire à un ouvrage définitif sur le film, organisé de telle façon que le lecteur assiste à une sorte d'enquête d'où Blumenfeld fait ressortir les anecdotes, faits marquants, confronte les visions des protagonistes... On le conseille vivement pour qui veut avoir une compréhension plus large de He ran all the way. Une très belle édition pour un film film noir (ou plutôt "gris", comme s'en réclament ses créateurs, moins excentrique dans sa forme et sa psychologie, plus brut, au réalisme plus saisissant) marquant. 

    A consulter également : la critique de Anthony Royer sur DVDClassik, et le très bon documentaire présent sur le DVD du Facteur sonne toujours deux fois (Tay Garnett, 1946).

    Crédit images : visuel dvd © Wild Side Video
    John Garfield et Shelley Winters © Laszlo Willinger