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japon - Page 2

  • Ciné d'Asie : Le repas (1951)

    Un film de Mikio Naruse

    3472155583_97abbcea67_m.jpgAprès les visions pour le moins enthousiastes de Nuages d’été et surtout Nuages flottants, il était temps de terminer le voyage permis par Wild Side Vidéo avec leur coffret Mikio Naruse, consacrant un des cinéastes classiques majeurs, au côtés des plus renommés Mizoguchi, Kurosawa ou Ozu.

    Michiyo, femme mariée ayant du quitté Tokyo pour Osaka, ne saisit plus le sens de son existence, à s’affairer dans la demeure conjugale entre le salon et les fourneaux. L’a-t-elle jamais vu auparavant ? Toujours est-il que Hatsunosuke, son mari, est peu ambitieux (la traduction lui confère l’emploi de trader, sans doute bien différente que son équivalent contemporain), fatigué par sa vie et par la routine installée de longue date ; bref, tout ne va pas pour le mieux.

    Naruse use dans ce drame du quotidien d’un talent savant pour proposer la restitution des tâches diverses (cuisine, rangement, attente) qu’impliquent l’inlassable répétitions des journées. L’observation est fine et juste, dans un rythme qui jouit d’une grande fluidité. Les hésitations, les expressions des visages (acteurs excellents, tant Ken Uehara, le mari, avec son air inexpressif au possible, que Setsuko Hara, doté d’un visage assez commun dont on ne sait jamais vraiment si il exprime la joie ou les pleurs, et qui offre un regard tout empreint de mélancolie et tristesse, parfois teinté de colère (la scène du fameux repas justement, où sa mère lui dit carrément "moi, si j’étais la mère de Hatsunosuke, je lui dirais divorce !", la laissant interdite... La peinture du quotidien chez Naruse se double d’une dimension cruelle, pessimiste, qui va du fond jusqu’à la forme : moins spectaculaire que chez un Kurosawa, de l’aveu même de Jean Narboni, spécialiste du cinéaste intervenant dans les bonus, les cadres du films captent le quotidien dans son dénuement le plus strict. Les retrouvailles de Michiyo avec ses copines à Tokyo, pour autant, savent aussi faire preuve de chaleur.

    Devant ce film, utilisant bien certains artifices cinématographiques connus (voix-off, musique extradiégétique, ellipses), j’ai ressenti comme une proximité avec le cinéma américain de l’époque dans son acception la plus classique : théâtre de querelles de couple ou familiales, limite en huis-clos. La différence est dans la retenue, et donc l’économie de paroles et d’expressions dont font preuve les acteurs japonais, témoignant d’un mode de pensée et d’agir plus en-dedans, donnant un air plus grave, pessimiste aussi, à la chronique qu’il nous ai donné de voir.

    Malgré l’appartenance du film, pourtant lointaine, au cinéma que j’apprécie le plus (tourné vers l’imaginaire, au sens large), il m’a touché et marqué, car la culture orientale est bien différente et fait voyager, et une sensibilité générale qu’on peut rapprocher d’un Antonioni, dont j’apprécie les rares films que j’ai pu voir, cinéaste occidental auquel on rattache le plus Naruse. Même s’il n’est pas non plus, à mon sens, le meilleur film de son auteur (Nuages flottants restant toujours en tête), Le repas est une chronique sans aucune fausse note, habitée par des comédiens au talent réel, et qui offre, malgré son âge, un questionnement toujours valide sur la vie de couple à long terme.

    Voir aussi la critique du coffret Mikio Naruse sur DVDClassik

  • Ciné d'Asie : Meurtre à Yoshiwara (1960)

    Un film de Tomu Uchida

    3649101963_a6836c3407_m.jpgWild Side Video nous fait découvrir des pans plutôt méconnus du cinéma asiatique avec le coffret Tomu Uchida, sorti en 2006.

    Ce film-ci, narrant la vie pleine de péripéties de Jirozaemon, abandonné à la naissance à cause d’une "horrible" tache sur la joue droite, marque une belle réussite de son auteur.

    La première partie du film s’étend à caractériser le handicap social de l’homme par rapport à sa marque disgracieuse ; malgré une réussite professionnelle sans conteste -il devient un prospère marchand de soie-, les qu’en dira-t-on  ne cessent d’évoquer sa laideur, qui l’empêche, même adulte, de trouver une épouse. L’homme est donc accablé socialement par un défaut physique, malgré une qualité d’être qui ne fait pas de doute. Uchida, pour signifier l’isolement du personnage, compose des cadres symétriques, symétrie que le visage de Jirozaemon ne connaît pas. Sa mise à l’écart sociale s’appuie sur un détachement visuel, le fond et la forme s’accordant d'une bien belle manière. Alors que la majorité des plans font appel à une symétrie classique, donnant aux différents plans un éclat évident, le défaut de l’homme n’en ressort que plus.

    La symétrie va ici de pair avec la beauté flamboyante d’un Scope couleurs extrêmement travaillé : les tons sont quasi pastels, procurant à chaque image le ton doux des estampes japonaises ; on retrouve ici un autre contraste, entre le velouté des couleurs et la tonalité sombre du récit, annoncé dès le titre ; on ne trompe personne, cette histoire est un drame.

    Un drame car encore une fois, le film s’ingénue à opposer deux situations qui vont être le quotidien de Jirozaemon : alors qu’il est un marchand reconnu, faisant par ce biais partie de la bonne société, sa quête d’une épouse va l’obliger à fréquenter assidûment les bordels de Yoshiwara, où il tombe amoureux d’un prostituée, ancienne taularde  qui s’est retrouvée là par obligation. S’oppose alors deux logiques, celle du travail -son entreprise de soie a besoin d’argent car les récoltes n’ont pas été bonnes- et celle du plaisir -la fille de joie veut bien l’épouser s’il lui permet de devenir première courtisane, ce qui demande des fonds importants.

    Le film, fonctionnant continuellement sur des extrêmes contradictoires, est de fait très clairement construit. La trajectoire tragique du personnage principal, handicapé dès la première image, est terrible et s’expiera dans un final marquant. La sournoiserie de la jeune fille, aussi belle que vulgaire, répond à l’opportunisme des tenanciers des maisons closes, qui échafaudent sur le dos de Jirozaemon un plan pour lui soutirer encore plus d’argent. La force tragique du récit, accompagné par quelques fulgurances visuelles, est assez remarquable, surtout dans sa dernière partie. Avant cela, le début nous aura paru tout de même un peu long à se mettre en place. Une belle découverte pour un cinéma nippon toujours surprenant.

  • Ciné d'Asie : Nuages d'été (1958)

    Un film de Mikio Naruse

    3472155583_97abbcea67_m.jpgAlors qu’il y a quelques mois, nous découvrions son chef d’œuvre, Nuages flottants (1955), dont on reparlera à coup sûr dans ces colonnes, la vision d’autres films de ce réalisateur prolixe (une carrière de 90 films, ça n’est pas rien) s’imposait. C’est chose faite aujourd’hui grâce au coffret édité il y a quelques années par Wild Side Video dans ses fameux Introuvables. Nuages d’été nous montre une famille d’agriculteurs, dont le patriarche tient à garder le contrôle. En effet, une des lignes d’évolution du film sera l’envie des enfants de s’affranchir de cet héritage agricole, en voulant devenir étudiant, commerçant...

    Le monde est en train de changer. La figure du père, incarnant les traditions, la façon de vivre à l’ancienne, est déstabilisée car descend de son piédestal. Les jeunes femmes veulent étudier, les couples s’installent sans s’être mariés au préalable... Situé juste après la deuxième guerre mondiale, présente en filigrane dans le récit (l’héroïne est veuve de guerre), le film nous montre le décalage des désirs et des façons de vivre entre deux générations. Décalage qui s’exprime déjà dans les modes vestimentaires, entre les vestes portées par les jeunes et les kimonos traditionnels qui ont la faveur des générations plus matures. Ces derniers ne semblent pas être issus du même siècle. Malgré la résistance du père, les jeunes vont arriver à leur fin. Cette période de transition s’illustre aussi, dès le début du film, par une enquête où un journaliste interroge la population sur les effets d’une réforme agraire instaurée peu avant, basée sur le partage équitable de l’héritage entre les enfants. Tout est en train d’évoluer, d’être ré-arrangé, bousculant les comportements, en laissant certains sur le carreau. L’empreinte du passé est néanmoins indélébile, et reste à portée tant que la génération des pères reste en vie.

    Un autre aspect intéressant de Nuages d’été est son rapport constant aux finances : les questions d’argent y sont prégnantes de bout en bout, laissant imaginer qu’il s’agit d’un personnage supplémentaire et central. L’argent est la raison invoquée qui pousse le patriarche à refuser à sa filles ses études (qui se double bien sûr d’une réaction face à la volonté d’émancipation de la jeune fille), et tout est, tôt ou tard, réduit à des questions financières. D’ailleurs, alors que le film pourrait mettre plus en valeur les trajectoires dynamiques et quasi-révolutionnaires des fils et filles voulant s’échapper de leur déterminisme, on s’attarde plutôt sur le personnage du père, qui veut décider de tout en ce qui concerne l’avenir de ses enfants. On reconnaît derrière ce choix clair la personnalité de Naruse, connu pour ne refuser aucun contrat de film, car il avait sûrement une terrible peur du manque d’argent. Même si ce dernier n’a jamais été considéré comme un auteur par son côté "réalisateur à la chaîne", le rapprochement que l’on peut faire entre l’obsession dépeinte dans le film et son propre comportement est évident.

    Mais le personnage principal est présenté comme étant celui de la tante, veuve de guerre qui a clairement besoin de retrouver une sociabilité après des années de solitude ; une amie lui dit même à un moment qu’elle "la croyait morte". Ce besoin va s’exprimer par l’attirance qu’elle éprouve pour le personnage du journaliste, pourtant un home marié -dont on ne verra jamais la femme-. Les choix francs de Naruse concernant les enchaînements d’actions et l’apparition ou non de certains personnages qui auraient pu avoir leur place dans le film, lui donne un côté étrange : alors que certaines choses paraissent manquer, d’autres semblent en trop, notamment toutes les interactions familiales entres différentes générations qui brouillent les pistes de la généalogie de cette famille : au bout d’un moment, on nage dans un léger flou à ce niveau-là. Mais, de cette posture particulière, naît une identité assez unique, car au final on ne se soucie guère de la structure familiale pour laisser la place à l’éclatement du carcan familial.

    Nuages d’été est le premier film en couleurs de Naruse, ainsi que le premier où il expérimente le format panoramique. Il en ressort une grande beauté, qui rehausse les paysages agricoles, et des couleurs omniprésentes, comme s’il testait tous les rendus des variations colorimétriques.

    Sans égaler la réussite éclatante de Nuages flottants, ce film-ci, malgré un flou qui peut faire décrocher le spectateur, reste digne, et illustre un témoignage de première main, quasi-documentaire, étude sociologique, d’un moment dans l’histoire du Japon.

  • Spriggan (1998)

    Un film de Hirotsugu Kawasaki

    3238661172_defc0a6db4_m.jpgSpriggan fait partie de ces films d’animation japonais qui, bien que (ou à cause de) leur absence sur les écrans français, ont bénéficié d’un buzz important et ont vu leur réputation être surévaluée. Ici, cette surévaluation est également due à Katsuhiro Otomo, mangaka reconnu (Domû, rêves d’enfants et le scénario de Mother Sarah) et surtout créateur d’Akira ; il occupe sur Spriggan le poste de superviseur.

    Résumer le propos de Spriggan est assez difficile, mais allons-y en deux mots : Une agence secrète travaille à la découverte et la préservation du savoir d’une société très ancienne. Leurs agents sont les Spriggan. Lors de la mise au jour de l’Arche de Noé sur le mont Ararat, le meilleur de ces agents, un lycéen du nom de Yu, est appelé sur les lieux pour empêcher la CIA de s’approprier la découverte.

    On voit, après ces quelques lignes, la dimension casse-gueule que prend cette histoire assez complexe : entre anticipation, espionnage et fable fantastique, le film ne fait aucun choix et décide de traiter tout cela en même temps, sur une durée d’1h30. On a donc un premier problème avec le résultat final qui nous est présenté : il ne sait pas trop sur quel pied danser. Dernier point important sur la tonalité du film, il est conçu avant tout comme un film d’action tout juste bon à accumuler des séquences de courses-poursuites et d'explosions en tous genres. Le fil rouge du récit, cette mystérieuse Arche de Noé aux références bibliques, n’est d’ailleurs pas suffisante pour justifier tous ces éléments périphériques, étant elle aussi sacrifiée par le traitement narratif de l’ensemble.

    Les scènes d’action sont certes bluffantes. La course-poursuite au début du film rivalise de nervosité et d’ampleur avec certains des meilleurs films live dans le genre. L’animation du métrage est d’ailleurs son vrai point fort : soignée, alternant les plans et les mouvements de caméra comme un film de prises de vues réelles, elle rappelle un petit chef d’œuvre sorti la même année, Jin-Roh, la brigade des loups (réalisé par Hiroyuki Okiura), qui produit le même effet tout à fait étrange : à partir d’un moment, on ne sait plus qu’on regarde un film d’animation. Cette sensation est toujours extrêmement rare car le principe même de l’animation en fait une œuvre réflexive. On est toujours devant une traduction / appropriation / recréation du réel. Ici, cette recréation calque tellement l’impression de réel que c’en est confondant. Découle de là un autre problème majeur, c’est qu’en étant si réaliste dans les mouvements des personnage et le rendu des décors, les scènes typiquement fantastiques semblent arriver comme un cheveu sur la soupe, à l’image de ces dinosaures (?!) à la poursuite de Yu, à l’intérieur de l’Arche de Noé. Le propos qui en découle, pseudo-écolo, ne trouve pas sa place dans le film, et n’est en tous cas amené avec aucun tact ; on ne peut échapper au ridicule lors de cette séquence.

    Finalement, ce qui nuit peut-être le plus à Spriggan, c’est Katsuhiro Otomo. N’étant pas qu’une caution scénaristique ou visuelle, on retrouve dans Spriggan des éléments constitutifs d’Akira tellement similaires qu’on a l’impression de voir une histoire parallèle au chef d’œuvre post-apocalyptique du mangaka/cinéaste japonais. Entre les pouvoirs télékinésiques, les (faux) jeunes garçons qui dissimulent leur (vraie) vieillesse et une esthétique futuriste, le tout constitue un patchwork mal assemblé, qui aboutit à un fourre-tout scénaristique assez faible. Si sa qualité technique n’est pas à mettre en doute, on ne peut parler de réussite, et on conseillera plutôt aux amateurs de revoir le bon Jin-Roh.

  • Cowboy Bebop - le film (2003)

    Un film de Shinichiro Watanabe

    3193002723_d0b6f582d4_m.jpgCowboy bebop - le film fait suite au succès mondial de la série éponyme imaginée par Shinichiro Watanabe. Sortie en 2001, cette adaptation devrait ne pas être la dernière, car un projet de film live avec Keanu Reeves dans le rôle-titre semble être sur les rails.

    Se focalisant sur la destinée de chasseurs de primes dans un contexte futuriste, la série est un mélange d’influences tout à fait jouissif, passant du western au space-opera pur et dur, sans oublier le ciné kung-fu (le personnage principal est fan de Bruce Lee) et une note roots américaine apportée par une bande son remuante composée par la grande spécialiste des musiques d’anime, Yoko Kanno. De tous ces aspects il en ressort une parenté assez évidente avec une autre série d’anime absolument indispensable, Cobra.

    Le film part a priori sur ces bases pour communiquer toute l’ambiance de la série sur grand écran. Seulement voilà, ce n’est pas tout à fait ça. Si, au niveau purement technique de l’animation, le film arrive à surclasser une série déjà très fluide, l’intrigue paraît fumeuse et la musique, bien que sympathique, un peu hors-sujet par rapport à la série-mère.

    Nous suivons les pas de notre groupe de Cowboys aux prises avec un terroriste, Vincent, ayant mis la main sur une arme chimique redoutable, capable d’anéantir pas mal de monde. Le bad guy est assez réussi dans le refus de tout manichéisme, et dans sa folie jusqu’au-boutiste étrangement calme. Le film joue aussi sur le réalisme trop parfait des environnements synthétiques, notamment par l’intermédiaire d’un jeune gamer hacker surdoué qui ne distingue plus aucune différence entre les deux mondes ; le moment où il assiste au meurtre d’un agent de sécurité par Vincent ne lui laisse échapper qu’un "oh ? il est mort... " dénué de toute implication émotionnelle, naturelle face à un tel acte. Le rythme du métrage est très étonnant, alternant de grandes scènes d’action et des pauses philosophiques qui peuvent rappeler l’extraordinaire Ghost in the Shell de Mamoru Oshii d’après Masamune Shirow. L’impact de Cowboy Bebop est malheureusement beaucoup moins clair que son illustre prédécesseur. Ce rythme si spécial convient difficilement  à un trip comme Cowboy Bebop dont la force réside dans son enchaînement d’action non-stop, auquel on ne comprend parfois qu’après-coup les raisons d’être. De plus, le film se doit de traiter chacun des personnages principaux de l’anime là où les épisodes de la série pouvaient ne se focaliser que sur l’un d’entre eux, ou en tous les cas évitaient de s’éparpiller devant la courte durée qui leur était imparti. Ici, on ne peut pas dire que le format long-métrage apporte quoi que ce soit à la série existante.

    D’autre part, la musique utilisée pour le film diffère complètement de celle de la série, pourtant une des clés de son ambiance inimitable. On a droit ici à une bande son pop-rock un peu énervée parfois, mais très consensuelle par rapport au parti-pris radical de la série. Elle indiquerait donc que le rythme du film sera effréné, ce qui, on l’a vu, n’est que sporadiquement le cas. On ressort du film avec une impression étrange, celui d’être quand même passé à côté de quelque chose. Les séquences, prises séparément, sont impressionnantes, mais la sauce sensée lier tout cela ne prend pas. S’il est en effet difficile de ne pas jouer au jeu des comparaisons, on dira que les non-initiés savoureront quand même un beau morceau de ce que l’animation japonaise sait nous offrir en terme de savoir-faire, mais pour l’âme il faudra, évidemment, se diriger vers les 26 épisodes aux titres musicaux de la série-mère. Et puis, comment faire mieux que le générique original, franchement ? Allez, pour le plaisir...