Un film de John Hough
Spécialiste des ambiances fantastiques, voire horrifiques (La maison des damnés, 1973, avec Roddy McDowall, ou Les yeux de la forêt, 1980, unique production Disney lorgnant vers l’épouvante), John Hough réalise un de ses premiers films avec ces Sévices vampiriques. S’ils n’ont, contrairement à ce que le titre français promet fièrement, aucun rapport avec le célèbre comte Dracula, il a par contre tout à voir avec la famille Karnstein, qui s’est déjà vu transposée au cinéma à deux reprises par la Hammer Film (dans The Vampire Lovers et Lust for a Vampire) la même année. Les sévices de Dracula, alias Twins of Evil, clôt cette trilogie.
Deux jumelles, Maria et Frieda, sont recueillies par leur oncle Gustave (Peter Cushing, sec comme une trique), un extrémiste religieux qui joue les grands inquisiteurs, comme Vincent Price dans le douloureux film du même nom, réalisé par Michael Reeves en 1968. Le village des jumelles est situé à proximité du château Karnstein, qu’occupe le dernier descendant de la famille, un séduisant jeune homme. Il n’en fallait pas plus à Frieda pour se sentir irrémédiablement attirée par le danger de se rendre au château, bravant du même coup l’interdiction de son oncle. Dans le même temps, on découvre que le comte, sous ces beaux atours, est un adorateur de Satan et qu’il organise des cérémonies païennes pour réveiller le mal véritable, dans une course aux sensations nouvelles et inédites, pour pallier à son ennui. C’est ni plus ni moins que la même thématique explorée au début du film de Peter Sasdy l’année précédente, Une messe pour Dracula. On y voyait de jeunes aristocrates tromper l’ennui en invoquant Dracula, qu’ils réveillent et provoquent leur mort.
A la suite d’une des séances de satanisme du bon monsieur -qui la joue fine, en plus : il sauve une fille anonyme ramassée par ses sbires, pour ensuite mieux la sacrifier lors de ses rituels-, Mircalla Karnstein, son ancêtre, apparaît. Après une brève scène, on ne la verra plus, elle est donc un prétexte pour raccorder le film aux autres épisodes, Mircalla apparaissant dans chacun des deux premiers, dans un rôle consistant. Malgré ce subterfuge, et le fait de constamment rappeler au spectateur qu’il regarde un film sur les Karnstein (on entend son nom à tous bout de champ, le trio à l’origine des films, Gates, Fine et Styne oeuvrant toujours au scénario et désireux d’être raccord avec les deux précédents), réalisateur et scénaristes réussissent un bon film, bien plus abouti que le catastrophique deuxième épisode : fini, les pauvres prétextes à dévoiler les poitrines des jeunes actrices-pin ups, fini aussi, les acteurs au charisme frelaté : outre un Peter Cushing fidèle à lui-même, Damien Thomas en Comte Karnstein tire bien son épingle du jeu ; et, ô surprise, on retrouve Kathleen Byron, la folle Sœur Ruth du Narcisse Noir de Powell & Pressburger, qui incarne ici la femme soumise de l’oncle Gustave. Rayon casting, c’est du petit lait...
L’intrigue est bien menée, tirant profit des personnages (les jumelles, qui seront le jouet d’une substitution l’une à l’autre) et des liens tissés entre eux -Gustave va être confronté à un choix bien difficile quand il se rendra compte que sa nièce est possédée, de même qu’un jeune homme, Anton, qui aime Frieda, et dans le même temps combat la folie de Gustave. Viseullement, on remarque quelques belles idées, dont une, la transformation effective de la fille en vampire : son image disparaît peut à peu dans le reflet d’un miroir, et terrorise la jeune femme...
Le vampirisme n’est pas non plus là pour faire joli, et l’on retrouve les procédés caractéristiques de sa mise en scène : regard hypnotisant qui fascine les victimes, dents longues, mais qui ne sortent qu’avec parcimonie et à-propos. Loin de démériter, Les sévices de Dracula finit la série en beauté, par un divertissement tout ce qu’il y a de plus honnête.
trilogie karnstein
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Les sévices de Dracula (1971)
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Lust for a Vampire (1971)
Un film de Jimmy Sangster
Luxure pour un vampire : tout un programme pour Jimmy Sangster, plus reconnu en tant que scénariste à la Hammer Film (Frankenstein s’est échappé, Le cauchemar de Dracula, La revanche de Frankenstein, la sainte trinité Hammer en quelque sorte) que réalisateur au sein de la même firme. Pour son deuxième film à ce poste, il s’attelle à la suite de The Vampire Lovers, sorti l’année précédente, et donc aux personnages des vampires Karnstein. Toujours porté par le trio Tudor Gates (scénario - Harry Fine et Michael Style (production), le film offre quelques changements dans la continuité des personnages originellement créés par Le Fanu. Mircalla, auparavant interprétée par Ingrid Pitt, est cette fois incarnée par la toute danoise Yutte Stensgaard, et qui offre un tout autre regard sur la comtesse. Alors que Ingrid Pitt campe une lesbienne, femme forte qui fait plier les hommes à sa volonté par son regard hypnotique, Yutte lui oppose l’hétérosexualité (cependant relativisée par l’entourage d’un pensionnat de jeunes filles), sa blondeur et son teint diaphane, ses grands yeux bleus laissant entrevoir une fragilité toute nouvelle. Elle va s’exprimer dans le scénario par un amour (encore) contre nature avec un homme non vampire qu’elle va essayer de protéger d’elle-même. La love scene qui les voit s’embrasser langoureusement est d’ailleurs très belle, Mircalla semblant constamment hésiter entre mordre-tuer et embrasser-aimer, comme si ces deux dimensions co-existaient continuellement.
Les films Hammer, et particulièrement leur cycle vampirique, font la part belle aux créatures féminines, véritable scream queens qui peuplent de leurs atours avantageux les bandes d’exploitation de la firme. Ainsi, on les rapprochera des James Bond Girls, qui accompagnent, ou ornent, c’est au choix, les aventures du personnage principal. On notera que, dans cette trilogie Karnstein, les rôles s’inversent, voire fusionnent. La femme, autrefois victime ou simple complice, devient ici le bourreau, le personnage puissant. Elle renverse ainsi le traditionnel rapport de force maître / élève (car l’homme qui est éperdument amoureux d’elle n’est autre que son professeur). Les femmes submergent d’ailleurs le récit par leur nombre (l’armada du pensionnat), et par leurs responsabilités : le pensionnat est dirigée par un duo féminin qui se bat pour le pouvoir. Les hommes qui voudront combattre cette structure sociale seront punis de mort "par crise cardiaque" (l’inspecteur et le père de la jeune fille tuée par Mircalla), comme le justifiera le docteur bien spécial de la comtesse. Voilà qui en remontre au monde des vampires, d’habitude administré par les hommes. Lust for a a vampire fait bien suite à Vampire Lovers sur ce point, lui qui amenait le lesbianisme et la domination féminine tout en même temps.
A part cela, le film traduit la nouvelle orientation nudité oblige du studio ; ici, tout prétexte est bon à prendre pour dévoiler le corps des actrices : séquences dans le pensionnat, massage entre deux colocataires (mémorable passage du oups ! ta bretelle tombe toute seule !), re-naissance de Mircalla, bref tout (y) passe, et rien n’a de justification scénaristique : carton rouge...
Le padre vampire, qui apparaissait parcimonieusement dans Vampire Lovers, prend ici plus d’importance, l’acteur (Mike Raven) n’ayant été visiblement choisi uniquement pour sa ressemblance avec Christopher Lee ; lors des gros plans de ses yeux injectés de sang, c’est particulièrement flagrant ! Mais, malgré cette feinte gémellité, rien du charisme du pilier Hammer ne transparaît.
Pas mis en scène, mais doté comme à l’habitude de beaux costumes, et de décors "minimalistes" Lust for a vampire a ses bons côtés ; malgré tout, ses faiblesses (et son générique rose fluo digne d’un téléfilm érotique cheap) ne donnent pas vraiment envie de voir la suite que constituera Twins of Evil, alias Les sévices de Dracula par chez nous. Nous en serons pourtant, au moins parce qu’on peut y voir l’immense Peter Cushing ! -
The Vampire Lovers (1970)
Un film de Roy Ward Baker
Ce Vampire Lovers est un Hammer film singulier à bien des égards ; premièrement, il s’agit d’un film de vampires sans Dracula, chose assez rare pour la firme qui lui doit son succès (plus tard, la Hammer produira aussi Capitaine Kronos, tueur de vampires, Brian Clemens, 1974, sans rapports avec Dracula & Co). Le ton du film est donc bien différent, loin du statisme glacial de Christopher Lee, et, de façon relativement inédite va donner le rôle de prédateurs aux femmes, précédemment soumises au comte, corps et bien.
Autre singularité, le film traite de manière frontale du thème du lesbianisme, d’abord choisi à des fins purement commerciales, mais dont le réalisateur s’empare de façon assez fine. Même si l’ensemble ne vise pas franchement à la suggestion (la plastique d’Ingrid Pitt n’aura plus de secrets pour vous), il ne s’agit ici que d’une facette du scénario, assez bien ficelé, de Harry Fine, Tudor Gates et Michael Style, qui ont tous trois lutté pour l’existence du film. Adapté de l’histoire "Carmilla" de Joseph Sheridan Le Fanu, ils tirent un hypnotisant récit en miroir (le même arc scénaristique va se répéter, autour de deux personnes, Carmilla et Marcilla, qui sont en réalité la seule Mircalla Karnstein). Les Karnstein, famille de la fameuse amante vampire, se retrouveront sur les écrans de cinéma à deux autres occasions, toujours dans des films produits par la Hammer : ce sera Lust for a Vampire (Jimmy Sangster, 1971) et Twins of Evil (John Hough, 1972) pour constituer ce qu’on peut appeler la trilogie Karstein.
Il est intéressant de noter que, quelques années plus tard, la Shaw Brothers fera elle aussi son entrée dans les récits ayant pour thème l'homosexualité féminine, avec Intimate Confessions of a Chinese Courtesan (1972), grande réussite formelle de la firme de Hong-Kong, qui connaîtra, elle aussi, une suite, intitulée Lust for Love of a Chinese Courtesan (1984)... Le rapprochement avec leurs ambitions artistiques respectives n’est plus à faire. Les similitudes entre les deux studios sont telles qu’un projet mêlant Van Helsing, personnage-star de la Hammer, et David Chiang, acteur fétiche des studios de Hong Kong, verra le jour en 1974, toujours sous la houlette toute britannique de Roy Ward Baker : La légende des 7 vampires d’or. La patine des deux firmes est caractéristique, comme les thèmes qu’ils ne cesseront de brasser durant toute leur période d’activité. Cependant, c’est plus dans une logique de la dernière chance que ce projet va aboutir, la Hammer voyant son règne dangereusement décliner au cours de la décennie 70.
La première scène de Vampire Lovers est très inhabituelle -et, de plus, n’est pas présente dans le récit original- ouvrant le métrage avec une aura clairement fantastique. Un homme, seul dans son château, observe ce qu’il pense être un vampire, évoluant sous un voile, lui donnant l’aspect d’un spectre ; les vampires n’ayant à notre connaissance jamais revêtu cet apparat fantomatique particulièrement poétique. A n’en point douter, cette séquence est l’une des plus belles mises en boîte par Roy Ward Baker, loin de ses calamiteux derniers films, et notamment du film à sketches The Monster Club (1980).
Peter Cushing, le Van Helsing de la série des Dracula, trouve ici un rôle légèrement décale, celui du Général, le premier à faire le choix d’abriter la famille maudite. La taille de son rôle, bien réduit par rapport aux films de l’âge d’or du studio, ne doit pas cacher l’intérêt de celui-ci dans le développement de l’intrigue, ni le talent toujours présent de cet acteur vénérable.
Film très original au sein des films à suites de la Hammer, il reste aujourd’hui d’une inquiétante étrangeté, saupoudré de séquences plus déshabillées qu’à l’accoutumée, tournées avec le soin qu’il se doit. Ceux pour qui Hammer est synonyme de scénarios à répétitions, jetez-vous sur ce film, fascinant à plus d’un titre !