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2010's - Page 9

  • Skyfall (2012)

    Un film de Sam Mendes

    "Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes"


    8145973633_fd1f3cc9dd_m.jpgLe James Bond de l'an 2012 est différent. Après la paire Casino Royale / Quantum of Solace, de nouvelles aventures attendent l'agent secret le plus connu de la planète. Trop influencé par le style heurté de Jason Bourne dans l'opus précédent, la franchise revient plus posée, plus torturée (comme le veut la mode des séries aujourd'hui), plus profonde aussi. Ancienne recette, nouveau goût. Mais il ne s'agit pas de n'importe quelle saga : James Bond reste James Bond.

    Les films James Bond ont rapidement créé un ensemble d'aspects indissociables de la mythologie, balisant le cours de leur intrigue avec un certain nombre de passages obligés : la séquence pré-générique, qui montre la fin d'une mission réussie, le plus souvent sans rapport avec le reste du métrage ; le générique, véritable film dans le film, immortalisé par les trucages optiques de Maurice Binder, dont les héritiers suivent aujourd'hui les pas. Viennent ensuite l'entrée en scène des James Bond Girls, de la nemesis en titre, la présentation des gadgets par Q, l'arrivée du fameux "Bond ; James Bond", présentation héritée du tout premier film, Dr. No (Terence Young, 1962).

    Cinquante ans plus tard, tout est encore là, ou presque. Les films, tout en s'inscrivant clairement dans la tradition bondienne, posent également un regard post-moderne sur ces passages obligés. Si certains sont dans la droite ligne des précédents, d'autres s'en démarquent allègrement. Pour les premiers, notons dans Skyfall la séquence pré-générique, qui se conclue par la mort supposée de Bond, que vient confirmer la note nécrologique rédigée par M en personne. Ces images rappellent tout à la fois celles de Bons baisers de Russie (Terence Young, 1963), où un tueur s'entraîne sur un faux James Bond, ou encore d'On ne vit que deux fois (Lewis Gilbert, 1967), et son enterrement maritime en bonne et due forme pour l'agent préféré de sa Majesté. Mais elles s'inscrivent elles-mêmes dans la tradition des serials, dont chaque scène se clôturait par un cliffhanger, misant tout sur le suspense. Le générique de Skyfall ne déroge pas non plus à la règle, sublime, cauchemar de mort épaulé par la voix suave de la chanteuse Adele.

    La rupture viendra d'abord dès la fin du générique, où James Bond est amoché, presque vieilli par une barbe de trois jours qu'il garde un moment. L'élégance britannique n'est plus ce qu'elle était, mais James reste cool et est toujours amateur de top-models. Pour l'intronisation du nouveau Q ("Q" désignant désormais un corps de spécialistes en espionnage informatiques, et accessoirement en gadgets), on passe du côté réinvention. Grâce à l'excellent Ben Wishaw, la rencontre entre Bond et Q brille d'un force de comédie toute en retenue, faite de petites piques gentilles ; puis pour la présentation des gadgets proprement dits, on sert à nouveau (comme c'est le cas depuis le redémarrage de la franchise avec Daniel Craig et Casino Royale) la carte du minimalisme, Bond utilisant une radio portative -minimalisme rappelé avec ironie par les deux camps à deux reprises.

    Oscillant constamment entre modernité et tradition, le film fait également le grand écart entre blockbuster et film d'auteur ; entre l'art et le commerce, les limites ne sont plus juste brouillées : elles n'existent plus. Sam Mendes, réalisateur reconnu au cinéma, metteur en scène également au théâtre, ose des séquences qui n'auraient pas trouvé leur place dans un Bond il y a dix ans ; notamment la première apparition de Silva (Javier Bardem), qui suit en un long plan fixe la première confrontation entre Bond et son ennemi. Là où d'autres auraient entrecoupé la scène d'inserts sur les mains du personnage, pour accentuer sa gestuallle particulière, ou sur ses pas, afin de dynamiser l'ensemble, on reste ici témoin sur la durée de la folie du personnage. Un personnage dont les tics névrotiques rappellent ceux du Joker dans The Dark Knight ; assurément une référence pour le James Bond nouveau genre. L'autre séquence qui plane au-dessus du reste du film est le passage à Shanghaï où, sous des néons à la dominante bleutée, Bond observe et rampe telle une ombre, se confondant constamment avec le décor, donnant un côté à la fois technoïde et planant à cette aventure. 

    Les personnages ainsi que certaines scènes exotiques sont mémorables ; Mendes semble ne pas vouloir reproduire les erreurs de Quantum of Solace, en posant davantage sa caméra, et en développant un arc narratif étonnant dans le troisième tiers du film, mettant au centre le personnage de M, puis donnant quelques informations sur le passé de Bond. Cependant, pour autant que le choix soit osé, il n'est pas payant (pas en tous cas, à hauteur de l'enjeu) ; le film bifurque en effet dans sa dernière partie, enfermant les personnages et leurs destinées dans un petit coin de campagne perdue, où se déroulera certes un sauvage affrontement. Cette bifurcation est un retour au passé, comme Bond le fait bien comprendre à M en empruntant une Aston Martin, clone de celle de Sean Connery dans Goldfinger.

    Les James Bond Girls sont malheureusement peu exploitées, peu présentes, nouant une relation des plus basiques avec Bond ; ainsi, si l'on a gardé en mémoire l’extraordinaire changement qu'a incarné Vesper (Eva Green) dans Casino Royale, on retrouve là un canevas bien connu, commun à beaucoup de films de la franchise. La belle fille est là, qui n'attend que son tour pour succomber à l'étreinte dépassionné d'un Bond en pleine mission. L'humour a par contre disparu de ces scènes, pourtant coutumier à l'ère Roger Moore, et même Connery. Entre tradition et modernité, toujours.

    Là où l'on attendait vraiment pas Skyfall, c'est donc dans son dernier mouvement, très low profile (on ne se croit plus du tout dans un Bond, mais un film de vengeance lambda) ; et là, surprise du chef que personne n'avait vu venir : une fin savoureuse (que je vous laisse découvrir) en forme d'hommage au début de la saga, avec des clins d’œil extrêmement appuyés au décorum, aux personnages et à l'ambiance qui a fait toute la réussite de cette collection de films  depuis cinquante ans. Donc, Bond a changé... pour redevenir exactement celui qu'il a toujours été. En ce sens, et malgré la qualité fluctuante de ce Skyfall un brin dépressif, il incarne une des icônes les plus éclatantes du septième art.

  • Prometheus (2012)

    Un film de Ridley Scott

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    Le nouveau film du réalisateur de Blade Runner était attendu, c'est peu de le dire. De retour à la SF et à l'univers qu'il a contribué à créer, Ridley Scott a attisé bien des curiosités sur ce prequel d'Alien qui n'en est plus vraiment un. Si le projet démarre en effet pour donner ses origines à la mythologie des Alien, une simple décision amènera des changements fondamentaux dans la production du film. 

    Dans le premier Alien (1979), des astronautes explorent une épave de vaisseau spatial et découvrent, au centre d'une immense salle ornée des décorations morbides et fascinantes de H.R. Giger, une gigantesque forme extra-terrestre à la tête d'éléphant, comme fossilisée dans son fauteuil d'observation. Il donne à la séquence une allure dantesque et marque durablement les esprits, d'autant plus qu'on n'en entendra plus parler par la suite. Cette seule scène, qui faillit d'ailleurs ne pas figurer dans le film au regard de son coût exorbitant (500 000 dollars rien que pour le décor), tient en germe l'idée d'une préquelle, explorant l'identité de ce mystérieux alien. Cette mystérieuse tête d'éléphant n'est pas la forme physique de l'extra-terrestre, mais plutôt une combinaison spatiale, un exosquelette qui renferme un être à forme humanoïde ! De cette idée, découle le virage thématique du film, qui, plutôt que de s'inscrire dans la lignée des Alien, explore cette nouvelle race, dont des chercheurs vont retrouver la trace et qu'ils nomment Ingénieurs. 

    Prometheus élargit dès lors la portée des Aliens précédents, en connectant les Ingénieurs à la race humaine et à la Terre, dès la fabuleuse séquence d'ouverture. Une caméra planante cadre des paysages vierges et majestueux, soudain surplombés par l'ombre d'un vaisseau spatial. La caméra Red Epic 5K fait des merveille et produit une image ultra-détaillée, agrémentée d'une très belle richesse de teintes. On y découvre un des Ingénieurs qui va, par son sacrifice, créer la vie sur Terre. Rien de moins ! Certes, cette vision des choses est un grand classique de la SF, mais il est amené avec une telle grâce que ce début nous fait tout de suite embrasser une mythologie complexe, somptueusement agrémentée de la mélodie composée par Marc Streitenfeld, tenant là un prolongement cohérent à celle de Jerry Goldmith dans le film original. 

    Si la première heure est très réussie, emmenant une équipe de scientifique à la découverte de nos origines, l'arrivée sur la planète laisse la place à beaucoup d'actions qui mettent à mal le rythme mesuré des séquences précédentes. Les personnages sont globalement détestables ou nous laissent indifférents (tel ce scientifique qui après passé deux ans de sommeil en cryogénie, en envoie balader un autre sous prétexte qu'il est venu uniquement pour gagner de l'argent) ; les dialogues, rares, sont vraiment basiques et nous ramènent aux actioners bourrins des années 80. 

    En voulant faire trop de mystères, Scott et ses scénaristes (dont Damon Lindelof, venu de la série Lost, également très généreuse en énigmes) ont tendance à frustrer le spectateur, notamment lors d'une rencontre avec l'Ingénieur qui n'apporte aucune explication. Les scènes coupes visibles en vidéo voient se desiner un autre film, plus fouillée sur la psychologie des personnages (une belle scène entre le capitaine du vaisseau Prometheus et Vickers, femme autoritaire qui dirige d'une main de fer l'expédition, ou une autre en Vickers et Peter Weyland, l'industriel qui a financé la mission) et sur les explications de textes (la fameuse rencontre avec l'Ingénieur est allongée, la scène finale est aussi bien plus explicite sur al destination de la scientifique Shaw) ; le mystère est un vrai choix de Scott, et l'on est en droit de préférer cette version, certes fantasmées, plus longue, qui aurait donné davantage de clés au spectateur.

    Soyons clairs : les défauts objectifs énoncés ci-dessus n'anéantissent pas l'intérêt suscité par le film : ce n'est juste pas un film parfait, et au lieu d'un potentiel très grand film, Prometheus reste en l'état un grand film de science-fiction, comme on n'en a rarement vu dans les années 2000. C'est dire si la suite prévue, pour l'instant titrée Paradise (ironiquement un des titres prévu à l'origine pour Prometheus), toujours réalisée par Ridley Scott, suscite une fois encore toutes les attentes... en espérant que les réponses soient à la hauteur !

  • Jane Eyre (2011)

    Un film de Cary Fukunaga

    7960829238_db63a96088_m.jpgSorti en salles en catimini en plein été, cette nouvelle version de l’œuvre de Charlotte Brontë mérite qu'on s'y attarde. Jane Eyre, avec plus d'une dizaine d'adaptations au cinéma, ne laisse pas de fasciner les réalisateurs, avec son histoire tragique, sur fond d'histoire d'amour contrariée. Ici, la lande brumeuse et les teintes, quasi-transparentes, transforment le récit en ballade onirique, complexifiant un peu la trame chronologique du roman avec quelques allers-retours temporels.

    Cary Fukunaga comprend bien qu'avec un classique tel que Jane Eyre, tout miser sur l'emballage audio-visuel ne suffit pas : ce sera un film d'acteurs. Et sans mentir, c'est un quatuor d'exception qui nous sert royalement le texte tourmenté de Brontë. Mia Wasikowska, l'Alice au pays des merveilles de Tim Burton, offre sa fragilité et son visage diaphane à la partition douloureuse du personnage-titre. Peu à son avantage, le visage et le corps corseté dans une tenue quasi-unique durant tout le film, elle donne vraiment l'image d'une femme qui veut s'affranchir du rôle traditionnel dédié à son genre sur la période. Michael Fassbender (Shame, X-men : le commencement), acteur découvert sur tard mais réellement bluffant de charisme et d'intensité toute animale, incarne un Rochester sûrement moins dur qu'il ne l'aurait fallu, mais nous fait bien saisir l'attirance qu'il peut provoquer chez la jeune Jane Eyre. Leur différence d'âge, prégnante dans le roman, ne transparaît guère ici. Le rôle du pasteur John Rivers échoue au rare mais juste Jamie Bell, qui va recueillir Jane Eyre après sa fuite du château de Rochester. Sa relation avec Jane Eyre (ou plutôt Jane Elliot, la fugitive voulant dissimuler son identité) est en quelques sorte l'exacte opposé de celle avec Rochester : à des échanges verbaux profonds et une passion dévorante, celle-ci est raisonnée, de l'ordre de la fraternité et de la bienveillance. Enfin, Judy Dench, internationalement connue pour son rôle de M dans les James Bond avec Daniel Craig, fait aussi des merveilles avec son personnage de gouvernante, un peu en retrait,  mais d'un support considérable pour l'héroïne.

    Alors, malgré ce qu'on vient d'écrire, vous me direz, rien de nouveau sous le soleil ? Le cinéma contemporain continue sans relâche d'épuiser des textes classiques, dont on a par le passé déjà eu des adaptations mémorables ? Exemple, la version de Stevenson et son casting ahurissant. Oui, mais... celui-là est tout de même réussi, et à sa galerie d'acteurs impeccables, on ajoutera une aura flirtant avec le fantastique, ce qui est loin de nous déplaire ! Un feu se déclare en pleine nuit dans la chambre de Rochester, un tombereau de suie envahit une pièce du château, ... Des moments déstabilisants qui marquent durablement, et qui font douter de la résolution de l'intrigue. Ma foi, c'est bien tout ce que je demande à ce film plus qu'honnête.   

  • Avengers (2012)

    Un film de Joss Whedon

    7906241746_d43234fa27_m.jpgLe cinéma américain nous offre depuis une dizaine d'années notre dose de super-héros, devenus désormais incontournables sur le médium. Cependant, la démarche initiée par Marvel depuis Iron Man (Jon Favreau, 2008) est inédite : introduire les personnages marquants de son univers, puis en offrir la synthèse par leur regroupement dans un seul film : ainsi aboutira le projet Avengers. De la même façon, dans la réalité des films, Nick Fury (Samuel L. Jackson) compose "the Avengers Initiative", recrutant à chaque nouveau film le personnage principal. Captain America, Hulk, Thor et Iron Man ont tenu le haut de l'affiche, avec des fortunes diverses : si Iron Man proposait un personnage rock n' roll, cynique, un orgueilleux magnifique, les autres ne sont pas logés à la même enseigne. Si Captain America est à peu près épargné grâce au décalage propre au film d'époque -sans transcender un schéma très routinier-, L'Incroyable Hulk (Louis Leterrier, 2008) est un actioner comme les autres, Thor (Kenneth Branagh, 2011) se noie dans un ridicule assumé, sans parler d'un Iron Man 2 (Jon Favreau, 2010) souffrant quant à lui d'un contre-performance d'anthologie. Bref, le super-héros boit la tasse. Compte tenu de ce passif très moyen, que pouvait-on espérer de ces Avengers enfin réunis ?

    Comprenons-nous bien, j'abordai la vision du film avec bonheur : d'abord assez indifférent au projet malgré mon grand intérêt pour le genre, l'emballement public m'avait convaincu. Or, si Avengers reste dans la norme Marvel, point d'étincelles à l'horizon : il ne détrônera pas Iron Man, premier du nom.

    Empruntant à plusieurs films pré-existant sa matière scénaristique, le début peut ainsi désarçonner pour qui n'a pas suivi les dernières péripéties des héros Marvel : la place prépondérante du Tesseract, le cube cosmique vu dans Thor, puis Captain America, est symptomatique du récit "sériel" que tente de filer Marvel. 

    Avengers subit également la dynamique du "bigger, faster, louder" dont est coutumière l'industrie hollywoodienne. Ainsi, la séquence d'ouverture, se clôturant par un explosion dantesque, pourrait très bien s'insérer comme climax final d'un autre film. Après cette détonante scène d'intro qui nous prend un peu de court, le film continue d'enchaîner les scènes d'action en laissant peu de chance aux personnages d'exister, en particulier Thor (dont l'entrée en scène arrive comme un cheveu sur la soupe), et même le Cap, souvent réduit à une caricature par les piques -très drôles- de Tony Stark. Dommage, car l'interprétation excellente de Mark Rufallo (Bruce Banner / Hulk) méritait d'être plus développée. Petite incompréhension au passage : comment Hulk, dont le comportement incontrôlable est bien démontré lors de sa première transformation, devient policé en ne prenant pour cible que les adversaires des Avengers, sauvant même Iron Man ? Le contrôle de la personnalité montrueuse de Banner, justifié par un "Je suis toujours en colère", n'est pas non plus très clair... Est-t-il toujours lui-même alors qu'il est Hulk ? Les auteurs du comic-book ont depuis toujours tranché pour l'autre option, allant même jusqu'à faire aujourd'hui du docteur Banner et de Hulk deux personnes distinctes ! 

    Un peu comme Thor (et ses références à la pop-culture un peu dépassées, remember Xéna), Avengers essaye de trouver un ton décalé, en insérant dans des séquences relativement sérieuses des appartés totalement farfelues, à l'instar de cet informaticien qui, une fois le grand speech de Fury passé, jette un œil autour de lui et se met à jouer à Space Invaders... Clin d’œil geek tellement décalé qui ne marche pas vraiment, nous sortant de l'univers du film, au contraire des surnoms donnés par Stark, assimilant Thor au Patrick Swayze de Point Break, et surtout Oeil de Faucon (Jeremy Renner) à Legolas du Seigneur des Anneaux, réflexion que le spectateur se fait dès qu'il voit le personnage décocher ses flèches. Au final, le film manque de respirations, et aussi d'une musique à la hauteur. Alan Silvestri, si inspiré par le passé, ne propose ici qu'une partition déjà entendue, mêlant une orchestration à la Danny Elfman pour Spider-Man (par exemple dans Assemble : percussions métalliques, envolées de violons). A part ses bonnes saillies, rien de neuf à l'horizon, donc, pour cet Avengers pas déhonorant, mais bien peu enthousiasmant : la synergie annoncée n'a pas eu lieu.

  • The Dark Knight Rises (2012)

    Un film de Christopher Nolan

    7718046812_850705cbfe_m.jpgSept ans après Batman Begins, la trilogie de Christopher Nolan dévoile son final. C'est surtout le deuxième volet, envahi par le jeu démentiel du regretté Heath Ledger, qui avait marqué les esprits. Après le récit des origines (Begins), puis un tableau complexe mais très maîtrisé de la dualité qui habite Bruce Wayne et ses opposants (The Dark Knight), ce troisième volet nous propose une destruction et renaissance aussi foisonnantes que l'étaient les précédents opus ; l'affiche du film marque d'ailleurs un retour aux tons dorés de celle du premier film, mâtinés d'orangé : Gotham in on fire !

    Nolan profite du passif créé par les deux précédents films pour enrichir encore la mythologie du personnage. La ligue des ombres, emmenée autrefois par Ra's Al Ghul (Liam Neeson), refait surface par le biais d'un nouveau personnage, Bane, à la force de frappe inédite dans le parcours du chevalier noir. Débutant huit ans après The Dark Knight, la première séquence nous rappelle la mort d'Harvey Dent, et le mensonge sur lequel est bâti la paix à Gotham (Batman a endossé les crimes commis par Dent / Double-Face afin que celui-ci incarne l'idée du bien triomphant, celui qui se sera sacrifié pour la ville). Après Ra's Al Ghul, le Moriarty de Batman, et le Joker, nemesis historique, Bane est considéré comme l'ennemi le plus mortel du Détective, alliant puissance et intelligence.

    Les scénaristes David S. Goyer et Jonathan Nolan connaissent bien leur petit Batman illustré, et vont puiser dans plusieurs sagas-clés : la première d'entre elle est la première partie de l'arc Knightfall, publié entre 1993 et 1994, durant lequel Bane, obsédé par la prise de pouvoir de Gotham et donc, l'anéantissement de la chauve-souris, sème le chaos en utilisant, tel un marionnettiste virtuose, les criminels de Gotham. Bruce Wayne, épuisé, acculé jusque dans ses ultimes réserves, -et marqué par son sens extrême du sacrifice- aura finalement la colonne brisée par Bane. Les origines de Bane, remaniées dans le film, proviennent de numéros antérieurs, Vengeance of Bane et Bane of the Demon. Ces histoires concernant Bane (un surnom de circonstance signifiant fléau) ont été rééditées récemment en France par Urban Comics.

    Un autre arc narratif a été pris pour modèle dans ce film, dont on parle moins : il s'agit de No man's land, qui date de 1999, a priori inédit en VF. A la suite d'un tremblement de terre, les esprits malades de Gotham s'échappent ; la gouvernement américain fait alors sauter les ponts et points de jonction qui relient Gotham au reste du monde, le déclarant no man's land, l'excluant même des Etats-Unis ; les hors-la-loi ont alors tout loisir de faire régner leur loi dans une zone de non-droit. Petit à petit, les zones libérées par Batman sont marquées d'un petit logo, dont on retrouve la trace dans le film. Engendrée dans une optique résolument réaliste, la trilogie se termine donc par un film dur aux accents de guerre urbaine, dans lequel l'héroïsme est moins du fait de Bruce Wayne / Batman -qui passe la plupart du métrage à se retrouver lui-même-, que de personnages plus ordinaires, telles le commissaire Gordon, et bien sûr son adjoint nouvellement promu, l'inspecteur Blake (Joseph Gordon-Levitt, à l'implication palpable). 

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    Loin de se borner à reprendre telles quelles les trames narratives du comic, celles-ci s'entremêlent, sont parfois grandement modifiées, pour produire un spectacle le plus souvent très cohérent. Tout juste pourra-t-on reprocher les connexions hasardeuses entre Bane et Ra's Al Guhl, hors-sujet par rapport au comic, et le personnage de Miranda Tate (Marion Cotillard), mal écrit, prévisible et lisse. Le reste est un bijou de caractérisation des personnages, jouant constamment avec l'attente du spectateur, alternant séquences d'actions de grande ampleur et pauses astucieusement dialoguées qui réjouissent d'intelligence. Et, comme toujours chez Nolan, les apparences sont souvent trompeuses, réservant au public des surprises, petites ou grandes, qui émaillent un édifice à la construction méticuleuse. La trilogie ainsi réalisée par Nolan va continuer de forcer l'admiration encore un moment ; et l'on dit déjà qu'un nouveau Batman, un autre reboot, verra le jour rapidement. Mais sans Nolan, qui fait de grands films en utilisant le genre à ses propres fins, à quoi faut-il s'attendre ? Réponse à l'horizon 2014...